20 minutes de bonheur, d'Oren Nataf et Isabelle Friedman
Par Alice, mardi 23 septembre 2008 à 23:54 :: 2008
Le but de la soirée de jeudi était donc d'aller voir 20 minutes de bonheur. J'ai soigneusement évité de lire le compte rendude Parapluie afin de ne pas être influencée quand je commencerais à écrire ici.
En revanche, j'avais lu la critique du Monde proposée ex-ante par ce même Parapluie, et l'une des premières réflexions qui m'est venue à l'esprit après quelques minutes de film est: «Tiens, encore un film qui me donne l'impression de ne pas être en train de voir le même film que celui qu'ont vu les critiques».
Je ne connaissais de ''Y a que la vérité qui compte'' que le principe, accompagné de tous les préjugés qu'une intello bien-pensante peut avoir sur ce genre d'émissions: «c'est mal, on profite du bon peuple, on fait pleurer dans les chaumières en mettant en scène le malheur de pauvres sous-cultivés qui acceptent de se montrer en spectacle pour le bonheur de passer à la télé (mais quelle ambition ridicule (les pauvres, ne pas avoir d'autre ambition que celle-là ))», etc.
Bref, le côté classique du donneur de leçon accompagné néanmoins d'une sincère envie de vomir: je déteste ce genre d'émissions, je n'aime pas non plus les jeux, je n'aime pas tout ce qui met en scène des gens dont ce n'est pas le métier, je ressens profondément que la caméra (être vu) ne peut que blesser.
Mais bon. La critique était intéressante, il était possible d'ajouter à la panoplie de l'intello donneur de leçons celle du redresseur de tort (puisque ce film était — avait été — menacé d'interdiction («mais c'est dégueulasse... la censure aujourd'hui... la faute à TF1... temps de cerveau consommable... capitalisme»)), et surtout, Parapluie, jeune blogueur enthousiaste, proposait d'y aller en groupe, ça m'amusait (mon côté gang bang, aurait dit sk†ns).
Le film est très intéressant, pas particulièrement choquant, contrairement à ce que j'avais cru en lisant la presse, même s'il contient deux ou trois passages non politiquement corrects («C'est ça, des homos de 21 ans qui s'aiment! Exactement l'âge des enfants de la ménagère qui est notre public principal! Et de quoi elle a peur la ménagère? D'apprendre que son fils est pédé! Alors bravo, prévoir trois sujets comme ça sur dix, vous êtes complètement à côté de la plaque!» (non-''sic'', mais fidèle à l'esprit)) mais pas forcément faux, comme tout non politiquement correct qui se respecte.
On comprend assez vite qu'une telle émission est avant tout et surtout un produit marketing. L'important est de faire du chiffre (les premières images du film nous montre l'appareil qui permet de mesurer l'audience). Les producteurs sont "piqués au chiffre" de la même façon que les chefs de rayon chez Auchan: quel audimat, quel chiffre d'affaires, même combat.
Le reste n'est que technique, mensonges et vidéo, avec quelque chose de sincère malgré tout qui parviendrait parfois, quelques secondes, à être sourdement émouvant.
Le montage a insisté sur le consentement des personnes filmées, qui disposent à tout moment d'un droit de rétractation. Finalement,c'est un univers sans éclat, sans luxe, qui n'est même pas détestable, où l'on se sert de l'annuaire, où l'on ment au téléphone, où l'on offre du parfum pour les anniversaires dans l'équipe, où l'on boit du café, où l'on passe beaucoup de temps à écouter les gens et les regarder vivre («tu es entré dans sa chambre?») pour essayer de saisir le plus vite possible leur psychologie (j'ai eu l'étrange impression que le rédacteur en chef redoutait quelque chose, mais quoi? un suicide? (pourtant, le risque était limité, puisque l'émission était enregistrée)) afin de ne pas choisir de personnes fragiles, où l'on essaie de concevoir un produit au cahier des charges précis.
Ce cahier des charges, à ma grande surprise, remporte mon adhésion: il s'agit de faire plaisir aux gens, à ceux qui viennent, à ceux qui regardent, on n'est pas dans le trash («On n'est pas chez Ardisson, ici!» ''sic'') mais dans l'émotion: l'objectif de tout cela, ce sont les larmes de joie, et rien ne doit ternir ces larmes: il faut des invités qui «portent leur histoire», suffisamment extravertis pour laisser couler leur larmes face aux caméras (malheur à l'invité renfermé sur lui-même) et des histoires auxquelles peuvent s'identifier les spectacteurs, qui idéalement devraient pleurer eux aussi devant leur écran.
Ce n'est pas "mon genre", mais c'est un objectif qui n'a rien de méprisable. Certes, Bataille et Fontaine n'ont pas le beau rôle, parce qu'ils sont obsédés par l'audimat et qu'ils expliquent sans état d'âme comment l'atteindre. Le matériau sur lequel ils travaillent est de l'être humain, et l'important est la façon dont ce matériau va produire de l'émotion chez d'autres êtres humains. Ce que ressent ce matériau est secondaire. La façon froide dont Bataille, Fontaine, le rédacteur en chef et toute l'équipe rassemblent les éléments devant produire l'émotion est déroutante, met mal à l'aise et en fait définitivement des personnages peu sympathiques. Mais c'est le principe-même du système qui veut ça, et pas spécialement cette équipe ni ces présentateurs.
Le débat avec les réalisateurs Oren Nataf et Isabelle Fridemann confirmera cette impression neutre: leur objectif n'est pas/n'était pas le scandale ni du sensationnel mais un témoignage. Ce sont deux personnages calmes, discrets, elle effacée, lui barbu, expliquant qu'ils ont commencé à tourner un peu par hasard, qu'ils avaient lancé l'idée presque comme une boutade, mais qu'à la suite d'un mini scandale (une invitée de l'émission ayant accusé je ne sais qui de viol) on leur a demandé de filmer la réalisation de l'émission presque comme une preuve que l'émission n'avait rien à cacher.
Les réalisateurs nous expliquent avoir beaucoup coupé et énormément monté. Les relations étaient bonnes avec Pascal Bataille et Laurent Fontaine qui ont vu le film au fur à mesure du montage. Ils ont même donné des conseils pour rendre le film plus efficace, conseils qui ont été suivis.
C'est le stagiaire (montré en début de film) qui s'est insurgé: ce film ne devait pas être diffusé, il donnerait une mauvaise image de la société de production. D'autre part, les premières critiques parues après la diffusion du film au festival de Belfort ont fait peur aux présentateurs:
— Alors comment avez-vous réussi à être diffusé?
— Notre chance est d'avoir été attaqués en justice: comme notre film n'a pas été interdit, c'est qu'il est autorisé.
Il est fort possible que le stagiaire ait raison: ce film ne devrait pas être diffusé, non parce qu'il contient des vérités scandaleuses, mais pour la raison inverse: il démonte le mythe d'une télévision de luxe et de paillettes pour montrer des bureaux où l'on travaille, où l'on se pose des questions, où l'on fait des réunions d'équipe, où l'on prend des décisions en fonction d'un résultat à atteindre.
Il montre un univers banal, un peu médiocre, plutôt morne, sans rien qui attise le désir.
C'est une télé sans mystère, et elle a sans doute tout à y perdre.
En revanche, j'avais lu la critique du Monde proposée ex-ante par ce même Parapluie, et l'une des premières réflexions qui m'est venue à l'esprit après quelques minutes de film est: «Tiens, encore un film qui me donne l'impression de ne pas être en train de voir le même film que celui qu'ont vu les critiques».
Je ne connaissais de ''Y a que la vérité qui compte'' que le principe, accompagné de tous les préjugés qu'une intello bien-pensante peut avoir sur ce genre d'émissions: «c'est mal, on profite du bon peuple, on fait pleurer dans les chaumières en mettant en scène le malheur de pauvres sous-cultivés qui acceptent de se montrer en spectacle pour le bonheur de passer à la télé (mais quelle ambition ridicule (les pauvres, ne pas avoir d'autre ambition que celle-là ))», etc.
Bref, le côté classique du donneur de leçon accompagné néanmoins d'une sincère envie de vomir: je déteste ce genre d'émissions, je n'aime pas non plus les jeux, je n'aime pas tout ce qui met en scène des gens dont ce n'est pas le métier, je ressens profondément que la caméra (être vu) ne peut que blesser.
Mais bon. La critique était intéressante, il était possible d'ajouter à la panoplie de l'intello donneur de leçons celle du redresseur de tort (puisque ce film était — avait été — menacé d'interdiction («mais c'est dégueulasse... la censure aujourd'hui... la faute à TF1... temps de cerveau consommable... capitalisme»)), et surtout, Parapluie, jeune blogueur enthousiaste, proposait d'y aller en groupe, ça m'amusait (mon côté gang bang, aurait dit sk†ns).
Le film est très intéressant, pas particulièrement choquant, contrairement à ce que j'avais cru en lisant la presse, même s'il contient deux ou trois passages non politiquement corrects («C'est ça, des homos de 21 ans qui s'aiment! Exactement l'âge des enfants de la ménagère qui est notre public principal! Et de quoi elle a peur la ménagère? D'apprendre que son fils est pédé! Alors bravo, prévoir trois sujets comme ça sur dix, vous êtes complètement à côté de la plaque!» (non-''sic'', mais fidèle à l'esprit)) mais pas forcément faux, comme tout non politiquement correct qui se respecte.
On comprend assez vite qu'une telle émission est avant tout et surtout un produit marketing. L'important est de faire du chiffre (les premières images du film nous montre l'appareil qui permet de mesurer l'audience). Les producteurs sont "piqués au chiffre" de la même façon que les chefs de rayon chez Auchan: quel audimat, quel chiffre d'affaires, même combat.
Le reste n'est que technique, mensonges et vidéo, avec quelque chose de sincère malgré tout qui parviendrait parfois, quelques secondes, à être sourdement émouvant.
Le montage a insisté sur le consentement des personnes filmées, qui disposent à tout moment d'un droit de rétractation. Finalement,c'est un univers sans éclat, sans luxe, qui n'est même pas détestable, où l'on se sert de l'annuaire, où l'on ment au téléphone, où l'on offre du parfum pour les anniversaires dans l'équipe, où l'on boit du café, où l'on passe beaucoup de temps à écouter les gens et les regarder vivre («tu es entré dans sa chambre?») pour essayer de saisir le plus vite possible leur psychologie (j'ai eu l'étrange impression que le rédacteur en chef redoutait quelque chose, mais quoi? un suicide? (pourtant, le risque était limité, puisque l'émission était enregistrée)) afin de ne pas choisir de personnes fragiles, où l'on essaie de concevoir un produit au cahier des charges précis.
Ce cahier des charges, à ma grande surprise, remporte mon adhésion: il s'agit de faire plaisir aux gens, à ceux qui viennent, à ceux qui regardent, on n'est pas dans le trash («On n'est pas chez Ardisson, ici!» ''sic'') mais dans l'émotion: l'objectif de tout cela, ce sont les larmes de joie, et rien ne doit ternir ces larmes: il faut des invités qui «portent leur histoire», suffisamment extravertis pour laisser couler leur larmes face aux caméras (malheur à l'invité renfermé sur lui-même) et des histoires auxquelles peuvent s'identifier les spectacteurs, qui idéalement devraient pleurer eux aussi devant leur écran.
Ce n'est pas "mon genre", mais c'est un objectif qui n'a rien de méprisable. Certes, Bataille et Fontaine n'ont pas le beau rôle, parce qu'ils sont obsédés par l'audimat et qu'ils expliquent sans état d'âme comment l'atteindre. Le matériau sur lequel ils travaillent est de l'être humain, et l'important est la façon dont ce matériau va produire de l'émotion chez d'autres êtres humains. Ce que ressent ce matériau est secondaire. La façon froide dont Bataille, Fontaine, le rédacteur en chef et toute l'équipe rassemblent les éléments devant produire l'émotion est déroutante, met mal à l'aise et en fait définitivement des personnages peu sympathiques. Mais c'est le principe-même du système qui veut ça, et pas spécialement cette équipe ni ces présentateurs.
Le débat avec les réalisateurs Oren Nataf et Isabelle Fridemann confirmera cette impression neutre: leur objectif n'est pas/n'était pas le scandale ni du sensationnel mais un témoignage. Ce sont deux personnages calmes, discrets, elle effacée, lui barbu, expliquant qu'ils ont commencé à tourner un peu par hasard, qu'ils avaient lancé l'idée presque comme une boutade, mais qu'à la suite d'un mini scandale (une invitée de l'émission ayant accusé je ne sais qui de viol) on leur a demandé de filmer la réalisation de l'émission presque comme une preuve que l'émission n'avait rien à cacher.
Les réalisateurs nous expliquent avoir beaucoup coupé et énormément monté. Les relations étaient bonnes avec Pascal Bataille et Laurent Fontaine qui ont vu le film au fur à mesure du montage. Ils ont même donné des conseils pour rendre le film plus efficace, conseils qui ont été suivis.
C'est le stagiaire (montré en début de film) qui s'est insurgé: ce film ne devait pas être diffusé, il donnerait une mauvaise image de la société de production. D'autre part, les premières critiques parues après la diffusion du film au festival de Belfort ont fait peur aux présentateurs:
— Alors comment avez-vous réussi à être diffusé?
— Notre chance est d'avoir été attaqués en justice: comme notre film n'a pas été interdit, c'est qu'il est autorisé.
Il est fort possible que le stagiaire ait raison: ce film ne devrait pas être diffusé, non parce qu'il contient des vérités scandaleuses, mais pour la raison inverse: il démonte le mythe d'une télévision de luxe et de paillettes pour montrer des bureaux où l'on travaille, où l'on se pose des questions, où l'on fait des réunions d'équipe, où l'on prend des décisions en fonction d'un résultat à atteindre.
Il montre un univers banal, un peu médiocre, plutôt morne, sans rien qui attise le désir.
C'est une télé sans mystère, et elle a sans doute tout à y perdre.