Billets qui ont 'Sand, George' comme nom propre.

Retour dans la nuit

Nous quittons Laon au soleil tombé, à dix heures (soleil disparu, ciel gris bleu, nuit le temps de descendre "la montagne couronnée"). Nous évitons la nationale 2, Etouville, Vailly-sur-Aisne, Augy, Beugneux, noms croisés, ralentir à 50 km, politique d'éclairage différente d'un village à l'autre, plusieurs sont éteints. Campagne et forêt, quelques côtes, la nuit a une odeur forte, souvent désagréable dans la plaine ; à cause des engrais ou des élevages à proximité ?

Voiles blancs légers, diaphanes, respiration de la terre.
— C'était du brouillard ?
— Oui.
— Tu m'étonnes qu'ils aient cru aux fantômes !
— Et aux dragons : tu déterrais dans ton jardin une mâchoire de tyranosaure, tu imagines la frousse ? (Car il n'y a aucune raison que personne n'en ai découvert avant le XIXe siècle.)

Je roule prudemment dans les forêts, je redoute un animal qui surgirait, ce serait bête d'avoir un accident le dernier soir, dans les derniers kilomètres. Nous écoutons un dernier podcast, du jazz à nouveau, Duke Ellington, avec les modes plus formelles de traduction et d'interview de 1966. Le podcast suivant refuse de se télécharger. Tout se tait.

Par moment un sentiment sombre, puissant, nous étreint, quelque chose d'ancestral et de terrifiant, entre la terre et les étoiles dans la nuit, à foncer sans repère dans le noir et le silence.
« Au fond, dit O., c'est ce qui aura manqué à ce voyage : nous aurions dû rouler une ou deux fois de nuit, décapotés. »

Nous descendons droit au sud par la D1, Oulchy-le-Château, direction Château-Thierry (et La Fontaine). Je passe le volant à O. Nous obliquons vers l'ouest, Montreuil-aux-Lions, Sammeron, La Haute Maison, nous retrouvons des noms familiers, la magie est rompue, nous nous souvenons soudain qu'il est désormais possible d'écouter tout simplement la radio. Nous attrappons la fin d'une émission sur George Sand politique et la magnifique oraison funèbre de Victor Hugo, puis Andersen.

Villeneuve-le-Comte, Pontcarré, Chevry, D19. J'éteins quand commence Visconti sur Proust. Nous approchons et plus nous approchons, plus je suis obsédée par le fait d'être prudents.

La fin de notre périple fera curieusement (ou logiquement, d'un point de vue matériel) écho au début : à deux kilomètres de notre but, alors qu'il suffisait de tourner à gauche pour rejoindre Villecresnes, la route est barrée. Il faut tourner à droite vers Marolles, contourner le domaine de Grosbois, passer par la forêt de Sucy. Un quart d'heure, vingt minutes de détour. Nous suivons un semi-remorque qui négocie avec peine un premier rond-point dans le village, un deuxième… Trois voitures le suivent. Au troisième, le camion ne suit pas le panneau "déviation" mais continue le tour du rond-point : est-ce pour nous laisser passer, ne pas nous ralentir davantage ? « Interdit au plus de trois tonnes trois », lit O.
Malédiction mais quelles andouilles : avoir laissé s'engager ce camion alors qu'il ne pouvait pas suivre la déviation dans son entier, c'est criminel. Est-ce un routier français, pourra-t-il descendre engueuler le chef de chantier quand il rejoindra la 19 ? (puis reprendre la Francilienne, je ne vois pas d'autre solution)
Sucy-en-Brie, les hauts de Boissy. Au feu rouge, nous notons le numéro d'un épaviste sur un poteau, dans l'espoir toujours remis de nous débarrasser de l'Opel Corsa.
A la maison. Tout descendre de la voiture (dont les deux tapis de sol et les deux sacs de couchage inutiles qui nous auront bien encombrés), déballer les verres à bière.
Thé, tarte aux mirabelles.
Nous sommes rentrés.

Jeudi Oulipo, Samedi Chateaubriand.

En écoutant les conférences de l'après-midi sur Chateaubriand (de l'importance du voyage de Chateaubriand en Amérique, mais qu'allait donc faire George Sand toute jeune chez Sosthène de La Rochefoucauld, le pire coureur de l'époque, cet hypocrite prude à qui l'on doit les feuilles de vigne sur les statues de Louvre?), je repensais à cette question posée jeudi: «Quels sont les grands livres (grands auteurs) que vous n'avez pas lus?»

Dante, Cervantès. La Comédie humaine (en entier). Guerre et Paix. Et il me "manque" des Dosteïevski.
Et j'aimerais lire tout Shakespeare.

Et les Mémoires d'outre-tombe.


Chateaubriand : les vrais Républicains ne sont ni à droite ni à gauche. Ils pensent honneur et liberté (résumé personnel de la conférence entendue cet après-midi).

Chateaubriand et Sand: ils se sont rencontrés, ils l'ont chacun raconté dans leur journal, ils l'ont chacun censuré (leur récit est resté dans les brouillons). C'est étrange et mystérieux.
C. à qui je le raconte déduit, logique: «Il nous manque une lettre».

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J'apporte quelques précisions cinq ans plus tard. Il s'agissait d'une intervention en colloque de Jean-Yves. C'était l'époque où JY bouillonnait à cause d'un billet de Jourde. Je crois que ce jour-là j'ai abandonné, il revenait sans cesse à la charge, j'ai donné mon accord pour tout ce qu'il voulait, une nouvelle plainte, cette fois en diffamation. Nous y avons entraîné Emm.

C'est aussi ce jour-là que j'ai eu R au téléphone. Il voulait savoir si le mail qu'il envoyait à RC (pour lui proposer de garder son château était convenable).
En regardant en arrière cinq ans plus tard, je ne peux me défendre d'un sentiment d'amertume.

Chaises musicales

La dernière chambre que l'on visite à Nohant est la chambre qu'a habitée la petite-fille de George Sand, Aurore Lauth-Sand, morte en 1961.

Cette chambre ne ressemble plus à ce qu'elle était du vivant de sa dernière occupante. En effet, lors de travaux de restauration récents, on a découvert sous trois épaisseurs de papier peint le papier qui couvrait les murs du vivant de Gabrielle, la sœur puînée d'Aurore. Ce papier, fort beau, d'inspiration orientale, a été choisi pour couvrir désormais les murs de la chambre. Les meubles de Gabrielle retrouvés au grenier ont été réinstallés dans la chambre tandis que les meubles d'Aurore les remplaçaient au grenier.

La chambre est fort belle, répétons-le, mais je suis un peu choquée. Comme il a fallu peu de temps pour chasser des murs l'âme de la dernière occupante.
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