Souvenirs de Lévi-Strauss
Par Alice, mercredi 4 novembre 2009 à 17:15 :: 2009
Août 1985 - Je composte des chèques dans une agence du Crédit Lyonnais. A midi, je lis Race et Histoire et Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes en dépensant mon ticket restaurant dans un café tranquille qui diffuse Rue barbare de Bernard Lavilliers. Thé et croque-monsieur.
Ces deux livres sont au programme de culture générale d'un concours que je dois passer en septembre.
Décembre 1988 - Covoiturage entre Paris et Lyon pour assister au mariage de mon meilleur ami, ce qui n'était pas encore un cliché.
Discussion dans la voiture avec un ami de P., ami légèrement dédaigneux, légèrement supérieur :
— Tu as lu Race et Histoire ?
— Oui.
— Tu te souviens de sa conclusion ?
Comme il me prend de haut et que je fais un complexe d'infériorité, je panique un peu:
— Euh... Que l'évolution dépend de nos différences, de la différences entre les groupes et de leur façon d'interagir et de s'enrichir mutuellement ?
— Il dit surtout que certaines races sont plus cumulatives que d'autres, savent mieux acquérir, conserver et accumuler du savoir et de la technologie.
Il avait l'air très sûr de lui. Quatre ans après ma lecture je n'étais pas si sûre de moi. Mais il ne me semblait pas avoir lu ça, non, il ne me semblait pas avoir vu une telle interprétation, visant peu ou prou à organiser une hiérarchie des races (si tant est est que ce mot ait un sens: des cultures, des couleurs, des ethnies).
Je me souvenais surtout de la crainte de l'homogénéisation et de l'homogénéité: si tout devenait pareil, homogène, il n'y aurait plus de progrès possible.
Quand le mot "mondialisation" est devenu à la mode, employé à tort à travers, c'est à Lévi-Strauss que j'ai pensé.
Après quelques années sur internet, je ne suis plus inquiète: tout tend à prouver que des groupes se reconstituent toujours. Les critères ont changé, il ne s'agit plus de nationalité ou d'ethnie, mais de langues, d'affinités, de goûts ou de sujets d'intérêt communs ne tenant aucun compte des frontières. Il existe toujours des groupes, des différences, des échanges, et ces différences ne constituent pas forcément des hiérarchies. Une chose est sûre: ce n'est pas homogène.