Nous sommes partis avec retard, j'allais dire bien entendu, nous sommes incapables de partir tôt.
J'avais rendez-vous à 18 heures à Zürich, à l'institut Joyce. Nous décidâmes de nous rendre directement à Zürich sans repasser par Bâle (ce qui avait été envisagé si nous étions partis plus tôt) et de ne pas prendre l'autoroute. Nous avons donc suivi et traversé le Rhin plusieurs fois, le Rhin fidèle compagnon au long de ce voyage (nous ne le savions pas encore, mais j'écris avec retard, je reprends la série des billets suisses à partir du 30 août).
J'ai beaucoup de mal à me faire à l'idée d'un fleuve qui coule vers le nord. Pour moi c'est contre nature; un fleuve coule vers l'ouest ou le sud.
Nous traversons la frontière avec un peu d'appréhension, je mets au point la tenue du parfait touriste qui passe la douane: une carte routière sur les genoux du passager avant, qui a ordre de l'étudier avec attention (à quel moment nous demandera-t-on si nous avons acheté quelque chose, et je répondrai: «des livres et des cartes postales»?).
Il est midi passé, nous roulons en Allemagne, je suis un peu perdue dans les limitations de vitesse donc je me cale derrière les voitures autochtones. 80 km/h apparemment. Une certaine tension règne, je crois que nous commençons à avoir faim. Dans l'axe de la route se dressent deux tours, deux clochers à bulbe dans le lointain, je décide de les rejoindre.
Et c'est ainsi qu'à cause de deux bulbes, nous avons découvert par hasard Bad Säckingen, son église au nom merveilleux (Saint Fridolin!) et son pont couvert, le plus long pont en bois couvert d'Europe.
Il fait beau, traversée du pont, dans un sens (retour en Suisse!), dans l'autre… Repas en terrasse, commande un peu à l'aveugle. Je mange un croque hawaïen, que je croyais une invention de ma tante (jambon, fromage et… tranche d'ananas). Je prends une bière locale, ce qui me confirme que je ne les aime pas. (Il me faudra plusieurs jours avant de penser à prendre du vin blanc, tout simplement).
Zürich, hôtel. Nous sommes fatigués, je suis stressée, rencontrer des Joyciens en ayant un niveau d'anglais aussi faible que le mien est vraiment impressionnant (je parle très mal: beaucoup de fautes avec un accent épouvantable (ou plutôt des accents: je dis tout de travers).
Six heures, j'ai rendez-vous à sept heures, je pars, anxieuse et le cœur en fête, comme si on m'avait un beau cadeau de Noël, un présent inespéré en m'acceptant avec tant de gentillesse et de simplicité à ce colloque de Joyciens chevronnés. La crème.
Je suis en avance mais la fondation est fermée, je m'installe sur une place proche et je lis (Joyce par Jean Paris), les cloches se déchainent, c'est dimanche, ça dure. Ce n'est que plus tard que je découvrirai que j'aurais pu entrer, que la porte s'ouvrait d'elle-même devant les arrivants.
Buffet, je me présente à mes voisins, nous nous serrons sur les tables de travail, je suis embarrassée car j'ai l'impression de prendre la place de certains qui sont debout.
Nous discutons, je baragouine, Joyce et Nabokov, «tu aimes les écrivains anglais difficiles, si je comprends bien», mais pour moi le plus difficile c'est Henry James, ne pas se souvenir des noms, ou ne pas associer les noms et les visages est vraiment un handicap, j'explique à mon voisin qui s'inquiète de FB que mes enfants jouent plutôt à WoW (mais comment ça se prononce? ouho?) De guerre lasse je prends une feuille, j'écris, World of Warcraft, shaman, healer... J'ai oublié le mot qui signifie "multiples joueurs en ligne".
Le nom de Daniel Ferrer est un sésame.
Fritz Senn me pose quelques questions, je ne sais si c'est par intérêt ou par politesse (quelle importance? Mais je suis incapable de ne pas me poser la question.) En apprenant que mon hôtel est près de "l'église italienne" (comprendre Liebfrauenkirche), il me dit: «Ah oui, Joyce a assisté à la messe du Vendredi Saint dans cette église», et je pense à Gv et HLG se promenant l'un sous la conduite de l'autre à Vienne ou à Prague (impossible de retrouver le billet).