Billets qui ont 'élection présidentielle' comme mot-clé.

Participation

J'entends et je lis ici et là que le fort taux de participation est le signe que les citoyens ont renoué avec la politique, et que la démocratie française "va mieux" (elle était donc malade).

Je fais l'analyse absolument inverse: il me semble qu'un faible taux de participation est le signe, dans les vieilles démocraties, que tout va bien, que les institutions ronronnent et que tout le monde s'ennuie. («Deux Pigeons s'aimaient d'amour tendre. L'un d'eux s'ennuyant au logis […]» doit pouvoir être étendu à l'ensemble d'un pays).

La forte participation de dimanche est le signe d'un malaise, pas d'une réconciliation avec la chose politique.


ajout à 18 heures :
Les chiffres sur les Français vivant à l'étranger sont difficiles à obtenir. C'est pourquoi je copie ici quelques données fiables: 950 000 Français vivant à l'étranger se sont inscrits sur les listes électorales.
Selon le rapport de la Banque mondiale, les Français vivant à l'étranger ont envoyé en 2005 à leurs familles restées en France 12,742 milliards de dollars (ces fonds rapatriés sont les remittances). La France obtient ainsi la cinquième place dans la liste des pays collecteurs de fonds, après la Chine, l'Inde, le Mexique et les Philippines.
Les travailleurs immigrés travaillant en France ont pour leur part adressé à leur famille à l'étranger 2,5 milliards d'euros auxquels s'ajoute 1,4 milliard d'euros de salaires perçus en France et dépensés à l'étranger par les travailleurs saisonniers.
Selon la mission opérationnelle transfrontalière dirigée par Pierre Mauroy, au moins 272 000 Français vont travailler à l'étranger chaque jour tandis qu'ils sont 11.000 étrangers à venir en France. La Suisse accueille 105.661 frontaliers, l'Allemagne 56.000, le Luxembourg 57.000, la Belgique 25.000, Monaco 28.000, l'Espagne 3.000.
(source: Le Figaro économie du 23/04/07)

Voilà qui explique tout

Pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, les électeurs vont avoir à se prononcer entre deux vénusiens.

Françoise Hardy in Paris Match du 4 janvier 2007

Dites-moi que ce n'est pas vrai

Il me semble — j'espère me tromper — qu'un nouveau seuil a été franchi dans l'incivilisation, dans l'inculture militante, dans l'imbécillité triomphante. Le Loft des années récentes a fait beaucoup de petits, qui par comparaison lui donnent à peu près l'allure d'une séance du jeudi à l'Académie française. En ce début d'été tout est Loft et sous-Loft, sur le petit écran. Ce qui me frappe c'est que l'état de délabrement, qui paraît avoir atteint son échelon ultime (mais on ne sait jamais), n'est pas seulement intellectuel, il est aussi moral : l'un ayant toujours impliqué l'autre, bien entendu; mais il me semble que jusqu'à présent ce n'était pas évident à ce point-là.

Renaud Camus, ''Rannoch Moor (journal 2003)'', p.346
Dans cette remarque camusienne, l'immoralité vient en dernier lieu, ce qui ne laisse pas de me surprendre.
En effet, il m'a toujours semblé qu'elle était le ressort quasi unique de ces jeux et concours (le Loft, Greg le millionnaire, Koh-Lanta, l'île de la tentation, la ferme des célébrités, Star académie, le maillon faible, qu'est-ce que j'oublie?) C'est l'immoralité de ces jeux et mises en scène divers qui m'a choquée dès le début. Ce n'est pas la bêtise ou l'inculture ou la vulgarité des candidats que je trouvais (que je trouve) navrantes, puisqu'aussi bien ils étaient choisis précisément selon ces critères, c'est que des personnes plus intelligentes qu'eux (mais pas nécessairement moins vulgaires), les organisateurs, les producteurs, aient pu inventer des jeux aussi imbéciles ou dégradants, aient pu délibérément humilier, avec leur consentement —et qu'ils aient eu un trop petit Q.I. pour se sentir humiliés rend-elle la chose plus ou moins cruelle?—, des jeunes gens ou des adultes pas bien malins, prêts à tout pour un quart d'heure de gloire ou quelques milliers d'euros, et faire rire d'eux ou s'identifier à eux ou faire rêver d'être à leur place (quel est le pire?) des milliers de téléspectateurs.

A-t-on jamais réfléchi par exemple au mécanisme très particulier du "maillon faible", où il importe d'éliminer non seulement les mauvais, les boulets, mais aussi, de façon plus subtile, les bons, les meilleurs que soi? Il s'agit de rester entre médiocres, dans une médiocrité juste assez brillante pour flairer le danger que représentent les candidats meilleurs que soi, dans une médiocrité moyenne entre médiocres moyens. L'immoralité, ici, vient du fait que l'excellence n'est ni reconnue, ni récompensée, ni désirable. Elle devient une tare. L'immoralité du "maillon faible", à mes yeux le plus immoral de tous ces jeux, est qu'elle habitue les téléspectateurs à considérer la supériorité intellectuelle, culturelle ou morale comme un danger: nous allons perdre si nous laissons des gens avec davantage de connaissances et de compétences vivre parmi nous.

Je songeais à tout cela en regardant grâce à par la faute de Tlön Ségolène Royal se déclarer candidate à la présidence de la République.
Je ne l'avais jamais vue à la télévision, jamais entendue, avant dimanche; je ne connaissais d'elle que des photos, des phrases, et les commentaires goguenards qu'elle suscite régulièrement. Sans bien comprendre l'engouement dont elle est l'objet depuis le printemps, j'imaginais qu'elle avait une voix, une présence, un certain charisme, quelque chose d'inexplicable qui aurait expliqué pourquoi tant de gens l'aimaient.
J'imaginais qu'il y avait une raison, irrationnelle certes, mais une raison.
Une fois de plus j'étais naïve.
Elle parle mal, son débit est haché, elle se tortille et se balance, elle dit des phrases incompréhensibles, elle apostrophe Jean-Noël (mais qui est-ce?), se réjouit des foules "sentimentales et joyeuses"… Je n'arrive pas à y croire. Dites-moi que ce n'est pas vrai, comment cela est-il possible?

Finalement je crois avoir compris. Les Français, tout au moins un nombre important d'entre eux, sont en train de choisir leur candidat préféré à la Star'Ac. Ils ont éliminé les bons, les mauvais, ont conservé un candidat médiocre, comme on leur a appris à le faire depuis quelques années.
Il faudrait peut-être leur rappeler ou leur apprendre qu'ils ne sont pas en train de choisir quelqu'un pour six mois qui enregistrera un disque ou gagnera cent mille euros, mais quelqu'un qui sera président cinq ans et exercera de très lourdes responsabilités en politique intérieure comme extérieure.

Je suis très inquiète, depuis dimanche. Je viens juste de prendre la mesure des dégâts.
Les billets et commentaires du blog Alice du fromage sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.