Billets qui ont 'Walkyrie (La)' comme oeuvre.

Wittemberg

Le centre commercial à deux pas est fermé (ouverture à sept heures, proclame l'affiche), je parcours la ville à la recherche d'un magasin ouvert. Je trouve une boulangerie salon de thé et achète beurre, confiture, pain (ce sera notre nourriture de base de la semaine, avec les coktails aux entractes).

Nous décidons in extremis d'aller à la messe de l'Ascension à Oranienbaum. Le long de la forêt les pistes cyclables sont envahies de cyclistes avec enfants, fleurs, packs de bière (selon l'âge).
L'église est plutôt laide à l'extérieur, clocher en forme de tour carrée de béton sale, mais l'intérieur peint en jaune clair avec de grandes ouvertures vitrées en petits carreaux violets, roses et mauves est charmant. Nous sommes très peu nombreux, mais je m'étonne qu'il y ait des catholiques ici, sous la double hypothèque du protestantisme et du communisme. Pourtant la communauté semble vivante car les lieux de culte sont étonnamment nombreux, je dirais presque plus nombreux qu'en France en proportion de la population baptisée catholique (enfin, ce n'est qu'hypothèse de ma part).
Pendant toute la liturgie nous nous débattons avec le livre de chants (avec variations d'un land à l'autre, apparemment). Chantent-ils très faux, ai-je l'oreille peu entraînée? Bien qu'ayant compris le système de numérotation des chants, je ne reconnais les paroles qu'à quatre ou cinq syllables de la fin à chaque fois.
Le prêtre sort seul tandis que les paroissiens restent calmement assis pour se lever une fois qu'il est en place pour saluer chacun à la porte. Avec cette méthode, nous ne coupons pas aux explications. Le prêtre parle un peu, très peu, français, mais les phrases qu'ils prononcent sont fluides. Il parle très bien hollandais et polonais, nous dit-il; il a autrefois parcouru l'Ile-de-France à vélo en dormant à la belle étoile.
Il part faire une conférence à Wörlitz sur la Bible et voudrait bien nous y entraîner, mais «Meine Tochter wartet auf uns».

Sur la suggestion de JY nous passons l'après-midi à Wittemberg, lieu des 96 propositions de Luther. L'anniversaire (30 octobre 1517) aura lieu dans deux ans et tout ce qui concerne Luther, maison, église, université, est en travaux.
La ville est magnifiquement restaurée, pimpante et colorée. Nous découvrons tout d'abord une plaque nous apprenant que Lessing a fait ses études ici, mais bientôt, nous nous apercevrons qu'une maison sur dix ou sur huit a sa plaque, la plupart de théologiens inconnus, mais également des noms très connus, à croire que tout le monde est venu un jour à Wittemberg: le maréchal Ney et Napoléon, Gorky, Schiller, Pierre le grand, Giordano Bruno… Cranach y a sa pharmacie et une plaque affirme que Faust pourrait avoir habité telle maison.



Des Allemands nous arrêtent pour nous demander d'où nous venons, ce que nous pensons de la ville. Nous essayons de transmettre un peu de notre ravissement.

Au dos du retable de Cranach se trouve une étrange représentation de serpent sur la croix, représentation que je retrouve sur une autre tableau d'une présentation de Jésus au temple (une carte postale m'apprendra plus tard qu'il s'agit d'un tableau de Peter Spitzer, Darbringung im Tempel). J'interroge mes amis FB (pensant qu'ils ont plus de facilité à chercher que moi sur mon téléphone) et apprends qu'il s'agit de la représentation du serpent d'airain de Moïse préfigurant le rachat de l'humanité par le Christ ainsi que la continuité entre l'ancienne Loi et la nouvelle. Ce symbole aurait été couramment utilisé au Moyen-Âge, c'était la première fois que je le voyais. (Merci à ceux qui se reconnaîtront).

Parenthèse vétérinaire: pendant le déjeuner, et pour une raison que j'ai oubliée, A. nous a fait un cours sur les haras nationaux : le Percheron est le cheval de trait le plus exporté au monde tandis que le mulassier poitevin et le xx (j'ai oublié) sont en voie de disparition.
Les haras nationaux ont été créés sous Louis XIII, le but était d'élever des chevaux d'apparat ou de chasse français pour l'aristocratie (les paysans, ces rustres, ne se préoccupaient que de chevaux de trait et tous les beaux chevaux étaient importés d'Espagne, ce qui revenait extrêmement cher à l'économie nationale).
Les résultats en furent médiocres car la jumenterie était pauvre: «en Angleterre, on avait compris qu'il fallait de bonnes juments, mais en France, on considérait que cela n'avait aucune importance, que tous les caractères venaient de l'étalon. C'est Napoléon qui a changé cela.» Je commente à mi-voix qu'avec Joséphine et Marie-Louise, il savait à quoi s'en tenir sur l'importance de l'élément féminin dans la descendance…

Nous partons en retard, en retard.

Nous arrivons après la deuxième sonnerie pour écouter et voir une Walkyrie électrique et multicolore. Cette œuvre me navre profondément.
Lillet aux fruits des bois.
Errance vaine dans Dessau pour trouver un restaurant après le spectacle. Nous nous couchons sans manger — mais sans avoir faim.

Dijon première journée

Peur que quelque chose foire, que le RER ait un problème, que je perde les billets de train… je les vérifie vingt fois dans mon sac, vingt fois je ne les trouve plus…
— Maman c'est bon, tu les avais il y a trente secondes. Arrête!
Je suis contente qu'ils aient eu envie de venir.

Arrivée à Dijon sous la pluie, je malmène tout le monde pour trouver l'hôtel, en fait c'est tout simple, je ne comprends pas les commentaires de Tripadvisor qui décrivait un chemin compliqué dans la vieille ville.
La chambe est amusante (c'est une "suite"), toute de guingois sous les toits, pas une surface verticale ou horizontale. Un peu dangereux pour les grands.

Crypte de Saint Bénigne. Encore les méfaits de la Révolution. Cela me stupéfiera toujours: quelle somme de haine accumulée, comment ou pourquoi cette rage de destruction? La crypte a été dégagée, des chapiteaux et des pierres remplacées. Difficile de savoir si cela ressemblait vraiment à cela, en tout cas le travail a été effectué avec soin et amour (c'est la même chose).

L'or du Rhin et La Walkyrie. Cela n'a rien à voir avec Reims, ou du moins pas grand chose. La salle est immense (enfin, grande; immense par rapport à Reims), très agréable (je la préfère à l'opéra de Lyon, si noir); il y a beaucoup de monde dont une bonne partie parlant allemand.

Le spectacle est très bon, netteté de la ligne instrumentale qui dialogue avec les chants ou les souligne sans jamais les couvrir; netteté des voix qui articulent, netteté du décor, avec une thématique autour du livre et de l'écrit (le savoir comme trésor?).
Mention spéciale pour Siegmund/Siegfried (Daniel Brenna), Sieglinde (Josefine Weber) et surtout Brünnhilde (Sabine Hogrefe).

Les coupes ne sont pas les mêmes qu'à Reims; j'ai l'impression qu'à Reims le récit, sa cohérence, la cohérence entre les personnages et leurs interactions les uns par rapport aux autres avaient été privilégiés, alors qu'ici ce sont les "blocs" musicaux qui me paraissent mis en avant, en particulier les duos (ou plutôt les dialogues). C'est une option sans doute meilleure d'un point de vue artistique, à condition de connaître les œuvres (donc de ne pas utiliser ce Ring réduit pour découvrir la Tétralogie).

Pour le reste, le contenu du livret provoque toujours en moi la même répulsion. Il faudrait que je lise les livrets pour vérifier mes impressions, mais je suis frappée par la dimension punitive du sexe dans ces opéras, par l'importance de la pulsion de viol: Freia emmenée par les géants, Sieglinde mariée de force, Brünnhilde offerte à l'homme qui passe (avant que la sentence soit "adoucie"), Erda utilisant le mot "contrainte" (problème de traduction? "tu m'as contrainte…"), Brünnhilde parlant d'être "contrainte au plaisir et à l'amour" (demain, j'anticipe)… et cela se reflète dans les paroles de Wotan, qui voit l'acte sexuel comme une flétrissure que l'homme impose à la femme, ce qui suppose qu'il a de lui-même une bien piètre image… Freud était nécessaire de façon urgente.

Mais ce qui me choque le plus, c'est la punition de Brünnhilde: Wotan punit la pitié (après avoir espéré peu de temps avant un enfant libre qui exécute ses désirs sans qu'il intervienne…). Cela n'arrive jamais, je pense, dans la tragédie antique, dans la Bible, dans les mythes, dans les épopées. La pitié est le geste sacré qui est toujours respecté. (J'ai cherché des contre-exemples: Antigone? Mais c'est un devoir de piété qu'accomplit Antigone, piété envers un mort, pas pitié envers un vivant). Sans doute va-t-on argumenter que ce que Wotan punit, c'est la trahison de sa volonté par sa volonté (un double de sa volonté, une autre lui-même). Mais cela veut simplement dire que Wotan punit sa propre pitié. Wotan n'a pas la grandeur qui permet la pitié, il est agité de calculs, il ne vit plus au présent, mais dans un futur qu'il craint et tente de prédire (pour l'éviter ou le faire advenir? Ce n'est pas clair, il y a une pulsion suicidaire chez Wotan, et c'est d'ailleurs ainsi que cela se termine). Qu'est-ce que c'est que ce dieu?

Le vrai dieu, celui qui agit selon ce qui doit être, sans chercher à suivre un plan qui favorise ses propres intérêts, sans chercher à calculer les conséquences, qui réagit spontanément au courage de Siegmund et à sa déclaration d'amour ("garde ton walhala, je n'en veux pas sans Sieglinde") ou qui a pitié de Sieglinde et protége la vie sans défense, c'est Brünnhilde.
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