Pickpocket de Robert Bresson
Par Alice, mercredi 15 octobre 2008 à 23:52 :: 2008
Avant:
— Tu vas voir quoi?
— Pickpocket, de Robert Bresson.
— C'est bien? C'est quoi?
— Je ne sais pas. Un truc psychologique, je suppose.
— Aaah, un truc sanguinolant.
Après:
— Alors, qu'est-ce que tu en penses? Ça t'a plu?
— Euh...
(Et de parler pour dire un peu n'importe quoi de peur que mon silence fasse peur, alors que "aimer ou pas aimer" n'est pas vraiment la question).
Le film commence par un texte qui nous résume en quatre phrases l'histoire et la fin: c'est le rachat du pécheur, c'est Raskolnikoff, c'est le jeu du chat et de la souris, c'est l'amour d'une jeune fille.
Cela étant posé, il ne reste plus qu'à regarder comment nous allons parvenir à cette fin attendue. C'est un phénomène que j'ai déjà observé: connaître la fin d'un film ou d'un livre ne diminue en rien le suspense, mais déplace la curiosité du spectateur (ou du lecteur): il ne s'agit plus de savoir ce qui va arriver, mais comment cela va arriver, autrement dit, la curiosité devient attentive aux structures, aux mécanismes du développement du récit.
Ici, il n'y aura pas à proprement parler de progression vers la fin. L'histoire avance et se répète, Michel est pickpocket par volonté et ne souhaite pas changer. Images noires et blanches, presque des dessins ou des photographies, fixité des regard et agilité des mains, la caméra devient main, remplace les doigts, gros plans, tension. Paris 1959, les Parisiens, les Parisiennes, la mode, les voitures, un arrière-plan que le cinéaste n'imaginait sans doute pas devenir si précieux, témoignage d'une époque. Images géométriques, des rectangles, valises, tables, pieds de table, le lit, les portefeuilles, camaïeux de gris.
Il n'y a d'explications de rien, aucun lien entre les événements. Michel décide puis agit, il veut vouloir et prouve qu'il veut en agissant, alors que tout son aspect extérieur ne trahit que pusillanimité: il s'agit d'être courageux contre soi, de faire.
Ce n'est que lorsqu'il décidera de devenir honnête qu'il faillira, et ce n'est qu'alors qu'il sera arrêté: ce dernier vol ne répond plus aux mêmes motivations que les précédents, il n'est pas la transformation en acte d'une volonté, mais au contraire une soumission à la passion du vol, malgré l'avertissement de la raison (l'homme qu'il s'apprête à dépouiller lui montre ses gains gagnés à la course précédente. C'est étrange, se dit Michel, ce n'est pourtant pas le cheval gagnant qu'il avait joué).
Le triomphe final de l'amour, brutal, sans réelle progression, fait penser à l'abandon qu'un animal sauvage ferait de ses défenses, condescendant à être apprivoisé. C'est l'acceptation d'un lâcher prise, l'acceptation de sa propre vulnérabilité.
C'est un film étrange. Dostoïevski voulait peindre les mouvements de l'âme, Bresson a rendu compte du mystère de soi-même pour soi-même: la volonté de Michel et Michel paraissent deux entités différentes.