Un film, une visite
Par Alice, samedi 31 juillet 2010 à 23:19 :: 2010
L'intervention marquante du jour portera sur B.Traven, auteur mystérieux dont on ne connaît que le pseudo. Les livres sur les voyages en mer me fascinent, il s'agit toujours de voyages initiatiques vers la mort.
Autre choc de la matinée, un extraordinaire film sur Naples, Dreaming by numbers, qui décrit la passion napolitaine pour la loterie. Il existe un livre, le livre des Grimaces, qui permet de convertir tout fait, tout objet, en nombre, et donc de le jouer à la loterie. La réalisatrice commence par nous montrer une échoppe où se vendent les billets, puis choisit quelques personnages et leur fait raconter leur histoire et leur passion. C'est souvent déchirant, sont mis en lumière, sans geste, la difficulté de la vie quotidienne et la décision de ne pas en faire drame, de vivre malgré tout. Jouer à la loterie, ce n'est pas vivre, c'est décider de vivre. Quelque chose d'Affreux, sales et méchants court sous ce film, atténué par la générosité de la caméra.
Un vieux monsieur, historien en train de devenir aveugle, raconte: «Moi je suis un bourgeois. J'ai recueilli Maria, je lui ai dit: "Maria, pourquoi tu joues comme ça? Tu pourrais économiser, mettre quelques sous de côté, pour l'avenir". Elle m'a répondu: "Monsieur, je joue parce que je veux pouvoir dormir la nuit". Et je me suis dit que j'avais des réflexes de bourgeois, économiser, c'était se construire un avenir, elle, elle ne pouvait qu'espérer vivre encore un jour».
Ce matin au petit déjeuner Edgar nous a parlé d'un château à visiter. Il devait rentrer en urgence en Allemagne et nous a fait rire («Je ne vais pas partir sans payer, les Allemands ont suffisamment mauvaise réputation») et comme je m'étonnais de la gentillesse des gens du pays: «C'est parce qu'ils habitent en montagne. Ils n'ont jamais été envahis. Les Grecs étaient trop paresseux, ils se sont arrêtés dans les plaines. Les gens des plaines sont plus méfiants, c'est très difficile de faire parler les Calabrais. J'aimerais bien que Béatrice organise un colloque en Calabre, ça me permettrait d'étudier les gens sur place.» (Edgar est spécialiste des dialectes italiens, il étudie les variations et déformations du langage.)
Nous nous renseignons au cours du déjeuner: «Mais oui, Castel del Monte, c'est le un centime!»
Hein, quoi? J'imagine aussitôt un système de classification italien où nos étoiles au guide Michelin seraient remplacées par des centimes… Mais pourquoi UN centime pour un château à visiter absolument?
Renseignement pris, il s'agit du château sur la pièce de un centime italien.
Une route fantôme, que nous paraissons seuls à connaître, surplombée de ponts qui ne portent aucune route (A quoi peuvent-ils servir? Aux tracteurs? Hypothèse de H.: «Un type construisait des ponts, il a vendu des ponts, l'Union Européenne a payé.») Puis des oliviers à perte de vue, je n'ai jamais vu autant d'oliviers. Castel del Monte, du vent, la vue qui porte à des kilomètres, une architecture dépouillée, parfaite, si parfaite que certains doutent que le château ait jamais pu être habité tant il manque de commodités, tandis que d'autres imaginent des campements à la mode arabe au milieu des salles.
J'achète le seul livre en français sur Frédéric II, une minuscule biographie destinée aux enfants, qui commence par «Imaginez qu'en ce temps-là il n'y avait pas de télévision ni de Wii» (citation de mémoire, mais je suis très proche).
Je suis heureuse.
Désir de Kantorovicz, désir irrépressible de Kantorowicz.
H. veut voir l'Adriatique, nous passons à Trani, dont c'est la fête du saint patron.
Le soir, il y a concert dans le cadre du colloque. Nous arrivons en retard, le concert a commencé. Chants traditionnels, juifs pour la plupart mais pas uniquement, recueillis tout autour de la Méditerranée. Je ne suis pas capable d'apprécier les variations de mélodie et de rythme (je n'ai pas le souvenir de la musique, je ne sais pas discerner), mais les variations des paroles d'un pays à l'autre m'impressionnent et m'enchantent (en fait, ce qui m'impressionne, c'est le noyau dur, ce qui résiste dans les transformations). La chanteuse, fort peu sympathique au demeurant, est un monstre polyglotte qui parcourt les pays méditerranéens à la recherche des derniers témoins de civilisations orales en train de disparaître. Elle recueille les chansons et les note. Et les chante.
Autre choc de la matinée, un extraordinaire film sur Naples, Dreaming by numbers, qui décrit la passion napolitaine pour la loterie. Il existe un livre, le livre des Grimaces, qui permet de convertir tout fait, tout objet, en nombre, et donc de le jouer à la loterie. La réalisatrice commence par nous montrer une échoppe où se vendent les billets, puis choisit quelques personnages et leur fait raconter leur histoire et leur passion. C'est souvent déchirant, sont mis en lumière, sans geste, la difficulté de la vie quotidienne et la décision de ne pas en faire drame, de vivre malgré tout. Jouer à la loterie, ce n'est pas vivre, c'est décider de vivre. Quelque chose d'Affreux, sales et méchants court sous ce film, atténué par la générosité de la caméra.
Un vieux monsieur, historien en train de devenir aveugle, raconte: «Moi je suis un bourgeois. J'ai recueilli Maria, je lui ai dit: "Maria, pourquoi tu joues comme ça? Tu pourrais économiser, mettre quelques sous de côté, pour l'avenir". Elle m'a répondu: "Monsieur, je joue parce que je veux pouvoir dormir la nuit". Et je me suis dit que j'avais des réflexes de bourgeois, économiser, c'était se construire un avenir, elle, elle ne pouvait qu'espérer vivre encore un jour».
Ce matin au petit déjeuner Edgar nous a parlé d'un château à visiter. Il devait rentrer en urgence en Allemagne et nous a fait rire («Je ne vais pas partir sans payer, les Allemands ont suffisamment mauvaise réputation») et comme je m'étonnais de la gentillesse des gens du pays: «C'est parce qu'ils habitent en montagne. Ils n'ont jamais été envahis. Les Grecs étaient trop paresseux, ils se sont arrêtés dans les plaines. Les gens des plaines sont plus méfiants, c'est très difficile de faire parler les Calabrais. J'aimerais bien que Béatrice organise un colloque en Calabre, ça me permettrait d'étudier les gens sur place.» (Edgar est spécialiste des dialectes italiens, il étudie les variations et déformations du langage.)
Nous nous renseignons au cours du déjeuner: «Mais oui, Castel del Monte, c'est le un centime!»
Hein, quoi? J'imagine aussitôt un système de classification italien où nos étoiles au guide Michelin seraient remplacées par des centimes… Mais pourquoi UN centime pour un château à visiter absolument?
Renseignement pris, il s'agit du château sur la pièce de un centime italien.
Une route fantôme, que nous paraissons seuls à connaître, surplombée de ponts qui ne portent aucune route (A quoi peuvent-ils servir? Aux tracteurs? Hypothèse de H.: «Un type construisait des ponts, il a vendu des ponts, l'Union Européenne a payé.») Puis des oliviers à perte de vue, je n'ai jamais vu autant d'oliviers. Castel del Monte, du vent, la vue qui porte à des kilomètres, une architecture dépouillée, parfaite, si parfaite que certains doutent que le château ait jamais pu être habité tant il manque de commodités, tandis que d'autres imaginent des campements à la mode arabe au milieu des salles.
J'achète le seul livre en français sur Frédéric II, une minuscule biographie destinée aux enfants, qui commence par «Imaginez qu'en ce temps-là il n'y avait pas de télévision ni de Wii» (citation de mémoire, mais je suis très proche).
Je suis heureuse.
Désir de Kantorovicz, désir irrépressible de Kantorowicz.
H. veut voir l'Adriatique, nous passons à Trani, dont c'est la fête du saint patron.
Le soir, il y a concert dans le cadre du colloque. Nous arrivons en retard, le concert a commencé. Chants traditionnels, juifs pour la plupart mais pas uniquement, recueillis tout autour de la Méditerranée. Je ne suis pas capable d'apprécier les variations de mélodie et de rythme (je n'ai pas le souvenir de la musique, je ne sais pas discerner), mais les variations des paroles d'un pays à l'autre m'impressionnent et m'enchantent (en fait, ce qui m'impressionne, c'est le noyau dur, ce qui résiste dans les transformations). La chanteuse, fort peu sympathique au demeurant, est un monstre polyglotte qui parcourt les pays méditerranéens à la recherche des derniers témoins de civilisations orales en train de disparaître. Elle recueille les chansons et les note. Et les chante.