Billets qui ont 'valvassori.free.fr/dave_small/' comme oeuvre.

Lars von Trier : le nouveau Paco Rabanne

Ce que je savais de Lars von Trier, dans l'ordre de mes vues / visions / visionnages (quel est le mot adéquat?) avant de voir ce film:
Breaking the Waves fascinant, Element of crime le meilleur, Dancer in the Dark exaspérant dans son pathos larmoyant et ses erreurs de logique.

La première partie de Mélancholia m'a amusée (le personnage de Charlotte Rampling m'évoque quelques souvenirs personnels: communauté de folie), mais plus le temps passait plus il ralentissait, et le film devenait franchement ennuyeux (un beau verger avec des pommes, une balançoire, que c'est beau, et le cheval qui ne passe pas le pont, et le contraste entre la blonde et la brune,…: un catalogue de clichés), je n'arrivais pas à voir ma montre, j'hésitais à sortir quand j'ai eu envie de rire en voyant Kirsten Dunst allongée à poil près de l'eau (je vous l'ai dit: cliché sur cliché, dans tous les sens du terme) (s'est-elle fait refaire les seins?)

Imaginez à peu près ça (mais nue) :







Et ça continue, d'illogisme en invraisemblances (et pendant ce temps je pense à Pournelle), pour finir comme un mauvais tee-shirt.





Arrghhh.

The Social Network

L'intérêt d'être à La Défense et de ne pas être trop occupée, c'est de pouvoir aller au cinéma. Et non pas de critique, plus jamais, que des associations d'idées.

The Social Network. Grosse bouffée de nostalgie. Et encore, 2003, c'est déjà très tard dans l'histoire de l'informatique. Hier, je trainais à relire une fois encore les histoire de Dave Small. Ce qui me manque, ce sont les conversations auxquelles je ne comprenais rien mais qui vibraient de passion, les projets terminés à l'arrache à quatre heures du matin, les matins blêmes, le café noir, tout ce qu'on ne voit qu'à peine dans le film, mais que je déduis de quelques secondes du film (marrant, pas de cigarette: ça fume, ça fumait, un informaticien).
Les gens vont retenir les filles faciles, le soleil et la Californie. De ce point de vue, le film est glaçant: filles prêtes à tout pour approcher le pouvoir et l'argent, mecs prêts à tout pour avoir les filles et donc... Au moins c'est simplement expliqué, pas difficile à comprendre.

Mais le plaisir (ou la douleur) de pisser de la ligne, l'importance de l'idée, l'importance de croiser les bonnes personnes... Un succès technologique est rarement né d'une seule personne (est-ce Gilles de Gennes qui le rappelait dans son cours inaugural au Collège de France?), même si l'on ne retient qu'un nom.


Pour ceux que ça intéresserait, les frères Winklevoss rament en pair-oar, le prince des bateaux: deux rameurs en pointe (une seule rame par rameur) sans barreur.
La course à Oxford est bien sûr en huit, le bateau le plus rapide (l'aviron n'est pas très rapide, il y a beaucoup trop de frottements).


En Bosnie ils n'ont pas de route mais ils ont Facebook. Ça m'a rappelé un reportage radio sur la guerre en Tchétchénie: des réfugiés dans un wagon regardaient Santa Barbara...


Contrairement à ce que je lis ça et là, je n'ai pas trouvé que l'image de Zuckerberg soit spécialement négative. Elle est crédible, c'est tout. Les programmeurs ne sont jamais loin de l'autisme du joueur d'échecs. (J'ai pensé au Jeu de la dame.) Il me semblait même possible que Zuckerman ait donné son accord pour le scénario, mais visiblement non. Cependant les scènes-clé sont dites véridiques, ce qui est fort possible dans la mesure où il y a eu procès et témoignages (mais sont-ce des archives accessibles?).

La vertu non récompensée

Depuis quelques semaines que nous essayons de mettre un peu d'ordre dans les papiers, dans les pièces, dans la vie en général, les pépins ne cessent de pleuvoir; à croire que décidément la seule façon de vivre valable pour nous, c'est de courir au milieu du chaos, sauter par dessus le ravin pour échapper aux flammes, gravir l'escalier qui disparaît sous nos pas, s'engager sur la corde raide sans regarder l'abîme, courir plus vite que les ennuis sans regarder ni à droite ni à gauche, et surtout ne pas ralentir pour bêtement prendre le temps de faire son lit ou la vaisselle.

Je songe à certaines vies si réglées, si rangées, aux tantes vieilles filles qui racontent sur leurs cartes postales la tonte de la pelouse (j'allais écrire le tondage, Ségolène sors de mon corps!) et la visite annuelle du chien chez le vétérinaire, et dont le grand événement de leur vie a été le jour où leur voiture a été volée. Je songe à nos cinq ou six vols de la voiture ou dans la voiture, l'année où tout le monde (sauf moi) a eu droit à son plâtre ou ses points de suture, aux divers problèmes financiers résultant de la conjonction d'un rappel d'impôts, d'un changement de mutuelle et, plus exotique, d'un changement de régime de sécurité sociale, je me dis que ça les rendrait folles mais que dans le fond, tout cela n'est pas grave. Ce n'est pas grave, «tant que la santé va, tout va»1, ça passera, et de toute façon, nous sommes mortels.

Mais c'est fatigant. Il faut s'en occuper, tout se passe comme si le temps gagné grâce à la mise en ordre du quotidien devait se perdre dans le traitement de l'exceptionnel.

Faut-il arrêter de mettre de l'ordre, faut-il, en application de la loi du chaos2 mais à l'encontre des préceptes issus de générations de vies ordonnées et méticuleuses, vivre plus ou moins au jour le jour, comme nous le faisons depuis dix ans, et arrêter de vouloir ressembler à une famille modèle? (En moi le fantasme de la famille modèle combat l'horreur de la famille modèle; j'aimerais y ressembler mais cela m'ennuie d'avance: est-ce cela qui génère les ennuis?)


Notes
1 : Ce cliché a arrêté de me faire sourire depuis que j'en ai expérimenté la profonde vérité: quand la santé ne va pas, non seulement le présent s'arrête, mais le futur se fige.
2 : «je me garde […] d'attirer l'attention des implacables gardiens des lois de l'entropie. En outre, je laisse toujours une partition a l'état de chaos complet sur mon disque. Ce sacrifice aux dieux du désordre m'a jusqu'à présent évité leurs foudres.»

Nostalgie geekeste

En juillet, des fourmis se sont installées sous le toit. H. a vidé le grenier pour les déloger et ce faisant a redécouvert sous les combles ses ordinateurs NeXT, un cube, une "pizza", trois écrans. Il les a redescendus d'un étage.
Aujourd'hui, sous prétexte de faire du rangement, il a décidé de les rebrancher. Il a fallu retrouver les claviers, les souris, ouvrir les capots, passer les cartes électroniques à l'aspirateur pour les débarrasser des araignées et des cadavres de fourmis (bugs!).
La station, puis le cube, ont redémarré du premier coup. H. est heureux.

J'aime beaucoup ses articles. De temps en temps je vais les relire. Il me semble que celui qui voudrait comprendre dans quelle ambiance j'ai vécu entre vingt et trente ans, vingt et trente-cinq, peut-être vingt et quarante, n'aurait qu'à lire ça. Je ne suis pas informaticienne, je n'ai jamais programmé une seule ligne, mais j'étais là. Je me souviens des galères, des diagnostics incompréhensibles. J'attendais en silence, j'avais un livre ou j'allais jouer au tarot. J'avais appris à multiplier par trois ou par cinq tous les temps qu'on me donnait : "j'en ai pour une demi-heure" signifiait que j'avais deux heures devant moi, peut-être trois. Et les nuits, toutes les nuits blanches, sous prétexte que la communication avec les Etats-Unis marchait mieux la nuit… Un court récit de ce type me remplit de nostalgie :
Ce terminal était rapide : dix caractères par seconde. Je l'avais monté à onze, ce que l'ASR-33 supportait, même s'il faisait un drôle de bruit (mais impossible d'aller jusqu'à douze). Cette vitesse correspondait à une transmission de 110 bauds, ce qui est la raison pour laquelle tous les programmes de télécommunication du monde doivent encore supporter cette vitesse lamentablement lente : quelque pauvre hère pourrait encore avoir, quelque part, un télétype. L'ordinateur disposait de disques durs d'environ 20 mégaoctets. Les trois quarts de ces disques étaient interdits pour une raison purement politique l'administrateur essayait d'obtenir un disque plus gros, et tentait d'appuyer sa demande par des plaintes d'utilisateurs mécontents, plaintes qui, il l'espérait, se multiplieraient à cause de l'espace disque insuffisant et l'aideraient à faire aboutir sa demande. Ma mémoire de masse personnelle consistait en bandes de papier perforé. Elles offraient une inépuisable source d'amusement : à la fin de la journée, on ramassait les minuscules confettis dans le perforateur et on les jetait dans les cheveux de quelqu'un. Quoi qu'on fit, l'électricité statique les maintenait dans la chevelure jusqu'à la fin du semestre. Même aujourd'hui, j'ai de ces bandes de papier dans ma boîte à souvenirs, et les regarder me fait chaud au coeur. Ma femme Sandy veut que je les jette. Argh j'avais aussi acheté une bande magnétique (!) et avais demandé aux opérateurs système d'enregistrer mes fichiers dessus. Ce qui avait probablement occupé deux mètres sur les 800 de la bande, mais quelle sensation !
Ce que je préfère, c'est cet éditorial, qui théorise un certain nombre de mes observations, y compris hors du monde de l'informatique :
Deuxieme Loi De Small (dite "Loi du chaos grandissant") :
"Dans un ensemble de données informatiques, le désordre va toujours en augmentant. Toute tentative de réparation ne fait qu'augmenter encore le désordre."

Je vous donne des conseils, je vous dis que ma Seconde loi est intuitivement évidente, que je l'ai toujours su… En fait, en un instant d'égarement et de naïveté, j'ai tenté de la violer, avec le brillant succès qu'on imagine. Que je vous raconte.

Il y a quelque temps, j'ai décidé que les différentes versions de la vingtaine de fichiers de Spectre 3. 1 commençaient à devenir ingérables. L'horodatage des fichiers par l'horloge interne du ST ne marche pas très bien pour moi (pour une raison que j'ai mis un bon bout de temps à découvrir). Et souvent, il me fallait aller compulser les différentes versions d'un fichier pour savoir laquelle était la bonne, la dernière! J'ai alors décidé, bêtement, sans réfléchir, de créer le disque dur parfait bien propre. J'ai donc pris un disque neuf mais déjà rôdé, qui avait assez tourné pour avoir dépassé le stade de la mortalité infantile. Et j'ai commencé à mettre chaque fichier à l'endroit approprié, accompagné de commentaires et de documentations. J'ai créé des dossiers, un par version de Spectre: "1.51", "1 .75","1.9F","2. 3K", "2.65", "2.65C", "3. O", "3.1Dev", plus toutes les versions intermédiaires que seuls ont vues les bétatesteurs. (Chaque saut de numéro de version constitue autant de sueur et de larmes passées en test et en débogage).

Pendant des jours et des jours, j'ai fouillé dans mes disquettes et mes cartouches Syquest. J'ai exhumé de vieilles versions, les ai vérifiées, copiées dans les bons dossiers. Un boulot fastidieux et rébarbatif où j'ai dépensé beaucoup d'énergie et de Pepsi.

Dans chaque dossier, j'ai tout vérifié en assemblant les fichiers et en recréant la version correspondante de Spectre, que j'ai ensuite comparée aux disques de productions, dont Sandy a été assez maligne pour garder un exemplaire pour chaque version, en me menaçant des pires châtiments si je ne les lui rendais pas promptement. Et chaque dossier a ensuite reçu un fichier de documentation.

Etais-je sot : j'ai même poussé le vice jusqu'à inclure sur ce disque les 19 versions bêta de Spectre 3. O. Puisque j'étais en train de faire LE disque parfait, autant les y mettre, n'est-ce pas ? Après tout, certaines applications Apple avaient montré une fâcheuse propension à tourner sur une version bêta mais pas sur la suivante (comme Pagemaker qui s'était mis à planter sur l'avant-dernière version bêta de Spectre 3. 0 ? un mauvais souvenir, il nous a fallu supprimer ce bogue en un temps record).

J'ai aussi récupéré ici et là des fichiers divers, comme des docs sur le clavier du Macintosh et les codes qu'il émettait. Comme les autres, il aboutirent dans des dossiers soigneusement documentés. Inutile de dire que tout cela a pris un grand nombre de mégaoctets.

Pour être sûr d'éviter les corruptions spontanées de fichiers, j'ai passé les fichiers à l'utitaire ARC. ARC compresse les fichiers, mais surtout, il calcule un CRC (Cyclic Reduncant Check, somme de contrôle redondant cyclique) pour chaque fichier. Il s'agit d'une sorte de signature du fichier, obtenue en calculant un polynôme avec chaque octet du fichier. Modifier un simple bit ou intervertir deux octet modifie le CRC, et il est presque impossible de modifier accidentellement le fichier en conservant le même CRC. J'ai donc fait une liste de tous les fichiers avec leur CRC. En cas de doute sur l'intégrité d'un fichier, je pouvais recalculer son CRC et voir s'il correspondait à celui de la liste.

Enfin, j'ai relancé un programme qui recalculait le CRC pour chacun des 1500 fichiers et le revérifiait par rapport à la liste. J'ai imprimé les fichiers de documentation pour en conserver une version sur papier.

Poussant un soupir satisfait, je me suis étiré, empli de la béatitude du devoir accompli. Je savais où se trouvait chaque fichier à cette seconde précise, et était certain de son intégrité. Il ne restait plus qu'à faire une sauvegarde de ce petit bijou d'ordre et de rigueur, qu'il m'avait fallu un bon mois pour fignoler… >En organisant ainsi tant de données, j'avais naturellement rempli mon barrage à ras bord, créant une situation d'entropie minimale et d'organisation maximale. J'avais défié les lois du chaos et violé la seconde loi de la thermodynamique appliquée à l'informatique. J'avais construit un château de cartes de vingt mètres de haut.

L'univers n'attendait que l'occasion de m'apprendre à vivre. Notez bien qu'avec l'astuce des CRC, le coup classique de la corruption sournoise des fichiers devenait impossible, car j'aurais pu le détecter. Il ne restait plus qu'une possibilité.

Comme vous le savez si vous avez lu mon article précédent, les lois de l'univers qui le vouent au chaos se mirent en oeuvre par l'intermédiaire de la mécanique quantique, et engendrèrent un continuum spatio-temporel dans lequel était inscrit mon tragique destin. Le destin en question consistant bien sûr à recevoir le fameux château de cartes sur la tête afin de niveler cet arrogant delta de haute organisation.

Innocemment, j'ai éteint le système pour y connecter un lecteur de bande magnétique. J'ai mis le lecteur et j'ai rallumé.

Le disque dur n'a pas réagi à l'allumage.

Mes cheveux se sont dressés sur ma tête et j'ai été pris de sueurs froides.

Pendant une semaine, j'ai tout essayé pour ressusciter ce disque. J'ai remplacé son circuit imprimé interne, son alimentation, je l'ai fait tourner à la main, je l'ai secoué pour décoller les têtes, enfin tout. En vain. Il était mort. Et je n'avais pas de sauvegarde. C'était la seule possibilité, elle s'était réalisée. Le delta avait été nivelé d'un coup. Paf.

Meuh non, dites-vous, j'ai malencontreusement envoyé une décharge d'électricité statique a ce pauvre disque, ou alors c'est le câble SCSI qui n'était pas bon, ou encore l'alimentation qui a claqué a l'allumage et a bousillé le disque… Ben voyons. Non, désolé, ça ne prend plus, les coïncidences, j'en ai trop vues. C'étaient les lois inexorables de l'univers qui venaient de frapper.

Depuis lors, j'ai pris l'habitude de ne jamais faire d'effort pour organiser mon disque dur. Oh, certes, je sais plus ou moins où sont mes fichiers, mais je me garde bien de trop augmenter mon niveau d'organisation, et d'attirer l'attention des implacables gardiens des lois de l'entropie. En outre, je laisse toujours une partition a l'état de chaos complet sur mon disque. Ce sacrifice aux dieux du désordre m'a jusqu'à présent évité leurs foudres.

Je sais, je sais, ça a l'air idiot. Mais en tout cas, ça marche. Mon taux de pannes de disques est a son niveau historique le plus bas. Un de mes lecteurs, un Syquest souffrant d'un problème de moteur de rotation, a même eu l'extrême obligeance d'avoir une embellie finale et de se remettre à fonctionner, ce qui m'a permis d'y récupérer des mégaoctets de données prises sur des serveurs télématiques, au prix d'innombrables heures de téléchargement. Le Syquest a ensuite définitivement rendu l'âme, cinq minutes après que j'y ai récupéré le dernier fichier. De quoi se poser des questions, non ?
J'adore cette histoire. D'abord elle est vraie, vérifiée, avérée. Je ne lui connais pas de contre-exemple, même hors informatique : le moment où l'on se dit : "C'est parfait" est toujours le moment où il vous arrive une tuile, le moment où l'on a enfin l'impression de maîtriser sa vie est toujours celui où elle vous échappe.
«je me garde […] d'attirer l'attention des implacables gardiens des lois de l'entropie. En outre, je laisse toujours une partition a l'état de chaos complet sur mon disque. Ce sacrifice aux dieux du désordre m'a jusqu'à présent évité leurs foudres.»
Il y a quelque chose de grec dans tout cela. Eviter d'attirer l'attention des dieux, règle de base. Personne ne se méfie autant que moi de l'ubris.
Et puis cela fait une excuse en béton pour que la maison ne soit jamais parfaitement en ordre.
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