Billets qui ont 'Journal d'un théologien' comme oeuvre.

Mardi

Je fais passer des entretiens. Non, pas d'embauche, plutôt quelque chose comme des interviews: que faites-vous, comment, pourquoi, récupérations des procédures, etc. Cartographie des risques.
Cet après-midi, pour la première fois, cela s'est plutôt mal passé (le genre de personne qui sait tout sur tout et se plaint de ne pas être invité aux réunions d'information). J'ai trouvé la parade. Comme je voyais qu'il lisait tout ce que je notais, je me suis mis à noter mot pour mot ce qu'il disait, entre guillemets, genre: «non, ça ne peut jamais être faux, c'est des maths, c'est forcément juste».
Il s'est un peu calmé.

Ma collègue m'a fait remarquer que j'avais provoqué un blanc en réunion en utilisant le mot tautologie. Elle me parle de sa mansuétude. Je lui propose de remplacer "Bisounours" («elle est très bisounours, Alice» est une phrase qu'elle affectionne) par "irénisme". Je sens que nos réunions de projet vont avoir de plus en plus de gueule.

A vendre ou pas à vendre? Croyez-vous davantage un démenti ou l'absence de démenti?
L'absence de surprise sera la même. En attendant, tout le monde écoute BFM en allant au bureau (sauf moi, mais on me raconte l'essentiel).

Je continue Congar. Je tombe des nues. C'était quelque chose, l'avant Vatican II. On dirait un roman policier, ce n'est que délations et coups fourrés, qui à dit quoi à qui, rumeurs et censure. Je lis éberluée des choses comme: «Régime invraisemblable: policier, autocratique, totalitaire, crétin. Car ce qui me frappe le plus, c'est le crétinisme, l'invraisemblable indigence en intelligence, en caractère. Le système a fabriqué des serviteurs à son image» (Yves Congar, Journal d'un théologien, p.233) (Il s'agit de Rome et du Saint-Office, pour faire court).
Mazette! Je sais bien que ce n'était pas destiné à la publication, mais tout de même!

Comment réussir à se rendre compte de ce qu'était ce monde? Je repense à L'ange et le réservoir de liquide à freins: «Quatre à avoir bénéficié un an de l'enseignement de l'ancien catéchisme, du latin et des mathématiques traditionnelles, ces trois piliers de la sagesse disparus d'un coup sous les effets conjugués, quoique non concertés, d'Edgar Faure, de Mai 68 et du Concile.» (p.261)

Yves Congar est un homme selon mon cœur, entre sa façon de s'insurger contre les wagons réservés et vides dans un train bondé, et celle de s'interroger sur les dessous de son apparente soumission: obéissance ou lâcheté?:

Parfois, ces dernières semaines, je me suis interrogé. Je me suis demandé si, dans l'espèce de simplicité, d'absolu et d'entièreté de ma soumission, il n'y avait pas une solution à trop bon compte, une fuite, malgré tout, facile, hors du combat. [Mon attitude est foncièrement, vraiment et intégralement celle-ci: Qu'ils fassent ce qu'ils voudront! Rendez-vous au Jugement dernier, devant le Véridique. Je leur abandonne toute l'histoire, je n'attends que la Parousie, or ils n'ont pas la Parousie!] Ne suis-je pas dans la situation de quelqu'un engagé dans la Résistance, mais un peu lâche et craintif au fond, et qui, arrêté très tôt, a un certain sentiment de soulagement et presque de satisfaction d'être ainsi retiré, pur et avec les honneurs de la guerre, d'un combat difficile où il laissait désormais les autres se débrouiller comme ils veulent. Je ne voudrais pas être cet homme-là; j'ai une certaine propension à l'être. (Opus cité, p.269-270)

Tout me parle ici, même le rendez-vous au Jugement dernier.



(Parapluie, je n'oublie pas que je te dois une réponse.)

Dans les marges

En tout ceci [les balbutiements des rencontres œcuméniques en 1946] , Rome ne peut ni prendre une initiative, ni donner une permission officielle, et il ne faut pas demander de telles choses. Mais il faut que des initiatives soient prises à la périphérie. Si de telles initiatives ne sont pas prises, on n'avancera jamais.

Yves Congar rapportant les paroles de Mgr Arata, Journal d'un théologien, p.91-92

C'est amusant de trouver ici un de mes modes d'action le plus spontané: la discrétion, la marge. «Si tu ne veux pas qu'on te l'interdise, ne demande pas l'autorisation» est un vieux conseil, un leitmotiv de toujours.

Je lis ce livre sans m'arrêter sur les mots inconnus (deux ou trois par page), sans retenir les noms qui foisonnent, sans comprendre les allusions.
Ce sera amusant de le relire dans dix ans.

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