Billets qui ont 'catalogue La Déroute' comme oeuvre.

Eclats de soirée

Je suis passée chez Florence Loewy chercher mon catalogue de la Déroute. La librairie était minuscule, pleine d'amis d'enfance et assimilés de Nicolas Simarik. Impossible d'acheter le catalogue et de s'éclipser, il faut passer devant l'auteur-photographe pour accéder à la caisse, il serait impoli de refuser la dédicace qu'il propose si gentiment. La queue de quatre ou cinq personnes avance lentement. Devant moi, un couple aux allures de hippies des années 2000 (très beau manteau militaire avec un dragon taïwanais rouge sang brodé dans le dos) paraît expliquer qu'ils sont de véritables photographes de La Redoute, qu'ils trouvent l'idée formidable, qu'ils sont venus voir… Il a un fort accent nordique, je ne suis pas sûre de bien comprendre. Dans l'étagère, tout en haut, parmi tous ces livres de peintres, sculpteurs, photographes inconnus (je considère deux ronds de serviette en bois "punk not dead" gravé sur bois de hêtre vernis, signés et numérotés, trente exemplaires), je repère une plaquette bilingue des poèmes de Garcia Lorca. Je feuillette, magnifiques poèmes que je ne connais pas. Et 45 euros. Pas ce soir. A côté, une bibliographie des œuvres de René Char signé Pierre-André Benoît. C'est ce que j'aime dans le fait de lire encore et encore : le monde se transforme en un vaste réseau d'amitiés et de signes, il y a un mois, je n'avais jamais entendu parler de Pierre-André Benoît… J'apprends que le catalogue de la Déroute a eu aujourd'hui trois pages dans Libé et je ris jaune. Derrière moi, un vieux monsieur interpelle Isabelle Tardiglio, la présidente de l'association toulousaine qui a participé au projet. Lui fait partie d'une association de Montrouge, "mon Montrouge", ai-je cru comprendre. Son objectif: lutter contre le maire qui fait disparaître les petites maisons historiques de ce vieux village pour bétonner encore et encore. Je pense fugitivement à Anna Politkovskaïa, aux vieux chassés de chez eux à coup d'incendies pour récupérer les terrains… Isabelle Tardiglio et cet homme échangent leurs adresses.
Je feuillette le catalogue. Certaines photos paraissent sous-exposées, c'est dommage, mais globalement, c'est réellement un catalogue étonnant. Il se produit le même mouvement mystérieux que lorsqu'on lit ou regarde une histoire vraie: on est touché différemment que par la fiction. Quelque chose remue. Ce sont de "vrais" gens, il est possible de les rencontrer, ce ne sont pas des mannequins, les immeubles sont vrais, les décors sont vrais, le mobilier, les pelouses, les posters au mur… Toutes ces personnes paraissent si présentes, si vivantes, alors que cette impression n'a lieu que dans la tête, puisque rien ne sépare objectivement ces photos des fausses photos d'un vrai catalogue de La Redoute.
Bizarre, bizarre.

De la librairie au Auld Alliance Pub il n'y a que quelques rues, je vais prendre une Guinness. Le pub est envahi par une poignée d'Ecossais, dont un en kilt (le tartan ne me plaît pas, blanc et bleu, trop fade). Je lis les dix ou vingt dernières pages de Douloureuse Russie tandis que les Ecossais chantent une version anglaise de Elle descend de la montagne à cheval.
Pour résumer, les forces démocratiques en Russie sont apathiques, les forces au pouvoir ne s'intéressent pas au peuple et de toute façon sont incapables de lui parler, par peur ou manque de simplicité, les citoyens ne réagissent que lorsqu'on tue leurs enfants ou qu'on touche à leur salaire, le pouvoir soutient l'extrême-droite (Poutine recevant officiellement un hooligan connu pour sa violence!) contre la jeunesse qui se radicalise en se rapprochant de la gauche extrême, la violence et la corruption du pouvoir sont telles qu'elles poussent une partie des populations musulmanes à prendre le maquis.
Le livre dans son ensemble est terrible, il dresse des portraits d'hommes et de femmes en pleine détresse, analyse les derniers événements politiques, passe ainsi sans arrêt du plus particulier au plus général. Kasparov est sans doute un nom à retenir pour l'avenir (Je l'espère. Il fait partie des opposants à Poutine). D'autre part, je vais sans doute écrire en faveur de Khodorkovsky, car Politkovskaïa est (était) persuadée que c'est son désir de transparence à l'occidentale qui l'a conduit à sa perte. Je signale également ce blog.
La violence décrite par Politkovskaïa est omniprésente. Violence, arbitraire et pauvreté. Je crois qu'il faut vraiment lire ce livre. En tuant Politkovskaïa, j'ai l'impression que Poutine et son gouvernement ont proclamé: «Vous pouvez la croire, tout ce qu'elle a écrit est vrai.» En rentrant en métro, j'apprends par-dessus l'épaule de mon voisin que l'"ex-espion russe" qui enquêtait sur la mort d'Anna Politkovskaïa est mort à Londres.

J'ai commencé Mensonge romantique et vérité romanesque. Cela fait dix ans que j'aurais dû le lire (1995, exactement).

Un mail m'attend. Un ami qui travaille dans l'administration se plaint : l'expression "avis de retard" (annonçant un retard dans un projet) a été remplacée par "demande de prolongation de délai non chiffrée". Pourquoi? me demande-t-il.
Son mail commence ainsi : «Depuis quelques jours, je me demande pourquoi. Il s'agit d'un point mineur, mais je suis sûr que toi, tu peux me comprendre.»
Cela me fait plaisir.

Le catalogue de LA DEROUTE

Depuis que j'ai assisté au colloque "Plaisir, souffrance et sublimation", je suis régulièrement informée des vernissages, tables rondes et autres manifestations qui se tiennent à la librairie La Mauvaise Réputation à Bordeaux.

Ce soir, le message suivant m'attendait dans ma boîte mail :
Même nombre de pages, même format, même présentation graphique, à première vue, "La Déroute", catalogue pastiche réhabilitant les cités, ressemble à s'y méprendre à son "frère jumeau" de La Redoute, le leader français de la vente par correspondance. La ressemblance s'arrête là car ce "pavé" de 1236 pages et de près de deux kilos, réalisé par Simarik et par les 600 habitants du quartier réputé difficile d'Empalot à Toulouse, vise, loin de tout objectif commercial, une réhabilitation, par l'art, de l'image des cités. Le but de ce projet est "d'améliorer le regard que l'on porte sur les quartiers", explique Isabelle Tardiglio, directrice de l'association toulousaine "Entrez sans frapper", à l'origine de l?initiative, et qui avait déjà organisé en 2002 une exposition de portraits géants d'habitants d'Empalot sur les immeubles de la cité.

"Les médias mettent l'accent sur les choses négatives dans les quartiers. On parle essentiellement des voitures brûlées, des violences. J'ai voulu rectifier cela avec un pavé d'images, mettre l'accent sur les choses positives. C'est une oeuvre d'art collective, un véritable projet artistique plein de subtilités, créateur de lien social, qui dresse un portrait des habitants d'Empalot, à la manière de La Redoute, et montre un quartier pouvant s'apparenter à beaucoup d'autres en France et dans le monde. J'ai transformé le quartier en un grand studio tout au long de l'année". Simarik précise qu'il a pris un total de 22.000 photos des quelques 600 habitants de la cité d'Empalot, posant dans leur cadre de vie habituel, à la manière des mannequins de La Redoute proposant des articles à la vente. Le traitement des images et la mise en page ont été effectués par des bénévoles et par les habitants eux-mêmes, après initiation aux logiciels informatiques. De même, le "détournement" des slogans habituellement utilisés par le catalogue de La Redoute, a vu le jour au sein d'ateliers d'écriture.

"La Déroute n'est pas une critique de La Redoute, mais de la société actuelle", souligne Nicolas Simarik, qui ne cache pas que ce pastiche n'a guère été du goût de la société de vente à distance. "Au début, La Redoute était très intéressée par notre projet, qu'elle pensait peut-être pouvoir le récupérer. Elle nous a envoyé vingt exemplaires de son catalogue de juin 2005, qu'on a épluché, décortiqué pendant un mois. Et puis, on s'est rendu compte qu'elle n'acceptait pas ce décalage humoristique."
Les 650 habitants de la cité Empalot, co-auteurs du catalogue, qui a été tiré à 6.000 exemplaires et mis en vente dans les librairies au petit prix de 14 euros, sont venus nombreux à la fête organisée pour la sortie de La Déroute, dont ils ont reçu chacun un exemplaire gratuit.

Nicolas Simarik sera présent à la Mauvaise Réputation le vendredi 17 novembre à 18h pour une présentation exceptionnelle du très étonnant et très réussi catalogue « La Déroute ».




Plus je regarde les photos, plus les visages me plaisent.
Finalement, on n'est pas si loin de Kaurismäki.

PS : Simarik sera chez Florence Loewy 9 rue de Thorigny à Paris le 24 novembre à 18h30.
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