Billets qui ont 'Grèce' comme autre lieu.

Volos

Pas travaillé ce matin car je devais lire un article que j'ai téléchargé sur Cairn : donc comme j'étais sur mon ordinateur, j'ai surfé. Damné wifi.

Un peu d'hésitation, que faire ? Finalement ce sera Volos (avec un bêta prononcé vé), porte d'accès au Pélion, région montagneuse dans laquelle se cacha Jason. Le guide bleu nous promet un circuit d'une beauté extraordinaire, deux cent trente kilomètres sans dépasser le trente à l'heure… Nous savons aussitôt que nous n'irons pas bien loin, il est midi passé quand nous atteignons Volos.

Nous cherchons la rue "du bazar". Même si trente ans après l'écriture du guide elle a disparu, son emplacement se reconnaît à une animation certaine. Comme toujours, tous les Grecs sont en train de prendre du café (un frappe) en terrasse à l'heure de l'apéro. Ils ont sorti les pulls et les doudounes, il fait froid (18°). J'achète des collants pour éviter d'acheter un pull (si, c'est logique: en couvrant les jambes j'arrête la sensation de froid).

Nous mangeons trop, encore, dans un restaurant choisi d'après sa clientèle (des groupes de Grecs en tous genre, jeunes et vieux. Est-ce qu'ils ne travaillent jamais?) et son nom : Ouzo therapy.
Je pense avoir compris ce qu'il faut faire ici : les plats sont conçus pour que tous y pioche, il faut en commander un ou deux qui intéressent tout le monde, puis en recommander au fur à mesure, et non commander comme en France, entrée, plat, dessert. Sinon on se retrouve avec des quantités bien trop importantes que l'on n'ose pas laisser, pour ne pas gaspiller, pour ne pas vexer, et parce que c'est bon. Et lorsqu'on nous avons réussi au bord de l'épuisement à achever les plats commandés, le restaurateur grec vous achève : à l'orientale, il vous apporte, en cadeau, gratuitement, un dessert… qu'il faut manger puisque c'est un cadeau (du moins nous ne pouvons imaginer qu'il en soit autrement).
Nous commandons un café, nous le choisissons grec, bien sûr, et nous voyons notre hôte, qui a acquiescé à notre bon goût, sortir chercher deux tasses au bar à côté.

Nous grimpons quelques kilomètres du Pélion. La végétation change selon le versant des collines, verdoyante ou râpée. Nous surplombons la mer. La route est très étroite et très raide, bordée de maisons de place en place (mais pourquoi habiter là? C'est joli mais pas pratique, en hiver ce doit être terriblement dangereux quand il gèle). Le Grec reste grec et se gare en double file absolument n'importe où, à l'entrée ou à la sortie des virages, il traverse de même, et il arrive qu'il double (ce qui est plus étrange car la conduite ici est nonchalante, ce n'est pas l'Italie pressée) dans des endroits impossibles.
Je crois qu'une petite voiture jaune qui montait a dû avoir la peur de sa vie quand à l'entrée d'un virage elle s'est trouvée nez à nez avec un car ukrainien qui descendait la montagne, debout sur le frein (H. le suivait, en seconde).

Nous rentrons. Arrêt à Larissa que nous aimons beaucoup, retour dans "notre" restaurant, The Alley. Mes magasins sont fermés. Après étude, il apparaît que les magasins privés ouvrent à peu près de 9 à 14 heures. Les lundi, mercredi et vendredi, ils rouvrent entre 18 et 21 heures (c'est ce qui donne des rues si animées). Les édifices publiques ne rouvrent pas. Quelques musées ouvrent jusqu'à 17 heures mais c'est plutôt rare. Cela ressemble à Venise, la culture exige de se lever tôt. Voilà qui rend les musées quasi inaccessibles à des gens comme nous, surtout s'il y a d'abord une ou deux heures de route.
Séance de cartes postales au restaurant, en buvant un Coca pour digérer (difficile de trouver des cartes, des timbres. A Volos, j'ai photographié la queue à la poste : il y a des chaises et des tickets pour les ordres de passage).

Le soir bagages en regardant d'un œil Le surfer d'argent. C'est insupportable de nullité, même sous-titré en grec.

Les deux champs de bataille

F. Dosse deux heures. J'aime la lumière avant qu'apparaisse le soleil. Il n'y a pas d'oiseau. La même nageuse qu'hier apparaît aussi tôt et aussi longuement (je la reconnais à son bonnet de bain bleu marine).

Départ à 9h30 pour Pharsale (le petit déjeuner est servi à partir de 8h30). Nous quittons assez vite l'autoroute et nous nous retrouvons sur une petite route qui serpente au milieu des champs moissonnés. C'est une plaine haute, à peine vallonnée. Apparaissent des champs de plantes qui ressemblent à des pieds de pomme de terres (quarante centimètres, cinquante, peut-être). C'est du coton. Il y a des boules pelucheuses blanches le long des routes, dans les mailles des grillages des remorques vides tirées par les tracteurs. H. s'arrête pour que j'en ramasse une. Du coton! Comme dans Autant en emporte le vent!

Pharsale est dans la plaine, étendue au pied de collines hautes. J'ai dans l'oreille le leitmotiv de Claude Simon, le grand-père ou le père regardant l'enfant qui sèche sur sa version, et plus tard la recherche du champ de bataille — mais par qui, par RC ou par Simon? Je ne sais plus — la recherche les traces de la bataille, allant jusqu'à interroger les clients d’un café (Cela m'avait paru le comble de l'extravagance: interroger un autochtone à propos d'une bataille ayant eu lieu deux mille ans auparavant…)
— Et qu'est-ce qu'on va voir là-bas?
— A priori rien, à moins que ça n'ait changé depuis les années 70.

Nous arrivons vers onze heures et demie. Il fait déjà très chaud. Nous garons la voiture dès que possible et marchons. Nous sommes dimanche. Les terrasses sont pleines. Avant-hier à Larissa, hier à Katarini, aujourd'hui à Pharsale, la population de tous âges, élégamment vêtue, envahit les terrasses pour boire du café ou de la bière. C'est joyeux et bon enfant.
Sur la place se dresse une statue d'Achille. Elle date d'août 2013. Dimanche prochain aura lieu la sixième édition du semi-marathon de la ville. J'aimerais trouver une carte postale mais je ne me fais guère d'illusion.
Nous nous arrêtons nous aussi prendre un verre en terrasse puis nous rejoignons la voiture par un autre chemin: beaucoup de bâtiments abandonnés de cet abandon particulier des choses écrasées de soleil et des boutiques neuves et pimpantes. Ici, on est meccano ou serveur — ou peut-être cueilleur de coton.

Nous repartons. Les gens conduisent à la grecque, c'est-à-dire en se serrant le long du bas-côté pour vous laisser passer, en s'arrêtant n'importe où sans prévenir, en doublant sur les lignes blanches. Le stop est un céder le passage, les chiens sont suicidaires.
Direction Thermopiles. Nous grimpons, franchissons un col, changeons de plaine. Il y a des camions, des radars, la route est quasi déserte. La montagne est plus haute, nous franchissons un col, dans la plaine le paysage est plus vert, des arbres fruitiers et des oliviers apparaissent.
Nous voyons trop tard le monument à Léonidas, de l'autre côté de la route. Il est deux heures, l'heure de déjeuner. Tant pis, nous continuons jusqu’à la prochaine ville au bord de la mer.

Kamena Vourla. Place à l’ombre au bord de la plage, mer bleu, vent léger, carafe de vin blanc. Paysage de carte postale. Nous sommes merveilleusement bien. J’ai choisi le restaurant sur la chemise blanche d’un client. A ce même client je vais demander quel plat il a choisi car celui-ci me plaît.
Indigestion de friture de poissons variés. Ne plus jamais prendre « mégalé », petit suffira.
Chemise blanche viendra nous dire avant de quitter la gargotte qu’il nous a offert le vin. « Malicieux et fraternels » dit le guide bleu Michelin à propos des Grecs.

Pour (tenter de) digérer, nous longeons la rue qui suit la côte. Soleil, chaleur, et miracle, quelques cartes postales.
Plus tard, vers cinq heures, nous retournons à Thermopiles, descendons, explorons le lieu. La mer a beaucoup reculé en deux mille ans. Devant le monument en haut de la colline nous rencontrons un Québecois. Nous prenons un chemin plus loin, grimpons, trouvons un peu par hasard les ruines d’une fortification.
Malgré les explications je ne comprends pas bien ce qui s’est passé ici, je ne visualise pas les moments de troupe.

Nous rentrons par l’autoroute. Deux cents kilomètres vers Athènes, autant vers Platomonos.
Soleil ou indigestion, je suis épuisée.

L'impossible foi

Deux heures de théologie au lever du soleil, entre sept et neuf heures. Je finis l'article de Lemieux et je reprends Dosse.
Comment faire de la théologie, pourquoi faire de la théologie, je tourne ces questions comme un sujet possible de mémoire de licence. En 1966 Roustang se fait virer de Christus parce qu'il prévoit l'indifférence des générations futures.
Si l'on n'y prend garde et si l'on se refuse à voir l'évidence, le détachement à l'égard de l'Eglise, qui est largement commencé, ira en s'accentuant. Il ne revêtira pas alors, comme dans le passé, la forme d'une opposition ou celle d'un abandon, mais d'un désintérêt tranquille à l'égard, disent-ils, de cette montagne d'efforts qui accouche inlassablement d'une souris.

François Roustang, «Le troisième homme», Christus, n°52, octobre 1966, p.567, cité par F. Dosse, Michel de Certeau, le marcheur blessé, p.87
Je repense à H. en 2012, son effarement, son incompréhension devant mon cursus de théologie: «Mais enfin, ta religion, elle est morte!»
J'ai raconté cette anecdote plusieurs fois, choquant certains. Comme l'a souligné un élève, «bref, tu n'es pas soutenue à la maison». Ce qui est difficile à expliquer, c'est que dans un certain sens je préfère cela. Je préfère cela à ceux qui paraissent vivre dans un monde que je ne connais pas et qui m'effraie (de l'extérieur), un monde où tout le monde est chrétien, croyant, pratiquant, où la foi, les rituels, la connaissance des Ecritures vont de soi. Qu'est-ce que ce monde, où se trouve un monde pareil, s'agit-il d'un "vrai" monde, en prise avec la réalité, avec les Pokémons et Instagram?
Dans mon monde à moi croire ne va pas de soi, c'est plutôt une anomalie, pour ne pas dire un signe de bêtise, de léger attardement mental. Dans mon entourage, certains pensent que tout le mal vient des religions (comme si les hommes ne trouveraient pas autre chose pour se faire la guerre!) et Jacques, que j'aimais tant, semblait bien convaincu que tous les curés étaient pédophiles.
Je préfère vivre dans ce monde-là qui ne comprend pas comment il est possible de croire (titre d'un groupe Facebook: «Je n'ai pas d'ami imaginaire») parce qu'à vrai dire, je ne suis pas sûre de comprendre non plus.
Mais je crois, c'est ainsi.
Pourquoi? (non, pas de psychologie à deux balles, please).


Petit déjeuner, une heure de nage dans la mer, sieste, déjeuner, bataille avec l'informatique (le peu de photos que je prends est devenu inutilisable, je n'arrive pas à les transférer de mon téléphone), blogage, dîner à Katerini où nous sommes les seuls touristes. La place principale est joyeuse, tout le monde est dehors, les gens élégants, les enfants jouent pendant que les parents dînent, on est bien.

Objectif Météores

J'ai vu l'aube rouge sur la mer, je me suis recouchée.
J'ai lu une heure (théologie) dans le bruit des vagues sur la terrasse au soleil déjà presque haut. La musique a repris à huit heures du matin.
Petit déjeuner à base de feta et concombre. Deux fois j'ai appuyé sur l'appareil pour avoir de l'eau chaude dans ma tasse (car je n'aime pas les faux-cols). Deux fois c'était trop, j'en ai mis partout. La serveuse m'a gentiment montré comment arrêter (bouton stop sur la machine d'à côté) l'eau la deuxième fois. Je me suis souvenue la façon dont je m'étais fait engueulée à l'auberge de jeunesse de Berlin pour exactement la même raison.
Je n'aime pas les faux-cols.

Dix heures, direction les Météores, étape Larissa.
— Gare-toi là !
Docile, il s'exécute puis demande : — Pourquoi on s'arrête ?
— Ben je ne sais pas, c'est toi qui a programmé une étape Larissa sur Waze.
— Mais c'était une étape dans la définition du trajet, pas pour s'arrêter !

Nous sommes malgré tout descendus de voiture. Ville aux rues en travaux, ville vivante, amusante, aux rues ombragées. Nous avons acheté un short, du thé, des filtres à thé, des lunettes de soleil (Gucci !), un fil pour tenir les lunettes quand on fait du sport (avec flotteurs pour ne pas les perdre dans l'eau), du Canderel. Nous avons pris une Guinness en terrasse et mangé un risotto et une salade agrémentée d'une sauce purée de framboise/vinaigre. Le café s'appelle Bukowski et parmi les "strong drinks" classe l'eau gazeuse (mais propose aussi des "stronger drinks", et même des "strongest", heureusement).

Deux heures. Plein ouest. Il fait trente dans la voiture (la température ne descendra que dans la nuit, à vingt-sept, vingt-cinq). Route droite, paysage pelé. Quatre voies séparées par un terre-plein: voie de gauche à 90, voie de droite à 70, voie qui quitte la route à droite à 50. Oublions ces râleurs de Français. Les Grecs sont toujours les mêmes au volant, bienveillants et négligents, s'arrêtant n'importe où pour faire n'importe quoi — mais ne klaxonnant jamais quand vous en faites autant.

Puis la ville sous les rochers, à flanc de rocher, les rochers nus, abrupts, immenses, noirs-bruns, arrondis par la pluie. La route continue. Premier monastère, Sainte Barbara, tenu par des religieuses. Nous montons, nous visitons. Beaucoup de slaves, des Russes. Une nonne orthodoxe strictement voilée à l'entrée. Un panneau recommande (en grec, anglais et russe) d'être vêtu "modestement". Des peintures dans l'église, nouveau testament, peintures des martyres des saints. Nous déchiffrons les caractères grecs, reconnaissons quelques martyrs aux instruments de torture (les flèches, le gril, etc).
Le jardin en contrebas est très beau.
J'achète du miel, forcément, toujours du miel dans les monastères, et quelques cartes postales.

Nous escaladons la montagne (cyclamen sauvages rose pâle), redescendons, allons au monastère suivant, puis le suivant. Ils sont fermés depuis une heure, nous montons, descendons, une passerelle, une atmosphère de photos chinoises, de monastères bouddhistes… Les chiens dorment au soleil et se déplacent à peine quand la voiture arrive. Les animaux sont faméliques et confiants. Impression de silence et de solitude au milieu de la poignée d'égarés qui comme nous montent les marches en sachant la porte close.

Retour à Larissa, les rues sont animées, dans le parc un concert apparemment dédié à réclamer l'accueil des réfugiés. Des caricatures font froid dans le dos qui dénoncent la collusion de l'Eglise orthodoxe et de l'extrême-droite. Que se passe-t-il réellement ici?
Il est huit heures, il fait nuit. Les terrrasses sont pleines de gens qui boivent un verre, nous nous installons, un ouzo, une planche… En attendant les plats je colle un timbre sur les cartes postales, timbres que H. a trouvés dans une gargotte où il est descendu acheter de l'eau:
— Vu où je les ai achetés, tu ne devrais pas lécher ces timbres pour les coller.
Je ris: — T'inquiète; regarde, je bois un peu d'ouzo pour désinfecter…
Il est franchement dégoûté: — Mais non, je t'assure, la vieille a soufflé dessus avant de me les donner.
Je ris et continue.

Larissa est vraiment étonnante, est-ce toujours ainsi, ou seulement le vendredi? Tout le monde est dans la rue, avec les enfants de un ou deux ans si nécessaire.
Une pharmacie affiche "Sophie la girafe" sur son panneau lumineux: mais pourquoi? (et je songe à Nancy, février 2017).
Nous rentrons, autoroute à 120.
Je suis fatiguée, trop de soleil, trop de vent.

Marie-Thérèse

Je vais ramer le soir afin d'éviter la chaleur. Je ne rame plus assez et cela me fait tourner la tête quand je descends de bateau — mais si je rame davantage je crains pour mon dos. Je manque de confiance en ma guérison.

Double avec une jeune Allemande qui doit être un crack de la finance. Elle vient d'Hambourg et n'a pas ramé depuis plusieurs années. Elle s'appelle Marie-Thérèse et son supérieur en France refuse de l'appeler par ce prénom. Trouve-t-il cela vieillot ou est-il anti-royaliste? Bateau agréable.

H. rentre de deux ou trois jours de salon. Il a négocié son départ pour septembre et depuis qu'il sait qu'il part il prend la liberté de dire quelques vérités à certains. Ces récits sont très drôles et nous restons tard sur la terrasse, sans allumer pour éviter les insectes. Il fait encore très chaud.

J'ai trouvé un tumblr intéressant sur la façon dont se glissent des allusions à la Grèce antique dans la culture populaire. C'est un tumblr américain, ce qui fait que du même coup, c'est une initiation à certaines références culturelles pas toujours compréhensibles hors US.

A la façon de Mélenchon (vu sur twitter) : «A 32° degrés près, il gèlerait». (Phrase également drôle en Farenheit).
Par ailleurs, ce député européen s'est insurgé devant le drapeau européen dans l'hémicycle. Nous dirons désormais "une mélenchonnerie".
(Hier ou avant-hier, Mélenchon a promis d'expliquer le contrat de travail "au matheux" [Cédric Villani]. Tout le monde s'est insurgé devant la connotation méprisante, etc. Ce qui me fait rire, moi, c'est d'imaginer le temps nécessaire à Villani pour comprendre le contrat de travail. Mélenchon ne se rend pas compte.)

Littérature grecque

En regardant google agenda hier en cours, je me suis aperçue qu'il y avait ce soir un "dîner littéraire" dont le thème était Grèce et littérature. Curieusement je ne reçois plus de mails d'invitation depuis quelques mois. Il a d'ailleurs fallu que je refournisse mon mail sur le formulaire d'inscription, il a dû être écrasé.

Je me suis donc inscrite et j'ai choisi en catastrophe ce que j'allais présenter: quelque chose de court (puisque personne n'emprunte de gros livres), quelque chose que je connaissais puisque je n'avais plus le temps de lire un ouvrage de fond tel que j'avais eu l'intention d'en amener lorsque j'avais pris connaissance du programme en début d'année (Antoine Meillet, Aperçu d'une histoire de la langue grecque, dont Antoine Compagnon avait parlé dans son séminaire sur le structuralisme, ou finir Autour de Platon, le merveilleux livre d'Auguste Diès).

Pas Cavafy, tout le monde allait l'amener, pas Odysseas Elytis, je ne sais plus où la plaquette se trouve dans la maison, pas Lacarrière ou Romilly, trop évidents, Tristano meurt conviendrait-il à ce thème?
J'arrête rapidement mon choix sur deux volumes minces et en outre bilingues (une page sur deux à lire…) d'épigrammes antiques dans la collection Orphée, La Couronne de Méléagre et La Couronne de Philippe. Mon inscription est terminée.

Tous ces scrupules étaient inutiles: j'ai été la seule à ma table à repartir avec des livres présentés. Les gens viennent, commentent ou pire racontent interminablement le livre qu'ils ont amené (parfois un livre de bibliothèque (Hypérion d'Höderlin) ou pour la première fois ce soir des feuilles photocopiées) et repartent sans se préoccuper de ceux des autres.
Je ne reviendrai pas l'année prochaine — ni jamais. Je vais juste récupérer mes deux livres encore en circulation.

Point positif : quelqu'un a présenté une revue éditée par la librairie grecque Desmos. Il faudra que j'y passe.

Tout cela a fait naître un irrésistible désir de Grèce.

La Grèce a dit non

Matinée dans les bouchons: O. a passé son test d'aptitude à partir avec moi en conduite accompagnée. Visiblement toute l'Ile-de-France a pris sa voiture en espérant qu'il n'y aurait personne sur les routes : raté !

H. est parti hier pour Poitiers, ce matin pour Muret: «on y va, on se fait engueuler, on revient.»

La Grèce a dit non, je n'avais pas particulièrement d'opinion sur le referendum en lui-même (je me méfie des referendum), mais j'espérais vraiment que quelqu'un allait s'opposer à la financiarisation du monde. Je n'ai toujours pas digéré que les responsables du krack de 2008 ne soient pas en prison. En 2010, je saluais déjà la Grèce en ce qu'elle constituait un grain de sable dans les rouages destinés à digérer le vulgum pecus.
Mais maintenant j'ai l'impression d'être lâche, car ce sont les Grecs qui vont payer.
(Mais ils auraient payé de toute façon).
Qu'avons-nous comme exemple? l'Argentine (les enfants qui s'évanouissent de faim dans les écoles), l'Islande (le chanteur de métal à la tête du pays).
Pourvu, pourvu, pourvu… J'ai peur pour eux, pour nous, pour ce rêve d'Europe de 1944-1945 qui a commencé à se désagréger au fur à mesure que nous allions bien (car lorsque je regarde la quantité de trucs inutiles à vendre, les petits vélos pour découper la pizza et les pinces pour attrapper les toasts (longue station ce matin devant une vitrine en attendant l'ouverture de l'auto-école), non, je ne peux pas dire que nous soyons pauvres: en crise, oui; déchirés par les inégalités, oui; pauvres non), avec comme point d'orgue la réunification allemande qui a paru mettre un point final à la guerre (alors qu'en réalité se rouvrait peu à peu un front à l'Est au fur à mesure de l'émancipation des pays de l'ex-URSS).

Yolette de pointe et coup de soleil.

Première sortie en voiture pour O. C'est tout de même ennuyeux que ce soit une automatique.

Les consommations au bar

Je m'apprêtais à jeter les tickets signés chaque jour au bar de l'hôtel, bar au bord de la pelouse, en plein air.
Finalement, les heures et les consommations permettent quelques reconstitutions. Je les recopie en souvenir des heures heureuses.

* 19 juillet
2 "frappés" (café frappé) : mon café préféré, grec avec des glaçons, très peu sucré. H et moi le premier soir, devant la mer. Nous ne sommes pas encore enregistrés dans la machine et la note est manuscrite (d'ailleurs nous nous trompons de numéro de chambre et rectifions le lendemain).

* 20 juillet
21h25 - deux capuccino (servis comme en Italie) et un milkshake (découverte de O qui va en faire une consommation considérable).

* rien le 21, jour du périple à Delphes

* 22 juillet
15h28 : nous avons déjeuné sur place, j'ai frôlé l'indigestion.
20h51 : 4 milkshakes, 1 cafés frappés, 1 coktail (je reprends un ouzo bleu, découvert à déjeuner). Tous ensemble sur un ticket, c'est la seule fois où la commande sera passée ainsi groupée.
22:28 : un jus de fruit pressé : H.

* 23 juillet
22h41 : 4 milkshakes, 1 capuccino, pour nous détendre après la course contre le soleil en revenant d'Olympie. (Je n'ai pas raconté la gentillesse des serveurs qui nous ont servi à 22h sans un geste d'impatience, allant nous chercher des "restes" en cuisine, ce qui fait que nous avons été servis alors qu'habituellement c'est nous qui nous servons (formule buffet) (avec une fin officielle à 21 heures)). La note est signée par moi, H. manque dans la liste des consommations, mais où était-il donc? Je ne sais plus. D'autre part j'ai arrêté le café frappé au-delà de trois heures, en vieillissant je deviens sensible à la caféine (ou alors c'est que je ne suis plus assez fatiguée).
23h05 : un jus pressé pour H. (C'est I qui s'est chargée de la commande, c'est elle qui a signé.)
Ce soir-là, en toute ingratitude, nous avons joué à la belote très tard pour nous remettre de nos émotions, le serveur dédié au bar essuyait les tables et ne savait plus comment s'occuper, nous étions les derniers. Nous avons finalement eu pitié de lui et sommes rentrés dans le hall, ivres de fatigue, terminer notre mille.

* 24 juillet
19h45 : deux jus de fruit pressés. Je me souviens que je suis arrivée en retard et que deux (lesquels?) buvaient l'apéro en m'attendant.
20h : un fruit pressé et un ouzo. Puisqu'ils prenaient l'apéro, je suis allée me chercher un ouzo, le premier du séjour.
21h27 : 4 milkshakes et un capuccino. Il s'agit sans doute de parties de belote + un non joueur (qui?)

* 25 juillet
18h58 : un coktail et un milkshake. Il est noté coktail, il s'agit précisément de mojito que le serveur m'a proposé quand je suis arrivée au bar. Nous comprendrons plus tard que le mojito n'est pas sur la carte et qu'il est tout heureux de s'amuser avec ses bouteilles, nous demandant notre appréciation pour doser le sucre au fur à mesure des verres servis (il a fait beaucoup de progrès en français en une semaine).
19h23 : un jus de fruis frais. pour H.
19h31 : deux cocas (note signée A.)
19h48 : un autre mojito (pour moi. Pas assez tassé le premier!)
20h51 : un bayleys, un expresso, un frappé, un capuccino. Les deux premières consommations étaient destinées aux personnes qui nous avaient indiqué Epidaure le matin même. (Nous les avons invitées à prendre le pot d'adieu aux vacances. Eux sont restés deux semaines — mais avec un seul enfant).
Il convient d'ajouter une tournée offerte par eux.
21h45 : trois milkshakes et un jus de fruit pressé. Les enfants, note signée de A. (Nous leur avions donné du liquide pour la semaine afin qu'ils puissent prendre une consommation au bar dans la journée sans avoir à signer ou nous déranger, mais ils l'ont peu utilisé, et c'est cet argent qui a servi régulièrement quand nous faisions les fonds de poche dans le camion pour payer l'essence ou le miel… (nous le remboursions au prochain distributeur de billets, puis nous le récupérions à la prochaine pénurie: des enfants comme banque ou tirelire.)

Retour à contre-cœur

Une semaine c'est vraiment trop court, rarement j'ai éprouvé autant de regrets à partir.

Les dernières cartes postales dans la cage à oiseaux qui sert de boîte aux lettres sur le comptoir de la réception, une dernière baignade en regrettant de ne pas en avoir profiter davantage, un dernier déjeuner sous la tonnelle.
Je me connecte à FB pour la première fois de la semaine; Skot s'est décommandé, Tlön demande confirmation de l'heure du barbecue. Je préviens H.
Autoroute jusqu'à l'aéroport, ça n'en finit pas, je m'endors au volant.
Embarquement très long de nouveau. Deux cartouches de cigarettes pour des collègues de H., pas le temps d'écrire et poster mes dernières cartes postales.

Regrets, regrets.

Un bébé adorable devant nous, une gosse de quatre ans qui pousse des cris stridents trois rangs devant. Les parents sont impassibles. Je pense que son frère de onze ans quittera la maison dès que possible.
Hervé est coincé dans le siège trop petit. Son voisin lui donne un conseil: «Il faut voyager sur Aéroflot, c'est taillé large, pour des Russes».

Nous sommes rentrés.

L'Arcadie fut-elle si heureuse ?

De la terrasse devant notre chambre, je saisis le moment du lever du soleil, entre 6h29 et 6h31.




6h49. Deux barques de pêcheurs, un raclement de gorge au balcon du dessous.

H. vient me chercher: je pensais avoir une heure de plus, mon ordinateur n'a pas changé d'heure.

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21h 15. J'écris à l'arrière du van. Nous avons encore mal estimé les distances, cela fait un quart d'heure que nous devrions être à l'hôtel si nous voulions y dîner (nous sommes en demi-pension). Nous roulons contre la montre avec l'espoir que l'esprit grec étant ce qu'il est, nous pourrons malgré tout être servis.

Le but initial de la journée était Bassae.
— Mais pourquoi Bassae?
— Euh ben euh…
— Cherche pas, on ne saura pas, elle a dû lire dans un livre quelconque…

9h. Autoroute jusqu'à Megalopolis, superbe (l'autoroute, pas Megalopolis: centrale nucléaire et fils électriques), vide, coupée de péages et de tunnels. A partir de Mégalopolis, petites routes "pitto" vers Bassae. Comme l'autre jour vers Thèbes, cela n'en finit pas, mais cette fois-ci, nous sommes prévenus, et c'est vraiment très joli, sauvage, route en lacets, passagers qui protestent (la route est étroite, les virages serrés, le revêtement inégal), le copilote interprète passablement la carte mystérieuse. J'ai pris le parti de conduire "à la grecque", selon mes nécessités, par exemple ralentissant sans vergogne pour lire les panneaux en grec (le déchiffrage n'est pas rapide) ou même m'arrêtant une fois à une fourche le temps de décider de la direction.

La plus belle surprise de ce voyage est Karytaina aperçue à l'horizon. Le château sur les hauteurs appartenait au fief de Hugues de Bruyères (1209) (Ah, ce nom…!), nous dit le Guide bleu, qui précise (mais nous sommes passés là par hasard et je ne le lirai qu'après) «l'un des plus pittoresques villages d'Arcadie». Magnifique et perdu.






Nous montons vers les nuages et l'orage, quelques gouttes, nous suivons un camion chargé de graviers, je le double (j'adore conduire en montagne, c'est fun, H. est mort de peur), pause pipi, à deux pas du camion une file d'énormes fourmis noires va et vient le long d'un étroit sentier à leur mesure. Je dépose un raisin (de Corinthe) sur leur chemin, nous les observons avec curiosité.
Déception, elles ne s'y intéressent pas et le contournent. Plus tard il me faudra convenir que nous sommes déformés par les dessins animés et que nous avons vraiment cru qu'elles le chargeraient sur leurs épaules en chantant.
Un instant deux ou trois fourmis s'y intéressent, nous pensons qu'elles vont le découper et l'emporter par morceaux. Mais non. Vont-elles en référer à l'intérieur de la fourmilière? Nous ne le saurons jamais, nous devons repartir.

O. claque la portière passager avant, H. hurle.
La porte a claqué franchement, le hurlement a été immédiat, le claquement a été si franc que j'imagine aussitôt de ma place de chauffeur la main broyée, coupée. O. a claqué la porte sur les doigts de H. qui montait à l'arrière en s'aidant de l'encadrement de la porte avant. Heureusement seuls les doigts ont pris, non pas métal contre métal mais métal contre caoutchouc (le joint), la douleur est intense, doigts gourds et choc d'adrénaline; H. ne pourra pas conduire, mais rien n'est cassé. J'ai eu vraiment peur, je ne sais pas ce que nous aurions fait: village suivant pour appeler un hôpital? Retour à Mégalopolis (une heure ou plus de trajet sur des petites routes?)

Surprise en arrivant à Bassae. Le Guide bleu de 1985 prévenait: c'est le temple le mieux conservé de Grèce, mais il sera sans doute couvert d'échafaudages pour consolidation.
En fait, il est carrément bâché, couvert par un chapiteau qui ressemble à l'opéra de Sydney, et cela depuis 1987. Je ne sais s'il reverra l'air libre un jour. Ainsi, il est protégé de la pluie et de la neige (nous sommes à 1100 mètres d'altitude) et a cessé de glisser sur le sommet de la pente. Le panorama est sauvage et magnifique, les pierres du temple ravinées par le temps d'une grande beauté, veinées de rouge par des siècles d'intempéries; on éprouve à la fois une déception à ne pas le voir dans son cadre naturel et une résignation sage à se dire que c'est mieux ainsi, que c'est la condition pour qu'il soit conservé — à la fois on ne peut s'empêcher de penser que s'il a tenu deux mille cinq cent ans, il tiendra bien encore quelques siècles et que tout cela est peut-être exagéré.




Ces photos changeront peut-être.

Les cartes sur le site (les tableaux explicatifs) indiquent deux autres temples plus petits derrière la montagne, nous tentons quelques chemins mais ne trouvons pas de passages. Tant pis, il est midi (deux heures pour faire 95 km), le dénivelé indiqué sur les courbes de niveau ne permet pas d'évaluer avec justesse le temps de la promenade, les ouvriers du chantier ne paraissent pas concevoir que nous puissions chercher autre chose que les toilettes, nous abandonnons (pourtant, pourtant… Je pense qu'il suffisait de contourner la maison des ouvriers occupés à consolider le temple).

Pas de cigales à cette altitude, des chênes pour la première fois durant notre voyage, des chardons d'un mètre de haut sur le bord de la route. Les montagnes alentour sont hautes, j'apprendrai plus tard que nous avons vu le mont Lycée (mais lequel était-ce? De l'inconvénient de lire les guides après et non avant. De l'urgence de retourner voir.)

Tout le monde est de bonne humeur, nous étudions la carte pour le retour, je montre ce que j'avais envisagé (une boucle de routes "pitto" en Arcadie); H. propose de pousser jusqu'à Olympie, tout le monde est d'accord, nous repartons. Le paysage change, la végétation est plus clairsemée. La route est moins bien entretenue, des branches fouettent le camion au passage avec un bruit effrayant, je demande à O. de replier le rétroviseur.

Nous croisons un camion de pompier (un pick-up, il y en a beaucoup ici, de marque japonaise le plus souvent) en sens inverse, un serpent traverse devant mes roues, des pierres gisent sur la chaussée, à un endroit la route s'est effondrée du côté du ravin (dans l'ensemble, les routes sont bien meilleures qu'en Italie, dans les Pouilles par exemple. Surtout le conducteur grec est facile à vivre, pas vindicatif pour deux sous; savoir que personne ne va arriver en face à grande vitesse est rassurant).

Dans un village un panneau annonce "Pizza-Café", mais pendant que nous nous garons, des vieillards à la terrasse de la maison d'en face nous font de grands signes que nous n'osons interpréter comme une invitation — rien n'indique que ce soit un restaurant, une "taverna", mais une fois descendus du camion, nous devons nous rendre à l'évidence. Nous n'osons les décevoir et nous nous installons en terrasse sans savoir à quoi nous attendre.

Nous provoquons l'effervescence, j'ai l'impression d'être dans Alphonse Daudet (Les Vieux: «Un vrai coup de théâtre ! La petite pousse un cri, le gros livre tombe, les canaris, les mouches se réveillent, la pendule sonne, le vieux se dresse en sursaut, tout effaré,»). Nous sommes d'abord installés sur des petites tables rondes de café, celles-ci sont remplacées par des tables à peine plus grandes que le vieux peut à peine porter mais qu'il met sa fierté à soulever, des nappes en papier apparaissent (ce qui semble confirmer, à la réflexion, qu'ils font bien de la restauration un métier). Ils ne parlent pas anglais, mais sourient beaucoup, sont très amicaux, se font expliquer la famille (l'aubergiste d'une cinquantaine d'années a cinq enfants). Passer commande est compliqué, nous faisons signe d'apporter ce qu'ils ont; nous refusons la bière et choisissons le vin (impossible/inutile d'expliquer que je suis seule à boire si cette campagne ressemble à la française et à toutes les campagnes d'Europe: H. et C. feront semblant (et finalement non: le vin est buvable, pas trop fort, inattendu). Salade de légumes en entrée, concombres, tomates, olives et un excellent fromage au goût de roquefort (si j'avais parlé le grec j'aurais essayé d'en acheter), poulet frit (pané, cela me rappelle le sud des Etats-Unis) et frites (qui sont ce qui a le moins d'intérêt: sans doute tourisme rime-t-il avec frites, je suppose), pastèque et café.
Deux autres voitures arrivent et après avoir tenté le café/pizza d'en face (apparemment on ne peut qu'y boire) échouent "chez nous" et sont installés sous la tonnelle voisine. Nous voyons l'aubergiste disparaître dans la rue qui descend et remonter avec des provisions de la supérette locale.
Elle nous réclame cinquante euros, en hésitant, d'un air interrogatif du genre «Ça ira?». Nous avons honte, cinquante euros à six vin et café compris… Comme me le dira H. plus tard et ailleurs (alors que nous entendrons un Français très désagréable vitupérer contre les Grecs), les gens du coin ne paient peut-être que la moitié et dans ce sens-là nous nous faisons peut-être "arnaquer", mais quelle importance si ça leur permet de vivre une ou deux semaines tranquilles?

Une fois rentrée, j'ai tenté d'idenfier le village et la maison: c'est à Petralona en Arcadie. Et si vous voulez y passer, je mets en ligne la photo-satellite:





Nous reprenons la route, un peu étonnés de ce que nous venons de vivre et sans très bien le comprendre: est-ce que ces gens font vraiment profession de restauration? Mais il n'y avait même pas d'enseigne à leur maison! Croisons-nous sans le savoir d'autres endroits où nous pourrions nous arrêter déjeuner?

La route devient peu à peu plus facile et s'abaisse vers la côte. Nous reproduisons l'habituelle recherche du distributeur lié au besoin d'essence (nous ne sommes pas très doués). Nous nous perdons pour aller à Olympie et suivons le fleuve Alphée (sans le savoir, nous l'avions déjà suivi à Mégalopolis et Karytaina). La végétation a complètement changé, même le climat et la couleur du ciel paraissent différents, l'eau douce transforme le paysage et lui donne une douceur inaccoutumée après l'âpreté que nous venons de traverser.

Olympie. Nous arrivons tard, très tard (vers cinq heures?), alors qu'il est possible de passer plusieurs jours ici, sans doute. Nous visitons d'abord le musée du site (pour voir une maquette avant la visite. La différence de styles muséographiques est frappante entre Delphes française et Olympie allemande, je qualifierais les Allemands de pédagogique, avec un goût pour la reconstitution), abandonnons l'idée de visiter les musées historiques et nous nous promenons (vite, vite) sur le site lui-même, impressionnant par son ampleur et son calme. Quelle douceur, ici. A cette heure-ci il fait moins chaud, le site est désert, on est merveilleusement bien.
Je suis étonnée par l'éloignement du site de toutes les grandes villes de l'Antiquité, étonnée par cette idée un peu folle de conclure une trêve le temps d'une compétition sportive (mais alors, si l'on arrive ainsi à conclure une trêve, c'est que l'on ne se hait que relativement: pourquoi ne pas la prolonger le reste du temps?)
Une glace à l'ombre de deux énormes platane, une robe et un t-shirt plus tard, nous repartons. J'ai calculé que nous avons deux heures pour parcourir cent quarante ou cent cinquante kilomètres, route "rouge" sur la carte Michelin au un millionième, nous devrions y parvenir sans difficulté.

Nous ne tarderons pas à découvrir que la route "rouge" (n° 74) est l'équivalent des petites routes du Massif Central, celles où l'on se croise avec difficulté. Les à-pics sont vertigineux, il n'y a pas toujours de parapet, le minibus tremble dans les épingles à cheveux, c'est d'une beauté à couper le soufle. Le soleil est caché par les montagnes à l'ouest, les profondeurs des ravins sont cachés dans la pénombre, les pentes orientales sont éclairées par la lumière déclinante, il n'y a plus trace humaine dans le paysage, plus de poteau électrique ni âme qui vive.
Parfois nous croisons une voiture, et même une fois, à notre désarroi, un car (mais comment fait-il?)
Evidemment nous roulons lentement (plus tard, je me rendrai compte que le guide prévoit 45 km/h de moyenne, ce qui est honnête). Serons-nous à l'heure à l'hôtel?

Nous traversons Lagkadia avec difficulté (la route est étroite, dans chaque virage nous craignons de heurter l'arrière du minibus contre les parapets de pierre ou les voitures qui arrivent en face: mais comment un car a-t-il pu traverser cet endroit?), la ville est très animée et je regrette de ne pas pouvoir m'y arrêter, elle donne envie de rester un jour ou une semaine, le temps de comprendre comment quelque chose de si petit et si éloigné de tout peut être si populeux et vivant.

Route 111 sans remonter vers le nord (plus court à vol d'oiseau, mais nous sommes devenus méfiants: nous cherchons à rejoindre l'autoroute au plus vite), la nuit est tombée, nous avons choisi de rejoindre l'hôtel en espérant qu'ils auront pitié de nous et accepterons de nous servir (ce qui sera effectivement le cas).

Retour à l'hôtel les yeux pleins d'images, la tête pleine du regret d'être allés si vite, bien conscients que ce périple aurait pu nous prendre la semaine si nous nous étions arrêtés le temps convenable dans chaque endroit qui nous attirait.

Repos

Après la journée d'hier, nous avons programmé une journée de farniente. Je suis de nouveau réveillée à l'aube. Je m'installe sur la terrasse avec L'Idiot. En allant jusqu'au bout de la terrasse vers le nord ouest, j'ai remarqué que l'occupant de la chambre à qui j'avais fait peur le premier matin, assis sur une chaise, attend lui aussi le soleil. Nous sommes donc deux à attendre le soleil chaque matin. Je regrette de l'avoir chassé du meilleur endroit, je sais aussi que nous ne pouvons être deux au même endroit pour attendre. La solitude est essentielle.

Une fois le rite accompli, je me recouche. Je dors profondément quand H. me réveille à neuf heures moins cinq (fin théorique de petit déjeuner à neuf heures, mais c'est de la théorie). Il en restera des traces toute la matinée: yeux larmoyants (mais pourquoi? le sel?), incapacité à parler (fatigue intense à l'idée de former des mots), non-désir de me baigner…

Au petit déjeuner, je remarque une famille que je prends pour des Australiens: quatre enfants entre seize et vingt-cinq ans, blonds et très carrés, tous, les deux filles autant que les deux garçons. On dirait que les garçons ont oublié d'enlever leurs protections de football américain quand ils ont enfilé leur t-shirt.
Plus tard, en cherchant une place pour lire sur la pelouse, je remarque aux côtés du garçon qui a les cheveux longs un livre de la taille d'un petit Larousse. Qu'est-ce donc, les oeuvres complètes de Tom Clancy en version reliée? Je m'approche négligeamment: Systematic Theology.
(En fait ils sont hollandais. Ça va être quelque chose, le pasteur du XXIe siècle!)

En maillot de bain à l'ombre d'un palmier j'avance dans L'Idiot. C'est bien la première fois que j'arrive à dégager du temps pour lire en vacances. Ce n'est pas du tout ce que j'aurais pensé d'après le titre, et c'est presque guilleret après Crime et Châtiment et Les Frères Karamazov. Je songe à Lorenzaccio (la ressemblance entre Lorenzaccio et A Philippovna). «Le meurtre du père et le viol de la petite fille, dit la préface de Raymond Abellio, à propos des thèmes récurrents de Dostoïevski.

Repas à l'hôtel. Pas de buffet, nous commandons des plats au bar et nous mangeons sur la terrasse entre la pelouse et la mer. Après un cocktail (de l'ouzo bleu, ouzo, curaçao et limonade), une moussaka, des calamars frits et un café frappé, j'ai pratiquement une indigestion. Sieste. Cartes postales. Dîner. Belote. Je n'aurai pas nagé aujourd'hui.

Inner peace de H. devant la mer en attendant que O. revienne avec les cartes pour jouer à la belote.


Delphes ou le tour du golfe de Corinthe

5h30. A. m'a demandé de la réveiller pour voir le soleil se lever. Une lueur rouge transparaît à l'horizon, je me recouche et vais réveiller A. trois quart d'heure plus tard. Il fait jour mais le soleil n'est pas encore visible, nous le regardons émerger derrière les montagnes. Dès qu'il apparaît, il ne faut que quelques minutes pour qu'il surgisse tout entier (calculez la vitesse de rotation de la terre, la distance terre- soleil, la taille du soleil — dont les Grecs ont connu une approximation assez tôt.)

Départ à 9 heures pour Delphes. Comme je suis copilote, je choisis de la route "verte" (comprendre: notée pittoresque (pitto) sur la carte Michelin): nous franchissons le canal de Corinthe (cette tranchée me surprendra toujours) et nous prenons à gauche pour longer la côte. Traversée de Loutraki très commerçante (plus grande cité thermale de Grèce, nous dit le Guide bleu de 1985. Lac de Vouliagméni (eau salée, et pourtant plus haut que le niveau de la mer. Ou pas? S'agit-il d'une ouverture à l'horizon? (Oui.) C'est très beau, très tranquille, lieu de vacances pour ermite aimant le kayak ou la pêche. Tout est tellement désert dès qu'on s'éloigne des villes.)

La route qui mène au phare sur le cap Perachora est en travaux, un marteau-piqueur de la taille d'un engin de chantier (cela doit avoir un nom) est en train de ronger le bas côté. Nous passons de justesse avec le minibus (j'ai juste le temps de rabattre l'oreille (le rétroviseur) de mon côté), le plus inquiétant étant la physionomie tannée du vieux Grec nous faisant signe d'avancer: grand sourire et geste de la main (l'autre tient le drapeau rouge baissé) genre «allez-y en confiance», et soudain grimace «j'ai dit une connerie, ça ne va pas passer». «Reste dans l'axe, ne touche à rien», dis-je à H. en imaginant déjà le bruit de la carosserie contre l'engin de chantier — je ferme les yeux, c'est passé, et nous avons gagné le respect du vieux Grec: au retour une heure plus tard il fera tourner et arrêter le marteau-piqueur, nous ouvrant une voie royale.




Phare, un peu d'escalade. Comme d'habitude, nous sommes en train de prendre notre temps en début d'excursion: à cette allure, en s'arrêtant partout où j'en ai envie, sera-t-il, serait-il, possible d'atteindre Delphes aujourd'hui? Je contemple la rive en face et visualise mentalement la distance jusqu'à Delphes: c'est loin, je suis inquiète, je ne dis rien.
Nous reprenons la route, je vise Porto Germeno (Guide bleu : l'endroit où Laïos abandonna Œdipe). La route est en lacets, nous suivons une petite voiture blanche qui se trompe dans un embranchement et monte dans le village de Pisia, la route rétrécit, la voiture blanche prend peur et s'arrête, nous ne pouvons plus passer.
Il s'agit d'Espagnols qui veulent aller à Schinos. (Ils ont des amis en France qui habitent Yerres, «vous connaissez?» (c'est moins la coïncidence qui me surprend que la récurrence de ce type de coïncidences, le nombre de voyageurs rencontrant à l'autre bout de la planète un personnage partageant avec eux un point commun inattendu et familier).

La route est escarpée (épingles à cheveux) et nous avançons très lentement. Surtout, la carte est terriblement imprécise et donne l'impression de faire du sur-place. Le moral des troupes baisse dangereusement malgré la beauté de la mer et les pierres sur la chaussée qui mettent du piment dans le voyage: «Chute de pierres… Ah oui, c'est vrai.»
Nous nous arrêtons à Alepochori pour acheter de l'aspirine et boire un pot (il a été décidé, contre mon avis (j'aurais bien goûté le plat que grignotaient les trois Grecs en terrasse) de déjeuner plus tard — il est à peine midi)). Je prends mon traditionnel café frappé.
Il se confirme que les toilettes des cafés n'ont pas de verrou: si la porte est fermée, c'est que c'est occupé, et nous devons songer à ne pas la fermer en les quittant.
Nous buvons (et jouons un peu à inner peace) en terrasse en face d'un panneau indiquant Megara. Nous avons le choix: continuer à vitesse d'escargot vers Porto Germano ou prendre vers Megara une route plus importante et sans doute plus rapide? Un autre facteur entre en jeu, nous n'avons plus d'essence, et c'est ce qui nous fera nous décider pour Megara. (Je regrette de ne pas aller à Porto Germano, pour Œdipe, mais sans le dire, car bien consciente que nous allons beaucoup trop lentement (je ne suis même plus sûre que nous atteindrons Delphes avant le soir, avant la fermeture (mais à quelle heure ferme le site?). Ce n'est qu'une fois rentrée en France que je me souviendrai: Porto Germano, c'était la plage où je me baignais l'année dernière, lieu mythique sans que je le sache.)

Problème imprévu: le pompiste standard (ie hors des abords d'Athènes) ne prend pas la carte bleue (nous arriverons à cette conclusion après quelques autres expériences). Nous voilà à faire nos fonds de poche et ceux des enfants pour réunir péniblement cinquante euros. L'essence coûte le même prix qu'en France. Le pompiste nous sert (comme en Italie), il ne parle que grec mais réussit à nous demander la composition de la famille (sont-ce nos enfants? une question qui reviendra souvent) et si nous sommes allemands. Devant notre dénégation, il fait mine de viser avec un fusil et tirer en disant «Merkel, poum!» S'en suit un ou deux mots ébréchés signifiant que les temps sont très durs. Je regrette vraiment de ne pas pouvoir faire le plein chez lui, c'est trop bête. Nos euros lui auraient été utiles.

Direction Megara sud-est, puis est vers Athènes, puis plein nord vers Thèbes. La route est "rouge" sur la carte mais tortueuse en réalité, le revêtement est lisse mais non plan, comment dire? il semble pencher comme du liquide épais dans un verre, vers l'amont, l'aval ou les bas-côtés de la route, selon les moments. C'est la seule route et nous suivons ou croisons de gros camions. Heureusement que la conduite grecque est bon enfant, sans agressivité. Nous progressons lentement (toujours cette carte au millionième, nous n'avançons pas) et décidons d'aller jusqu'à Thèbes pour déjeuner puisque nous n'avons plus d'argent liquide.

Thèbes est dans une plaine et c'est laid (mer ou montagne: la plaine grecque est laide). Déjà en 1985 le guide évoquait une "cité naufragée". Comme il est étrange de voir dans cet état la ville d'un des rois les plus célèbres de l'histoire du monde. On comprend bien pourquoi ce fut une ville prospère: agriculture et aujourd'hui industrie.
Nous trouvons un distributeur (après avoir demandé notre chemin dans une pharmacie) qui au grand étonnement d'H. propose trois cents euros comme retrait minimum (peut-être parce que les Grecs ne font plus confiance aux banques et paient tout en liquide?) Nous déjeunons dans un kebab (si si) et reprenons la route. Suis-je la seule à douter de notre capacité à atteindre Delphes avant le soir?

Direction plein ouest, il est trois ou quatre heures, c'est agréable, peu à peu la route s'élève, («si si je vous assure, c'est une station de ski, vous allez voir»)— je ne reconnais rien et pourtant c'est bien la route prise l'année dernière. Ce n'est qu'en arrivant à Arachova que je reconnaitrais le village si étroit («non, tu plaisantes, vous êtes passés ici en car?» «oui, c'était un peu compliqué») et si touristique, avec le même regret de ne pas avoir le temps de nous arrêter cette année non plus: j'aurais bien acheté un poncho en poil de mouton ou une tunique de coton.

Delphes. Il est cinq heures environ. Nous visitons le musée d'abord, pendant qu'il fait encore chaud. Anecdote: une gardienne interdit à un jeune homme de photographier son amie devant le sphinx: les photographies des objets sont autorisées, mais pas les photographies de personne devant les objets. Quel raffinement.
Quand nous sortons, le soleil est caché par les montagnes à l'ouest. Le site est encore plus beau à cette heure-là, les colonnes se détachent sur un ciel d'un bleu profond. Je photographie une fleur encore ouverte dans l'ombre d'un mur en pensant à Monsieur Pic.




Conciliabule, le même que ce matin: quel chemin prendre, rejoindre l'autoroute au plus vite au nord de Thèbes ou prendre vers l'ouest pour passer le pont de Patras (inconnu de notre Guide bleu)? Et il nous faut de l'essence…
A ma grande surprise, c'est l'option la plus aventureuse, vers l'ouest, qui est choisie. Nous repartons, avec deux paquets de Tuc au bacon pour le goûter (il est environ sept heures).

Routes en lacets, routes plus larges qui suivent la côte, ça monte, c'est long, c'est beau, la mer, d'énormes eucalyptus, une station service (le plein cette fois-ci). Je suis longtemps les trois mêmes voitures, nous nous garons à Naupacte et choisissons un restaurant sur la plage, littéralement: la table est sur les galets. A l'horizon se découpe le pont de Patras, j'explore systématiquement le kiosque à journaux dans l'espoir de trouver une carte postale, en vain: il fait un peu épicerie, mais ne vend pas de carte postale.

Le garçon est adorable; il parle un anglais basique (je remarque que nous sommes souvent trop littéraires, nous utilisons un vocabulaire trop compliqué). Il s'étonne en nous voyant passer commande en grec en déchiffrant péniblement la carte:
— Vous lisez le grec ?
— Oui.
— Et vous comprenez ce que vous lisez ?
— Non !
Eclat de rire général.

Trop compliqué de jouer à la belote en attendant les plats, alors O. ramasse des galets pour sa propre inner peace. Deux photos, une sans flash qui permet d'apprécier le crépuscule (à 20h39 disent les données de la photo), une avec flash:




Repas simple et excellent, coucher de soleil, pastèque (pas de repas sans pastèque)… Nous repartons dans la nuit noire, il faut atteindre le pont qui brille à l'horizon. (Pour information, c'est à peu près là qu'a eu lieu la bataille de Lépante.)

Le retour de Patras à Corinthe sera cauchemardesque: autoroute sur une file tout du long (travaux d'élargissement), signalisation agressive et répétitive (flèches et panneaux lumineux), camions, nuit noire, route qui n'en finit pas, position inconfortable à l'arrière du minibus qui brinquebale… Les abords entre l'autoroute et la mer sont très peuplés, de très nombreuses lumières brillent. Bizarre, je n'aurais pas cru cela quand je regardais cette côte du phare ce matin (ce matin! comme cela paraît loin).
Nous rentrons à minuit passé. Ouf, l'hôtel est ouvert. Demain repos, histoire de profiter de la piscine et de nos lits.

Mycènes

Je me réveille tôt (toujours le syndrôme «papa, on va au zoo») et de la terrasse je regarde le soleil se lever.





Je songe à "Your Bassae better be good", pourvu que je puisse aller à Bassae, je ne sais plus d'où viens cette phrase, Journal de Travers? Je n'ai rien préparé, rien lu, j'ai amené un Guide bleu de 1985, j'ai envie de tout voir ou de ne rien faire, ça m'est égal. J'avance dans L'Idiot.

Petit déjeuner. Avant de partir, j'ai découvert Gravity Glue sur FB, et hier sur la plage j'ai ramassé sept galets.
Et donc au petit déjeuner j'ai commencé à essayer. (Les deux du dessus sur la photo des trois sont très difficiles à placer. Ils ne sont pas sur le tas à cinq.)





Nous partons pour Mycènes, en nous perdant un peu (il n'y a pas beaucoup de routes donc il est difficile de se perdre beaucoup — en revanche nous ne comprenons pas toujours les panneaux car nous ne lisons pas couramment).

Mycènes, tombe de Clytemnestre, palais d'Agamemnon. Les mineurs et les étudiants ne paient pas (ce sera ainsi tout le voyage).

C'est grandiose et c'est peu de choses : des pierres, des blocs de pierre. Il faut venir avec son imagination, ses rêves, ses lectures. C'est tout de même très étrange de se dire qu'ici se tenait le palais d'Agamemnon. Electre a toujours été mon mythe préféré (dans quelle mesure Oreste a-t-il inspiré Hamlet?)

La signalisation grecque est très légère, quelques tables de pierre qui expliquent quoi est quoi, voilà tout. Le guide indiquait qu'il fallait se munir d'une lampe de poche pour descendre au fond de la citerne, mais aujourd'hui tout le monde a son portable.
L'entrée est discrètement signalée; je sais, toujours par le guide, que la descente est périlleuse. Nous ne sommes pas très nombreux, cependant une file ininterrompue descend à tâtons l'escalier inégal taillé dans la roche. Pas de rampe ou corde à laquelle se tenir, des murs humides, pas d'indication sur la profondeur du tunnel, c'est long, un peu angoissant (si quelqu'un tombe, tous tombent). Nous rions en entendant une jeune Américaine qui remonte grommeler «ils pourraient mettre un panneau: descente inutile, il n'y a rien à voir»: comme je le disais, si l'on ne se donne pas la peine d'imaginer les esclaves descendant chercher de l'eau, les flambeaux dans la paroi, ou le système de poulie permettant de remonter l'eau, ou que sais-je encore, il n'y a pas grand-chose à voir, c'est exact, l'eau étant désormais pompée à la source pour descendre dans la vallée (nous le verrons plus tard).
Au retour, presque à la sortie, je me permets de dire à des parents d'une petite fille de six ans que la descente est dangereuse.

Musée (maquette du site: toujours commencer par le musée, cela permet d'avoir une idée du site en 3D), boutique de souvenirs (j'achète des boucles d'oreille sur le site d'Agamemnon et de Clytemnestre, je ne peux me lasser de ces noms.)

Repas au village, sans grand intérêt mais surtout très lent, ce qui finit par nous agacer. Je sors mes galets et nous tâchons de faire passer le temps sur le mode d'«inner peace» de Kung Fu Panda II. D'autres bien évidemment se moquent de moi:





Nous rentrons vers trois ou quatre heures en roulant le long de la côté très découpée. H. cherche Corfou (le port). Les enfants chantent des chansons scoutes et des hymnes de Naheulbeuk.

Sieste, piscine, mer. Je me fais enguirlander au prétexte que je suis partie trop longtemps nager sans doute à un endroit interdit. (En tout cas j'ai eu peur en sortant de l'eau à l'extrêmité de la plage: nombreux oursins visibles à travers l'eau limpide).

Départ — et surtout arrivée

A la suite d'un bug sur internet (le bus indiqué était celui du dimanche), nous avons finalement pris la voiture pour aller à Roissy (enfin, une partie d'entre nous, puisqu'à six et les bagages, deux ont dû prendre le RER).

Formalités d'enregistrement assez longues (et bruyantes. Dieu que nous sommes bruyants, j'ai honte), suffisamment longues pour que H. prenne le temps d'aller chercher du tulle gras pour O. (j'espère désespérément que O. va guérir magiquement et va pouvoir se baigner cette semaine). H. revient abasourdi, le tulle gras, ce produit magique que je considère comme l'un des basiques d'une pharmacie, est passé à 55 euros sans ordonnance… (mais que se passe-t-il dans l'industrie pharmaceutique?)

Puis enchaînement rapide (toujours cette impression que le temps se vaporise dans les aéroports) jusqu'à l'embarquement (la femme qui me demande si je comprends ce que veut dire «aléatoire» dans «contrôle aléatoire des sacs». J'aurais dû dire non). J'ai choisi Aegean Airlines parce qu'elle m'avait plu l'année dernière (les bonbons, les hôtesses); je découvre que je ne suis pas la seule à l'avoir remarqué puisque la compagnie est notée "meilleure compagnie régionale 2013".

Nous admirons le profil grec des hôtesses et écoutons les paroles du garçonnet de cinq ans derrière nous qui commence toutes ses phrases par un perçant "Papa, papa, est-ce que…". J'en déduis qu'il ne doit voir son père que pendant les vacances mais H. me dit: «Il est mort de trouille. — Tu crois?». Peu avant l'atterrissage le petit garçon annonce: «J'ai réfléchi, je n'aime pas l'avion. Papa, papa, il ne faudra pas le reprendre pour rentrer à la maison».

L'Adriatique, Athènes, je ne sais plus ce que j'ai fait pendant le vol, commencé L'Idiot sans doute (non, pas par Markowicz, dans ma vieille édition de poche).
Nous récupérons un minibus Mercedes chez Budget (le moins cher, du simple au double) et partons vers Corinthe sous l'orage. Les motards en chemisette et sans casque attendent sous les ponts que l'averse se calme. Nous découvrons avec stupeur la conduite grecque — la bande d'arrêt d'urgence sert à tout, de voie lente pour les camions dans les côtes, de voie d'accélération pour les bretelles d'accès, de voie supplémentaire pour vous inviter à les doubler… Pas de sotte compétition, les gens roulent plutôt lentement et invitent les plus rapides à doubler en se déportant sur le côté. Je tombe aussitôt amoureuse de la conduite grecque, si pragmatique et si éloignée de l'agressivité française ou italienne.

Arrivée à l'hôtel, j'ai la surprise de découvrir que la personne de l'accueil se souvient que je connais "le père Maurice". Elle se fait expliquer la composition de la famille (l'aîné et sa copine, le frère et la sœur) et nous propose sur la terrasse un appartement pour nous et les plus jeunes, une chambre à part pour le couple. La vue est magnifique.

Premier dîner. J'ai l'impression d'être dans ces Agatha Christie où Miss Marple passe ses vacances dans les îles grâce à son neveu. Un peu de gêne en croisant les gens, sommes-nous censés les voir et les saluer (en quelle langue?) ou faire glisser notre regard comme s'ils étaient transparents pour ne pas paraître inquisiteur? Quelle est la bonne distance?

Je peux désormais répondre à Hélène: oui, cela fait plaisir à H. d'être en Grèce.

Fin

Je me lève tôt pour finir le Mahabharata. La moralité de ce livre, c'est un peu «Fais ce que doit, advienne que pourra». Cela me fait penser aussi (je ne devrais pas le dire) au quatre lois de la robotique d'Asimov (hiérarchisation des devoirs envers soi, les autres, le monde). Je me demande si Asimov avait des connaissances en religion hindouiste.

Messe coupée — ou plutôt enflée, grossie — d'une heure de solitude pour relire cette semaine, en repasser les heures et en dégager ce qui nous reste, ce qui nous a touché. L'idée est ensuite de l'exprimer à voix haute devant l'assemblée (sans obligation, comme toujours: mais presque tout le monde dira quelque chose, à part une poignée, dont moi). La difficulté de l'exercice, pour moi, est de trouver le juste rapport à la parole: je ne sais pas être simple, je suis toujours en train de me demander ce qu'on pense de moi, trop judgemental, comme disent les Américains (j'aime bien ce mot que je ne sais pas prononcer). Peur aussi de mes émotions (le simple fait de chanter en groupe me fait pleurer, alors…).

Je note trois interventions qui m'ont marquées: une que j'aurais pu cosigner qui disait à peu près «j'ai découvert qu'il était possible de ne pas être d'accord sans être contre; c'est fatigant d'être toujours contre», d'autres très émues qui ont évoqué de la famille présente ou absente et attendue ou espérée (et je me suis demandée soudain si je pouvais inviter ma sœur à venir, à une session où je ne serais pas ("bien sûr", allais-je ajouter — Dieu qu'il nous est difficile de nous croiser, de nous parler)), et celle du père Gabriel jésuite en Grèce disant «j'étais cafardeux en arrivant; ça m'a fait du bien de discuter avec des gens qui vont bien». Je me suis sentie toute ragaillardie, utile, j'ai pensé à la maxime de Rémi «il faut être heureux ne serait-ce que pour montrer l'exemple» (Prévert, je crois), j'ai pensé à Thérèse «chaque fleur a sa place et sa valeur», j'ai pensé qu'il fallait être heureux d'être heureux.

Typiquement, Maurice cite durant l'homélie la maxime d'un jésuite «crois en Dieu comme si tout le cours des choses dépendait de toi, en rien de Dieu. Cependant mets tout en oeuvre en elles, comme si rien ne devait être fait par toi, et tout de Dieu seul» en commentant un peu par plaisanterie (ou pas?) «je laisse Marc donner les références»… ce que s'empresse de faire Marc, à l'amusement stupéfait et habitué de l'assemblée (je comprends mal le nom, mais je note mentalement les précisions de Marc, Valadier, jésuite hongrois, et une fois rentrée je trouve le commentaire de Valadier sur Hevenesi (voir également celui-ci)).

Bref, tandis que j'écris cela une semaine après (le 31 juillet (je décante lentement)), je me dis que ce qui me reste, c'est la façon de vivre ensemble. A me méfier de moi-même (de mes paroles trop vives, qui dépassent ma pensée parce qu'elle jaillissent avec plus de passion que je ne leur accorde d'importance) et des autres (ma paranoïa), je m'isole trop. «Vivre en communauté» a dit Amal lors de sa messe, oui, c'est sans doute le défi pour moi. Me supporter et supporter les autres.
Ici, j'ai eu l'impression que nous étions des coussins, des matelas. Imaginez un flipper où tout serait moletonné: la balle deviendrait lente, rebondissant sans bruit. Ici, peu à peu (ça s'est fait au fur à mesure, tout le monde était si attentif à ne blesser personne que la confiance a monté doucement), toutes les discussions ont perdu leur côté balle de flipper folle pour s'amortir entre les uns et les autres. Il est vite devenu évident que les plus brusques, les plus abrupts, étaient simplement les plus fatigués ou les plus blessés. Il suffisait qu'ils soient mis en confiance. Le processus m'a paru extrêment rassurant.
D'une certaine façon, j'ai tort d'être surprise: n'est-ce pas ce que nous avait dit Maurice le deuxième jour: «si vous avez besoin d'un accompagnement, nous sommes là, les pères jésuites, mais pensez aussi aux autres, vous êtes baptisés, nous partageons tous un sacerdoce baptismal», et d'une certaine façon, c'est ce qui s'est passé. Mais ma surprise, c'est que "ça marche", c'est que ces mots ésotériques aient une application concrète invisible dont nous pouvons constater les effets.
(Question: est-ce possible ailleurs? Hum, la particularité d'un tel groupe, c'est que chacun est là volontairement, empli de bonne volonté.)

Souvenirs: l'écoute si attentive de H, les robes bleues et la blondeur de S, E et l'aviron (j'espère qu'il va reprendre), la joie de vivre de L, la musique et les chants si naturels à beaucoup (je les envie), mes chauffeurs si attentionnés et discrets, JM en train de me raconter les maisons tri-générationnelles en Grèce (— Mais ils ne s'engueulent pas? Moi, je ne pourrais pas! — Si, tout le temps, mais ils se supportent. En France, on ne supporte plus rien), N m'aidant à déchiffrer le gothique, M tripatouillant les cadavres mais dégoûtée par une guêpe, C future citeuse folle (j'en suis sûre!), B quatre ans à Blois, J amoureux, G jardinier (Les clématites, c'est délicat), etc. etc.

Thème : mondialisation et religion

Au petit déjeuner, mes oreilles qui traînent entendent Maurice raconter son expérience du Rwanda dix ans après les massacres auprès des réfugiés (je raconte très à peu près, j'étais à la table d'à côté), le sang qui avait monté si haut dans une église (sans doute construite en amphithéâtre, sinon je ne vois pas comment c'est possible) qu'on voyait encore la marque du niveau sur la pierre de l'autel, l'histoire d'un homme qui avait fait mourir sa fille à la façon d'Antigone pour pouvoir réintégrer son village (je suis arrivée au milieu de cette histoire, je n'ai pas entendu le début, mais j'ai cru comprendre que ce que Maurice essayait d'expliquer, c'est que pour cet homme qui venait de sacrifier sa fille à la société, il n'y aurait rien d'exceptionnel dans le sacrifice de Jésus: «Qu'est-ce que je peux apporter à cet homme?»), «religion, sacrifice, orgie, tout cela est lié, c'est évident, tous les missionnaires le savent, la religion, ça commence par l'anthropologie et Levi-Strauss» (je mets des guillemets, mais bien entendu, c'est moi qui rapporte de mémoire.)

9h47 : les cigales commencent.

Je dois avouer que je décroche pendant une intervention étrange sur "mondialisation et religion" (comment quelqu'un qui nous a expliqué il y a trois jours que le temps n'est pas celui des horloges peut-il être autant dans le court terme et dans la défense de l'Occident? Je n'ai jamais compris qu'un défenseur des valeurs occidentales ne soit pas heureux de les voir se répandre. Mais de toute façon ce n'est pas clair, on ne comprend pas s'il craint qu'elles nous soient "piquées" (sic) ou qu'elles ne soient plus reconnues).
Beaucoup de gens dans l'assemblée sont agacés mais décident de ne pas trop le manifester. Cette sagesse, cette façon de vivre ensemble, ce refus conscient de la stigmatisation est instructif et me fait réfléchir, c'est presque la leçon de cette intervention.

Puis intervention d'Amal qui parle du christianisme en Inde, de la façon d'aborder les mystères.
Il évoque Roger Haight (Boston) - écrit condamné par l'Eglise («Il sera peut-être publié après sa mort…») mais je n'ai pas bien compris pourquoi. La façon de concevoir l'un et le multiple, la trinité, est difficile à reprendre ici. Lisez plutôt les livres de Michael Amaladoss.

Au dessert, Leonardo royal passe de table en table et sert la glace en se plaignant:
— Les filles m'ont laissé ça à faire, ça me casse les bras! (Il est dans le groupe des jeunes, ça lui va comme un gant.)
— Normal que tu serves la glace, tu es italien!
— Leoardo, pourquoi es-tu devenu jésuite?
— Je ne sais pas, mais maintenant que j'y suis, je me sens chez moi.
(Quelques jours plus tôt, il avait évoqué le choc de la rencontre de Teilhard de Chardin.)

Je relis et complète ces notes.
Je voudrais juste pouvoir interroger (et surtout écouter) Marc tout en ayant peur d'être envahissante (ce qui entraîne le paradoxe que je me tiens à distance).
Je pense à Mireille qui il y a bien longtemps disait sa crainte de voir disparaître la foi du charbonnier, à notre ami Bernard Gallière, jésuite, qui pensait dommageable que certains ne deviennent jésuites que par attrait intellectuel, à Maurice en train de dire dans le bus «Nous ne devons pas devenir une élite arrogante» (il parlait de la position d'une Eglise catholique devenant minoritaire en France); bref, tous ceux qui redoutent une religion de tête et non de cœur.
Mais rien à faire, la forme de pensée de Marc me plaît, entièrement tournée vers l'étude et les citations («l'homme qui cite plus vite que son ombre»), avec néanmoins un goût des films et des romans policiers (il faudrait que je vérifie ses connaissances en Tolkien, Star Wars et Douglas Adams).
Après tout, cela aussi est de l'amour (amour des textes, d'une langue, d'un peuple, curiosité pour le monde, attachement, désir de comprendre).

J'ai de tels coups de soleil après la journée d'hier que je préfère ne pas me baigner. Je reste au centre à écrire les cartes postales que j'ai enfin trouvées. Puis sieste sous les pins (j'adore regarder le ciel à travers les pins). J'avance dans le Mahbharata, nous partons demain, il faut que je le finisse.
Les autres préparent la veillée de demain, je me sens totalement incapable de faire quoi que ce soit, mais Guy a proposé que notre groupe lise à plusieurs voix "En attendant les barbares" de Cavafy, ce qui me fait bigrement plaisir.

Rencontre à quelques-uns avec le père Konditis qui nous parle de la Grèce. L'un des problèmes fondamentaux serait une absence de contrat social, la méfiance des citoyens pour l'Etat, depuis toujours (ce n'est pas dû à la crise, mais la crise l'amplifie). En contrepartie, les gens s'entraident.
Finalement, on dirait que de nombreuses structures qui semblent si naturelles à un Français depuis Napoléon ou Louis XI restent à mettre en place. L'immigration est proportionnellement très importante, car les Turcs laissent passer volontairement les personnes. Les ressources économiques sont peu importantes, l'agriculture a diminué car l'euro rend les importations plus attractives, le secteur industriel est faible, il reste la marine («cinq officiers grecs, vingt marins philippins», résume le père Konditis) et le commerce international. Tout cela a l'air bien mal engagé.

Dernier soir, remerciements et distribution de cadeau, apéro, dîner, veillée (cœurs de pierre, épitaphe chantée en grec classique, Cavafy, "Complainte du phoque en Alaska", coudre un bouton, kairos, pastèque, chèvre qui frissonne et moustique mystique).

Philippe Lefebvre sur Samuel ou Joseph


PS:
N'empêche, «—What time is it? —Kairos, kairos!», est sans doute le meilleur résumé de la session voire de la vie (de la façon dont nous devons vivre). Cette boutade est un trait de génie.

Corinthe

Ciel très couvert ce matin. Après quatre jours de chaleur et de ciel bleu, je comprends le désarroi de mes coreligionnaires il y a une semaine: je veux du soleil!

Ce matin, notre groupe est de service: mettre les couverts à disposition, sortir le beurre et la confiture, etc.
Il y a un problème de plomberie (tuyau bouché à cause de trop de débris), il n'est pas possible de faire la vaisselle dans la cuisine.
Décision de crise une fois de plus (c'est merveilleux, cette façon sans heurt de gérer l'imprévu en continu pour un groupe de cinquante et un emploi du temps à respecter): assiettes en carton, gobelets, deux grands bacs remplis au tuyau d'arrosage sur une table, et allons-y pour une vaisselle de campagne. Grâce au soleil d'hier, l'eau est quasi tiède.

Nous partons à Corinthe sur les traces de Paul. Dans le bus nous avons une présentation de Paul et de Corinthe, la "New York" de l'époque, le carrefour de toute la Méditerranée, de l'Orient et l'Occident. C'est très intéressant mais j'aurais aimé un peu de silence, je commence à souffrir du manque de temps personnel: impossible de lire ou d'écrire tranquille plus d'un quart d'heure, dans la journée je passe mon temps à prendre des notes, le soir je m'endors sur mon livre ou sur le clavier.
Je copie-colle une partie de mes notes

Marc nous présente Paul à partir de la présentation que Paul fait de lui-même en Philippiens 3.
Paul vient de Tarse, capitale de la Cilicie. C'est un pharisien (fils de pharisiens, ajoute Luc dans les Actes): groupe extrêmement attaché à la loi avec lequel Jésus discutera souvent. Mouvement laïc (hors des prêtres) attendant un renouveau spirituel; de la tribu de Benjamin (ce qui explique le prénom rare de Saül : Paul a une gde conscience de sa généalogie. Très peu de juifs s'appellent Saül à l'époque de Jésus, car ce premier roi a mal fini.)

Un théologien américain a dit que la gde question, l'unique question que pose Paul à ses contemporains c'est : «What time is it?», changement de période, changement des temps.

Paul appartient au 1% des hommes les plus instruits de l'Empire. Connaissance littéraire et philosophique, réseau de famille dans tt bassin méditerranéen. Luc nous dit qu'il est citoyen romain. Statut extrêmement rare dans l'empire.
Comment cela est-il possible? Hypothèse: à Corinthe, Paul réside chez Aquilla et Priscille, marchands de tentes et déjà chrétiens (ce n'est pas Paul qui les convertit). Paul avait le même métier qu'eux, or un métier s'apprend en famille. Donc hypothèse : la famille de Paul (marchands juifs de Tarse) a peut-être rendu service aux armées grecques (en les fournissant en tentes et en acceptant des délais de paiement) et l'Empire en retour leur aurait accordé la nationalité romaine.

Les lettres de Paul sont les documents les plus anciens du Nouveau Testament que nous possédions. Sa première lettre date de 49-51 (1Thessalonissiens). Paul ne se déplace que dans les grandes villes de l'Empire (Ephèse, etc).
Pourquoi le voyage à Corinthe est-il capital? Parce qu'il permet la datation des voyages de Paul. Paul y est jugé par Gallion qui était là mi-51, mi-52 => cela permet de dater toute la chronologie de Paul.
Gallion était beau-frère de Sénèque (il existe une fausse correspondance Sénèque/Paul très réaliste. Malgré tout il est possible que Paul ait été en contact avec Sénèque à Rome).


Corinthe.
Ville très florissante dans l'Antiquité à cause de ses ports.
Conquise. Révolte en -150 contre les Romains qui l'ont complètement ravagée. Elle est restée vide pendant cent ans. Puis les Romains l'ont reconstruite et transformé en colonie latine pour les soldats quittant le service (dons de terre, cf Le Domaine des dieux. Ville romaine, les inscriptions retrouvées sont en latin, pas en grec.
Un port, Cenchrées, mettait en relation la Syrie, l'Egypte et toute l'Asie; un autre, Léchée, vers l'Occident.
5e port le plus important de l'empire. Donc races et origines très mélangées d'où la difficulté pour Paul de conserver la cohésion des Corinthiens.
Jeux isthmiques. Ciment pour l'identité.
Montagne en cuvette qui recueille l'eau: permet d'accueillir des garnisons importantes.

Importance pour Paul d'aller à Corinthe: pour Paul, les ports étaient importants car en évangélisant les juifs des ports, il faisait de ceux-ci des évangélistes quand ils se déplaçaient. Ce n'était pas un hasard, c'était une méthode.

Incise de Catherine. Nous sommes passés devant Eleusis. Les mystères d'Eleusis sont très mal connus. Culte à Demeter et Coré, dans lesquels les femmes avaient sans doute bcp d'importance. Cela peut peut-être expliquer pourquoi Paul dit aux femmes de se taire dans les assemblées: il fallait se distinguer des mystères d'Eleusis qui pouvaient en apparence ressembler au christianisme (grande intériorisation, peut-être ou sans doute).

Pour donner une idée de l'atmosphère du port : «il n'est pas permis à tt le monde d'aborder à Corinthe» (proverbe latin = vie de patachon.), ou "corithinsein", se prostituer.

Leonardo Vezzani nous explique le contexte des lettres aux Corinthiens. Nous possédons deux lettres. Les exégètes les plus prudents parlent de quatre, mais il y en a eu peut-être davantage.

Première lettre aux Corinthiens: nous savons qu'il y en a eu au moins une avant. Les pb de mœurs sont tjrs présents dans les lettres aux Corinthiens. La première lettre disparue était écrite contre les impudicités et a soulevé plus de pb qu'elle n'en a résolus.
=> donc qq'un a demandé à Paul de réintervenir.
1Cor: les mœurs, les rapports entre la virginité et le mariage, la communauté, la question de la viande aux idoles. Reflets d'une vie très compliquée à Corinthe.

A la suite de quoi Paul est contredit en assemblée. Il écrit alors une troisième lettre dite "la lettre des larmes" pour expliquer qu'il est blessé.
La troisième lettre serait la deuxième partie de la deuxième que nous avons. 2Cor 11-13 serait cette lettre des larmes.

On lui donne raison et le fauteur de trouble est expulsé de l'assemblée.
Paul écrit alors une quatrième lettre (le début de la 2Cor) il remercie et demande de l'argent pour les pauvres de Jérusalem. Paul cherche à montrer que les communautés païennes convertis au christianisme sont liées aux communautés.

Il fallait également combattre les "super-apôtres" qui demandaient une conversation au judaïsme avant de se convertir au christianisme.

Comme première approche de Paul, Leonardo recommandera plus tard, en petit comité, le livre un peu romancé (mais citant ses sources) de Dobraczynski L'épée de Dieu. (Ce nom me rappelait quelque chose: c'était celui de l'auteur du roman sur Jérémie).

A Corinthe, nous montons à la stèle qui présente l'hymne à l'amour de Paul en quatre langues (grec ancien, anglais, russe ou vieux slavon (je ne sais pas), français). Personnellement c'est un texte que je supporte mal car il n'apporte aucune solution: «Si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien». OK, je veux bien, mais alors, si on n'a pas l'amour, qu'est-ce qu'on fait?

J'en profite pour acheter des cartes postales (enfin: ça ne laisse plus beaucoup de temps pour les écrire) et une paire de chaussons pointure 46 (avec des pompons).

Puis site du vieux Corinthe. Endroit précis où s'est tenu Paul face à Gallion. C'est tout de même un sentiment étrange, le Nouveau Testament qui prend corps géographiquement.

Quelques explications en marchant, je rapporte un passage:
Les juifs disposaient d'un statut particulier qui les dispensaient du culte à l'empereur => cela couvrit les chrétiens tant que les chrétiens ne furent qu'une sorte particulière de juifs. Cela devint difficile à partir de 73 et de la révolte des juifs.

Ici, Maurice fait une parenthèse inattendue et émouvante (pas qu'au sens affectif, mais: mouvant, remuant, la raison): il prend la parole et évoquant le statut juridique des autochtones dans l'Empire romain, il fait un parallèle avec l'absence de statut (ou de statut clair ou de statut efficace) des populations réfugiées en Europe. Il évoque le sort des déplacés, ces derniers ayant un statut très fragile (ou pas de statut, je ne sais plus) auprès de l'ONU. Un déplacé est chassé de son village et de sa terre, mais dans son propre pays. Ce n'est pas un réfugié. Il cherche généralement à se rapprocher des camps de réfugiés, pour survivre.
Maurice a travaillé au Rwanda dans le cadre des JRS (service jésuite aux réfugiés) et milite pour qu'un déplacé trois ans durant change de statut et prenne celui d'otage, ce qui est souvent la réalité des guerres locales.

Nous reprenons le bus pour aller pique-niquer dans le jardin d'un hôtel qui nous accueille gratuitement et met sa pelouse et sa piscine à notre disposition. Nous débarquons dans un coin de paradis. Pique-nique, baignade, intervention sur Actes 17 (le discours de Paul à Athènes: décomposition des outils rhétoriques. Ce discours servi de modèle à tous les échanges à venir entre théologiens et païens dans les siècles à venir) puis sur les Upanishad (cent huit viennent d'être traduites en français, le livre est énorme).

Pour la première fois je ne prends pas de notes, je crois que je commence à saturer.

Messe sur la pelouse, les prêtres dos à la mer. C'est magnifique. Nous intriguons un peu quelques touristes qui s'approchent puis repartent. Je suis un peu gênée d'être ainsi dans l'exhibition, je songe aux prières des musulmans qui font couler tant d'encre (mais enfin, nous sommes dans un coin reculé proche de la petite chapelle dans l'enceinte de l'hôtel, les orthodoxes ont souvent cela sur leur terrain. Il paraît que cela aurait une raison fiscale.)

Plus tôt, un Grec aux allures de Picasso grandi de vingt centimètres a longuement conversé avec Maurice au milieu de la pelouse. Je pensais qu'il s'agissait du propriétaire qui nous accueille (je dois avouer que je n'en reviens pas. Je n'imagine pas un hôtelier en France accueillir qui que ce soit gratuitement pendant la haute saison sur un site aussi beau). Mais pas du tout, c'est un médecin (client?) ayant repéré que nous étions français et venu dire à Maurice que «les Grecs étaient gentils». «Mais je le sais!» a répondu Maurice.
Cet épisode me fait de la peine, les Grecs se sentent-ils tellement rejetés?

Homélie de Marc, jour de Sainte Marie-Madeleine. De mémoire, quelques phrases marquantes:
La foi est toujours une question de corps, ma grand-père, ma mère, mon curé, mon chef scout…
Le point commun de Marie-Madeleine et de Paul: ils pourraient être ce treizième apôtre dont on parle toujours sans savoir qui il est. C'est un peu comme les tribus d'Israël, le compte n'est jamais juste: onze, douze, treize, quatorze…
La remarque de Celse contre les Chrétiens: «"cette religion fondée sur les racontars d'une femme hystérique" : oui, et nous en sommes fiers». (Je note cette phrase à cause de sa folie objective. Cette folie, je l'aime.)

Nous rentrons. Je suis fatiguée, j'aurais besoin d'être un peu tranquille, de pouvoir lire, écrire, perdre du temps.

Le soir, concert de Jean-Pierre Arbon. Il nous présente sa première chanson en nous expliquant qu'elle a obtenu le prix des Jeux floraux, mais que lorsqu'il a été invité à aller le recevoir, l'organisateur lui a demandé d'en chanter une autre, parce que, a-t-il fini par avouer après moult circonvolutions, il y avait "péter" dans la chanson primée. (Le titre : "être et avoir été". Evidemment, une fois sur Google, j'ai fouillé. Le blog de l'homme vaut le détour.)

PS : le futur futur futur roi d'Angleterre est né (il devrait régner vers 2060, je ne le verrai sans doute pas. Le temps presse.)

Thème : le juste persécuté

J'ai pris du retard ce matin, Marie vient me chercher dans ma chambre. Puis je remonte changer de chaussures. Puis je reviens reposer ma clé: bref, démarrage difficile.

Tout est de plus en plus gai, joyeux. Au petit déjeuner, je m'empiffre de Nutella (alphabet latin sur le pot pour le nom de la marque) avec Leonardo, sj, pendant que les autres se moquent de nous.
Une preuve s'il en était besoin que c'est une nourriture du diable, les guêpes qui sont devenues très envahissantes au petit déjeuner depuis deux jours ne s'intéressent absolument pas au Nutella qu'elles n'identifient pas comme de la nourriture (ça fait peur).

Leonardo à qui j'explique mes «problèmes épistémologiques» («Vous n'avez pas suffisamment saisi les enjeux épistémologiques», appréciation sur ma dissert: oui, j'avoue) me recommande L'écriture vive d'Elisabeth Parmentier.

Deux conférences sur le thème du juste persécuté.
Une première de Marc qui nous illustre le glissement dans la Bible du prophète persécuté (un homme n'ayant pas de vertu particulière envoyé par Dieu auprès d'hommes ayant la même foi que lui) au martyr (un homme juste persécuté par un pouvoir politique ou religieux ayant des croyances différentes).
Marc est un grand amateur de films et il nous en cite à foison. Voilà plusieurs fois qu'il revient sur Sophie Scholl les derniers jours: «— Pourquoi, vous qui avez grandi dans les jeunesses hitlériennes, vous êtes-vous retournée contre Hitler? — Parce que toute vie est précieuse».

La deuxième conférence porte sur la mort de Socrate (-399) et sur le choc qu'elle a constitué pour la cité: elle démontrait l'échec de la démocratie et que la tradition qui associait la vertu et le bonheur se trompait (cf. Hésiode, Les travaux et les jours. Ce choc fut ressenti d'autant plus brutalement que la philosophie était vécue en communauté (cf. Pierre Hadot, Qu'est-ce que la philosophie antique?). Tandis que j'écoute Catherine dans une jolie robe rouge lire et commenter des extraits du Criton et du Phédon dans le chant des cigales, je me dis que ce doit ça, le commentaire philosophique, et qu'il faudra que je m'en inspire l'année prochaine.

Ensuite temps en commun pour partager. Je suis étonnée de la variété des réactions parmi nous six sur un sujet comme celui-ci [le juste persécuté]; j'aurais pensé qu'elles seraient extrêmement prévisibles. (Finalement, me dis-je en écrivant cela, cette technique de la "réflexion/partage" correspond un peu à ce que nous faisons quand nous tenons des blogs personnels).
Je rapporte deux réactions ici, parce qu'elles sont totalement opposées: l'un d'entre nous se sent persécuté, l'autre se pose la question «qui persécuté-je?».

Ensuite, intervention de Theodoros Konditis, sj, qui nous présente l'Eglise orthodoxe: des rites, une foi, une Eglise.
L'Eglise catholique représente moins de un pour cent des croyants en Grèce, et jusqu'il y a deux ou trois ans, la religion était indiquée sur les papiers d'identité (la Grèce a dû payer trois amendes à l'Union européenne avant que cela ne cesse). Il n'y a pas de conversion de catholique vers l'orthodoxie et inversement.

Je copie-colle une partie de mes notes:
L'orthodoxie est une douceur dans le monde dans la mesure où elle cherche à accueillir toute chose. Une approche lente sans trop de lois, sans trop de jugement. L'essentiel est d'embrasser tout en offrant tout à Dieu. Tout est louange.

C'est aussi un malaise dans l'histoire. Malaise des blessures qui n'ont pas cicatrisé. Deuil sur la perte de l'empire byzantin. Plainte qui se poursuit. Crée un malaise, une difficulté à collaborer avec les autres.
Malaise aussi à cause de la modernité. Modernité dans les relations humaines, avec les Etats, etc: l'orthodoxie a du mal à digérer la science, la liberté de conscience. Malaise dans l'histoire donc une méfiance, même à l'égard de ceux qui sont très bien intentionnés envers l'orthodoxie.
C'est parfois frustrant. Mais en même temps une liberté personnelle des prêtres (popes?) qui peuvent tisser des liens.

Déjeuner. Je prends deux ouzos un peu trop tassés. Béatrice et moi arrivons tard à table parce que nous discutions de la date de Pâques (elle m'expliquait le malaise qu'elle avait ressenti à Jérusalem ou à Ramallah devant les juifs et les musulmans à voir Pâques fêter deux fois à quinze jours d'intervalle: comment les Chrétiens peuvent-ils être crédible dans ces conditions?)

Projection par morceaux d'Œdipe sur la route de Bauchau, à peu près incompréhensible (l'ouzo, je pense). Sieste. Départ en bus pour le monastère orthodoxe d'Hosios Meletios. Visite du réfectoire et de l'église. C'est un petit monastère installé ici depuis très longtemps. A la question «Pourriez-vous nous raconter la façon dont vous vivez ici», la sœur répond que la vie monastique est mystère, mais qu'une chose est sûre, «si vous entrez ici par dégoût du monde, vous ne tiendrez pas quinze jours».

Maurice nous apprend qu'il a passé un an chez les bénédictins (les bras m'en tombent) et nous raconte une journée en monastère et commente le début et la fin de la règle de saint Benoît: «Ecoute… alors tu parviendras». J'ai surtout retenu que dix fois par jour, il fallait abandonner ce qu'on était en train de faire pour prier ensemble («si vous êtes en train de réparer un moteur, c'est toute une organisation pour avoir le temps de prendre une douche»). Voilà quelque chose que je n'avais pas du tout envisagé et qui pour moi est une idée de l'enfer, moi qui supporte si mal d'être dérangée sans arrêt à la maison et qui rêve de tranches de trois à quatre heures sans être interrompue.
Cela me conduit à deux conclusions: 1/ je n'aurais pas pu être moniale 2/ j'y penserai désormais quand je serai dérangée. (Quand j'ai fait part de cette réflexion à une sœur (non cloîtrée, rien à voir), elle me répondra, stupéfaite: «Mais ils ne le vivent pas du tout comme ça!»: je n'en doute pas une seconde, ma réaction instinctive ne traduit que ma frustration et mon impatience. («Qu'est-ce que vous désirez le plus?» Eh bien…)

Anecdote saisie par mon oreille indiscrète (dédicacée à Guillaume): la collection de patristique grecque avait été descendue à la cave de l'université de Bordeaux. La professeur a demandé à ses élèves d'aller chacun à leur tour demander un volume différent à la bibliothèque. Quand les bibliothécaires furent fatigués de descendre à la cave et de se tromper de volume — car ils lisaient mal le grec — la collection fut remontée dans les rayonnages accessibles aux étudiants.

Retour en marche silencieuse (huit kilomètres) dans le soleil qui n'en finit pas de se coucher. Ici en Grèce il n'y a jamais de silence, les grillons remplacent les cigales dès qu'il fait noir. Ils ne se taisent qu'à l'aube: silence troublé alors par le vent qui fait trembler la Grèce comme une vaste voilure.

Une demi-heure avant l'arrivée, la file des marcheurs se regroupe, un peu perdue: quel chemin prendre? Je reprends la marche avec Sophie et Leonardo et nous papotons. Comme je me suis exclamée «Trompons-nous ensemble!» quand il s'est agi de choisir un chemin (je voulais simplement dire que le plus important était de ne pas nous séparer), Leonardo rit et nous raconte la préparation de son ordination: «Le maître de cérémonie (ce n'était pas le terme, je traduis le principe) nous a expliqué ce qu'il fallait faire, debout, assis, étendus sur le sol. C'était compliqué, on n'a rien compris, alors il nous a dit: «Ecoutez, ce n'est pas grave, l'important c'est que si le premier se trompe, vous fassiez tous la même chose; ainsi personne ne s'apercevra de rien.» Sophie et moi rions de bon cœur, Leonardo nous explique que les jésuites ont la réputation d'être nuls en liturgie: «En Espagne on dit "Perdu comme un jésuite pendant la Semaine sainte"». Nous dévions, le rite, les enfants de chœur, le corps, l'importance du décorum, «la liturgie doit vous happer», «les églises baroques sont construites pour permettre une représentation théâtrale».
Sophie et Leonardo s'engagent sur le chemin de l'architecture lorsque Leonardo nous apprend que Saint André du Quirinal était "son" église, qu'il dormait dedans ou à côté pendant sa formation à Rome.

Je termine avec Sophie à discuter de latin, j'essaie de lui expliquer mon incapacité à apprendre le latin (j'ai quand même recommencé trois fois, et la première fois pendant six ans), nous parvenons à la conclusion que cela a sans doute la même origine que mon incapacité à entendre le rythme (sur un morceau de rock, par exemple). A suivre. (Mais moi, je sais depuis que j'ai entendu Enrico Mazza que je souhaite apprendre le latin avec un Italien.)
Il est tard, tout le monde est passé à table sous le pin, et comme à midi nous n'avons plus de place. Nous nous débrouillons. Encore de l'ouzo.

Puis célébration selon le rite syro-malabar (avec fleurs et flamme). Quand je pense que j'ai entendu ce mot pour la première fois en octobre dernier…

Le Guilloux: L'esprit de l'orthodoxie russe et grecque
Maurice Joyeux, Séjour en bénédictie dans la revue Christus, avril 2005



Thème : le souffrant

Déjà le quatrième jour. Temps de "reprise" sur les trois premiers jours, c'est-à-dire que nous sont posées deux questions (j'ai oublié la première, mais la seconde est «qu'est-ce que je souhaite vraiment?», question qui me laisse toujours muette mais à laquelle l'esquisse de réponse varie lentement), nous y réfléchissons dix minutes seuls puis nous nous retrouvons en groupe pour "échanger" (entre guillemets car je crois que c'est du jargon catho. Mais peut-être que c'est du jargon de "team management"). Evidemment, nous disons ce que nous voulons, il n'y a aucune obligation de parler.

Je ressors de ces trois jours la liberté de parole et l'abandon progressive de mes préventions: en toute honnêteté, j'avais peur de venir ici, car si je me retrouvais parmi des «Manifs pour tous», qu'aurais-je eu de commun avec ces gens? Qu'aurais-je eu à leur dire?
Mais tout est beaucoup plus nuancé que cela, je suis rassurée, il est possible de parler — ou de se taire — sans s'étouffer d'indignation, je m'en suis aperçue dans le bus ou au petit déjeuner.
A ma grande surprise, pour des raisons différentes, chacun évoque la bienveillance de l'assemblée; apparemment chacun est arrivé un peu en repli, un peu méfiant (pas forcément à cause de ce qu'il avait peur de trouver, mais aussi à cause de situations difficiles en France), et est soulagé devant la non-agression généralisée.

Les conférences reprennent; comme d'habitude je vous livre des bribes et je note ici quelques références pour les avoir à disposition à tout moment.

Conférence d'Amaladoss. Karma et réincarnation. (Amal, comme nous l'appelons, intervient sur la religion hindouiste, vous l'aurez compris).
Je vous livre une parenthèse sans rapport avec le cœur du sujet mais qui m'a fait rire: «Nous on dit : la chatte porte ses petits, le petit singe s'accroche à sa mère: Dieu est-il du côté du singe ou du côté du chat? C'est ce qu'on dit à propos des dominicains et des jésuites: les dominicains sont du côté des chats, les jésuites du côté des singes.» (J'aurais tendance à penser que c'est à chacun de nous de nous demander si nous sommes petit chat ou petit singe).

Marc intervient sur le serviteur souffrant dans les quatre chants d'Isaïe.
(Gustav Janouch : Conversations avec Kafka
Question de Janouch : Et le Christ?
Réponse de Kafka: Le Christ, c'est un abîme empli de lumière sur lequel il ne faut pas se pencher.)

Je passe sur l'exposé de Marc riche de références interbibliques. Je note ce qui me frappe: ce que paraît chercher Marc en fin d'exposé, c'est de quelle façon, par quel moyen, la part humaine de Jésus a-t-elle réussi à comprendre et à discerner ce qui était attendu de lui. Marc cherche la réponse dans les Ecritures et l'histoire juive, et c'est une question, effectivement, vertigineuse.

Catherine Broc-Schmezer nous présente Œdipe à Colonne et en profite pour nous expliquer la structure d'une tragédie (rôle du chœur, etc…).

Sieste sous les pins, plage.
Dîner à la table du père Gabriel. Nous parlons de la Grèce, il confirme que les Grecs ont beaucoup consommé, emprunté, qu'on les y a poussés dans les années 80 et après, et qu'ils ont tout de même une certaine tendance à rejeter les responsabilités sur les autres (l'Europe, l'Allemagne, la crise, etc).

Messe dans la nuit, j'observe les insectes. Maurice nous raconte une histoire vécue dont je vous donne la conclusion : «il nous a dit: "j'ai appris un mot, c'est "miséricorde": ça veut dire être tiré de sa misère par une corde». (Il s'agissait d'un jeune défavorisé insupportable qui avait fini par tomber dans une crevasse et avait dû en être sorti par les autres).

Delphes

Nous quittons Inoï à huit heures et demie. Nous avons une guide, Française installée en Grèce depuis trente ans.
Dans le bus, exposés sur la pythie et sur Delphes.

Passage dans la ville d'Arachova à 900m d'altitude. Des mûriers poussent le long de la route: la culture de la soie a été très présente au Moyen-Âge. Aujourd'hui la culture a disparu, il reste les mûriers. Les devantures présentent de façon incongrue des articles de sport d'hiver: on skie sur les flancs du Mont Parnasse. Je regrette un peu de ne pas pouvoir faire de shopping.

Sanctuaire de Delphes (explications détaillées de la guide avec Denys en contrechant), musée — petit, avec des pièces que nous connaissons tous (je veux dire que nous les avons dans l'œil tant nous les avons rencontrées dans nos livres d'école).

Le site archéologique a été donné en concession perpétuelle aux Français.
A la fin du XIXe siècle, les archéologues avaient déterminé que le temple de la pythie se trouvait sous le village de Kastri mais les villageois refusaient d'abandonner leur maison. Un tremblement de terre (en 1871?) détruisit le village et la France proposa de le reconstruire à ses frais… à quelques centaines de mètres. En contrepartie elle obtint l'exclusivité des fouilles et la concession du site.

Nous déjeunons sur la plage d'Aspra Spitia, un village entièrement construit par Péchiney, église comprise, à l'époque où ce groupe avait une aciérie à quelques kilomètres (maintenant exploitée par des Grecs et des Suédois).
Je nage longtemps pour la première fois. On perd pied très vite, à deux ou trois mètres de la plage. L'eau est si bleue qu'il faut admettre que les cartes postales ne sont pas retouchées.

Après Delphes, le pique-nique et la plage, deux heures d'intervention sur… je ne sais plus trop, logos et promesse, quelque chose de ce genre. Je retiens (j'écris volontairement sans reprendre mes notes) que le mystère de l'homme est le temps, qu'il n'y a pas coïncidence du commencement et de l'origine (l'exposé est donné par un prof de philo), que notre temps est désormais fabriqué par des machine (les horloges (cela me rappelle Attali, Histoires du temps)) et que la promesse est un commencement placé dans le futur.
Interprétation intéressante du péché originel: ce qu'a acquis Adam en mangeant du fruit défendu, c'est la liberté, et comme il n'est pas envisageable que Dieu ne nous ait pas souhaité libre, et que donc Il avait sans aucun doute l'intention de nous la donner, le péché d'Adam, c'est d'avoir précéder la grâce, d'avoir pris ce qui lui aurait été offert: kairos, il ne faut ni devance, ni précéder, mais être dans le moment.

Le retour en bus fut musclé.
Dans l'après-midi, nous avions traversé un village dont la totalité de la population (220 personnes) avait été exécutée en représailles de l'assassinat d'un gradé allemand pendant la seconde guerre.
La Grèce a résisté spontanément à la tentative d'invasion de Mussolini. C'était une résistance non organisée, qui donc ne pouvait pas dénoncer ses réseaux mais avait très peu de moyens. Cette résistance fut telle qu'elle obligea Hitler à intervenir et retarda d'autant son attaque de l'URSS — ce qui fit que l'hiver russe le ratrappa, etc. Plus tard tandis que je remontais de la plage à l'église avec Leonardo, il me dit que les Italiens se jugeaient responsables de l'occupation très dure de la Grèce par les Allemands, à quoi je répondis que ce qu'on nous apprenait à l'école en France, c'est que grâce ou à cause de cela, Hitler avait attaqué l'URSS trop tard: sans cela, nous serions peut-être tous en train de parler russe… (miracle et mystère de l'histoire de la culpabilité)).
Cependant, les Allemands n'ont jamais payé de dommages de guerre à la Grèce, car à la sortie de la guerre, l'occident avait si peur qu'elle passât du côté des communistes qu'elle ne lui a pas versé un centime afin d'éviter que l'argent revienne un jour à Staline — puis il y eut la dictature, puis l'Europe… bref, tout un passé douloureux qui peut expliquer que le Grec se sente aujourd'hui deux fois floué face à l'Allemagne.

Retour musclé disais-je: discussion entre deux jésuites, celui ne vivant pas dans le pays soutenant qu'il était fondamental que chaque Grec (chaque homme) conserve l'idée qu'il avait prise sur son destin, même de façon infime, et celui vivant en Grèce et ayant servi au JRS (service jésuite aux réfugiés) répliquant que le sentiment d'impuissance de certains étaient compréhensible et qu'on ne pouvait pas donner abstraitement des règles de comportement à des gens dont on savait qu'ils avaient faim («aujourd'hui on a faim en Grèce», mots qui me glacent).

Au passage, j'apprends que le kyrie (se reconnaître pécheur) doit être pris dans un sens théologal et non moral, (???!!), ie. comme un constat devant Dieu (ou une instance plus haute que soi (qui doit pouvoir être sa propre conscience)) et non comme un jugement ou (et) une condamnation.

Au dîner, comme Marc avait parlé de Taubes le premier jour et que j'ai cru reconnaître un passage sur l'eschatologie dans le bus, je l'interroge et obtiens le nom de Boyarin à ajouter à ma lente constitution d'une bibliographie.
Concernant l'économie, il nous parle d'un jeune économiste, Gaël Giraud.

Par ailleurs, je découvre que je pourrais connaître Marc depuis très longtemps: nous étions à Sciences-Po exactement les mêmes années. Mais il n'allait pas à l'aumônerie — tandis que c'est à cette aumônerie (où j'allais par instinct de survie, j'étais très seule et socialement déracinée dans cette école) que j'ai découvert que les jésuites existaient encore: j'en étais resté à leur expulsion de France par le roi — et c'est là également que je me suis entichée d'eux, de leur façon de concilier liberté et obéissance.

Jacob Taubes
Yeshayahou Leibowitz
article de Cécile Rastoin carmélite sur le gender («Vous avez lu Judith Butler? Lisez Judith Butler.»)
Daniel Boyarin, Border Lines (en français, c'est le sous-titre qui est traduit: La Partition du judaïsme et du christianisme)
Agamben, Le Temps qui reste
Badiou, Saint Paul : la fondation de l'universalisme
Gaël Giraud et Cécile Renouard, Vingt propositions pour réformer le capitalisme
Joseph Cedar, Footnote film qui commence par des juifs discutant de Boyarin
Amos Gitaï, Kadosh

Thème : les mythes

En me penchant sur mon balcon, j'aperçois à contre-jour deux jeunes chouettes perchées sur un pilier. Elles m'observent avec une curiosité égale à la mienne. Je pensais que les chouettes étaient nocturnes, que font-elles là?


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Mais je sui contente, j'ai vu deux jeunes chouettes de Minerve sur mon balcon.

Il fait meilleur, 23°.
Nous prenons notre petit déjeuner au centre, il y a un quart d'heure de route à partir de l'hôtel.

Matinée sur l'Odyssée (l'intervenante chante littéralement le début, je n'avais jamais entendu cela, c'est magnifique et enchanté (pour la petite histoire, la traduction utilisée par Astérix est celle de Bérard. Belle remarque sur la tendresse physique que permettent les corps soulignée lors de la rencontre d'Ulysse avec l'âme de sa mère)); sur le rapport de la Bible aux mythes (grecs de préférence) et sur le Mahabharata (au-delà de la non-violence, au plus haut est la compassion).

Pas de plage (je me suis trompée dans l'heure du rendez-vous). Sieste puis lecture. Je continue le Mahabharata.
Célébration.

Dîner glaçant à la table d'un cancérologue jamais à cours de conseils pour ne pas attraper (est-ce le mot) de cancer (j'ai une résistance pathologique à l'idée que nous sommes responsables de notre cancer. J'ai l'idée que cela "arrive", et qu'il est possible, parfois ou souvent, de l'expliquer. Mais il y a aussi des cas incompréhensibles, je ne vois pas l'intérêt de culpabiliser les gens en leur disant qu'ils l'auraient évité en faisant ceci ou cela). Heureusement (pour mon moral) nous avons à table un jeune jésuite italien un peu malicieux qui sourit parfois sans intervenir.

Soirée musicale (épitaphe en grec ancien chantée en chœur, musique indienne, influence de la musique indienne sur la musique occidentale: Maurice Delage, Messiaen, Steve Reich, musique répétitive, chansons de Jean-Pierre Arbon).
Albert Roussel a voyagé en Inde, le voilà encore plus églogal que prévu.

Premier jour

Ce matin (6h30), connexion internet intermittente, gratuite et rapide, qui déconnecte toute les trente secondes. Amusant. J'arrive à rédiger la moitié du billet d'hier mais pas à le poster.

Donnée inattendue : il y a énormément de vent, des nuages et il fait presque froid. Rendez-vous à 7h45 à la réception de l'hôtel pour retourner au centre Manrèse prendre le petit déjeuner. Le fait de ne pas dormir sur place m'oblige à penser à tout ce dont je pourrais avoir besoin pendant la journée. Je suis un peu embarrassée au niveau des vêtements, je ne suis pas sûre d'oser me mettre en short (de sport, le seul que j'ai), ce qui est pourtant le plus pratique s'il fait vraiment chaud. On verra bien.

A la réception, je retrouve les autres qui dorment ici. Ils sont affolés, ils n'ont jamais vu un temps pareil, ils ont au mieux prévu un gilet dans leurs affaires. (Ouf, je ne m'étais pas trompée dans le contenu de ma valise, c'est le temps qui est inattendu.) Il bruine par instant. La voiture indique 16°, la brume descend bas sur le flanc des collines.

Au centre, c'est l'embarras: habituellement tout se fait dehors sous un patio: les repas, les interventions, la messe, où s'installer? Nous petit déjeunons dans une grande salle devant la cuisine, quelques téméraires tentent l'extérieur en rentrant à chaque fois que les gouttes se font plus grosses. Deux ou trois tables présentent des livres, apparemment mis à disposition. Sur un coup de tête, avec l'impression de me tromper, je prends le Mahabharata par Jean-Claude Carrière en Pocket. Il est moins impressionnant (moitié moins épais) que l'autre version sur la table dans la collection "Spiritualité vivante". Ce n'est pas très sérieux de ma part (je veux dire que ça m'étonnerait que Carrière ait traduit à partir de l'original) mais tant pis, je veux juste connaître l'histoire (la diègèse, dirait Ricardou dirait etc.) et finir le livre vite, celui-ci est d'une écriture alerte, très agréable. (Plus tard je comprendrai d'où venait cette impression de me tromper: c'est l'épopée de Gilgamesh que je souhaitais lire.)

Mots d'accueil de Maurice Joyeux, sj. Je picore dans les notes que j'ai prises.
- ceci n'est ni une retraite ni une université d'été. Discutez ensemble, découvrez-vous. Temps de vacance, de disponibilité, temps physique, aussi: «c'est très physique, la Grèce».
- résister à la démesure (grand thème de la Grèce ancienne, encore vrai aujourd'hui), consentir au tragique en refusant la dramatisation.
- philoxenia. Accueil de l'étranger, de l'étrange, même; y compris à l'étranger en nous-mêmes.
- Malraux en 1959 lors de l'inauguration du son et lumière de l'Acropole: «Nous avons tous une Grèce en nous».
- François, qui se dit évêque de Rome «non pas pour se réduire, mais pour se concentrer».
- les fruits : ça se cueille au bon moment. Kairos («car le temps, ce n'est pas que chronos qui bouffe ses enfants»). (Evidemment, je pense à Taubes.)

Intervention de Marc Rastoin, sj, sur les rapport de la Bible avec le monde hellénistique. Cela recoupe beaucoup de ce que j'ai vu cette année.
Très vivant. Insiste sur l'importance de la Septante. Rappelle l'hypothèse d'Albert de Pury qui veut que la Bible massorétique dans ses trois parties Torah/prophètes/autres écrits réponde au programme d'enseignement grec Homère/Hésiode/tragiques grecs.

Les topoï, lieux communs: le juste récompensé, le méchant puni, le testament, etc.
«Vous savez, Nurith Aviv (dans un film, je n'ai pas noté lequel) disait que la Grèce, c'est un lieu où quand vous rencontrez quelqu'un, ça peut être un dieu. Dans la Bible, ce n'est pas comme ça. A la rigueur, ça peut être un ange.»

Un nom: Erich Gruen, un livre: Il y a des Dieux de Frédérique Ildefonse

Michael Amaladoss, jésuite et indien, nous fait une présentation de l'Eglise catholique en Inde et nous parle des syro-malabar et des syro-malankara (scission des jacobites (!?)). Spécificités de l'Eglise syriaque. Place des symboles.
St Ephrem, père syriaque. A trouver pour feuilleter:
traduction française de St Ephrem: L'œil de lumière par Sebastian Brock
odes de Salomon (de Salomé?): texte très hérétique. style très spécial. 42 poèmes. (en anglais. pas traduit en français. Après recherche, je pense que cela doit être The Odes and Psalms of Solomon Published from the Syriac Version).

Il fait toujours aussi mauvais, vent, pluie et froid. Nous déjeunons à l'intérieur (du jamais vu, paraît-il).
Puis sieste, puis plage à Porto Germano (sur la côte il y a du soleil). Mer bleu sombre dans le camaïeu bleu des montagnes. Je lis le Mahabharata.
Messe.

Le soir, projection morcelée du Mahabharata de Peter Brook.

Je me couche dès que rentrée à l'hôtel, pas le courage de copier Alibaba ou de continuer mes lectures, etc.

Départ - Arrivée

Je suis arrivée très tôt à l'aéroport, par peur du surbooking (à la suite d'une erreur, je n'avais pas confirmé en ligne).
Tout s'est bien passé. J'ai passé ma journée à lire Auguste Valensin, à l'aéroport, dans l'avion, à l'aéroport.

Temps magnifique sur la partie de l'Europe que j'ai survolée, les montagnes des Vosges se devinent par les vallées, les Dolomites, molaires grises, sont impressionnantes. Peu avant Trieste, deux cours d'eau ont la couleur du sable (tant la couleur du sable qu'il faudra que je vérifie qu'il s'agit bien de cours d'eau quand j'aurais une connexion stable (voilà)). Ils s'élargissent en partant vers l'ouest alors que l'Adriatique est à deux pas. Bleu de l'Adriatique, îles de l'Adriatique (je songe aux souvenirs émerveillés de Paul Rivière), maisons éparpillées de la Grèce (Athènes compte cinq millions d'habitants, plus de la moitié de la population grecque).

La compagnie Aegean airline me ravit, elle fonctionne à l'ancienne: musique douce au décollage et à l'atterrissage, bonbon au décollage, hôtesses de l'air en bleu marine…
Je suis à côté d'une vieille Anglaise qui lit un roman d'amour sur une lectrice (c'est le mot, je crois?), elle me fait penser à Agatha Christie partant en Mésopotamie. L'avion a moins de charme, décidément. J'ai failli venir en car, pour le voyage. Mais il n'y avait pas de départ tous les jours, il fallait partir vendredi, j'ai renoncé — déjà que H. supporte mal cette absence. Je pars coupable.

Athènes, bus (réservé à notre groupe), centre Manrèse à Inoï (prononcé Inouï, les vignes). Ce qui me frappe à Athènes (l'aéroport, je n'ai rien vu d'Athènes), c'est le vent. Les cyprès penchés confirment qu'il doit être constant. Il fait bon. Nous roulons une heure dans la montagne — ce n'est pas loin, mais le bus est lent, la route étroite et en lacets. Je déchiffre à peu près naturellement les panneaux (je suis contente), mais ne distingue plus le gamma du lambda majuscules. (J'apprendrai plus tard que le B se prononce "v" et le "H" davantage "i" que "è"). Des oliviers, un quart de bâtiments qui tombent en ruines, un quart de maisons immobilisées au milieu de leur construction. Le reste est pimpant, repeint. Toujours le sud me frappe par ses teintes jaune et rouille. Terre rouge, oliviers, champs jaunes. Beaucoup d'oliviers, pas très hauts mais certains très gros, anciens. Nous sommes une cinquantaine, la plupart de mon âge ou plus, une poignée de vingt ans, une poignée de couples.

20 h. Apéritif (deux ou trois ouzo), repas sous le pin, quelques explications. Nous sommes répartis en groupes de six, à la fois pour le "service" (nous devrons aider à tour de rôle à servir et desservir, nous occuper de la vaisselle) et pour les discussions suite aux exposés des intervenants. Il ne faut jeter aucun papier dans les toilettes, les tuyaux sont trop étroits, il faut utiliser la poubelle. Ne pas gaspiller d'eau, douche courte.
Repas. Je suis à la même table que quelqu'un qui a terminé le cycle C l'année dernière. Nous avons des étiquettes avec nos prénoms, j'espère que chacun portera la sienne le plus longtemps possible durant la semaine, car associer têtes et noms me reste toujours aussi difficile.

Je découvre que certains ne dormiront pas sur place mais à l'hôtel à Villia, à une dizaine de kilomètres vers l'ouest. J'en fais partie. Je le regrette un peu (j'anticipais déjà les balades dans les collines), mais j'ai une chambre seule (je pensais être à deux), silencieuse, et le lit est excellent. Tant mieux, je vais pouvoir travailler (pensé-je en imaginant déjà des heures d'ordinateur et de courrier, tout en sachant très bien que je vais dormir — parce que je n'ai plus envie de tirer sur la machine).

Avant de me coucher je vérifie le wifi par acquis de conscience. Pour la première fois depuis que j'ai ce portable, il n'y a aucun réseau recensé autour de l'hôtel, rien n'apparaît dans la fenêtre "afficher les réseaux disponibles". Ce vide est une surprise et une curiosité.

Préparatifs

Dimanche : dormi une grande partie de la journée après avoir déposé O. à la gare de Yerres à 7h15.

Lundi: rangement, ménage, jardinage, lessive, bibliothèque, achat de tongs (cassées pendant le jardinage) et d'anti-moustiques, valise. Je prends un sac de sport, il n'est pas très lourd, j'espère ne rien avoir oublié important. Je n'emmène que deux livres, Auguste Valensin et Autour de Platon (plus Alibaba), mais on m'a assuré que je n'aurais pas le temps de lire. Je vais là.

La Grèce ma revanche

Evidemment la Grèce m'inquiète. Situation inédite depuis l'emprunt russe, il me semble. La confiance étant le fondement de l'économie occidentale, si l'on ne trouve pas de solution les conséquences risquent d'être dramatiques. Assèchement total du crédit.

Cependant cependant, comme une envie de rire…
J'avais été très agacée que nous fussions obligés de voler au secours des banques alors que c'étaient elles qui nous avaient mis dans la panade.
L'idée qu'aujourd'hui elles doivent se porter au secours de la Grèce sous peine de se retrouver elles dans la panade me réjouit.

«Si vous devez un peu d'argent à votre banque, vous avez un problème, si vous lui devez beaucoup d'argent, elle a un problème.» (Proverbe cité par un professeur dans les années 80 à propos de la dette du Tiers-Monde. (D'ailleurs je me demande ce qu'est devenue cette dette, on n'en parle plus. L'autre sujet de l'époque était "la dématérialisation des marchés financiers"1. Un jour (dans dix ans?) "mondialisation" sera oublié, remplacé par un autre gimmick.))


Oui oui, je sais bien qu'au bout du compte, et dans tous les cas, ce sera nous, la population, qui paierons les pots cassés. Car nous représentons l'économie réelle (comme dirait Pierre Hadot, le métal se plie moins à la volonté que les idées et les constructions mentales.) Mais j'aime bien savoir que certains sont en train de transpirer.

J'aimerais bien que quelqu'un se penche sur les avoirs des salariés et responsables des agences de notation. Aucun délit d'initié, pas d'enrichissement personnel, vous êtes sûrs?


Note
1 : Ah, et le trou dans la couche d'ozone, aussi.
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