Billets qui ont 'philosophie' comme mot-clé.

Agamben et Bartok

TG sur Saint Paul vu par Agamben. Le temps qui presse. Cela ressemble tant à Jacob Taubes. Constaté avec surprise que cela désarçonnait profondément mes compagnons de cours (au point que dans un autre TG les élèves ont refusé d'étudier le texte et ont parlé d'autre chose!) alors que cela m'est si familier. Je regrette d'avoir perdu ce début d'expertise, j'aimais lire cela.


Le soir, Le château de Barbe-Bleue à l'opéra Garnier : depuis que je l'avais entendu il y a quelques années au théâtre des Champs-Elysées, je voulais y emmener H.
Ce fut très différent dans la mise en scène, avec utilisation de la vidéo omniprésente jusqu'à en devenir gênante (c'est souvent le cas désormais). Beaux jeux de couleurs.
Je dois avouer que c'est surtout la deuxième œuvre qui m'a fascinée : la Voix humaine de Poulenc, une demi-conversation téléphonique, à laquelle je ne m'attendais pas, que je n'avais pas remarquée sur le programme. Epoustouflant.

--------------------
Le château de Barbe-Bleue :
le duc Barbe-Bleue : John Relyea Judith : Ekaterina Gubanova

la Voix humaine :
Elle : Barbara Hannigan

direction musicale : Ingo Metzmacher
mise en scène : Krysztof Warlikowski
décors et costumes : Malgorzata Szczesniak
lumières : Felice Ross
video : Denis Guéguin
chorégraphie : Claude Bardouil
dramarturgie : Christian Longchamp

Heidegger for ever

— Tous les grands philosophes ont été élèves de Heidegger : Jonas, Hannah Arendt, Günther Anders, le premier mari d'Hannah Arendt, qu'on a beaucoup traduit depuis dix ans, Gadamer, Marcuse sur un autre plan… En 1960 paraissent Vérité et méthode de Gadamer et Le Volontaire et l'involontaire de Ricœur : deux grand textes phénoménologiques dans des genres très différents.
J'ai l'impression de me retrouver à Cerisy il y a deux ans1.

Qu'est-ce qu'un homme. Lecture suivie de Expérience et Absolu (nous avons dû atteindre la page 15 du liminaire), lecture commentée, commentaires, promenade. J'aime beaucoup. Je pense à Löwith (encore un élève de Heidegger, un ami, même, puisqu'il me semble qu'il a été baby-sitter des enfants avant d'être totalement repoussé), je pense à Lucie Kaennel qui nous a résumé en deux mots l'antisémitisme du "petit Martin", comme dirait Jérôme de Gramont : un juif n'était pas un homme puisqu'il n'avait pas de Dasein.

Quel sujet pour mon mémoire l'année prochaine ? Qu'est-ce qu'un homme ? Ecce homo, Jésus était juif.
Faut-il théologiser par concept ? Le concept est-il la bonne façon d'approcher la foi ? Parler de Dieu, parler sur Dieu, ne concernerait pas la foi ? Jésus enseignait en paraboles et la Bible raconte des histoires. Ricœur, article "Mythe" dans l'Encyclopedie Universalis : le mythe nous dit-il quelque chose de la vérité que la science n'atteint pas ?


Note
1 : impression confortée par le fait que je découvre que notre professeur a soutenu sa thèse avec Jean Greisch.

Faute de genre

Dans la voiture j’écoute le dernier « coup de gueule » d’une journaliste sur France Musique : tollé aux Pays-Bas parce que le Concertgebow a illustré une campagne de pub par un appareil à souffler les feuilles soulevant la jupe d’une femme, découvrant ainsi un string (jeu de mots en anglais sur un titre de Bach : air on string, mélodie sur une corde ou souffle sur une ficelle (le string)).
Et je me dis qu’ils sont bêtes, ils ont oublié qu’il fallait maintenant décaler ce genre d’allusions : ils auraient fait cela avec un homme en kilt, tout le monde aurait ri.

——————

Agenda
Aviron. Clémentine me vouvoie et me dit «Merci Madame». Je ne lui demande pas de me tutoyer. Il sera toujours temps si elle devient une fidèle du club.

C’est la rentrée. Encore deux ans.
Les travaux de l’ICP sont terminés. La cour ne me plaît pas, elle est entièrement cimentée de blanc (mais non plate, ce qui permettra à la pluie de ruisseler), percée de minuscules lampes qui sont comme des étoiles venues du sol dans la nuit. J'aurais préféré des arbres, des fleurs, de la terre. Evidemment il aurait fallu des chemins, c'est sans doute moins adapté à la circulation de beaucoup de gens.
Les salles (toutes les salles, ou seulement celles du bâtiment S) sont pimpantes et le mobilier neuf. Il était temps : le précédent semblait rassemblé de bric et de broc, avec des tables trop hautes, trop étroites, des chaises très inconfortables (celles-ci ô merveille sont rembourrées : combien de temps pour que des élèves inconscients de leur chance ne les tailladent ?)

Cours sur Heidegger, ou plutôt la phénoménologie (mais pas celle d'Husserl, donc celle de Heidegger) à partir de Jean-Yves Lacoste. « Il ne faut pas confondre la théologie philosophique (Voltaire, théodicée de Leibniz), la philosophie de la religion (Kierkegaard, les Russes, etc) et la philosophie des religions (étude des religions existantes).»
Je me prends à regretter que notre cours de sociologie soit si loin. J'ai l'impression que nous nous inscrivons dans la ligne directe de Durkheim and co.

Aristote

Ethique à Nicomaque.
je copie-colle un quart de mes notes, par extraits.

Bonheur : activité de l’âme en accord avec la vertu.

C’est en pratiquant les actions justes qu’on devient juste, les actions courageuse qu’on devient courageux.
La vertu morale est une disposition de la volonté. C’est un habitus que nous accueillerons par habitude. La vertu ne préexiste pas à nature ou aux actes. Disposition constante et répétée : on n’est pas vertueux pour un acte de temps en temps. Disposition de la volonté libre. Comment commencer : rôle fondamental de l’éducation.

La justice : volonté constante d’attribuer à chacun son droit. (définition traditionnelle). Un juste milieu dans la chose. C’est une justice objective. Le but de la justice est le bien.
La vertu vise le juste milieu. Comment comprendre le juste milieu ? (livre II 1106 a 30) Un sens absolu : point identique pour tt le monde. Par rapport à la chose. Un sens relatif : par rapport à nous.
Livre IV : la générosité comme la vertu de celui qui les exerce toutes. Problème : la générosité n’est pas un juste milieu. Un excès. Cependant Aristote va essayer de démontrer que la générosité est un juste milieu. Je ne donne que pour recevoir.

1124b10. Aristote abandonne la question de la générosité pour passer au livre V : la justice comme vertu supérieure. Juste milieu dans la chose. Distingue entre justice générale (légale. Même fonction que la loi) et justice particulière (justice distributive entre les différentes parties de la cité. Justice corrective. Règle les échanges.) La justice particulière se réfère à l’équité. La justice est la plus parfaite parce qu’elle contient toutes les autres vertus.
Triple spécificités : - ne porte pas sur mes passions mais sur mes actions
- ne règle pas mon rapport à moi-même mais les rapports à autrui (ou entre autruis)
- met en œuvre des principes mathématiques : égalité arithmétique (maintenir l’égalité pour avoir l’égalité. Un bien qui vaut deux = deux biens qui valent un) et égalité géométrique (à des mérites inégaux des récompenses inégales. La justice n’est maintenue que si l’on maintient l’inégalité. Justice distributive) .

Définition : la justice est une disposition volontaire et constante à attribuer à autrui ce qui lui revient selon une égalité soit géométrique, soit arithmétique. Aristote se réfère à la loi civile. Résultat de la délibération de citoyens qui se reconnaissent mutuellement comme libres et égaux en droits (homme, propriétaire, époux, chef de famille). Il s’agit de régler des différends. Détermination du bien totalement immanente à la cité. Il n’y a que des applications particulières. L’équité : la jurisprudence. Fondamentalement, pas de distinction entre la loi et la justice. Il n’y a pas de loi naturelle chez Aristote, pas d’écart entre la justice et la loi. Pas de fonction critique de la justice. Ne pas christianiser trop vite Aristote.
De même, le traité de l’amitié n’a pas de rapport à la charité. Les bons comptes font les bons amis. Une logique d’équivalence qui empêche toute notion de surabondance. Aristote : l’homme le plus heureux est celui qui pratique la plus haute vertu, et donc la justice. Le citoyen le plus vertueux est celui qui se tient lieu à lui-même de loi. C’est le philosophe. On retrouve cette idée de St Paul Rm14: celui qui se tient lieu à lui-même de loi.

Philosophie morale

J'ai passé une grande partie de la journée à chercher Laudato si (encyclique papale sur l'environnement), déplaçant et auscultant des piles de papiers et de livres.
Il faut me rendre à l'évidence, je n'ai pas dû l'acheter, je ne l'ai pas trouvé (il est téléchargeable, mais je voudrais le lire sur papier et dans ce cas, je préfère avoir un livre que l'imprimer moi-même).
Passé chez l'encadreur déposer ma baleine.

Le cours du lundi a lieu exceptionnellement aujourd'hui. Grande retenue dans les vœux: on dirait qu'avec la conscience de l'ère Trump qui s'annonce (et Dieu sait qui en France), personne n'ose vraiment prononcer les mots de « Bonne année » (en tout cas pas moi).

Premier cours de philosophie morale. La professeur (jeune, très belle voix un peu grave) a trois cours pour nous parler de la vertu à travers trois auteurs. Elle a choisi Aristote, Augustin, Descartes.
Elle commence pourtant par Kant. La nouveauté de Kant: la vertu comme but en soi et non comme moyen d'atteindre le bonheur, soit une sorte d'héroïsme de la vertu, ce qui amènera Nietzsche à retourner la proposition : la vertu en tant qu'effort héroïque de la volonté est une preuve de la volonté de puissance et devient par là-même un vice.
Cours très structuré, très agréable à suivre.

De façon tout à fait inhabituelle elle nous demande de lire les livres I et II de L'Ethique à Nicomaque pour lundi prochain. Plus Laudato si pour samedi et Schillebeckx pour l'oral du 20.
C'est reparti sur les chapeaux de roue.

O. est en train de jouer quand je rentre. Nous dînons très tard.
H. est parti ce matin.

Droits de l'homme

Je suis restée à la maison ce matin. Lu Le Procès des droits de l'homme (qui est plutôt une défense).
O. s'est occupé de l'intendance, c'est gentil à lui.

Sorbonne pour écouter JYP. Club de fans venues de FB (dont Claude Chuzel: je suis heureuse de l'avoir rencontrée).

Une salle de bibliothèque, pleine (de gens: aucun livre). Exposé sur le livre puis discussion d'environ une heure. J'avais noté en lisant que la notion de "droits" n'était pas définie; je pensais qu'il s'agissait des droits de l'homme au sens strict (ceux de 1789, 1948 et la déclaration d'Helsinski de 1975); de la discussion qui a suivi il ressortirait que tout droit, dans n'importe quel code, est un droit "de l'homme", puisque c'est un droit exerçable par un homme (exemple d'un homme voulant se promener en sécurité dans un parc: c'est un droit de l'homme, ça?). Voilà qui est très extensif, je me demande dès lors quel est l'intérêt de préciser "de l'homme". Evidemment JY me rétorquerait qu'il y a les droits de l'enfant. Cela me paraît inquiétant: cela signifirait-il que "l'homme" n'inclut pas "femme" et "enfant"?

Retour sans histoire.
L'Arbitrage. Ce genre de film semble une spécialité américaine.


----------------
Pour mémoire (je note les nouvelles du monde pour me souvenir du moment où tout a commencé à déraper), la moyenne de vie aux Etats-Unis a diminué en 2015. Ce n'était pas arrivé depuis 1993 (le sida).

Dimanche

Un peu de rangement, engueulade avec A., reprise de l'éternelle dissertation de philo. Cette fois-ci, il faut que je la termine d'ici samedi, sinon je crains que je ne puisse m'inscrire en année supérieure — ce qui serait normal: c'est le laxisme accepté deux années de suite qui ne l'était pas.

J'ai fini Le Pendule de Foucault, et je me souviens que j'ai rêvé de la fin (il y a longtemps, après ma première lecture en 1990), du long appel de la trompette: j'ai rêvé de la terreur de ne pas savoir ce qu'il fallait jouer et j'ai rêvé que je tenais cette note. Ce rêve a traversé les années au point que ce souvenir de rêve a pris la consistance du rêve.

J'ai repris An Outcast on the Islands. J'y trouve cette magnifique description de rivière:
Then, through it, after a time, came to Lingard's ears the voice of the running river: a voice low, discreet, and sad, like the persistent and gentle voices that speak of the past in the silence of dreams.
partie IV, chapitre V

Puis, à travers cela, après un instant, parvint aux oreilles de Lingard la voix de la rivière qui coulait: une voix basse, discrète et triste comme les voix douces et obstinées qui parlent du passé dans le silence des rêves.
Le soir, nous ne sommes que trois. O. est reparti à Paris pour dormir chez un ami afin d'être sur place pour son bac. Galette de seigle maison, un peu épaisse.

Tristan à l'ICP

En attendant le début du colloque, je m'installe au café et je surfe. Je découvre une vidéo de Guillaume Cingal qui traduit sur le vif Red Shuttleworth, un poète américain qui finira un jour par être connu en France (il est difficile à traduire car il écrit de façon extrêmement condensé. Il me pose souvent le problème de savoir s'il invente une expression ou s'il en utilise une très connue aux US, mais non écrite (pas toujours politiquement correcte) — inconnue en France).
En écoutant Guillaume, je remarque à ma courte honte (tant pis) qu'il fait attention à la forme du poème, tandis que toujours je me précipite vers le sens, sans m'arrêter à l'objet posé sur la page.

Neuf heures et quart est l'heure officielle du début de la journée d'étude sur "Crise(s) et critiques de la démocratie libérale, de l'entre-deux-guerre à la crise du XXIe siècle" à l'ICP. J'y vais pour écouter Tristan Storme, spécialiste de Carl Schmidt. J'ai beaucoup perdu de mes réflexes depuis l'époque où je lisais Taubes, Schmidt, Storme sur Schmidt, Pranchère sur Maistre, en 2011 ou 2012. Il est difficile (en fait impossible) de suivre tous ses amis dans leurs différents centres d'intérêt, entre les philosophes, les mélomanes, les littéraires, les amateurs d'expositions et d'architecture, les historiens, les psychanalystes… Entre théologie et aviron, j'ai un peu décroché.

J'en suis à attendre la fin de ces huit ans (j'en suis à cinq) comme une libération, la possibilité de faire ce que je souhaite sans entrave.
Je résume cela par: «Vivement que cela soit fini, que je puisse enfin travailler», voulant dire: lire un seul auteur, mais correctement, au lieu de les survoler tous bien trop vite (c'est une fausse excuse. Je pourrais commencer en juin). Parfois je me demande si c'était une bonne idée d'abandonner un domaine où je commençais à saisir deux ou trois notions (la littérature) pour m'aventurer dans un domaine où je ne connais rien (la théologie). Il faudrait que je travaille plus sérieusement, cette phrase est un mantra, un leitmotiv, un regret. (Sur la tombe d'O. on écrira "c'est pas très grave", sur la mienne "j'aurais dû travailler plus sérieusement".)

A midi je m'éclipse, toujours cette peur de m'imposer, d'embarrasser (ce qui fait qu'ensuite je me demanderai si je n'ai pas été impolie en partant trop vite. Le scrupule est un rongeur.)

Mojito bien tassé au café du Métro , ce qui fait que j'arriverai un peu partie au comité financier de l'après-midi. (Mon actuaire préféré nous présente le gérant de notre portefeuille qui doit être davantage habitué aux chiffres qu'aux gens: j'ai rarement vu de telles plaques rouges dans l'échancrure d'une chemise (de l'utilité de la cravate), il doit être terriblement timide.)

En passant devant la boutique St-James à Madeleine, j'achète une casquette rouge (pour le CNF. Jean-Pierre m'en promet une depuis longtemps mais je n'y crois plus).

La valse hégélienne

«C'est une erreur de la cigogne. Hegel est un Souabe. Il aurait dû être viennois. Présupposition, scission, réconciliation.»


Je note ici un titre, pour mémoire :
«Il y a ce livre de Von Balthasar, "le tout dans le fragment" (Das Ganze im Fragment), que le traducteur traduit par De l'intégration: c'est un livre dans lequel Von Balthasar dit beaucoup de mal de Hegel, et le traducteur lui donne le titre le plus hégélien du monde».



———————————


Et sinon, trois ans plus tard ou à peu près, un passage est rouvert entre la ligne 4 et la ligne 14. Ce n'est pas le même passage réaménagé, mais un nouveau passage taillé à même le roc et pas encore parachevé. Il a le défaut d'être plus long que l'ancien passage, faisant rejoindre l'avant de la rame 14 plutôt que l'arrière, mais il doit être possible de trouver des raccourcis (en nous déroutant, les travaux nous donnent une science des tunnels que nous n'aurions pu acquérir autrement).

La taupe creuse toujours

Philo. Cours sur Hegel. Gramont brillantissime et malicieux (brillantissime car malicieux? Pas que.) Il faudra que je mette la suite de Cerisy en ligne un de ces jours.

Gramont, à qui j'expliquais (à Cerisy justement) que venir en cours à 20h30 après notre journée professionnelle demandait de l'énergie et que nous tendions à l'apathie m'avait répondu: «c'est drôle, moi je ne me réveille que quand je fais cours.»
Et c'est vrai. C'est la grâce de ce professeur et c'est pour cela que nous l'aimons. Il a l'air si naturellement à sa place devant nous en train de raconter — car il raconte.

— Pour devenir hégélien il n'y a qu'une méthode : prendre quelques années sabbatiques. (In petto je complète: «et lire couramment l'allemand», puisque Gunther m'a marquée en disant un jour que Hegel écrivait l'une des plus belles proses allemandes.)

L'exergue du cours correspondait tant à la situation actuelle que je suppose que ce n'était pas un hasard:«Comme la discorde entre amants, ainsi les dissonances du monde; la réconciliation est au cœur du combat, et tout ce qui s’est séparé se retrouve à la fin.» Höderlein

Nous présenter Hegel en commençant par les Esquimaux (première page du cours sur l'histoire des religions): cela l'amusait-il, était-ce un procédé pédagogique pour marquer nos mémoires, était-ce le plus adapté vu ce qu'il voulait nous démontrer? (cette page fut comparée à l'article "Esquimau" de l'Encyclopédie Universalis).

Hegel, Schelling, Höderlin : «vous imaginez? Ils ont le même âge, ils vont à l'université ensemble, ils discutent de la Grèce, des Ecritures et de Kant : les trois plus beaux sujets pour des étudiants allemands.»

L'abstraction et le concret: «si dans la marge de votre copie, vous voyez écrit "abstrait", ne vous réjouissez pas, c'est affreux».

«Une préface d’un livre, c’est le seul chapitre qu’il ne faut pas lire. C’est comme lire le menu sur la carte au restaurant et s’exclamer "Quelle belle carte!" et rentrer chez soi sans dîner.»

Saurai-je résumer le cours de ce soir? Il s'agissait de nous démontrer que Hegel a voulu mettre au jour et a mis au jour le principe même de la philosophie, la commune manière de penser ou de travailler de tous les philosophes depuis Anaxagore: la conviction que c'est l'intelligence (l'idée, la raison, le noûs (que d'autres appelleront le bien ou la vérité)) qui mène le monde, au moins en principe en en attendant la réalisation (l'effectuation?)

Rêve

Jean Greisch commente mon exposé:
— Ce que vous avez fait, ce serait plutôt l'herméneutique du voyageur. Vous pouvez faire mieux, aller plus loin.
Je me débats pour comprendre ce qu'il veut dire, où voudrait-il que j'aille?
— Il faudrait atteindre une herméneutique de la vérité.
Parmi les présents, Jo (je sais que c'est lui) enchaîne. Je me concentre, mais les paroles ne me parviennent pas nettement.
Le réveil sonne.

Encore heureux que les paroles ne me parviennent pas nettement: comment pourrais-je conceptualiser en rêve quelque chose que mon cerveau ne peut concevoir (moi) éveillée? (Et pourtant, je suis un peu déçue: car si j'y arrivais en rêve, alors je saurais que j'en suis capable éveillée).
Mais c'est joli, "herméneutique du voyageur". Qu'est-ce que j'ai voulu dire?

Débuts

Au petit déjeuner, je me retrouve en face de Joseph O'Leary pour lequel j'éprouve une amitié particulière du fait de la façon familière dont ses amis l'appellent "Jo" (cela me rappelle mon oncle : étrange raison pour laquelle apprécier quelqu'un, totalement affective et irrationnelle. Mais quelle importance quand cela porte à l'affection et non au dégoût?)
La conversation est passionnante. Il est irlandais et professeur au Japon, passionné de musique. Nous parlons de la Genèse, je lui parle des podcasts de Römer: «Vous aimez internet? — Oui. — Internet a ruiné ma vie, me déclare-t-il avec conviction. Je lève un sourcil interrogatif. — Sans internet, j'aurais davantage travailler mes idéogrammes, je parlerais mieux japonais, je n'ai pas assez travaillé.»
Il me parle de Saint Augustin, de telle façon que je demande: «Vous l'avez lu en latin? — Oui, c'est important, il faut s'imprégner du rythme de la phrase. — Hmm. J'ai du mal avec le latin, et encore plus avec les traductions en français du latin. — Saint Augustin, c'est facile, très clair, sauf au début où il essaie de ressembler à Cicéron.»
J'ai fait une note intérieure : lire Augustin en bilingue (non, pas en latin, je ne me fais pas d'illusions sur mon niveau). De toute façon, en à peine trois jours, une évidence s'impose (une évidence peut-elle ne pas s'imposer): l'importance des longues. Tous les intervenants sont au moins trilingues, français-allemand-italien, et je suppose que l'anglais va de soi. Il faut dire aussi qu'être luxembourgeois est un avantage (mais tous ne sont pas luxembourgeois)…


La suite… j'ai un problème pour continuer. Je suis timide et j'ai peur. Si je mets des noms, vais-je être repérée, reconnue? (Les noms cités ne sont pas si présents sur le net que mon blog ne puisse arriver assez haut dans les requêtes Google) Assumé-je d'être reconnue? D'un autre côté, il y a le petit pang de fierté à raconter une anecdote avec des noms connus…
D'un autre côté — encore — c'est une illusion de croire que ce que j'écris ici ait une quelconque importance.


Voici donc des anecdotes, des souvenirs. Je laisse le contenu des interventions qui, avec de la chance, seront publiées en actes.


Souvenir de Jean Greisch lors du colloque autour de Lévinas à Cerisy : « Levinas était un adversaire farouche du sacré. Un après-midi nous sommes allés visiter Bayeux. Soudain je vois Lévinas se troubler, s’arrêter devant une porte surmontée de l’inscription «sacritia». Inquiet, il se tourne vers moi et me demande ce que cela signifie. Je lui réponds pour le rassurer : «c’est le vestiaire du prêtre qui se prépare pour la messe». A ce moment-là un prêtre sort en aube et Lévinas pousse un soupir de soulagement : «Regardez, vous aviez raison».

Une remarque de JG : «ce qui m’a toujours impressionné, c’est que lorsque les événements deviennent vraiment importants, les témoins dorment ou s’endorment (jardin des Oliviers, etc). JG ajoute (en opposition à Ricœur) : «Dieu est trop précieux pour qu’on le laisse aux théologiens.»

E. Falque commence son intervention en offrant deux peluches à JG: un hérisson et un renard. C'est une allusion à un article de EF dans les Mélanges offert à JG (Le souci du passage) dans lequel EF comparait JG à un renardet lui-m ême à un hérisson (allusion à un adage antique commenté par Isaiah Berlin : « le renard connaît beaucoup de choses, mais le hérisson connaît une grande chose ». JG, piqué, y a répondu dans un conte Le Renard et le Hérisson).

Une remarque de JG: «En Souabe on dit de quelque chose qui s’est passé depuis très longtemps : c’est tellement loin que bientôt ce ne sera plus vrai. Le Christ est peut-être mort sur la croix, mais c’est tellement loin que bientôt ce ne sera plus vrai. Ça m’a beaucoup marqué.»

Un souvenir de JG: «Le Cantique des Cantiques est le plus métaphorique des livres de la Bible. Je me souviens de Stanislas Breton en train de dire à Ricœur sur le pont devant le château (de Cerisy): «pourquoi le fiancé dit-il à sa bien-aimée : «tu ressembles à une gazelle», et non à un éléphant?».
Ricœur s’est écroulé de rire et j’en ai profité pour prendre une photo en me disant : «pour une fois nous aurons une photo où Ricœur ne ressemblera pas à un bagnard».

Le soir, le conte porte sur l'immortalité (une histoire de pirate — je n'ai pas retenu le titre et ce sont des contes non encore publiés), et après avoir bu un peu de cidre, je raconte le scénario de La mort vous a si bien et le début du Book of skulls (Silverberg) (sans spoiler la fin) devant des philosophes incrédules (une étudiante et un bénédictin que cela fait beaucoup rire (heureusement que je ne savais pas qu'il était bénédictin, je n'aurais peut-être pas osé être si peu sérieuse (il me cite Incassable)) la conversation dérive et je ne sais comment nous nous retrouvons à parler de BHL et du canular Botul. Il faut l’expliquer au Luxembourgeois présent à table. Une étudiante m’enchante en racontant que son prof écrivait « BHL » dans la marge des copies pour dire « mal écrit » et un autre que le sien (ou le même? est-il possible que deux professeurs de philo sans se connaître pratiquent le même genre d’humour? (ou se connaissent-ils?)) « Onfray » pour dire que c’était n’importe quoi.

————————
Quelques livres cités
Mélanges offert à JG : Le souci du passage
Ricœur : La métaphore vive
Derrida : La mythologie blanche

Gender studies

Le matelas est en laine et soutient merveilleusement le dos. Je paresse et me lève au dernier moment (j'ai tendance à me réveiller vers cinq heures et lire une heure avant de me rendormir, ce qui ne facilite pas le lever une heure plus tard). Le petit déjeuner est servi entre huit heures et quart et neuf heures et quart, j'arriverai toute la semaine dans la dernière demi-heure.
(billets écrits deux semaines plus tard environ).

Par ma fenêtre au moment de partir. Je me demande si je suis la seule à l'avoir vu.




Première demi-journée light car j'ai cru comprendre qu'un intervenant s'est décommandé tardivement.

A déjeuner, je suis à côté et en face de trois femmes ayant toutes réussi un concours en 1968 environ, et toutes racontent la façon dont leur carrière a été cannibalisée par leur famille, mari et enfants.
Quoi qu'en pensent certaines, les choses ont quand même évolué. (Mais peut-être davantage au niveau des mentalités collectives qu'au niveau individuel: l'une d'entre elles me confie que si son mari, qui connaît personnellement la plupart des organisateurs, n'est pas là, c'est qu'il ne supporte pas, même s'il ne l'avoue pas, d'être le "mari de", de n'être pas celui qui est connu et reconnu.)

Visite du château (pour moi c'est la troisième fois, mais j'apprends toujours quelque chose — ou j'ai toujours oublié quelque chose). Une nouvelle pièce a été aménagé dans la laiterie, très moderne, semblable à un laboratoire de langues (elle permet effectivement des traductions simultanées). C'est également une pièce qui respecte les normes d'accessibilité. Je suis un peu inquiète pour ce château: jamais il ne pourra se mettre aux normes sans perdre énormément de son cachet, et si les nouvelles générations accepteront peut-être l'absence d'ascenseurs (je dis bien les nouvelles, et non les anciennes), supporteront-elles longtemps les douches et les WC communs? (Quelques jours plus tard, une très vieille dame me confiera que lorsqu'on a assisté à beaucoup de colloques dans des couvents, on est habitué au confort spartiate. Qui aujourd'hui assiste à des colloques dans des couvents?)

Le soir Jean Greisch nous parle de ses contes. Ce sont à peine des contes (pas de méchants, pas de quête, pas de récompense), ce ne sont pas véritablement des fables (pas de morale ou moralité), plutôt de courts récits à la façon platonicienne.
Ce soir, Minerva la chouette.

——————————————
Quelques livres cités
Greisch : L'Arbre de vie et l'Arbre du savoir
Maldiney : Une phénoménologie à l’impossible
Maldiney : "Impuissance et puissance du Logos" dans Aîtres de la langue et demeures de la pensée
Husserl : Sur le renouveau, traduction de cinq articles parus au Japon dans les années 20.

Rentrée

H. nous dépose à la gare. Coiffeur à neuf et demie (mais rien de neuf dans Elle et Gala, je suis déçue. Charlotte de Monaco ressemble à sa mère de façon frappante. Une photo la montre avec sa plus jeune sœur et une cousine (fille de Stéphanie), elles ont toutes les trois la même taille, tout cela ne nous rajeunit pas. J'apprends que Johnny Depp a du sang cherokee), achat de deux robes (en passant devant une boutique qui s'avère d'origine suédoise: un style qui me fait penser aux Japonais, j'aime beaucoup), déjeuner avec O. et un de ses amis. C'est sa dernière rentrée au lycée, la dernière rentrée de mon dernier fils, snif (bientôt la quille).
(Je suis très concernée par son emploi du temps: cette année, ce sera huit heures tous les jours. Ce n'est pas plus mal).

Train pour Carantilly. Je lis Un tout petit monde, ce qui n'est peut-être pas la meilleure préparation à une semaine à Cerisy.
En réalité j'ai le trac: une semaine autour de Jean Greisch, l'herméneutique et la phénoménologie, je ne suis absolument pas sûre de suivre.

Ondée à Lison, arrivée au soleil, chambre magnifique à l'Orangerie donnant plein ouest.





Repas (cidre). J'entends dans le bruit une blague en allemand d'un théologien luxembourgeois que je retranscrits comme je peux en comptant sur votre bienveillance. C'est un homme qui interroge l'écho:
— Wohin sind die Philosophen?
— Offen, offen, offen…
— Was machen die Theologen?
— logen, logen, logen…

Présentations dans la bibliothèque. J'ai changé de statut, je ne suis plus une simple auditrice, je suis étudiante puisqu'un de mes professeurs organise le colloque. Il y a toujours quelques mots qui me frappent. Cette fois, c'est: «il n'y a pas d'horloge dans le château, en tout cas pas d'horloge qui donne l'heure.»
Ce sont les cloches qui battent le rappel à l'heure des repas. Elles sont impératives.

Au moment du coucher, j'entends à travers les parois quelques protestations contre les douches et toilettes communes. Les chambres ne comportent que de simples lavabos. C'est étonnant finalement que rien ne filtre sur l'archaïsme de la vie à Cerisy, les escaliers étroits et inégaux, l'absence de wifi dans les bâtiments sauf un, le téléphone qui est inutilisable en fonction des opérateurs. Conseils pour votre premier séjour: apportez du savon et prévoyez un pyjama ou un peignoir qui vous permettent de traverser le couloir entre votre chambre et la douche.

Journée contrastée

Anticipation joyeuse. La fièvre monte1 et c'est amusant.
Anticipation joyeuse: je crois que je n'ai jamais ressenti aussi fort ce sentiment que je jugule habituellement, par superstition. Mais là, je ressens une sorte d'immunité: il ne peut rien arriver, tout va bien se passer.

Réglé une multitude de petits détails que j'avais laissés de côté (j'en ai oublié un et de taille: l'ACPR veut que je lui envoie des impressions… de tableaux vides (oui, j'avoue: je n'avais envoyé que les tableaux remplis (enfin, j'apprécie beaucoup qu'ils me soient demandés par mail, courtoisement, et non en lettres AR)). L'AG de la mutuelle se déroule lundi.

Aviron. Je suis venue aider à la formation des débutants. Je ne me suis pas fatiguée mais j'ai pris le soleil (comprendre: trop). Vu le martin-pêcheur à nouveau, et entendu son cri ("L'image pousse son cri", les remparts de Bayezid, Crusoé, je rame).

Réunion MOA pour la mise en place des prélèvements. Nous nous intégrons à des process existants, et cela paraît tellement simple (à la saisie de 2500 RIB près) que cela me fait peur.

La réunion se termine tard. Je pars à la recherche d'un nœud papillon assorti à mon chapeau (résultat en demi-teinte, c'est le cas de le dire).

Velib. J'arrive comateuse à mon oral de philo (est-ce le soleil de midi, la fatigue, l'angoisse?) Je fais un passage désastreux. Le prof me donnera peut-être la moyenne à cause de la conversation qui a suivi (de toute façon cet oral est représentatif, ne nous leurrons pas: des connaissances, des idées, le tout en vrac, sans articulation, dans une déplorable confusion.

Je bois une bière avec un coreligionnaire qui me remonte un peu le moral (me permet de penser à autre chose) et rejoins H. en dîner d'après séminaire. Deux verres de vin n'arrangent pas mon état.


Note
1 : note deux ans et demi plus tard : il s'agissait du mariage de Matoo et d'Alexandre le samedi suivant.

Truc et astuce

— Je ne vais jamais y arriver, écrire sept pages… J'ai des idées pour une page et demie.
— Délaye. Ecris en corps 36. Tu as un nombre de signes?
— Un format, Times New Roman 12, interligne 1,5.
— Reviens à la ligne. Ecris comme Dumas: «— Bonjour. — Comment allez-vous?»
— Elle va avoir une drôle de tête, ma dissert de philo.

Leibniz et Genet

Nouveau professeur. Il commence tout à trac, sans se présenter:
«Le monde est mauvais. Cette phrase est bizarre, elle n'a pas de sens, car le monde est beau, le monde est merveilleux, le contraire du monde est im-monde. Alors pourquoi…»
Suit le cours. Le prof plane, décollé du réel, tout ce que j'aime. Pourtant je ne peux m'empêcher de penser que défendre un "meilleur des mondes possibles" est forcément pré-Auschwitz, date forcément d'avant cet écroulement de la confiance que l'homme pouvait se porter à lui-même.
Et je crois qu'il aurait tout de même fallu évoquer les travaux mathématiques de Leibniz, je vois le meilleur des mondes possibles comme la limite d'une suite tendant vers le meilleur, cela devient très parlant.

Apparemment, c'est ce professeur qui avait inscrit Karamazov sur notre liste de lectures de l'été car une élève a demandé:
— Et que peut-on lire à la place de Karamazov?
— Vous ne voulez pas lire Karamazov? Eh bien… je ne sais pas, lisez Conrad, Au cœur des ténébres ou Lord Jim… Ou alors lisez Jean Genêt… Je pense toujours à lui quand je viens ici, je ralentis devant le 22 rue d'Assas, c'est l'endroit où il est né. Et je vis à deux pas du lieu de sa mort.

Un samedi

- TG sur Nietzsche

- Visite du musée Rodin avec Déborah (au bénéfice de Déborah). Double déconvenue : je découvre avec amertume et fatalisme que l'entrée du musée a été adaptée au tourisme de masse, à l'américaine, et qu'une partie du mur d'enceinte a été abattue pour caser une boutique-souvenirs; d'autre part, - La chambre bleue

Mercredi

Les journées passent trop vite. J'ai passé la voiture entre les rouleaux du lavage automatique et la peinture du coffre est partie. Vingt-et-un ans et trois cent mille kilomètres. Il va falloir se résoudre un jour à lui dire adieu.

Vu Apprenti gigolo, tout en finesse même lorsqu'il exagère. Ce film tresse plusieurs sujets, la vulnérabilité, la moralité, le fanatisme, la jalousie, l'appartenance («Je n'ai jamais vu cette femme sourire comme ça. Ce n'est pas bien ce que vous faites.») Un sentiment d'inachevé en sortant, mais aussi des pistes de réflexion ouvertes.
Sinon, Sharon Stone vieillit comme Deneuve (je veux dire que les visages vieillissent par famille, et qu'elles sont de la même). Et Woody Allen présente toujours le même amour de New York.

Allemand. Nous évoquons Heidegger un instant (à propos de Dasein, que certains traduisent par "être-le-là", que j'entends musicalement "être le la" (notre prof est contre)). En Allemagne il a été très vite reconnu qu'Heidegger avait réellement adhéré à toutes les dimensions du nazisme, alors qu'en France, un groupe s'oppose à cette reconnaissance en remarquant qu'Heidegger n'a jamais tenu de propos antisémites (cf le récent dictionnaire Heidegger de Fédier). Comme cela correspond à ce qu'écrit son élève juif Löwith qui n'a pourtant aucune raison de le ménager (il était un ami de la famille jusqu'en 1933 pour être ensuite ignoré), je demande ce qu'il en est: en fait, Heidegger n'a jamais tenu de propos vulgairement insultants envers les juifs. C'était plus subtil: il soutenait que c'est le Dasein qui fait l'homme, et que le juif n'a pas de Dasein.

Je rentre en voiture en écoutant les chants écossais de Beethoven. L'émission parle de William Blake et évoque l'un de ses poèmes sur les ramoneurs (des garçons petits qui restaient parfois coincés dans les conduits des cheminées). C'est drôle, je pensais à ce poème justement cet après-midi (un ramoneur sur le quai du RER B). Impossible de me souvenir où je l'ai lu commenté il y a peu.

Réorganisation

Matinée à cataloguer les livres achetés ou reçus depuis septembre. Partie en retard, arrivée en grec en retard. Je fais mentalement un plan de rattrapage pour avoir une chance de réussir à avoir la moyenne à l'examen fin mai. Je suis dans le pur bachotage. Cela fait un moment que j'ai décroché, depuis le subjonctif, à peu près (j'ai fait une erreur que je répète régulièrement: j'ai abandonné mon plan de travail parce que j'ai cru trouver une meilleure méthode dans un nouveau livre…: et j'ai donc abandonné mon plan de travail sans adopter la nouvelle méthode (parce qu'évidemment, à la reprendre au début c'était trop facile, donc j'avais l'impression de ne rien apprendre). Cela m'est arrivé très souvent dans le passé, un manque de patience devant des résultats qui ne se concrétisent pas assez rapidement. Cette tentation de trouver une façon d'aller vite sans travailler le fond… Malédiction!)

La responsable du Cycle C (baccalauréat de théologie en formule "soir" (cycle A pour les étudiants à temps plein en journée)) est venue nous expliquer un réaménagement des huit ans de façon à conserver suffisamment d'élèves dans les cours et les TG. Il s'agit de mailler les promotions N-1, N et N+1 en fonction des cursus:
On laisse de côté la première et la dernière années qui ont des statuts particuliers. Il reste des années qui vont par deux dont on peut imaginer qu'on puisse suivre indifféremment la 1 ou la 2 en premier :
parcours biblique 1 et 2
christologie et ecclésiologie
agir chrétien et xx (je ne me rappelle plus).

Normalement nous aurions dû suivre christologie l'année prochaine. Nous allons plutôt rejoindre les élèves de N+1 (actuellement en christologie) pour faire avec eux l'année d'ecclésiologie (en 2014-2015).
Puis en 2015-2016 nous ferons la christologie avec les élèves de N-1.
Et rebelote pour les deux années suivantes. Ainsi les cours et TG bénéficieront d'une assistance plus nombreuse. Ce projet nous a été présenté d'un point de vue pédagogique (émulation, dynamique de groupe, connaissance des élèves des différentes promotions) mais nous avons tous compris les économies de professeurs que cela représentait.

Cours sur Kant avec une nouvelle professeur. Nous l'avions vue en septembre 2012 (oui, 2012), je ne l'aurais pas reconnue. Intéressante, passionnée. Que puis-je connaître, que dois-je faire, en quoi m'est-il permis d'espérer?, soit la vérité, le bien, le bonheur. (J'ai toujours une fascination pour ces formules ramassées, même si je sais bien qu'il faut s'en méfier — trop simplificatrices).

Samedi

TG sur Kant dans la matinée. Sur quoi fonder les vérités transcendantales?

En attendant H., je passe à la Procure. Je finis par avoir honte de tous les livres que j'achète et me dépêche de payer avant qu'il n'arrive.

- Jean-Claude Michéa, Les mystères de la gauche. J'aime bien Michéa depuis son livre sur Orwell.
- Judith Butler, Qu'est-ce qu'une vie bonne?
- Charles Taylor, Les sources du moi, pour la dissert de philo, en remerciant Compagnon qui me l'a fait connaître.
- Emmanuel Lévinas, Difficile liberté. Parce que lorsqu'on a un prof lévinassien, il faut au moins citer Lévinas en conclusion, même s'il ne l'a pas donné dans la bibliographie.

Je retourne voir Dallas Buyers Club avec H. qui veut le voir.
— Dieu, aide-moi.
— Mais Il t'aide. J'ai le Sida, papa.
Plus frappée encore que la première fois par l'illogisme absolu qui consiste d'interdire à des gens condamnés à court terme de prendre des médicaments au prétexte que ceux-ci sont mauvais pour leur santé!

Encore une robe. Pas celle que je préférais au niveau couleur, mais la mieux au niveau forme. Or il faut toujours choisir la forme.

Trois piliers

Fin des cours avec ce prof. Dommage, je l'aimais bien. Hume.

«Il faut vous y faire, en philo, il y a trois piliers: Platon, Descartes, Kant.» (Cela me paraît trop simple pour être honnête. Mais Platon plutôt qu'Aristote, tant mieux.)
Lui est lévinassien.

Journée

- 6h : je continue le §56 et suivants des Prolégomènes. Plus facile ce matin qu'hier soir, trop épuisée. En fait, c'est même plutôt exaltant.

- 8h : je prends la voiture. 8h10 je m'arrête dans une station essence, achète un bidon d'huile et le vide aussitôt dans le réservoir (d'huile).

- 9h : trois heures sur Kant. Très intéressant, mais pour une raison que j'ignore le prof ne fait pas de pause et je ne tiens plus la dernière demi-heure. Ce qui est rassurant dans ces textes, ce qui me donne l'impression d'atterrir, toucher le sol, retrouver le sol, c'est que j'y retrouve des intuitions, des choses que j'avais déjà pensées et que je retrouve formalisées, au sens propre: non plus informes et vagues, mais ayant pris une forme.

- 13h : chez les voisins pour un repas de fin de campagne et la préparation de l'entre-deux tours (s'il y a un deuxième tour: le maire sortant a été élu au premier tour trois mandats de suite). Interruption pour emmener O. au solfège à 13h30, puis aux scouts à 16h (week-end sous la tente, j'espère qu'il ne pleuvra pas trop).

- 17h30 : fête du printemps au club de ping-pong. Et fête du jubilé du président: cinquante ans de ping.

- 20h30 : deux épisodes de Killing. C'est lent mais pas désagréable. Ça change des Américains, pas le même style.


Demain, je suis assesseur titulaire : une journée entière en bureau de vote de 7 heures trente à 23 heures. Ça ne me réjouit pas.

Fatigue

Encore du quatre sans barreur : trois fois d'affilé, Noël!

Pensées: au dégagé, renvoyer les mains, deueux troiois quaatre, descendre la main droite (babord) pour éviter de plumer, en faire autant à tribord pour éviter que le bateau ne penche, préparer sa pelle tribord de façon à la plonger sans mettre la main au fond du bateau, ce qui évite de surcompenser en relevant la main une fois dans l'eau (défaut identifié par Stéphane), appuyer sur les deux jambes en sentant la poussée se propager cuisses mollets talons (talons ou pointes de pieds? j'essaie les deux, d'un coup à l'autre), penser à tirer la main tribord horizontalement comme on ouvre un tiroir, ne pas plumer babord, et c'est reparti pour le coup suivant, deueux troiois quaatre, "recovery" disent les Anglais pour le "retour" qu'il faut ralentir sans buter sur l'avant de la coulisse en fin de course…
ou:
tenter de se détendre, regarder autour de soi, les arbres, les cormorans, oublier que l'on rame, espérer que le corps va savoir, instinctivement, si on l'oublie (et ce n'est pas si faux)
ou:
tenter l'exercice zen qui consiste à se dissoudre, ne plus faire qu'un avec la nage en cessant de penser.

En tout cas, j'avais tort la semaine dernière d'accuser le vin de ma faiblesse: c'est l'aviron qui me rend comateuse. Il faudrait que je change de jour pour ramer, mais quand? Pas le lundi, pas le mercredi. Le jeudi je fais normalement de la salle le soir en attendant O. Le vendredi? Le problème du vendredi, c'est que si je me rate, il ne reste plus de jours à la semaine pour compenser.

Le CAC est jeune, j'en profite pour l'informer et le former, lui montrer la réalité qui se cache derrière ses demandes scolaires. "Matérialiser les contrôles": oui, mettre un grigri en bas de pages qu'on ne lit pas. J'essaie de lui rappeler les finalités de ces contrôles (efficacité et lutte contre la fraude). J'espère que cela lui permettra de poser des questions sensées dans ses missions suivantes (je rêve (ce n'est pas qu'il soit bête, mais c'est qu'il n'est pas payé pour ça. Son boulot est de dérouler une liste de contrôles, de suivre une procédure.))

La philosophie de Pascal. Le moi haïssable et le même moi appelé à la grandeur.

Marie-Laure devrait me donner une méthode de calcul de la taxe sur les boni de liquidation. Ça y est, j'ai enfin un "réseau professionnel"! (Activer son réseau, ça me fait toujours doucement rigoler.)

Je ne rate plus mon train car je vais gare de Lyon en Vélib.

Descartes

Toujours en philo, au lycée, en Deug, au centre Sèvres, Descartes est le rocher, le point de départ, celui que l'on ne contourne pas mais auquel on s'arrime (en philosophie antique il n'y a pas une telle unanimité : hésitation entre Platon et Aristote).

Il reste qu'en lisant les Méditations métaphysiques (je doute de tout, mais pas de moi qui doute, car même si je suis trompé par un mauvais génie, il faut bien qu'il y ait quelqu'un à tromper, etc (j'en suis à la troisième)), la question qui me taraude à chaque fois que je recommence la philosophie revient en force: pourquoi les hommes philosophent-ils? Pour accéder à la vérité? Mais à quoi bon une vérité qui n'accroît ni le bonheur (ce qui me rend heureux) ni la bonté (le bien que j'apporte autour de moi)?

Et puis cette "vérité" me paraît manquer d'envergure. Jamais il ne me serait venu à l'idée de dire que deux plus trois fait cinq est "vrai". Je dis: «c'est juste». Juste: es stimmt, cela résiste à la vérification (on laisse ici de côté l'aspect conventionnel des mots: ce qu'on appelle deux et ce qu'on appelle trois). Ce qui valide que ce soit juste, exact, c'est que lorsque j'utilise ce résultat comme fondement d'autres raisonnements, j'arrive de proche en proche à quelque chose qui coïncide avec la réalité: si deux et trois ne faisait pas cinq, les Portugais n'auraient pas pu cartographier le monde et nous n'aurions pas atteint la lune, nous serions passés à côté.
C'est juste. De là à dire que c'est vrai… Ce n'est pas à ce genre de domaine que j'applique le mot de vrai. (Ici il faudrait que je réfléchisse. J'essaie. Processing.)

J'ai découvert récemment quelque chose qui doit paraître évident à tout le monde, je suppose: qu'à un mot correspond plusieurs contraires, que le contraire du noir n'est pas le blanc mais toutes les autres couleurs. Quelle est le contraire de la vérité? l'erreur, le mensonge, la fiction? l'erreur manque la vérité de façon involontaire, c'est sans doute le plus difficile à déceler et corriger; le mensonge sait où se trouve la vérité, mais veut tromper: le pire d'un point de vue moral, mais moins grave que l'erreur du point de vue de la Vérité; quant à la fiction, elle est ailleurs, d'un certain point de vue, elle est toujours vraie, une licorne n'est pas fausse, ce n'est ni un mensonge, ni une erreur, simplement elle n'existe pas, vous n'en rencontrerez pas (ou vous pouvez comme Russel soutenir que que jusqu'ici nous n'en avons pas rencontrée), mais cela n'a aucune importance tant que vous n'utilisez pas la licorne comme fondement concret de vos actions quotidiennes (non pas l'idée de la licorne pour vous donner du cœur à l'ouvrage, mais le besoin de crins de licorne pour jouer du violon).

Je me souviens avoir été déçue en commençant à lire Le discours de la méthode, quand j'ai découvert que ce qui me paraissait le plus intéressant, le plus digne d'intérêt, c'est-à-dire la mise au jour des principes qui permettraient de conduire sa vie droitement en toute occasion, avait été repoussé à plus tard: trop difficile, je laisse tomber pour l'instant, dit Descartes qui conseille de se conduire comme tout le monde et de ne pas faire de vagues (ce qui n'empêche pas d'avoir ses doutes): quelle déception. C'est cette partie-là qui m'intéressait.
Peut-être est-ce celle-ci qu'il faut appeler, ou qui s'appelle, "sagesse".

Donc question suivante: différence entre philosophie et sagesse? (non, les philosophes ne sont pas sages (ici pensée pour La philosophie comme manière de vivre: cela a sans doute été une ambition au début), du moins pas tous, du moins l'un n'implique pas l'autre: cela peut se trouver, mais il n'y a pas de lien de causalité entre l'un et l'autre, philosopher ne rend pas sage, c'est-à-dire apte à vivre sagement, heureux (pour soi) et bon (pour les autres).)
Alors, pourquoi les hommes s'obstinent-ils à philosopher?

Manon ne lâche pas le morceau

Chaque fois que nous manquons un TG, nous sommes censés rendre le travail par écrit (ce qui est une puissante motivation pour être présent). L'année dernière, jouant sur la nonchalance de mon chargé de TG qui avait aussi peu envie que moi de s'embarrasser d'un travail écrit, j'étais parvenue à y échapper lors de mon absence du 9 février (2013). Mais mardi soir, Manon est revenue à la charge: il faut que je lui rende quelques pages sur le sujet du TG du 12 janvier dernier.

Or le sujet porte sur Gadamer, Vérité et Méthode, Seuil 1976, p. 405 à 411… et le livre que j'ai emprunté (Seuil 1976) n'a que 346 pages.

Bon. Je vais mener l'enquête auprès de mes petits camarades. (Le titre de ce billet reprend l'exclamation de l'un d'entre eux. Le contraste entre le doux "Manon" et le rustique "ne lâche pas le morceau" me remplit d'aise.)

Paradoxe spatio-temporel

A : — Et donc en conclusion de ma dissert j'ai dit que bien que Rousseau parle comme Yoda…
V : — Plutôt l'inverse, non? Yoda parle comme Rousseau?
O : — Ça dépend. Après tout c'est dans une galaxie lointaine…

Retour à la normale (?)

Pour la première fois depuis des semaines, je me retrouve à mon bureau — rangé et épousseté — pour taper quelques lignes. Depuis que j'ai ce portable, je m'installe le plus souvent dans mon lit ou devant un film — évidemment je n'écris pas les mêmes choses.

Réveillée ce matin sur un mauvais rêve: devoir de grec, tout le monde a fini, je suis seule dans la salle, la feuille du sujet est coupée en deux, il me manque le bas, je ne sais pas ce qu'il faut faire, quelles sont les questions.
(Je ne fais que des mauvais rêves en ce moment, qui font peser une inquiétude sourde sur les journée. Lundi dernier, René.)

J'ouvre Taubes au hasard parce qu'il traîne dans la cuisine (la voix de cet homme, même à travers la traduction, est extraordinairement proche (il faut dire qu'en l'occurence il s'agit de transcription de conférences, ce qui ajoute à la proximité). J'ai hâte de réussir à le déchiffer en allemand: est-ce qu'il en sera de même (ou sera-ce mieux?), ou la langue constituera-t-elle un obstacle? — Je le redoute mais je n'y crois pas):
Je dirais qu'il existe deux modes du philosopher (pardonnez-moi d'être dogmatique, mais la discussion va bientôt se terminer et je m'en sortirai indemne). Il y a tout d'abord le mode antique, qui dit au fond ceci: la vérité peut difficilement être atteinte, elle n'est accessible qu'à quelques-uns, mais elle existe toujours. C'est, en gros, le problème de Platon et d'Aristote. Il existe un autre mode du philosopher, que j'appellerait celui qui est passé par le Christ. Hegel dit que la vérité ne peut être atteint que difficilement et qu'elle doit parcourir toute l'histoire, mais qu'ensuite la vérité est là pour tout le monde.1

O. revient du ski et est proche de la brûlure au second degré sur le menton (ça croûte).
Clément revient de son stage de BAFA, enchanté.
Repas animé ce soir après cette semaine si silencieuse, une histoire de banane dans l'oreille et de pompe à essence (— Oui, ça me rappelle la blague du type qui va tout nu à un bal masqué. "T'es déguisé en quoi?" lui demande un copain. "En pompe à essence").






1 : Jacob Taubes, La théologie politique de Paul, p.119 (Seuil, coll. Traces écrites)

Platon : Le Phédon




Ligne A vers la Défense, autour de 8 heures. Notez que le livre est déjà bien avancé. Poche, collection Garnier Flammarion.

Ecrire pour sa vieillesse

[…] mais ce sera sans doute pour son amusement qu'il sèmera dans les jardins de l'écriture et qu'il écrira, si jamais il écrit. Amassant ainsi un trésor de souvenirs pour lui-même, quand la vieillesse oublieuse sera venue, et pour tous ceux qui marcheront sur ses traces, il prendra plaisir à voir pousser les plantes délicates de ses jardins, et, tandis que les autres recheront d'autres divertissements et d'adonneront à des banquets et autres passe-temps du même genre, lui, répudiant ces plaisirs, passera sans doute sa vie dans l'amusement dont je viens de parler.

Platon, Phèdre, traduction d'Emile Chambry, p.168 (Garnier-Flammarion 1964)

Je ne suis pas sûre de comprendre: cela veut-il dire que dans trente ans je passerai mon temps à relire ce blog (mazette!), ou que j'y écrirai plus longuement?

Graffiti

Dans les toilettes du sixième étage, celles de la bibliothèque de théologie, un unique graffiti au feutre. (C'est un peu flou, mais le jaune du mur ne permettait pas l'utilisation du flash dans un endroit si étroit.)


Le prof de philo était habillé en bleu

Chaque fois que je le vois il me paraît un peu plus âgé que dans mon souvenir (c'est la troisième fois) (mais comme j'avais commencé par vingt-cinq ans, il est encore jeune), un peu plus fatigué (si pâle et les traits si tirés) et très doux. Contrairement au précédent habité par l'ardeur de son sujet, celui-ci glisse plutôt vers la contemplation. L'un paraissait en transes, l'autre translucide, éclairé par une bougie intérieure.

Ce soir il portait un pull irlandais bleu pétrole qui iradiait différemment son visage. J'ai eu autrefois une prof de philo que je trouvais à son meilleur en col roulé violet, couleur évêque.

Six mille de belote

Beaux-parents à la maison. Pas de grec, pas d'allemand, pas de révision/écriture d'un article qui devrait être rendu depuis longtemps.

Mais du ménage (c'est un point positif, il n'est fait que sous la contrainte) et de la belote.

Pas de jeu (et je joue de plus en plus mal (sachant que je n'ai jamais très bien joué; cela ne m'intéresse pas assez pour que je mémorise les cartes et en déduise ce qui reste à chacun, comme cela doit se faire)).

Pendant une interruption (téléphone), O. joue sur son téléphone, R. continue deux pages de son PD James, je feuillette Souvenirs de la forêt noire de Frédéric de Towarnicki derrière moi dans la bibliothèque. Mathématiques; Platon qui voulait aller au-delà, les trouvant trop restreintes ou trop restrictives (intéressées par la fin et non l'archê, l'origine); Descartes qui aurait voulu atteindre en philosophie la rigueur mathématique (mais Platon employait-il la notion de philosophie dans le sens actuel? Non). Exactement ce que je suis en train de lire dans Ricœur, ça me fait plaisir.
Je commence à comprendre (il serait temps) ce que c'est qu'un cours: c'est une cartographie, un guide de voyage. Cela peut vous éviter de faire le voyage. Ce que je lis actuellement peut m'éviter de lire Platon (et visiblement "tout" Platon, car les différents thèmes sont appréhendés différemment de livre en livre), comme un guide peut donner une idée d'un lieu sans voyager.
Mais si je voulais vraiment savoir ce que j'en pense, il faudrait me déplacer sur place, il faudrait explorer par moi-même. Il faudrait lire Platon.
Je crois que je vais me contenter du guide. Dans le temps qu'il me reste, je ne peux plus me consacrer à la lecture totale que de quelques-uns.
La chance que nous avons, c'est que certains guides sont si bons qu'ils deviennent à leur tour destination en eux-mêmes. Ricœur sur Platon, c'est Ricœur (angle du langage, on ne se refait pas).

Dimanche et lundi, perdu un mille, gagné un mille.
Ce soir, perdu les deux.

Philosophie et littérature

Quand nous étudions Phèdre je pense à Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes, Le Banquet me rappelle Ravelstein, et ce soir, tandis que le professeur s'emballe sur Aristote et nous présente la substance en prenant une table comme exemple (de ce qui est là, ici et maintenant), je songe à la table de cuisine de Promenade au phare.

Ma pensée vagabonde, je n'en reviens pas de tout ce qu'il faut connaître avant de pouvoir comprendre quelques bribes, entrevoir quelques éclats (Ça va tout de même beaucoup mieux qu'il y a quelques années, je me rends compte que j'ai accumulé un substrat de connaissances non négligeable: je dispose de suffisamment d'éléments pour commencer à créer des liens entre eux. C'est une sensation très plaisante). Je m'endors sur Leo Strauss (un de mes préférés, il me fait rire) dans son attaque de Wild (Sur une nouvelle interprétation de la philosophie politique de Platon); son art de distinguer toujours plus finement entre les concepts m'emplit d'admiration, je sais maintenant que ce genre de choses sera toujours hors de ma portée: je comprends tant que je lis, j'oublie dès que j'arrête de lire (exemple: les différences entre philosophie classique et philosophie moderne).
Tout ce que j'entreprends ces derniers temps n'a pas grand sens finalement, toute cette activité, toute cette agitation. Mais au moins j'aurai appris à jouer de la flûte avant de mourir.

La philosophie est amour

Ce soir le prof a glissé dans ce que j'aime et que je ne sais pas nommer: serait-ce l'ivresse? Cette sensation, vers une ou deux heures du matin, quand on écrit depuis plusieurs heures, et que l'on commence à décoller, à dire (écrire) ce qu'on n'oserait jamais écrire si l'on était tout à fait sobre, tout à fait reposé et serein, le moment où l'exaltation (et dans la mesure où l'examen consiste en un oral, je commence à envisager sérieusement de boire un peu avant d'y aller) a gagné. (L'année dernière, j'ai vu Daniel Ferrer glisser vers cet état («cette tache de café sur le manuscrit a vu l'œil de Balzac et elle nous regarde»; et j'ai pensé que peut-être les grands professeurs étaient ceux qui atteignaient ce plan en état de sobriété.)
Ce soir donc, notre professeur de philosophie s'est mis à planer par instants (sur Platon).

De mémoire quelques mots: «Ce qui vous fera réussir vos études de philosophie, ce n'est pas l'intelligence, c'est l'amour. Si vous n'avez pas l'amour (je prends des accents pauliniens qu'il n'avait peut-être pas. Lui est brésilien, accent et infimes accidents de syntaxe compris), vous abandonnerez dès que cela deviendra difficile. L'autre ennemi de l'amour, c'est la curiosité. Le curieux ne s'intéresse qu'à ce qu'il ne connaît pas (serait-ce la définition du donjuanisme?), dès qu'il commence à connaître un peu, il passe à autre chose. C'est l'amour qui permet de tenir dans le temps.» (Ce n'est pas tant le fond du discours qui était étonnant, car il est connu; mais le moment où il est intervenu, la force de conviction, l'évidence avec lesquelles ces quelques mots ont été prononcés.)

Cours

Un peu décroché au milieu des atomistes. Il est possible que le feuilleté à la saucisse de Meurteau et l'excellent verre de Bourgogne ingérés avant y aient une part de responsabilité.

Boire ou étudier. Dormir ou bloguer. Fumer ou ramer. Quelques choix parmi d'autres (et pendant ce temps, lire Hadot, la philosophie comme mode de vie (et non comme discours) et la sagesse comme idéal).

A fronts renversés (une fois de plus)

Quand je suis entrée en hypokhâgne, je venais d'un bac C, d'une famille de matheux. Un ami de mes parents s'était exclamé spontanément en apprenant ce que j'allais faire l'année suivante: «Quelle déchéance!».
Quelques semaines plus tard, je regardais muette une de mes camarades de classe (l'une des plus sottes (ce qui est peut-être une explication, je m'en avise)) dire gravement: «N'oublions pas que nous sommes l'élite de la France».

J'ai l'impression de revivre la même situation. Entourée en temps normal de philosophes m'assurant que seule la philosophie conduit à la vérité et qu'entre foi et superstition l'écart n'existe pas (cf. Leo Strauss), je me retrouve dans une salle où chacun semble persuadé que le théologien est "mieux" que le philosophe.

Bon.

(Jean-Luc Marion parle de: urgence kérygmatique // délai herméneutique. Ça me plaît.)



(Front renversé encore: débat entre un théologien et un philosophe, c'est le philosophe qui est prêtre).

Evidemment, c'est tout un ensemble!

«Le père de Lubac (jésuite) fait partie de ceux qui pensent qu'il faut tenir la contradiction.» (entendu il y a quelques semaines (2012), remémoré hier à la faveur d'un extrait des Nouveaux paradoxes).

"Faut-il résoudre la contradiction?" est un sujet de dissertation de philosophie que j'avais eu à traiter en 1985 à l'issue d'un cours sur la Phénoménologie de l'esprit.
Plus tard, (1997), j'ai découvert que la professeur de philo auteur de ce sujet intervenait au centre Sèvres, faculté jésuite de Paris (c'est d'ailleurs à cette occasion que j'ai rencontré Hervé Legrand, cf billet de la semaine dernière) (et donc j'ai compris hier un angle d'attaque possible du sujet).
Cette professeur nous faisait étudier Ricœur…

Ces quelques lignes sont destinées à ceux qui pensent que je me disperse: c'est peut-être vrai, mais de mon point de vue, je fais l'inverse: je rassemble, je noue et renoue les fils, je tente de faire apparaître des motifs dans les fils épars.

Oulipo, hier

Le compte rendu a été déplacé.



Juste avant de sortir de la TGB, l'un d'entre nous nous désigne en riant une affiche de circonstance: Le droit à la philosophie que je m'empresse de photographier (tout de traviole s'avère-t-il).

(Le film "Le droit à la philosophie" sera diffusé le 18 février de 18h30 à 21h30, salle1, au Centre Parisien d'Études Critiques, 37 bis rue du Sentier, 75002 Paris.)



Après la séance, pizza traditionnelle, en effectif réduit. Nous parlâmes rangement, collections, chaos, angoisse de la pile, syndrome de Diogène... et de livres et de fractures et de carte écrite à la main et de verre renversé.

Choix simple

Entre le Modem et Spinoza, je choisis Spinoza.

Plusieurs problèmes se posent alors, dont nous tâcherons de démêler les implications : qu'est-ce qui permet à Spinoza de qualifier une action de « bonne » ? Sur quels critères se fonder pour juger du bien et du mal ? Le spinozisme, en rapportant le bien à l'accroissement de la puissance d'agir, ne fait-il pas l'apologie du « chacun pour soi », du relativisme et de la concurrence sauvage entre les individus ?

Julien Douçot, séance du 12 novembre 2009

Wittgenstein (le film)

Vendredi, j'abandonne ma stagiaire d'été à 11h30 pour aller voir Wittgenstein au Reflet.

C'est un film étrange, davantage une série de photos commentées que véritablement un film. Le fond est noir, le décor minimal. Les personnages sont habillés soit de façon classique, morne, universitaire anglais, soit de couleurs vives et excentriques. Il y a même un martien (vert).
C'est un film qui repose sur les dialogues, qui veut montrer l'asociabilité, la soif de perfection, l'isolement mais aussi le désir de solitude de Wittgenstein.

Je m'aperçois que je connaissais déjà sa biographie grâce à L'Amour l'Automne, je connais même davantage d'anecdotes qu'il n'en est montré. Le film m'a permis de mettre les événements dans l'ordre : Vienne, trois frères suicidés, un quatrième manchot (d'où le Concerto pour la main gauche de Ravel), Cambridge, la Norvège, la première guerre mondiale, prisonnier en Italie, le poste d'instituteur, le retour à Cambridge, la découverte de l'homosexualité, le désir de travailler comme ouvrier en URSS, la brouille avec Russell, la fuite en Irlande, le cancer, le retour à Cambridge pour mourir.

C'est à peine un film. Cela a le mérite de baliser le chemin pour de futures lectures.

Exemple de dialogue (de mémoire):
Un élève : Professeur, je ne comprends pas.
W : Pourquoi croyons-nous que le soleil tourne autour de la terre ?
L'élève: parce que c'est ce que nous voyons.
W: Et que verrions-nous si la terre tournait autour du soleil?
L'élève se tait, puis répond: J'ai compris.

Note pour moi-même

Si j'aime la littérature et me défie de la philosophie et du droit malgré leurs attraits intellectuels, c'est qu'il me semble que la littérature n'a pas l'intention ou la prétention d'influer sur le monde, tandis que les belles constructions philosophiques et juridiques finissent un jour par provoquer des catastrophes, une fois qu'elles ont imbibé les différentes strates du réel.

Je me défie des systèmes et des utopies, ce qui garantit que le monde soit vivable, c'est son imperfection-même.
Les billets et commentaires du blog Alice du fromage sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.