Le projet Laramie
Par Alice, mercredi 4 juillet 2012 à 23:26 :: 2012
C'est une drôle d'histoire, le moment où un fait divers cesse de planer dans les hauteurs mythologiques pour redevenir réel: le reportage d'une troupe de théâtre revenu plusieurs fois dans une petite ville (26000 habitants) au milieu de rien (du vent qui rend fou) pour rencontrer des gens qui connaissaient la victime ou les meurtriers, pour rendre compte ensuite des relations existant entre les différents personnages et pour redonner une dimension incompréhensible au fait divers: comment deux jeunes hommes (deux jeunes bouseux) ont-ils pu battre à mort un troisième et surtout l'abandonner là dix-huit heures, partir continuer à vivre en sachant qu'il allait sans doute mourir (et d'abord de froid) s'il n'était pas trouvé à temps (il n'a pas été trouvé à temps). Cette question théorique devient terriblement concrète quand les interviews des habitants de la ville qui connaissaient la victime et les agresseurs, des professeurs, des amis, des serveurs de bar, lui donne corps.
Puis la troupe a monté les entretiens en une pièce en reprenant d'une part tous les points de vue sans commentaire (très important: sans commentaire. Il y a montage ET représentativité, mais pas de commentaire, de conclusion pré-pensée. Au spectateur de réfléchir, même si bien sûr il est prévenu (sans cela il ne viendrait pas voir cette pièce)) et d'autre part des éléments tirés des procès. Le tout donne une impression de reportage télé.
Par la magie du théâtre la parole reprend corps et tout redevient étrange. Vingt-six mille habitants, c'est la taille de ma ville, à peu près. Tout est bizarre: pourquoi ce fait divers-là a-t-il pris tant d'importance, alors qu'il n'était pas le premier? La taille de la ville? L'âge des protagonistes? Le lieu géographique? Ou peut-être la radicale gentillesse et inoffensivité de Matthew Shepard, décrit comme petit et souriant, face aux bouseux mal dégrossis?
Qu'est-ce qu'un crime "haineux"? Ou plutôt, qu'est-ce qu'un crime non haineux? Veut-on dire que lorsque qu'on tue pour voler, ce n'est pas par haine? Veut-on parler de crime gratuit par opposition à un crime non gratuit? (et donc? l'un serait plus justifiable que l'autre? dangereuse idée). Je suppose qu'il doit s'agir de combler un vide juridique ne permettant pas de poursuivre avec suffisamment de sévérité certains actes sur lesquels on ne sait pas mettre de mots. (Du droit comme la nécessité des définitions).
Pensé à Six feet under (un épisode me semble directement inspiré par Shepard), à Mangez-le si vous voulez ou à Brokeback Mountain.
C'est jusqu'à samedi, au théâtre Confluences par la troupe Green Paradise qui à neuf acteurs jouent un nombre impressionnant de personnages en changeant de casquette ou la place des chaises, en présentant chacun en voix off, comme le ferait un sous-titre sur un écran télé. Efficace mise en scène. Dépêchez-vous, c'est jusqu'à samedi.