Par Alice,
jeudi 23 avril 2020 à 11:51 :: Phrases
Note : c'était durant le premier confinement, quand tout le monde ne parlait QUE covid.
D., tu as embelli ma journée :
Mail : «Le pire c’est la sortie du Tome III en Pléiade de Nabokov qui est reportée du 16 avril au 9 juillet, c’est vraiment jouer avec les nerfs des lecteurs après 11 ans d'attente.»
Par Alice,
jeudi 14 juillet 2011 à 09:29 :: Lecteurs en transit
La photographie du jour est dédiée à Dominique, qui m'a envoyé une page du
Nouvel Obs circa 1999 donnant toutes les indications pour s'habiller en Nabokov chasseur de papillons.
Ce jeune homme lisait à trente ou quarante centimètres de moi, debout dans le RER A (la photo est prise de trop près).
J'ai eu du mal à identifier le livre, son index s'étant déplacé sur le titre au mauvais moment (
Roi, dame, valet, ai-je fini par déchiffer en haut de la page 176. Le volume avait été débarrassé de sa couverture protectrice en plastique).
Pour la peine je crée une nouvelle catégorie.
(Plus tard, dans le RER D, l'homme à ma droite commençait
La Dame de Montsoreau en folio (j'ai eu du mal à identifier le livre car il lisait la préface). Je me suis dit que cela ferait trop de photos pour une journée (et puis j'étais mal placée)).
Par Alice,
dimanche 5 décembre 2010 à 16:28 :: 2010
Il faut savoir que je n'ai pas d'autre moyen de le joindre entre deux séances de l'Oulipo.
Le blog de l'éditeur singulier et une liste des Lolitas. Il faudra que je pointe par rapport à la liste que tu m'as donnée. (Il y a aussi un site).
Par Alice,
jeudi 1 juillet 2010 à 21:33 :: 2010
Complément suite à un commentaire reçu par mail.
Il y a une auditrice, aussi. Jeune, intelligente. Blonde, forte poitrine. Je me dis que ce ne doit pas être facile tous les jours (de faire comprendre qu'on est pas une potiche). Elle n'a pas l'air d'en souffrir. Peut-être que je date.
Elle mâche du chewin-gum (très discrètement).
Elle s'appelle Annabelle, je complète "Annabelle Lee" sans même y songer, et ma pensée dérive vers Poe et Lolita. Je me demande si elle connaît. Je ne sais pas si j'oserai lui poser la question à la fin de sa mission.
Par Alice,
vendredi 11 décembre 2009 à 17:25 :: 2009
Machine à café, toujours. D'où la conversation est-elle partie? De Liliane Bettancourt et du milliard d'euros... Cash ou œuvres d'art? Garder les tableaux ou les revendre? Et cela dériva un peu, jusqu'à ce que je pense aux récentes ventes des robes d'Audrey Hepburn ou du manuscrit de Laura.
Hélas, je commençai à parler de cette seconde:
— Dans un autre genre, vous avez vu que... ma voix s'éteint, je viens de réaliser que je m'apprête à parler de Nabokov à la machine à café... Euh non, ce n'est pas très intéressant... C'est nul de s'arrêter. C'est encore pire, condescendant, un peu. Mais parler de ce qu'on aime à qui ne l'aime pas, à quoi bon. Je me maudis. La jeune consultante en face de moi me regarde, interrogative, en attente. Et si...? Allons, on ne sait jamais, tentons.
— Le manuscrit de Nabokov a été mis en vente, vous savez, son livre posthume qu'on vient de publier, Laura? Je m'entends dire ces mots, c'est n'importe quoi, quel pourcentage de chances de trouver au hasard des gens intéressés par Laura autour de la machine à café?
A ma surprise, ma joie et mon soulagement, le visage de mon interlocutrice s'anime; miracle, non seulement elle connaît, mais cela paraît l'intéresser:
— Ah Nabokov... Dire qu'on vend son manuscrit une fortune alors que Roman Polanski attend encore en prison!
Ma mâchoire pend. Court-circuit encéphalique.
— Euh... Tellement surprise que je ne réponds pas comme j'aurais pu répondre, et heureusement. Tellement surprise de tant de confusion dans les concepts et les faits que je réponds très doucement, très lentement:
— Mais enfin, ça n'a rien à voir! Nabokov, c'est un livre! Supposant bien sûr qu'elle parle de Lolita. Dans le même temps je songe au livre de Tlön.
— Oui, enfin bon, si, il a fait des choses, il suffit de lire sa biographie.
Tant d'assurance... Jamais entendu parler de ça, mais plutôt de l'inverse, Nabokov affirmant la fiction, reconnaissant cependant avoir pris sur ses genoux des amies de sa fille pour mieux décrire les impressions de Humbert... (Où ai-je lu ça? Dans The annotated Lolita? Je ne sais plus.) Je me trompe? Ou se pourrait-il qu'elle confonde avec les nouvelles de Nabokov, dans lesquelles il parle souvent d'amours enfantines? Elle aurait lu les nouvelles de Nabokov (ce qui suppose un vrai intérêt) et me sortirait de telles énormités (ce qui suppose une ignorance certaine)? Restons à quelques données factuelles:
— Oui enfin, lui il est mort, et personne n'a jamais porté plainte, que je sache.
— Oui...
Nous passons à autre chose.
Complément
Pas réussi à le vendre! Yesss! Bien fait pour Dmitri (je dois avouer que cette vente me choquait: non seulement le livre est publié contre la volonté de son père, mais le manuscrit est vendu tandis que l'encre des premiers exemplaires n'est pas sèche...)
Par Alice,
mardi 8 décembre 2009 à 10:57 :: 2009
En lisant Nabokov, je viens de réaliser que "tag" veut dire étiquette («peering at the price tags, as wishing to learn their museum names.» Spring in Fialta). Et je pense aux philactères des statues de Chartres. Peut-on dire qu'elles sont taguées?
Et puis je me souviens que philactère a déjà été récupéré par la BD.
Par Alice,
vendredi 4 septembre 2009 à 23:07 :: 2009
En sortant du bureau, je fais un détour pour passer 17 rue Monsieur Le Prince, où abebooks m'a dit que je trouverai la correspondance Wilson-Nabokov. La librairie est juste en haut des escaliers en face de la rue de l'école de médecine. Je ne l'avais jamais vue.
Dan mon sac:
- Hannah Arendt, Vies politiques (pour copier une citation au bureau, eh oui) ;
- Barthes, S/Z, que je laisse normalement à la maison mais que j'ai pris ce matin parce que j'avais oublié mon "livre de RER" au bureau la veille ;
- Correspondances à trois voix, Gide-Louÿs-Valéry, mon livre de RER.
Par Alice,
jeudi 2 octobre 2008 à 18:01 :: Revue de presse
Je l'achète de temps en temps, ou Gala, pour les photos et pour les articles toujours bienveillants, voire guimauve (ici se tient mon espace réservé de guimauve).
Paul Newman en couverture, j'achète donc Point de vue.
A noter :
- Une photo étonnante réunissant Carla Bruni, la reine de Jordanie et l'épouse de Rupert Murdoch : trois femmes, trois continents, trois cultures (hum, où à grandi la femme de Murdoch? en tout cas, elle est asiatique), une identité de looks et de sourires.
- le mariage de Julien Dassault : Proust cent ans plus tard.
- Penélope Cruz me rappelle Marie Gillain.
- Cinq pages d'interview de Dmitri Nabokov avec photos : «Le manuscrit forme un ensemble de 138 fiches de bristol, écrites au crayon — mon père utilisait un crayon n°2, assez fin, qui lui permettait de biffer son texte. Ces cartes sont numérotées, et un bon tiers est assemblées dans un ordre définitif. Le reste est un ensemble d'esquisses, de fragments, de disgressions qu'il est possible d'interpréter de plusieurs manières. Mon idée est de présenter la partie achevée de l'œuvre sous forme d'un livre, et le reste en fac-similé, que le lecteur pourra arranger à sa fantaisie. Il pourra battre les cartes à sa façon, se faire lui-même son petit Nabokov.»
- En marge de l'exposition Mantegna au Louvre, la galerie G. Sarti présente 27 œuvres peintes entre 1325 et 1510 dans le nord de l'Italie. 137 rue du faubourg Saint-Honoré jusqu'au 15 novembre.
- Le 4 octobre, la maison Tajan vend des arbres de collection. (Mais qu'est-ce que ça veut dire?)
- Dans le cadre de la succession du comte et de la comtesse de Paris, des objets ayant appartenu aux Orléans (dont des souvenirs de Louis XVII et de sa sœur (je trouve cela lamentable de devoir se séparer de souvenirs de famille pour des raisons fiscales)) seront dispersés chez Christies le 14 octobre.
Visite privée chez Christie's, à Paris: les 10, 11 et 13 octobre à 9 heures, et le 12 octobre à 14 heures, en compagnie de Vincent Meylan. Réservation impérative au 01 40 76 83 70 les 2 et 3 octobre et sur présentation de ce numéro de Point de vue.
Donc si vous êtes intéressés, téléphonez d'abord, achetez le journal après!
Par Alice,
vendredi 29 février 2008 à 21:51 :: 2008
dimanche 24 février
Matinée dans les casseroles en écoutant Edwards (je crois, à vérifier (quand trouver le temps de mettre de l'ordre dans mon iTunes?)) sur le Graal. Non, peut-être pas Edwards, car avant j'en ai écouté un autre dont l'intitulé du cours était "En écoutant la littérature": lequel des deux était Edwards? Intéressante remarque sur Racine monté à Chicago en prose voire en slang, dans un hôpital, avec Phèdre nue buvant du coca (je mélange un peu tout, mais c'est le principe, il n'y a qu'à aller chercher dans les podcasts): qu'est-ce qui résiste dans le texte à toute manipulation? Pourquoi cela suscite-t-il toujours autant d'enthousiasme, pourquoi Shakespeare plaît-il autant en Afrique, par exemple?
J'ai pensé à cette réflexion de Nabokov dans Feu pâle: «Je voudrais que vous vous émerveilliez non seulement de ce que vous lisez, mais du miracle que cela soit lisible». (commentaire du v.991).
Tout serait à commenter tandis que je repense à ces cours. Je m'aperçois que les podcasts n'ont plus l'air en ligne. Je ne peux tout de même pas les retranscrire…
Mes parents et mes nièces à déjeuner. Nous ne nous sommes pas disputés. Les Anouilh en pléiade pour mon anniversaire. Gallimard se met au marketing même pour sa collection la plus prestigieuse. (Je me souviens de Borges: «La Pléiade, c'est mieux que le prix Nobel, non?») J'ai lu tant d'Anouilh chez Pascale. Les deux tiers, apparemment. Je ne me souviens pas de grand chose. Le début autobiographique des Poissons rouges (les livres dans le sac à dos durant la débâcle (je crois. A vérifier, toujours. S'il ne fallait écrire que des choses avérées… Ces notes seront de vraies notes, c'est-à -dire non vérifiées.))
Encore un CV à présenter de deux façons différentes. Dieu que je n'ai pas envie de le faire. Demain, on verra demain. Je me remets à Proust.
mardi 26 février
Une vraie journée comme je les aime. Déjeuner avec T. Histoire de trésor. Raconter des histoires, les mecs ne sauront jamais tout ce qu'ils ont à gagner à raconter des histoires (enfin, T. semble le savoir!). Karen Blixen sur des coussins, en train de raconter à Redford dans Out of Africa: «dans une rue de Hong-Kong habitait une jeune fille…» Cette fatalité de toujours finir par parler de cul, parce que finalement, c'est la seule chose qui compte, le cœur du monde, la seule chose qu'on aimerait comprendre et dont on ne peut jamais vraiment parler à /avec un tiers, parce qu'on met toujours en cause plus que soi.
Après-midi Compagnon, 19h40 entretien d'embauche, c'est loin Boulogne, je n'irai pas à Boulogne, que c'est loin, la jeune fille est jolie, et jeune, et j'ai si peu de choses à dire, et toujours au bord de raconter des histoires, encore, parce que c'est la trame des vies.
Je déplace le rendez-vous avec R., Beaubourg plutôt que Convention, il est trop tard et c'est trop excentré, je n'arriverai jamais à avoir mon train ensuite. R. est très en retard, perdu, je lis Vile bodies pratiquement dans le noir, j'ai cassé mes lunettes, ou plutôt mes lunettes se sont cassées. Je mange un fromage blanc aux amandes. Il me reste 27 centimes.
R. arrive, que dit-on à quelqu'un qu'on n'a vu qu'un soir, le temps d'un rire et un peu plus, il y a plus de deux ans? Pas de nouvelles depuis, et puis un mail lundi soir: «Tiens, il n'est plus avec sa copine, il tente sa chance», ai-je pensé. Curieuse. Mais bon ça va, intéressant, gentil, belle voix, et pas à cran comme je le craignais. — J'ai pris vingt-cinq kilos. — Moi quatre. Rires. Coup d'œil. Ça ne se voit pas, tu as l'air en forme. Et toujours cette oscillation des hommes, qui aimeraient les femmes plus libres, sauf leur copine, ou leur femme… Que dire? Et une autre histoire de grand-père. «— Ça tu ne le racontes pas. — J'ai une autre contrainte, mon fils me lit.» Nous rions.
Gare de Lyon après le dernier train, l'arrêt de bus a changé de place, le temps que je le trouve, le bus de 1h00 est parti, il faut attendre celui de 1h30, heureusement il ne fait pas froid. J'ai sommeil, je rentre à 2h22.
mercredi 27 février
Je fais remplacer mes lunettes. Demain je dois revoir R. Acheté deux cadeaux sur trois pour le Noël (! je sais, je sais) des garçons S. Mal au pied. Je lis Asking for the Moon. La dame qui me fait le paquet cadeau aux Galeries Lafayettes, sous ses airs de dragon, est attentive et prévenante: «C'est pour un garçon ou une fille? — Un garçon. — C'est pour savoir si je mets beaucoup de ruban, les garçons font parfois une allergie au ruban.» Ah.
vendredi (ce soir)
Que faire de ce post (écrit au fur à mesure des dates)? Le redécouper, le redistribuer selon les jours? Finalement je n'aime pas beaucoup pour moi-même la forme de journal anté-chronologique. C'est sans doute pour cela que je ne peux/pourrais pas faire d'un blog un journal. Un journal, je l'écris de haut en bas, pas de bas en haut, il me faut de l'épaisseur. Je ne flotte pas sur le temps, je me laisse couler.
Revu R. hier soir. Longue errance derrière Montparnasse à la recherche de ruelles, il n'y en a plus beaucoup, Vaugirard, Cherche-Midi, Falguière, par hasard l'impasse où Brassens composa ses premières chansons, nous vivons un Paris imaginaire et égrainons les noms, San-Antonio, Maigret, Léo Malet, le travail de R. sur le Poulpe, l'extrême-gauche, l'extrême-droite, nous mélangeons les époques, que c'est facile de parler avec quelqu'un qu'on ne connaît pas si l'on dispose d'un socle suffisant de lectures communes, Reiser, comment faire de la caricature aujourd'hui, était-il plus facile de se moquer sous Pompidou qu'aujourd'hui sous Sarko, le SM, Marie L., nous dérivons, «Camus m'aura vraiment fait faire n'importe quoi…? T'es gonflé!», nous avons trop marché et R. fume trop, je suis impressionnée, il y avait longtemps que je n'avais pas vu quelqu'un fumer autant.
Je suis en vacances ce soir, tant mieux, je ne supporte plus de devoir m'habiller pour aller travailler, je ne supporte plus d'être en représentation permanente, je ne supporte plus le théâtre, j'ai envie de rire.
Je me souviens du 29 février précédent.
Par Alice,
mercredi 25 octobre 2006 à 18:54 :: 2006
I unlocked the medecine chest in the second bathroom, and out fluttered a message advising me that the slit for discarded safety blades was too full for use. I opened the icebox, and it warned me with a bark that 'no national specialities with odors hard to rid of' should be placed therein. I pulled out the middle drawer of the desk in the study ? and discoverd a catalogue raisonné of its meager contents which included an assortment of ashtrays, a damask paperknife (described as 'one ancient dagger brought by Mrs Goldsworth's father from the Orient'), and an old but unused pocket diary optimistically maturing there until its calendric correspondencies came round again. Among various detailed notices affixed to a special board in the pantry, such as plumbing instructions, dissertations on electricity, discourses on cactuses and so forth, I found the diet of the black cat that came with the house :
Mon, Wed, Fri : Liver
Tue,Thu,Sat: Fish
Sun: Ground meat
(All it got from me was milk and sardines; it was a likeable little creature but after a while its movements began to grate on my nerves and I farmed it out to Mrs Finley, the cleaning woman.) But perhaps the funniest note concemed the manipulations of the window curtains which had to be drawn in different ways at different hours to prevent the sun from getting at the upholstery. A description of the position of the sun, daily and seasonal, was given for the several windows, and if I had heeded all this I would have been kept as busy as a participant in a regatta. A footnote, however, generously suggested that instead of manning the curtains, I might prefer to stift and reshift out of sun range the more precious pieces of furniture (two embroidered armchairs and a heavy 'royal console') but should do it carefully lest I scratch the wall moldings. I cannot, alas, reproduce the meticulous schedule of these transposals but seem to recall that I was supposed to castle the long way before going to bed and the short way first thing in the morning. My dear Shade roared with laughter when I led him on a tour of inspection and had him find some of those bunny eggs for himself.
Vladimir Nabokov, Pale Fire, commentaire des v.47-48
Ce fut Aureliano qui conçut la formule grâce à laquelle ils allaient se défendre pendant des mois contre les pertes de mémoire. Il la découvrit par hasard. Expert en insomnie puisqu'il avait été l'un des premiers atteints, il avait appris à la perfection l'art de l'orfèvrerie. Un jour en cherchant la petite enclume qui lui servait à laminer les métaux, il ne se souvint plus de son nom. Son père le lui dit : «C'est un tas.» Aureliano écrivit le nom sur un morceau de papier qu'il colla à la base de la petite enclume : tas. Ainsi fut-il sûr de ne pas l'oublier à l'avenir. Il ne lui vint pas à l'idée que ce fût là un premier symptôme d'amnésie, parce que l'objet en question avait un nom facile à oublier. Pourtant, quelques jours plus tard, il s'aperçut qu'il éprouvait de la difficulté à se rappeler presque tous les objets du laboratoire. Alors il nota sur chacun d'eux leur nom respectif, de sorte qu'il lui suffirait de lire l'inscription pour pouvoir les identifier. Quand son père lui fit part de son inquiétude parce qu'il avait oublié jusqu'aux événements les plus marquants de son enfance, Aureliano lui expliqua sa méthode et José Arcadio Buendia la mit en pratique dans toute la maisonnée, et l'imposa plus tard à l'ensemble du village. Avec un badigeon trempé dans l'encre, il marqua chaque chose à son nom : table, chaise, horloge, porte, mur, lit, casserole. Il se rendit dans l'enclos et marqua les animaux comme les plantes : vache, bouc, cochon, poule, manioc, malanga, bananier. Peu à peu, étudiant les infinies ressources de l'oubli, il se rendit compte que le jour pourrait bien arriver où l'on reconnaîtrait chaque chose grâce à son inscription, mais où l'on ne se souviendrait plus de son usage. Il se fit alors plus explicite. L'écriteau qu'il suspendit au garrot de la vache fut un modèle de la manière dont les gens de Macondo entendaient lutter contre l'oubli : Voici la vache, il faut la traire tous les matins pour qu'elle produise du lait et le lait, il faut le faire bouillir pour le mélanger avec du café et obtenir du café au lait. Ainsi continuèrent-ils à vivre dans une réalité fuyante, momentanément retenue captive par les mots, mais qui ne manquerait pas de leur échapper sans retour dès qu'ils oublieraient le sens même de l'écriture.
Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude, p.56 éd Points Seuil
Peu avant sa mort, ma grand-mère commença à distribuer ses biens, à répartir ses meubles et ses objets entre ses enfants et ses petits-enfants.
Un jour, elle me tendit une cuillère à soupe, longue, pointue, profonde, lourde et noircie, ce qui me fait penser qu'elle doit être en argent, même si ce qu'elle me dit alors rend cette supposition improbable :
— C'est le plus vieil objet de la maison. Elle appartenait au père de pépé, il a fait la campagne de Russie avec.
Je ne me souviens plus : a-t-elle parlé du père de mon grand-père ("le père de pépé") ou du grand-père de mon grand-père? Et qu'est-ce que la campagne de Russie? Cela avait forcément un autre sens pour elle, polonaise née en 1913, que pour moi. Je n'ai pas osé lui poser la question, l'instant était trop émouvant et elle m'avait prise par surprise.
Je regarde la cuillère. J'aimerais qu'elle sache parler, qu'elle me dise où elle est allée, dans quelles conditions, ce qu'elle a connu avec mon arrière-grand-père ou mon arrière-arrière-grand-père.
Je me dis qu'il n'y a que moi qui sache ce qu'elle est. Si je me fais écraser demain, si le ciel me tombe sur la tête, personne ne saura ce qu'est cette cuillère (et moi, je le sais déjà si peu). Parfois je songe qu'il faudrait que je rédige une petite notice, que je l'attache à la cuillère. Mais alors il faudrait en attacher à tant de choses, à tant d'objets usés, abîmés, sans importance, conservés parce qu'ils ont une histoire qui représente un poids de souvenirs, mes souvenirs.
Et je songe "à quoi bon", que valent des souvenirs transmis ainsi, artificiellement, sans une inscription (une ré-inscription, une nouvelle inscription) dans les souvenirs de la ou les générations suivantes? A quoi bon transformer la maison en musée, puisque tout est destiné à disparaître dans l'oubli, et que si tout ne disparaissait pas ainsi, nous serions bientôt noyés dans les souvenirs des autres, sans rien qui nous appartienne en propre?
Et je reste inquiète, à me demander ce que deviendront tous ces objets aimés quand il n'y aura plus personne pour les aimer.
Par Alice,
dimanche 4 juin 2006 à 10:34 :: 2006
J'avais un ami multilingue qui se targuait de littérature.
Quand je lui disais que je lisais Borges, il me répondait :
— Et que lisez-vous?
—
Histoire de l'infamie.
(Moue de mon ami)
— Ce n'est pas le meilleur, vous savez. Vous le lisez en espagnol?
— Non, je ne sais pas l'espagnol.
— C'est dommage, c'est bien meilleur en espagnol.
Le même :
— Ah, vous lisez le journal de Klemperer! C'est très bien Klemperer, je l'ai lu il y a vingt ans, c'est vraiment très bien.
— Vous lisez l'allemand?
(NB: il n'est traduit en français que depuis dix ans environ).
— Non, je l'ai lu en anglais quand j'habitais New-York.
Mais lorsque je lui propose de lui prêter le dernier Harry Potter en anglais, il refuse, au prétexte que son anglais est trop rouillé. (Je précise qu'il le lit dès sa parution en français.)
Le même, après que j'ai lu
Pale Fire en français, parce que j'avais fait au plus rapide:
— Il faut connaître le russe pour apprécier les jeux de mots russes que Nabokov traduit littéralement en anglais, c'est un grand plaisir. Mon amie américaine qui ne connaît pas le russe ne les voit pas, d'ailleurs.
Il paraît qu'il lit l'hébreu, aussi.
Je ne l'ai jamais vu lire autre chose que du français.
Il se targue toujours de littérature, mais ce n'est plus mon ami.
Pour la fonction bloc-note de ce blog, je recopie ici des lignes que j'avais déjà mises
ailleurs, parce que je les aime profondément.
Il s'agit de deux postfaces écrites par Nabokov, la première pour sa
Lolita anglaise (1955), la deuxième pour sa
Lolita russe (1967), qu'il a traduite lui-même.
dernière phrase de la postface de Nabokov Ã
Lolita :
«My private tragedy, which cannot, and indeed should not, be anybody's concern, is that I had to abandon my natural idiom, my untrammeled, rich, and infinitely docile Russian tongue for a secon-rate brand of English, devoid of any of those apparatuses ?the baffling mirror, the black velvet backdrop, the implied associations and traditions? which the narrative illusionist, frac-tails flying, can magically use to transcend the heritage in his own way.»
Nabokov dans la postface de sa
Lolita russe :
«I am only troubled now by the jangling of my rusty Russian strings. The history of this translation is a history of disillusion. Alas, that "marvellous Russian" which, I always thought, constantly awaited me somewhere, blooming like true spring behind hermetically sealed gates to which I kept the key for so many years ? that Russian turns out to be non-existent. And behind the gates there is nothing, except charred stumps and a hopeless automn vista, the key in my hand is more like a lock-pick.»
Traduction de Irwin Weil dans TriQuaterly n°17, winter 1970, p.282
Je ne sais exprimer le sentiment de regret et de nostalgie qui naît de la confrontation de ces deux textes: avoir passé sa vie à la poursuite d'une chimère, pour découvrir qu'il s'agissait d'une chimère.