Billets qui ont 'Mauriac, François' comme nom propre.

Malagar 2 - les visites

Hier nous étions allés jusqu'au salon inondé de lumière, aujourd'hui après le déjeuner jusqu'à la deuxième pièce — la pièce où écrivait François Mauriac — (l'organisateur est venu nous y chercher, il fallait respecter les horaires), ce soir enfin jusqu'au bureau, dernière pièce du rez-de-chaussée.

Les pièces sont emplies de souvenirs et sont le cadre de scènes des romans de François Mauriac que la guide avertie nous cite au passage. Nous la soumettons à un supplice d'un nouveau genre, car à chaque nouvelle (tentative de) visite, certains d'entre nous s'ajoutent aux personnes présentes la fois précédente: elle est donc obligée de recommencer à chaque fois ses explications (que j'aurais donc entendues trois fois en ce qui concerne la cuisine (Le Sagouin est une histoire vraie racontée à François Mauriac par son instituteur) et la salle à manger («Je me tais, je me terre» disait François Mauriac en parlant de Malagar), qui perdent de ce fait toute la fraîcheur de la nouveauté. Mais notre guide conserve son calme, sa distinction et sa gentillesse.

Par exception, nous avons visité également les chambres de l'étage : la chambre de bonne maman appelée chambre de Gide, la vaste chambre de François et Jeanne, et sous les toits, le pigonnier de Claude ouvert sur trois côtés dans le soleil déclinant. (Et notre guide s'assoit sur le lit pour parler, épuisée.)

Le soir dîner à St Macaire (non sans avoir d'une part pris la messe en route (ces portes ouvertes, ça m'intrigue, est-ce vraiment une conséquence d'Evangelii Gaudium?), d'autre part acheté des oignons sauvages à deux jeunes garçons.)
Un tract antisémite écrit au feutre en lettres capitales m'attendait sur ma voiture. Parce qu'elle est allemande? (étrange, étrange).

Les Cathédrales à Rouen

RER de 7h23, train de 8h50. Tout le charme de l'excursion est dans la conversation à bâtons rompus dont il est difficile de se souvenir.
Café, cigarettes, donjon où fut prisonnière Jeanne d'Arc.

Exposition sur le mythe des cathédrales (très belle affiche).
Test de ce que j'ai retenu, en vrac (c'est un bon test, le problème étant que plus je me souviens, plus je me souviens (je veux dire qu'au début j'ai l'impression de me souvenir de rien, puis tout revient en tirant le fil)):

- le couronnement de Charles X, les cathédrales pavoisées lors des victoires, des sacres, la bénédictions des drapeaux: «Louis XVIII n'a jamais été couronné. — C'est vrai? — Oui, de toute façon, vu sa corpulence, cela aurait été difficile, il faut s'allonger… — Ah tiens, ça va me faire un moyen mémotechnique pour ne plus confondre Charles X et Louis XVIII, le grand maigre et le petit gros… — Ça n'a pas empêché Louis XVIII de se faire faire un costume de sacre.»

- l'extraordinaire succès de Notre Dame de Paris publié en 1931 par Victor Hugo à 29 ans: «Je ne m'étais pas rendue compte qu'il avait mis les cathédrales à la mode. — Il ne les a pas mises à la mode, elles étaient déjà à la mode. Tu as vu tous les produits dérivés à la suite du livre? — Mais ce n'est pas ça, lancer une mode, je veux dire ce n'est pas provoquer des produits dérivés?»

- les dessins de Victor Hugo. Quelle force, de loin on voit tout de suite que c'est bon, on est tout surpris de découvrir qu'il s'agit de Victor Hugo en s'approchant: il était vraiment bon.

- de Staël: «J'aime beaucoup de Staël. Il y a une exposition au Havre, je vais y aller — seul s'il le faut.»

- l'incendie de la cathédrale de Reims en 1914 et son utilisation par la propagande.

- les premières photos de cathédrales — de très belles photos.

- la construction de la flèche de Notre-Dame de Paris au XIXe siècle, l'achèvement de la cathédrale de Cologne.

- la phrase «Les cathédrales ont pris la place des ruines antiques dans les tableaux.»

Nous déjeunons en terrasse d'une andouillette à la mémoire de Foucault. Visite des collections permanentes l'après-midi. C'est immense. Caravage, Véronèse («à La Palisse, ils ont un Véronèse hideux. Il ferait mieux de le vendre pour refaire le toit de la chapelle.»), nous repérons deux portraits de RC, LE David d'Angers (pensée pour Aline) (dieu que cette salle est froide), les Emile Blanche ont disparu («la dernière fois nous avons demandé aux gardiens où ils se trouvaient, ils ont téléphoné partout, personne ne le savait»). Je suis surprise par le nombre de peintres femmes exposées, avec à chaque fois la même explication sur le cartouche: elles n'avaient pas droit de suivre des cours avec les hommes; le portrait et les natures mortes leur étaient réservées car elles ne pouvaient faire des études de nus.
Achat de quelques cartes postales, détour par le Palais de Justice (Laurent connaît admirablement la ville), rafraîchissements en terrasse (un lait orgeat en mémoire de Claude et François Mauriac), pas de gâteau somptueux à photographier. Partage des vaches pour timbrer les cartes postales.

Nous rentrons, paysages de la Seine, nous attendons Zola («à l'époque, ils s'installaient à deux pas de la gare, nous ne ferions plus ça») et ratons Marly à cause d'un malencontreux train en sens inverse qui nous bouche la vue. Conversations, Patrick demande à la contrôleuse (une photographe, la chance!) de nous photographier tous les trois. Nous aurons peut-être la photo un jour, quand il aura changé d'ordinateur. Quoi qu'il en soit, nous nous souviendrons.

Thérèse Desqueyroux et le Zéro et l'Infini

Métro ligne 1 vers 18h30. J'étais debout contre le strapontin, tournée vers les sièges. Il s'est trouvé deux lecteurs, un debout à gauche, une assise à droite.


Thérèse Desqueyroux:




Le Zéro et l'Infini :

Décrire le monde

Hier, attendant un livre, je musais dans le sous-sol de la bibliothèque de Sciences-Po: tous les grands classiques de la philosophie politique et de l'économie, en accès direct, consultables sur place, quatre ou cinq rangées d'étagères remplies de livres tranches contre tranches (étagères perpendiculaires au mur, livres sur deux épaisseurs). Un moment j'ai été tenté d'évaluer combien de jours représenterait leur lecture intégrale, mais le vertige m'a pris, frustration et fatigue confondues, j'ai préféré abandonner.

Ricardo ou Pareto? Je voulais lire l'un des deux, mais je ne sais plus lequel (plutôt Pareto, je pense, car en regardant leurs biographies, il me semble avoir lu Ricardo il y a bien longtemps, en même temps qu'Adam Schmidt). J'aime cette écriture. C'est si simple au début. Cela ressemble à la physique: c'est si simple au début. On a l'impression qu'on va tout comprendre. Arrivé à Schumpeter et Samuelson, le découragement gagne (mais avec la théorie des jeux appliquée à l'économie, qui modélise l'illogisme du comportement humain à partir d'enquêtes et d'études statistiques, l'intérêt renaît (la "rationalité" économique est vraiment une hypothèse aberrante, je ne comprends pas qu'elle ait pu être utilisée si longtemps en étant si manifestement inadaptée)).

Je m'égare. «Ce que je voulais dire, c'est que» je suis tombée en arrêt devant la production de Raymond Aron. Combien de mètres d'étagère, deux, trois? Même en comptant les volumes en double, c'est énorme. J'ai ouvert les tomes reprenant les articles parus dans le Figaro. Papier bible, trois tomes, "huit cent cinquante six articles", me dit Amazon.
J'ai pensé à François Mauriac. Où sont passés les "plumes" de la presse? Y en a-t-il encore, que je ne saurais reconnaître? Les seules chroniques à la fois sérieuses et personnelles seraient-elles toutes désormais des billets de blogs? Mais peut-on comparer cela au prestige, au savoir, à la connaissance d'un agrégé de philosophie trempé par la guerre ou d'un prix Nobel de littérature? (Je sais, les titres ne sont pas un vaccin contre la bêtise. Mais tout de même…)

Souvenir

Je me retrouverai dans cette ténèbre lactée d'un soir de lune, tel que je suis toujours en ces heures-là, attentif au ruissellement de la Hure, à cette calme nuit murmurante, pareille à toutes les nuits, à cette même clarté qui baignera la pierre sous laquelle le corps que je fus finira de pourrir. Ce temps qui coule comme la Hure et la Hure est là toujours et sera là encore et continuera de couler... Et c'est à hurler d'horreur. Comment font les autres? Ils n'ont pas l'air de savoir…

François Mauriac cité par Claude Mauriac, Les Espaces imaginaires, p.495
En lisant ses lignes, je retrouvais exactement la sensation de certaines conversations avec Paul.

Il est enterré à Sèvres, je l'ai appris en allant poser la question à Saint-Sulpice en février. Il a été enterré très vite, le 16 avril.
Le 17, je passais au pied de son immeuble, ignorante.
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