Billets qui ont '2025-02-25' comme date.

Comme un lundi

Lu le tome 2 de Magus of the Library. C'est plutôt pour enfants (il faut que je me renseigne sur les catégories shonen, etc : il est évident que j'aime un type particulier, mais je n'en connais pas le nom) et plutôt de la fantasy. Les dessins sont très beaux; l'un des thèmes en est la peur de l'étranger (et la conviction que la lecture fait reculer cette peur, ce qui depuis RC me paraît tout à fait illusoire).

Visite de contrôle chez le dentiste. Je commence à soupçonner la surfacturation, mais très intelligemment il ne me fait rien payer («c'est un contrôle, je ne vous prends rien») et me conseille de prendre rendez-vous mais sans me confier à sa secrétaire («prenez rendez-vous dans un mois sur Doctolib»). Je suis désarmée: est-il suprêmement malin (optique commerçante), pense-t-il que c'est à chacun de choisir sa santé (optique libertaire) ou ne pense-t-il rien du tout et se contente-t-il de faire son métier (optique je suis complètement paranoïaque)?

Il va falloir me méfier de mon nouveau patron (ou lui faire tout à fait confiance): il sent les vibes (aura, émanations?). Il a détecté rien qu'à ma tête la déstabilisation subie ce week-end.
— Ça a l'air dur ce matin.
Je ne le connais pas, je ne vais pas lui raconter mes trois derniers jours. Je réponds la première chose qui me passe par la tête, en réalisant en même temps que je parle que je vais me décrédibiliser à tout jamais:
— C'est à cause de ce que je suis en train de lire, j'ai encore la tête ailleurs.
— Ah bon, qu'est-ce que vous lisez?
— Un manga (réponds-je en me sentant parfaitement idiote. A ma grande surprise il paraît amusé et favorablement surpris.)
— Ah bon? Qu'est-ce que c'est ?
Je tire Magus of the Library de mon sac, il regarde.
— Je ne connais pas (ça m'aurait étonné, c'est tout de même très enfantin, plus que je ne l'avais perçu en le feuilletant).

Nous parlons SF. Nous parlons poésie. C'est un amoureux de Michaux.
Bon. Trop beau pour être vrai, que cela cache-t-il comme désillusion à venir?

Surcompression

Croissants le matin, Casa Azul le midi (très bonne margarita, très bon restaurant mexicain de Fontainebleau). Ces derniers jours auront été à hautes calories (il faut que j'arrête l'alcool — mais c'est dur).

Comme nous sommes à deux pas d'un cinéma, je suggère d'aller voir un film. J'avais repéré la bande-annonce du Brutaliste. (Sur Facebook, je suis abonnée aux groupes "architecture brutaliste", "plaques d'égout à travers le monde" et "escaliers de la mort". Facebook ne sert plus qu'aux groupes — et à la pub, (presque) plus personne n'y écrit. C'est amusant, on assiste à un frémissement des blogs (Twitter et ses articles à rallonge, c'est très agaçant : pourquoi ne pas faire un blog?)).
Bref, je pensais voir un biopic d'un architecte inconnu (de moi. Pour info, ce n'est pas difficile, je ne connais que deux architectes, Le Corbusier et Jean Nouvel).

Ce n'est pas du tout cela. C'est l'histoire d'un architecte juif et hongrois qui arrive aux Etats-Unis après la guerre. J'ai cru à une success story («Regardez comme l'Amérique est grande et généreuse»), puis à une histoire de mea culpa américain («Regardez comme les riches sont avares et dépravés, incapables de vrai amour de l'art»), mais finalement la clé ou une clé founie à la fin est encore ailleurs, entre amour et camps d'extermination — mais de façon contradictoire, puiqu'on nous a fait miroiter un projet aux vastes dimensions pour finir par nous parler de la taille des cellules de Dachau ou Buchenwald.
Ou est-ce justement à cause de cette contradiction que le chantier se passe mal? N'aurais-je rien compris à ce qu'on nous a montré? C'est tout à fait possible.

Quoi qu'il en soit, c'est très long et l'image est très sombre, le tout très fatigant. C'était une mauvaise idée après la journée d'hier, nous aurions mieux fait de profiter de la très belle journée aux températures hors de saison.

Dépression

Passé le matin remplacer l'un des tomes 2 de Magus of the Library. Tout s'explique: ils n'ont plus le tome 1 qui est en commande. J'ai pris le tome 3.

Marché sous une très belle halle. Ici se trouvent quelques commerçant qui doivent se demander où est passé l'homme jovial qui les faisait rire. En mai dernier, j'avais émis l'idée un peu folle (je veux dire décalée: personne ne fait ça) de passer voir les commerçants avec une photo de mon beau-père pour informer ceux qui le reconnaîtraient. (Prendre soin de l'attachement des êtres — même ténu et sans conséquence — ou surtout ténu et sans conséquence — pure gratuité).
On m'avait dit non. Les idées zazous en période de deuil ne sont pas bienvenues.

Miel blanc, poulet rôti, radis.

L'après-midi, tandis que mon beauf et Madame vont à la recherche d'un déambulateur et de nouvelles chaussures, nous passons aux pompes funèbres. Cette année, la traditionnelle fête de famille aura lieu ici; H. aimerait que la dalle soit posée sur la tombe de son père pour cette date.

Patatras.
Je ne sais pas ce qui nous a le plus choqués: l'insensibilité de la vendeuse qui a feuilleté longuement le catalogue virtuel avec nous, utilisant son jargon professionnel sans prendre la peine de s'adapter (différences entre la stèle, la semelle, le soubassement, le placage), le délai pour obtenir le monument (six à huit mois) ou le prix («il faut compter six mille euros», pour la gravure, «c'est seize euros la lettre»).

Nous sommes restés impassibles. Nous ne nous sommes pas levés, nous ne les avons pas traités de charognards, nous ne sommes pas partis en claquant la porte.
Nous avons continué à discuter très poliment, moi retenant mon envie de rire, un rire moqueur, sauvage, gargantuesque, que je sais pour l'avoir pratiqué parfois qu'il ravage très sûrement mes interlocuteurs — sans retour, il n'y a ensuite aucune réconciliation possible.
Nous avons continué à faire la conversation:

— Mais pourquoi c'est si long?
— Nous n'avons pas d'atelier ici. Selon le granit que vous choisissez, il vient du Tarn, du Brésil ou d'Inde. Le monument est taillé sur place puis vient par bateau. A moins que vous ne choisissiez un modèle en exposition.
— Vous voulez dire que lorsqu'on entre dans un cimetière, nous sommes entourés de pierres qui viennent du monde entier?

Nous quittons les lieux très déprimés et furieux. Impression d'être pris en otage et d'être rackettés. H. tient à sa pierre et c'est son père; pour ma part, à titre de résistance, je vais d'ores et déjà chercher une autre solution pour le moment où je serai concernée.

De ce point de vue, la crémation représente un avantage certain — même si ce n'est pas mon genre, pour des raisons d'inscription dans l'espace et le temps: un lieu fixe, un endroit où attacher ma mémoire, où une trace est offerte aux passants (lisant les pierres tombales et imaginant cette vie, souvenir imaginaire de personnes inconnues).

Sentiment de grande détresse et de désorientation durant le voyage de retour. Dans ces moments-là ça vaut la peine d'être deux.
Traditionnel arrêt au mange-disque.
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Chez Madame, j'ai fouillé à l'étage et je reviens, le plus discrètement possible, avec des livres:
128 poèmes composés en langue françaises, anthologie de 1900 à 1968 rassemblée par Roubaud
Rashomon d'Akutagawa (à cause de Ghostdog)
Histoire du diable qui prit femme de Machiavel (je ne savais pas que Machiavel avait écrit un ou des contes)
Pièces de Ponge (j'adore Ponge)
Comprendre l'islam (ou plutôt: pourquoi on n'y comprend rien) d'Adrien Candiard (beaucoup de livres sur l'islam dans la bibliothèque, que je suppose avoir été achetés après 2015. Cabu est originaire de Châlons).
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