Billets qui ont 'Politkovskaïa, Anna' comme nom propre.

Wesh

Je pensais que c'était un tic exagéré dans le but de se moquer des jeunes de banlieue.

Après une heure de bus entre La Défense et Clichy (ligne 174) à côté de cinq adolescents, j'ai dû me rendre à l'évidence: ce n'est pas exagéré.

J'ai prêté Douglas Adams à M. Mais bon. J'ai un doute.
J'ai rencontré Laurent Chamontin. Plus tôt, je me demandais pourquoi je savais "depuis toujours" (depuis très longtemps) que Poutine était dangereux. Et je me suis souvenue de l'origine de ma défiance: le livre d'Anna Politkovskaïa .


Revu The Big Lebowski qui est pour moi le plus ennuyant des Coen. Pang de nostalgie en voyant Saddam Hussein au temps de la guerre du Golfe: le bon vieux temps. Comme tout cela a dégénéré. A regarder ainsi en arrière, on se demande quel monstre recèle le futur.

Eclats de soirée

Je suis passée chez Florence Loewy chercher mon catalogue de la Déroute. La librairie était minuscule, pleine d'amis d'enfance et assimilés de Nicolas Simarik. Impossible d'acheter le catalogue et de s'éclipser, il faut passer devant l'auteur-photographe pour accéder à la caisse, il serait impoli de refuser la dédicace qu'il propose si gentiment. La queue de quatre ou cinq personnes avance lentement. Devant moi, un couple aux allures de hippies des années 2000 (très beau manteau militaire avec un dragon taïwanais rouge sang brodé dans le dos) paraît expliquer qu'ils sont de véritables photographes de La Redoute, qu'ils trouvent l'idée formidable, qu'ils sont venus voir… Il a un fort accent nordique, je ne suis pas sûre de bien comprendre. Dans l'étagère, tout en haut, parmi tous ces livres de peintres, sculpteurs, photographes inconnus (je considère deux ronds de serviette en bois "punk not dead" gravé sur bois de hêtre vernis, signés et numérotés, trente exemplaires), je repère une plaquette bilingue des poèmes de Garcia Lorca. Je feuillette, magnifiques poèmes que je ne connais pas. Et 45 euros. Pas ce soir. A côté, une bibliographie des œuvres de René Char signé Pierre-André Benoît. C'est ce que j'aime dans le fait de lire encore et encore : le monde se transforme en un vaste réseau d'amitiés et de signes, il y a un mois, je n'avais jamais entendu parler de Pierre-André Benoît… J'apprends que le catalogue de la Déroute a eu aujourd'hui trois pages dans Libé et je ris jaune. Derrière moi, un vieux monsieur interpelle Isabelle Tardiglio, la présidente de l'association toulousaine qui a participé au projet. Lui fait partie d'une association de Montrouge, "mon Montrouge", ai-je cru comprendre. Son objectif: lutter contre le maire qui fait disparaître les petites maisons historiques de ce vieux village pour bétonner encore et encore. Je pense fugitivement à Anna Politkovskaïa, aux vieux chassés de chez eux à coup d'incendies pour récupérer les terrains… Isabelle Tardiglio et cet homme échangent leurs adresses.
Je feuillette le catalogue. Certaines photos paraissent sous-exposées, c'est dommage, mais globalement, c'est réellement un catalogue étonnant. Il se produit le même mouvement mystérieux que lorsqu'on lit ou regarde une histoire vraie: on est touché différemment que par la fiction. Quelque chose remue. Ce sont de "vrais" gens, il est possible de les rencontrer, ce ne sont pas des mannequins, les immeubles sont vrais, les décors sont vrais, le mobilier, les pelouses, les posters au mur… Toutes ces personnes paraissent si présentes, si vivantes, alors que cette impression n'a lieu que dans la tête, puisque rien ne sépare objectivement ces photos des fausses photos d'un vrai catalogue de La Redoute.
Bizarre, bizarre.

De la librairie au Auld Alliance Pub il n'y a que quelques rues, je vais prendre une Guinness. Le pub est envahi par une poignée d'Ecossais, dont un en kilt (le tartan ne me plaît pas, blanc et bleu, trop fade). Je lis les dix ou vingt dernières pages de Douloureuse Russie tandis que les Ecossais chantent une version anglaise de Elle descend de la montagne à cheval.
Pour résumer, les forces démocratiques en Russie sont apathiques, les forces au pouvoir ne s'intéressent pas au peuple et de toute façon sont incapables de lui parler, par peur ou manque de simplicité, les citoyens ne réagissent que lorsqu'on tue leurs enfants ou qu'on touche à leur salaire, le pouvoir soutient l'extrême-droite (Poutine recevant officiellement un hooligan connu pour sa violence!) contre la jeunesse qui se radicalise en se rapprochant de la gauche extrême, la violence et la corruption du pouvoir sont telles qu'elles poussent une partie des populations musulmanes à prendre le maquis.
Le livre dans son ensemble est terrible, il dresse des portraits d'hommes et de femmes en pleine détresse, analyse les derniers événements politiques, passe ainsi sans arrêt du plus particulier au plus général. Kasparov est sans doute un nom à retenir pour l'avenir (Je l'espère. Il fait partie des opposants à Poutine). D'autre part, je vais sans doute écrire en faveur de Khodorkovsky, car Politkovskaïa est (était) persuadée que c'est son désir de transparence à l'occidentale qui l'a conduit à sa perte. Je signale également ce blog.
La violence décrite par Politkovskaïa est omniprésente. Violence, arbitraire et pauvreté. Je crois qu'il faut vraiment lire ce livre. En tuant Politkovskaïa, j'ai l'impression que Poutine et son gouvernement ont proclamé: «Vous pouvez la croire, tout ce qu'elle a écrit est vrai.» En rentrant en métro, j'apprends par-dessus l'épaule de mon voisin que l'"ex-espion russe" qui enquêtait sur la mort d'Anna Politkovskaïa est mort à Londres.

J'ai commencé Mensonge romantique et vérité romanesque. Cela fait dix ans que j'aurais dû le lire (1995, exactement).

Un mail m'attend. Un ami qui travaille dans l'administration se plaint : l'expression "avis de retard" (annonçant un retard dans un projet) a été remplacée par "demande de prolongation de délai non chiffrée". Pourquoi? me demande-t-il.
Son mail commence ainsi : «Depuis quelques jours, je me demande pourquoi. Il s'agit d'un point mineur, mais je suis sûr que toi, tu peux me comprendre.»
Cela me fait plaisir.
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