Petit déjeuner. Machinalement je fredonne: «Ce petit chemin, qui sent la noisette,...».
O., dix ans, et C., seize ans, relèvent brutalement la tête et me regardent avec ahurissement:
— Comment tu connais ça, toi?

Je les regarde interloquée mais déjà en train de rire intérieurement, comme à chaque fois que ces jeunots découvrent qu'une chose qu'ils pensaient leur être réservée (qu'il étaient seuls à connaître et pouvoir comprendre) fait partie du patrimoine commun depuis des générations.
H. entre à ce moment-là dans la cuisine.
— Dis-moi, «Ce petit chemin, qui sent la noisette,...», c'est de qui?
— Maurice Chevalier, non?

Je me tourne vers mes lascars: — Et pour vous, c'est quoi?
— C'est la chanson d'un nain barde qui se promène dans un RPG.
H. intervient, incrédule:
— Un quoi?
— RPG, un "role playing game".
— Tu sais ce que c'est, un RPG 7?
— Euh... Un bazooka?


Oscar Wilde pensait que la réalité copiait l'art, Proust a écrit que nous ne voyions plus le même ciel depuis les impressionnistes. Depuis que je vois un peu plus de tableaux et d'expositions, il me vient à l'idée, en regardant les couloirs du métro et en écoutant les conversations, que la constatation continue de s'appliquer: la vie continue de copier l'art, mais nous sommes passés au pop-art, au ready-made, au collage, aux nouveaux réalistes, que sais-je encore.