Margin Call (quelques problèmes, j'avais pris un billet pour
Le Prénom, j'ai changé d'avis devant la salle, me suis installée dans celle de
Margin Call, l'ouvreur m'a poursuivie dans la salle quasi-vide, j'ai refusé de sortir, j'ai eu droit à un sermon à la sortie… Pfff.)
Margin Call. Film honnête, brochette d'acteurs connus, Kevin Spacey sort de ses rôles de salaud pur dans lesquels il semble s'être spécialisé dernièrement. Le plus appréciable dans ce film est sans doute son manque de manichéisme, il s'agit juste de sauver sa peau en décidant qui sacrifier — et en en informant honnêtement les sacrifiés (oui, cela fait une différence).
Quelques remarques morales (
as opposed to techniques ou esthétiques):
- un plaidoyer pour les traders: «Nous permettons aux gens de vivre au-dessus de leurs moyens, de s'acheter les voitures qu'ils ne peuvent pas se payer. Ils ne veulent pas s'en souvenir. Si nous nous trompons
1, ils se moqueront de nous, mais si nous avons raison, ils nous haïront.»
(Emission sur la Suisse, paradis fiscal, sur France Inter dimanche matin. J'en entends des bribes: «Pourquoi les pays occidentaux ne font pas pression sur la Suisse, puissance moyenne, pour arrêter la fuite des capitaux? Parce que les hommes d'influence de chaque pays participent à cette fuite.» (cf. la chute du gouvernement Herriot en 1932.
- opposition finance / monde réel: construire un pont / jouer avec un ordinateur: qu'est-ce qui est le plus utile? (cf. remarque ci-dessus et
ce film).
- «Quand on est le premier à atteindre la porte, cela ne s'appelle pas de la panique.»
- «Nous n'avons pas le choix». Voilà qui me choque. Est-ce dans l'éthique protestante, dans les valeurs américaines? je ne crois pas (je suis sûre que non). J'ai cru un moment que ce n'était que des paroles consolatrices destinées à un personnage. Mais elles sont répétées à plusieurs reprises.
Nous avons le choix, mais le choix droit nous fait ressembler au père de
Sebastian Haffner1 dont l'attitude honnête le condamnait au ridicule: avoir sa conscience pour soi mais paraître (être) un
loser, il y faut beaucoup de courage, de principes, ou la foi.
Je n'ai pas d'idée précise sur les relations économiques, mécaniques, entre la crise américaine et la crise de la dette grecque, mais regarder un film où les personnages décident en toute conscience de précipiter le monde dans la crise pour sauver leur peau ne manque pas de sel quand on appartient à une société en train d'être vendue suite aux pertes dues à la dépréciation des obligations grecques. Une envie de rire ou sourire, relativisons (cf. la longue litanie des crises financières égrenée par Jeremy Irons.).
Je repense à 1991, à mon collègue dont le voisin cadre supérieur ne parvenait pas à retrouver du travail, il me semble n'avoir jamais vécu que dans un pays en crise (trois millions de chômeurs un peu après mon bac), apprenant parfois avec surprise deux ans après que deux ans avant, le pays connaissait une période de prospérité (comprendre: 2% de croissance). Apprendre cela me donnait toujours l'impression d'être, d'avoir été, flouée: pourquoi ne m'avait-on pas dis
pendant la prospérité que nous étions prospères?
Note
1 : dans le fait que ces traders sont en train de tout vendre à perte pour sauver ce qui peut l'être; précipitant ainsi la faillite de tous les autres.
2 : «Enfermé dans la devise "Un fonctionnaire prussien ne spécule pas", il n'acheta pas d'actions. Je considérais cette attitude comme la marque d'un esprit étrangement borné, surprenante chez cet homme — un des plus intelligents que j'eusse connus. Aujourd'hui, je le comprends mieux. Rétrospectivement, je puis ressentir un peu du dégoût que lui inspirait "cette monstruosité", et l'aversion irritée qui se dissimulait derrière une platitude: ce qu'il ne faut pas faire, on ne le fait pas. Malheureusement, les conséquences pratiques de ces principes élevés dégénéraient parfois en farce.»
Histoire d'un Allemand