Billets qui ont 'True Grit' comme oeuvre.

Jeunes filles courage

True Grit et Winter's Bone : dyptyque américain.


Quand je passais les étés à la ferme, je suivais ma grand-mère partout: à la laiterie quand elle remplissait les faisselles, parmi les clapiers pour nourrir les lapins, dans la pièce où elle moulait le grain pour les poules... Elle me parlait, elle m'expliquait, elle me racontait (un jour elle avait déclenché la colère de ma mère en lui disant : «Il faut parler à Alice» (mais ce n'est pas ma mère qui me l'a dit, c'est ma grand-mère)).
Le samedi matin, il y avait le marché à Vierzon. Les jours précédents étaient fébriles: hécatombe de poulets, pintades, canards, lapins. Je suivais ma grand-mère dans la vacherie (non, on ne disait pas l'étable) et je la regardais pendre les bêtes par les pattes avant de saigner à mort les volailles dont elle tranchait l'artère du cou ou les lapins qu'elle énucléait. Puis il fallait plumer. Je n'avais pas le droit de le faire, ma grand-mère avait trop peur que j'arrache la peau en même temps que les plumes, mais je restais là et j'attrapais les poux rouges des poules qui ne survivent pas sur la peau humaine (pas la bonne température?) mais ont le temps de démanger avant de mourir.
Les lapins eux étaient dépouillés, deux incisions sur les pattes arrières et ma grand-mère tirait sur la peau d'un coup sec, la retournant comme un pull-over. La chair apparaissait étonnamment rose, dépourvue de graisse. Les lapins étaient vidés sur place, je ne sais plus ce qu'il advenait des entrailles, les chiens ou les poules? Je ne sais plus.
Les poulets étaient vidés plus tard dans la cuisine, avant la cérémonie de la gazinière qui consistait à brûler rapidement les dernières traces de plume dans la flamme.

Noël 1992. H. m'a ramenée une dinde de Rungis. Je dois la vider. Je me souviens vaguement de quelques images, je sais qu'il faut faire deux incisions, tirer sur l'œsophage, ne pas éclater la poche de bile près du foie sous peine que la volaille soit inmangeable. Je ne sais plus.
J'appelle mon père et je vide ma dinde en suivant les instructions de papa au téléphone (j'ai appris ce soir-là qu'il est beaucoup plus facile de vider la volaille tout de suite après sa mort mais que ne pas les vider permet de les garder plus longtemps).

True Grit

Diptyque avec ''No country for old men'' (le récit de la fin, du vieil homme saigné à mort par les Indiens). ''No country'' était noir et consacré au mal, ''True Grit'' en est le négatif.

J'aime l'amour des frères Coen pour l'Amérique et leur façon de vouloir rendre l'épaisseur de l'Histoire, la mettre en forme dans la géographie, lui faire occuper l'espace. A chaque film j'ai l'impression d'une leçon de patriotisme: «Fils, voici un morceau de l'histoire des Etats-Unis, médite et comprend ce que nous fûmes et ce que nous sommes.
La fin me fait penser à Flaubert («ils voyagèrent»): «un quart de siècle est une longue période», puis sans transition «j'ai quatre-vingts ans maintenant».
Et ''Lettres à sa fille'' de Calamity Jane.

Sinon il ne se passe rien. Ça bavarde. Ce serait presque le sujet du film: l'attente du moment où les rodomontades seront confirmées ou infirmées par les faits. Il faut aimer les chevaux.


(Mais la fin, la "première" fin, comment ne pas penser au Roi des Aulnes?)
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