Vincent Lambert
Par Alice, jeudi 23 mai 2019 à 23:12 :: 2019
Faut-il ou non cesser d'apporter des soins à un homme dans le coma depuis dix ans?
Son épouse dit oui, ses parents disent non; la justice consultée dit oui, puis non, etc, selon les instances consultées.
(Que dit l'I.A. ? Il paraît que les machines font des pronostics sur les chances de réveil à partir de la concaténation des cas déjà survenus. J'aurais tendance à avoir confiance dans ce genre d'analyse.)
Deux souvenirs.
Je pense avoir déjà parlé du premier. Quand j'ai commencé à travailler à la GMF en 1990, j'avais un collègue qui venait d'avoir un bébé mal formé. Cela n'avait pas été détecté à l'échographie, cela n'avait pas été détecté à la naissance. Mais le bébé ne grossissait pas on avait fini par diagnostiquer qu'il n'avait pas d'œsophage ainsi qu'un cerveau atrophié.
Comme on ne s'en était pas aperçu tout de suite et puisque le bébé ne grossissait pas, à la première hospitalisation il a été nourri par une sonde, ce qui compensait le problème de l'œsophage — dont on ne savait pas encore qu'il manquait ou était insuffisant.
Souvenir de lecture : mon grand-père était abonné au Reader's digest. A l'américaine, cette revue aime beaucoup les récits de persévérance et réussite dans l'adversité. Je me souviens du récit de trois naufragés dans le Pacifique. La surface du radeau ne permettait d'accueillir que deux hommes, donc l'un des trois restait dans l'eau et ils se relayaient régulièrement.
Cela a duré des jours. Je ne sais plus combien de temps mais c'était impressionnant, bien plus qu'il ne paraissait possible. Et lorsqu'on leur avait demandé comment ils avaient tenu, ils avaient répondu: «Une fois que nous avions commencé, nous ne pouvions plus abandonner. Nous ne pouvions pas laisser mourir celui qui était dans l'eau.»
C'est toujours à cela que je pense lors de ces dilemmes. J'avais posé la question à Pascal quand il m'avait dit que le bébé était condamné: «Mais vous ne voulez pas le débrancher?» (il était possible d'en discuter car il était dévasté mais rationnel, il en parlait). Il m'avait répondu: «Comment veux-tu faire? Ce serait le laisser mourir de faim, on ne peut pas faire ça.»
Et non, on ne pouvait pas. La famille vivait le drame, l'équipe hospitalière avait interdit à la mère de voir son bébé car cela la bouleversait et elle devait conserver des forces pour s'occuper de ses deux autres jeunes fils. Le bébé a mis huit mois à mourir.
Je pense aux naufragés : une fois qu'on a commencé, comment arrêter? Débrancher quelqu'un qui respire artificiellement et donc cesse de respirer quasi instantanément, oui, mais condamner quelqu'un à mourir de faim ou de soif?
Son épouse dit oui, ses parents disent non; la justice consultée dit oui, puis non, etc, selon les instances consultées.
(Que dit l'I.A. ? Il paraît que les machines font des pronostics sur les chances de réveil à partir de la concaténation des cas déjà survenus. J'aurais tendance à avoir confiance dans ce genre d'analyse.)
Deux souvenirs.
Je pense avoir déjà parlé du premier. Quand j'ai commencé à travailler à la GMF en 1990, j'avais un collègue qui venait d'avoir un bébé mal formé. Cela n'avait pas été détecté à l'échographie, cela n'avait pas été détecté à la naissance. Mais le bébé ne grossissait pas on avait fini par diagnostiquer qu'il n'avait pas d'œsophage ainsi qu'un cerveau atrophié.
Comme on ne s'en était pas aperçu tout de suite et puisque le bébé ne grossissait pas, à la première hospitalisation il a été nourri par une sonde, ce qui compensait le problème de l'œsophage — dont on ne savait pas encore qu'il manquait ou était insuffisant.
Souvenir de lecture : mon grand-père était abonné au Reader's digest. A l'américaine, cette revue aime beaucoup les récits de persévérance et réussite dans l'adversité. Je me souviens du récit de trois naufragés dans le Pacifique. La surface du radeau ne permettait d'accueillir que deux hommes, donc l'un des trois restait dans l'eau et ils se relayaient régulièrement.
Cela a duré des jours. Je ne sais plus combien de temps mais c'était impressionnant, bien plus qu'il ne paraissait possible. Et lorsqu'on leur avait demandé comment ils avaient tenu, ils avaient répondu: «Une fois que nous avions commencé, nous ne pouvions plus abandonner. Nous ne pouvions pas laisser mourir celui qui était dans l'eau.»
C'est toujours à cela que je pense lors de ces dilemmes. J'avais posé la question à Pascal quand il m'avait dit que le bébé était condamné: «Mais vous ne voulez pas le débrancher?» (il était possible d'en discuter car il était dévasté mais rationnel, il en parlait). Il m'avait répondu: «Comment veux-tu faire? Ce serait le laisser mourir de faim, on ne peut pas faire ça.»
Et non, on ne pouvait pas. La famille vivait le drame, l'équipe hospitalière avait interdit à la mère de voir son bébé car cela la bouleversait et elle devait conserver des forces pour s'occuper de ses deux autres jeunes fils. Le bébé a mis huit mois à mourir.
Je pense aux naufragés : une fois qu'on a commencé, comment arrêter? Débrancher quelqu'un qui respire artificiellement et donc cesse de respirer quasi instantanément, oui, mais condamner quelqu'un à mourir de faim ou de soif?