Billets qui ont 'René' comme nom propre.

Journée bizarre

Il fait beau. Il paraît que le printemps va enfin s'installer.

Au téléphone je m'engueule avec H. pour des problèmes de carte Navigo et parking Effia (bref, pour rien).

Plus tard il m'envoie des textos: à quelle heure rentré-je, que voulais-je comme glace, il y aura un spritz qui m'attend.
Bizarre. J'ai honte. Je me dis que nous nous sommes trop engueulés pour rien.

A cinq heures je pense rentrer (je suis la dernière: vendredi chez les fonctionnaires) mais je fais l'erreur d'ouvrir mes mails. A sept heures j'y suis encore.

RER A, train. Voisin bruyant, je déménage (je ne m'habitue pas à la foule depuis la fin du couvre-feu. J'avais oublié).

A la gare, mon vélo (celui de A.) a disparu. Volé. Je l'aurai utilisé deux fois: mon père l'a gonflé dimanche, je l'ai utilisé une fois mardi et une fois ce matin.

Je rentre à pied.

Il y a bien du spritz. Verre en terrasse (sur notre terrasse).
H. m'apprend que René est mort.
Il le sait depuis ce matin. Maman lui a envoyé un sms dans la matinée.

J'écris à Christine. Elle pensait que j'étais au courant. Mort depuis le 22 mai. Enterré le 2 juin.

Un coup de téléphone

Je sors de réunion, je regarde mon téléphone, je n'en crois pas mes yeux: René a appelé et m'a laissé un message audio. Je le rappelle. En janvier, quand je l'avais eu au téléphone, il m'avait dit qu'il tombait, qu'il perdait l'équilibre. Il devait faire des examens.
Verdict: tumeur au cerveau. Il est resté un mois à l'hôpital et il sort dans quelques jours.

Il est toujours aussi extraordinaire: «Je vois la mort, toute la perspective est transformée. C'est merveilleux, je comprends des choses que je n'avais jamais comprises.»
Avec sa voix, enjouée, énergique.

Coupe de Noël

Troisième.
J'aurais pu — j'aurais dû — adopter un rythme plus rapide mais je ne voulais pas cramer mes coéquipières. J'ai manqué de confiance en elles et en moi. Ce sera pour la prochaine fois.

En descendant du bateau, j'ai pris Anne à part pour lui dire que si elle voulait la nage, il fallait qu'elle le dise à Vincent. Réponse: «C'est moi qui ai dit à Vincent de te donner la nage. Il me l'avait donnée, j'ai passé la nuit sans dormir et je lui ai demandé de te la donner».
Mystery solved.

A mon grand bonheur, René et mes parents sont venus.

J'ai dormi durant tout le chemin du retour.

René

Surprise à midi: mes parents ont invité René, l'entraîneur d'aviron de mon adolescence. Il a 87 ans et est en pleine forme.

René Boulais, entraineur d'aviron, ébéniste


Evocation de souvenirs. Je découvre des photos de mon père rameur que je n'avais jamais vues. (Si je fais de l'aviron, c'est parce qu'il en faisait à la fac et qu'enfant, une photo de son huit me plaisait). J'apprends que le directeur du club de Tours François Freslon est celui qui avait poussé mon père à faire de l'aviron à La Source.
En voilà une motivation pour faire partie de l'équipage de la course de Noël ! (course qui se court à Tours en décembre.)

René nous quitte après avoir raconté sa dernière visite à l'un de ses anciens compagnons: «Il m'a filé une arbalète à restaurer, le salaud. Comme s'il ne pouvait pas le faire lui-même! Elle est incrustée de nacre et d'ivoire. Il faut que je trouve un os de girafe pour la restauration.»

Un os de girafe ?

René

Finalement nous n'avons pas fêté les 80 ans de René. Je pense à lui, souvent. Je lui envoie des cartes, rarement : deux fois à Noël en sept ans, une fois en avril dernier, parce qu'il me restait une carte postale du lac de Vouglans et que j'étais sans doute terriblement frustrée (et inquiète pour le futur) d'avoir dû annuler ma participation au stage d'aviron de mars : tiens, si j'envoyais cette carte à René ?
La différence, c'est que cette fois-ci, il m'a répondu. Il m'a envoyé la photo noir et blanc d'une barque à moitié submergée avec la mention « il y a des circonstances où faire avancer le bateau pose des problèmes » et son numéro de portable. Je l'ai appelé jeudi. Sa voix était pleine de vie, inchangée.
Rendez-vous pris pour cet après-midi. H a accepté de venir.

Nous sommes arrivés plus tard que prévu dans une maison déserte. Dans le jardin, un joli bateau vernis, bas, d'environ quatre mètres, deux verres sur la table, un chat qui miaule. Il fait frais mais le ciel est dégagé. Tout est tranquille, l'herbe est tondue ras, la maison a un air propret et bien entretenu. Un cognassier finit de mûrir. Nous faisons le tour, tapons au carreau. « Appelle-le », me dit H. (je ne pense jamais aux solutions simples).

René est chez le voisin d'en face. C'est ainsi que nous nous retrouvons à prendre une bière chez un conducteur de RER B à la retraite. (Il faut sept à dix ans d'expérience de conducteur de métro pour pouvoir postuler au poste de conducteur de RER. Avant les conducteurs changeaient à gare du Nord, un conducteur SNCF prenait le relais d'un conducteur RATP. « Ça allait très vite. Mais ils ont décidé de ne plus changer, ils ont vendu ça aux usagers comme un avantage sur la ponctualité, mais en fait, ils ont économisé douze à quatorze conducteurs. Ça fait deux réglementations à apprendre (nous découvrons que ce n'est pas la même : mais qu'est-ce qui change ? la signalétique ? ça fait peur), et même trois avec la réglementation intra-muros. Un jour il y aura un accident. Surtout avec les jeunes. Ils raccourcissent l'ancienneté, la plupart n'ont que sept ans de métro, et ils ne veulent pas travailler. Isabelle (sa femme) était formatrice, eh bien vers la fin, il y en a qui lui pourrissaient sa formation : « Vous z'allez tout de même pas vous lever à quatre heures du mat' y compris le dimanche pour mille six cents euros ! » a dit l'un, et y'en a quatre qui sont partis. Mais il faut bien commencer.»
Je ne dis rien. Dans un sens il est délirant que je gagne le double les fesses sur une chaise pendant des horaires de bureau, d'un autre côté il a mon âge et est à la retraite dans sa jolie maison en lisière de Beauce, tranquille. Il est à la retraite avant d'être vieux, il a vingt ans d'agilité devant lui, et peut-être quarante ans de vie : plus qu'il n'en aura passé à travailler. Est-ce normal par rapport à une infirmière ou un plombier ? Il faut harmoniser la législation et laisser chacun choisir.

Nous revenons chez lui. Je note sans ordre des bribes de conversation, des précisions que j'ai obtenues sur des souvenirs flous (René conduisait la remorque quand nous partions en régates le week-end, il racontait des anecdotes et m'a appris les contrepétries (oui, il a bien eu un oncle, un frère de sa mère, religieux au Brésil. Non, pas évêque, supérieur d'un couvent de dominicains)). Je m'accuse ici de misérabilisme : je venais rendre une visite charitable à un octogénaire veuf ayant perdu ses fils, je suis repartie ragaillardie par quelqu'un débordant de vie et de projets1.

Au mur un immense agrandissement d'une photo noir et blanc montre au premier plan un cours d'eau (la Mayenne), deux ou trois maisons, une barque plate et claire, le coteau planté d'arbres.
— Ça c'est mon enfance, c'est la maison où j'ai grandi. C'était un moulin à tan, on broyer des écorces de pin pour les tanneries (jamais entendu parler de ça). Tu vois la barque devant ? C'est moi qui l'ai construite, c'était pour aller boire l'apéro chez Joseph de l'autre côté de la rivière. Un jour quand j'avais quatorze ans mon père m'a demandé de construire un bateau pour aller boire l'apéro.
— A quatorze ans ? Mais qu'est-ce que tu avais fait avant, pour qu'il te demande une chose pareille ?
— Ah… j'ai toujours été un manuel…
— Je me souviens que tu avais descendu la Loire avec ton frère en canoë français, c'est bien ça ?
— Ah oui, c'était aussi un bateau que j'avais construit… (Ça, je ne le savais pas.) Je l'avais appelé J3, comme les cartes d'alimentation pour les jeunes. (Il rit.)

Autre souvenir de guerre, les avions français mitraillant les Allemands qui fuyaient par la route en haut du coteau, invisible sur la photo : « je m'étais caché là (il montre un coin sur la photo), tu parles si j'étais bien caché. On n'a pas peur quand on est gosse ».

— De toute façon les bateaux ça me poursuit. Je me souvient à l'école, on avait rempli le lavabo pour voir si la maquette du prof flottait… On avait passé plus d'un an à lui construire son bateau en taille réelle.
Je lui parle du bateau qu'il construisait l'avant-dernière fois que je l'ai vu, quelque part en 1995 : il en était à lester la quille, il avait des problèmes de proue.
— Je l'avais construit avec un orme du père Tape-dur. Tu te rappelles du père Tape-dur ? On bricolait chez lui, son arbre était mort, on l'a débité en planches.
— Mais le bois était assez sec ?
— Il faut un an par centimètre : trois ans pour une planche de trois centimètres, un an pour un centimètre… Bon allez, un peu plus d'un an.

Avec ce bateau, nous apprend-il, il a traversé l'Atlantique avec son fils. Il nous parle de St Barth : « Vous êtes déjà allés à St Barth ? Y'a que des riches et des trafiquants, là-bas.» Il a revendu l'embarcation, trop grande désormais.
— Je suis trop vieux, constate-t-il sans amertume et avec réalisme. C'est comme le bateau dehors, il est trop sportif, il faut être deux pour le manœuvrer. Je l'ai donné à un neveu, ce sera plus facile, il va s'en servir sur un lac, en eau douce.
Dans le jardin, une carcasse de bateau d'à peu près la même longueur repose sur l'herbe. Il reste quelques planches.
— Tu vois, celui-là aussi je devrais le rénover. Les bateaux viennent à moi… (in petto je pense aux livres me concernant. C'est étrange, cette aimantation individualisée.)
H. s'étonne devant le peu qu'il reste de l'épave : — Euh… vous pouvez vraiment en faire quelque chose ?
— Mais oui, c'est merveilleux ce qu'on peut faire avec de la colle. (Sauf qu'en l'occurrence il ne reste pas grand chose à coller, me dis-je in petto.)
J'interviens : — Tu n'irais pas plus vite à partir de rien ?
Le joli voilier dans le jardin était dans cet état-là. Il l'a rénové en un peu plus de trois ans.
— Je me suis énervé sur le huit… (un bateau d'aviron) Depuis je fais de la tachycardie. J'ai été opéré… c'est magnifique l'hôpital, je suis comme un coq en pâte, tout le monde s'occupe de moi, H. y est infirmier. Un jour je promets du chocolat à des infirmières qui s'occupaient de moi et j'entends une voix : « c'est pas la peine, elles sont déjà assez grosses comme ça.» C'était H.2. (Il rit.)

Le chat miaule.
— J'étais à Nîmes, mon voisin me téléphone et me dit : « tu as oublié de donner de l'eau à ton chat». J'ai pas d'chat ! j'lui réponds. Y'a des salauds qui l'avaient laissée dans l'abri à bois. Elle s'appelle FêtNat parce que c'était le 14 juillet.

Nous sommes rentrés, René a allumé un feu avec une brassée de copeaux et trois bûches : « J'ai fait rentrer mille euros de fioul, j'ai trois stères de bois. Ce ne sera pas assez pour l'hiver. Je chauffe juste en hors gel, je fais du feu, je reste dos à la cheminée tout l'hiver. »
Nous aussi. Nous épluchons les pommes véreuses du jardin, il sort une pâte brisée du frigo. Il paraît avoir une grande habitude de recevoir ainsi. Il décongèle des cèpes cueillis trois semaines plus tôt (pas beaucoup de champignons cette année. Mince, nous allons lui manger sa réserve), prépare une omelette. La nuit est tombée.
— Il ne manque qu'une comtoise, remarqué-je.
— J'en ai une, dans l'atelier, je répare le meuble pour X. Pas le mécanisme, ça c'est pas mon rayon. J'avais une pendule Boulle, j'ai dû la vendre parce que j'avais besoin d'argent. C'est vrai que le carillon m'a manqué.

Je passe aux toilettes. Un livre, Gertrude Bell de Christel Mouchard, se trouve là. Ça alors, je pensais être la seule3 à la connaître en France!

Il nous raconte ses voyages en train, Mer-Tours, Tours-Lyon, Lyon-Nîmes où vit son amie ancienne sage-femme («on ne se supporte pas plus d'une semaine, mais comme ça, ça va»). Il prend moins le train, davantage la voiture, car il trouve les gens moins ouverts qu'avant, ils ne saluent plus, ne sourient plus. In petto je me demande si cela est dû à l'âge de René, si les gens, ne pouvant deviner sa vitalité, ont peur ou pas envie de s'adresser à un homme si âgé.

Il nous raconte des anecdotes de son apprentissage dans le faubourg St Martin (il est ébéniste). Il nous raconte ses projets : un meuble en galuchat. «C'est un meuble plaqué en peau de poisson. C'est très difficile à travailler. Vous connaissez la chanson "Nini peau-de-chien" ? Eh bien c'est du chien de mer, du galuchat.» Il nous raconte ses voisins, où par hasard (ou karma ?) se retrouvent plusieurs personnes ayant vécu rue Keller, quartier de la Bastille. «Il y a de tout dans le village, des syndicalistes à l'extrême-droite. Mais ils sont tous très gentils, alors on fait avec.»

Quand nous partons, il nous montre la lampe extérieure qui détecte les mouvements : «ce sont mes voisins qui m'ont installé ça. Vous avez vu comme ils sont gentils mes voisins ? Je vais vous montrer comme ils sont gentils. Vous voyez cette glycine ? J'avais dit que je voulais une glycine. Je suis parti en voyage, et bien, quand je suis revenu, ils avaient planté cette glycine.»

Bref, tout le village prend soin de lui et il rend service à tout le monde. Je suis partie rassurée et reposée de cette visite hors du temps.
Il faudra revenir.


Note
1 : à la réflexion, tandis que j'écris cela, je me demande si c'était vraiment une surprise. Si, tout de même : j'étais inquiète parce que, lorsque j'avais fait des recherches sur son nom sur internet en avril, les résultats avaient tous un an ou deux.
2 : Hervé fut le premier petit ami de Jacqueline. Est-ce lui qui m'avait fait peur en me disant : «j'ai beaucoup entendu parler de toi ? » A l'enterrement du fils de René, il m'avait ému en parlant de son divorce : « On se marie pour partager de la tendresse, et puis… »
3 : déclaration emphatique et exagérée, bien entendu.

Peinture




Comme je ne peux pas ramer (à cause de mon doigt), je peins. J'allais écrire «ça me détend», mais j'ai bien peur que rien ne me détende. Disons que ça me change les idées, penchée sur ma baguette à peindre en blanc, à main levée, sans protection; je songe à René, à son métier d'ébéniste, à ses 80 ans, au fait que je me demande si oui ou non nous allons les lui fêter, comme promis, il y a deux ans, mon esprit s'évade, la Seine est en crue, le courant est puissant, je songe à la Loire à l'automne.

Aller-retour éclair en Beauce

Ouzouer, Saint-Sigismond, Sainte Péravy-la-Colombe,… Ciel gris pluie intermitente toits bleus, je sais qu'entre tous les palais du monde, je choisirais peut-être, sans doute, une école de Beauce ou de Sologne, ardoise, murs blancs-gris, fenêtres encadrées de briques rouges et blanches.
Peut-être, peut-être pas. Je songe souvent à «Heureux qui comme Ulysse», me demandant pourquoi l'on revient en France quand on a connu l'Italie. Entre la Possonnière et le Pincio… La différence est dans la sérénité. Si je ne finis pas à Venise je finirai à Blois.

Je suis calme. Parfois les choses sont simples, évidentes. Pour certaines personnes, dès qu'on sait, on vient, c'est tout.

Finalement les enterrements sont peut-être la meilleure des "fêtes" de famille, parce qu'ils ne sont pas réservés à la famille, parce qu'il n'y a pas d'invitation. On vient si on se sent concerné, par le mort ou les vivants. On vient pour être là, pour avoir mal ensemble, pour se tenir chaud tristement. Et ce n'est pas si triste car on évoque, on convoque, les bons souvenirs et les bons moments, les histoires un peu folles qu'on aurait sans doute dû éviter mais qu'on a eu bien raison de ne pas. Ce qu'on évoque, c'est la vie qui n'en finit pas de vibrer. On fait des projets. L'année prochaine, les 80 ans de René. Nous allons fêter cela tous ensemble. Nous allons sonner le ban et l'arrière-ban. Et nous viendrons. Seuls les morts seront excusés et encore, ils peuvent venir à l'état de fantômes. Ils seront bienvenus.

Souvenirs

Dans cette pièce, il y a très longtemps, j'ai appris à jouer à «La vache qui tache» (si, c'est un moment très important).
Aujourd'hui, j'y suis retournée pour la première fois après toutes ces années.


Aviron

L'aviron est une histoire de famille. La légende veut que mon père en ait fait étudiant, à Orléans, sur le Loiret. Il est obligatoire de savoir nager, ce n'était pas son cas, ses amis ne l'ont pas cru et ont signé la déclaration à sa place. (C'était pour faire du huit, cela ne portait guère à conséquence (avant qu'un huit se retourne…)) La légende veut également que l'équipage de La Source gagna les championnat de France — l'année qui suivit le départ de mon père. Avec lui ramait mon parrain, ce détail a son importance dans un autre embranchement de mon histoire familiale.
Il y a quelque part une photo, de ces kodaks des années 60-70 qui sont devenus orange. Si je retombe dessus, je la vole.

La première fois que j'arrivai au club d'aviron de Blois (large étendue de cailloux blancs devant le hangar) tout était désert. J'avais treize ans. Je fus accueillie, si l'on peut dire, par un garçon qui me parut bien grand (c'était un junior : dix-sept ans, dix-huit?). Il parut interloqué par cette drôle d'idée :
— De l'aviron? Tu es sûre? Ce n'est pas plutôt du kayack que tu veux faire?
Non, non, j'avais décidé que je voulais faire de l'aviron.
Ce garçon s'appelait Castor, j'ai cherché hier son prénom, Michel, Christophe, Olivier? Non, Philippe. Castor, c'était Philippe, et Pollux je ne sais plus. Je me demande même si je l'ai jamais su. (Mais je me souviens du nom de famille de Pollux, et pas de celui de Castor. Bizarre mémoire.) Les deux étaient inséparables comme de juste, issus de familles de garçons, quatre garçons une fille, et tous ramaient.
Vais-je écrire une histoire du club de l'aviron blésois en 1980? Ma partenaire d'aviron était Jacqueline, et lorsque j'ai ouvert un blog (mai 2006), j'ai été tentée par ce récit, à la mémoire de Jacqueline, morte en novembre 2004. Il m'avait semblé alors que je n'avais rien à dire, ou pas grand chose.
Je n'ai rien à dire, rien d'autre que des éclats de mémoire, la transparence de l'air au-dessus de la Loire, les couchers de soleils mauve et or, la galère, les régates, les contrepétries, les chansons, les ampoules, et sans doute les gens, le lieu, les plus précieux de mon enfance… (Et la grande surprise, l'immense surprise, sera d'apprendre des années plus tard, fin août 1995 pour être précise, que ce club avait joué le même rôle pour nombre d'entre nous, tous ces autres rameurs dont j'étais bien loin de me douter que le club représentait pour eux la même chose que pour moi: un espace de liberté et de consolation (mais il faudra parler de René. Plus tard, plus tard.))

J'ai essayé à plusieurs reprises de ramer ailleurs qu'à Blois : en 1987, avec l'école, dans le club où je suis maintenant, en 1991 et 92 à Joinville, dans le club d'Anatole (encore une autre histoire). Je n'y ai jamais réussi : en 1987 j'étais vexée de ramer en yolette (bateau de débutant), en 1992 j'ai vite été épuisée (je ramais le samedi matin, je dormais le samedi après-midi : tête de H…).
Le bassin de Blois n'existe plus. L'été était installé un barage de faible hauteur, un à deux mètres. Cela suffisait à établir une retenue d'eau pour les planches à voile, les kayacks et pour nous: sans ce barrage, l'eau était beaucoup trop basse, nous risquions de casser les bateaux sur un banc de sable.
Mais désormais ce genre de barrage est interdit (protection des saumons). Je ne sais pas où vont ramer les Blésois, je ne sais pas ce qu'est devenu le club. J'ai entendu dire qu'il allait ramer à Saint Laurent (la centrale nucléaire). Je ne sais pas si c'est vrai.

C'est la première fois que j'arrive à ramer ailleurs, que je suis heureuse de ramer ailleurs, que les regrets ne m'empêchent plus de ramer.
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