Billets qui ont 'cinéma' comme mot-clé.

Riverboom

La salle 100 du Forum des images était remplie. Je me suis demandé combien de spectateurs étaient nés le 11 septembre 2001. La moitié?

Je ne suis pas totalement d'accord avec cette présentation:
Un an après les attentats du 11 septembre, le photographe Claude Baechtold se laisse embarquer par deux reporters risque-tout dans un périple à travers l’Afghanistan en guerre. Avec sa caméra vidéo achetée sur place, il va capturer en images ce road trip…

Imaginez un peu Very Bad Trip filmé en zone de guerre, ou une comédie noire found footage et vous aurez probablement une petite idée du résultat, sauf que… tout est vrai. Anti-militariste affirmé, Baechtold utilise des contrepoints provocateurs, commente ironiquement l’horreur, met de la musique rock sur des attentats, ou opte pour un montage pop. Ce ne sera probablement pas du goût de tout le monde. Tant mieux: car au-delà de l’humour ravageur, cette dimension ludique apparaît comme un véritable outil de subversion.
Ce n'est pas Very Bad Trip; si c'est quelque chose, ce serait plutôt Le grand incendie de Londres: le récit d'une trajectoire de deuil, d'un deuil sans lequel ce film n'aurait pas eu lieu puisque le cameraman ne serait pas parti. Riverboom, c'est le lieu où le deuil est finalement accepté au cours d'une nuit d'orage.
Montage pop, c'est vrai; dimension ludique, c'est vrai. Grande beauté des images; couleurs, paysages jaunes, verts, roses; explications historiques et géographiques; portraits, portraits, portraits, portraits de ses deux amis et portraits d'Afghans, portraits de chefs de guerre, portraits d'enfants. Ce n'est pas subversif dans le sens «menace l'ordre établi», c'est simplement la réalité. Connaître le futur de l'Afghanistan dans les vingt ans à venir tandis qu'on regarde ces sourires, cette beauté, cette violence omniprésente absente de l'écran, serre le cœur.

Je retiens que mon groupe sanguin est le meilleur: B+, be positive!.

Pour trajet les trois journalistes ont choisi de retracer le voyage d'Ella Maillart. Lorsqu'il s'est agi de différencier un chef de guerre d'un bandit (l'un vous tue, l'autre vous vole —, mais on ne peut faire la différence qu'après), j'ai pensé à Kapuściński traversant l'Afrique en guerre le long d'une route d'où l'on ne revient pas. Je me suis dit qu'il était temps que je lise Les cercueils de zinc.


J'ai oublié mon livre sur Moret au cinéma. Heureusement je reviens jeudi. Je ne pourrai plus quitter ce village: Thomas Becket est réputé en avoir consacré l'église (il était alors réfugié à Sens). Thomas Becket et Marina Tsvetaïeva. Quel endroit.

La lassitude de la Mort

Ciné-concert dans l'église de Moret : Der müde Tod de Fritz Lang (1921) à Moret, accompagné au luth médiéval par Jozef Van Wissem, compositeur quasi-exclusif des bandes originales de Jim Jarmush (mais comment et pourquoi s'est-il retrouvé à Moret?).

J'y suis allée davantage pour Lang que pour Van Wissen (que je ne connais pas: ce que j'ai précisé plus haut vient d'internet).

C'est un film restauré récemment grâce à des partenariats internationaux. C'est un conte, avec la stylisation des contes, c'est lumineux et vaporeux à la fois. Effets spéciaux par superposition, par surexposition.

Le conte se déroule en six chapitres, bien caractérisés. Le premier nous présente un jeune couple heureux dans une diligence. Un grand homme en noir arrête l'attelage et monte dans la voiture. Le deuxième nous montre la ville, ses notables à la Daumier et noue l'intrigue: l'étranger en noir a acheté le terrain près du cimetière et l'a clos d'une enceinte sans porte et dont on ne voit pas le faîte tant elle est est haute. Le jeune homme meurt, la fiancée rencontre la Mort (l'étranger, comme nous le savons tous). Très belle scène sous une voûte immense emplie de cierges; chaque cierge représente la durée d'une vie qui inexorablement fond vers sa fin.
La Mort propose un marché à la jeune femme: elle lui confie trois bougies à dix centimètres de leur fin, représentant la vie de trois jeunes hommes: si la fiancée parvient à en sauver un, la mort lui rendra son bien-aimé.

S'en suit trois épisodes, en pays mahométan, en Italie et en Chine, avec tous les indices qui permettent au spectateur de s'orienter dans des représentations qui s'appuient sur des clichés, non seulement visuels, mais également musicaux (trois types de musique) et graphiques: les cartons entre les scènes adoptent des graphies rappelant l'écriture arabe ou chinoise. Je vous joins ici trois cartons: le titre, en écriture gothique, un carton arabisant et un carton de type calligraphie chinoise.

Der müde Tod - carton en écriture gothique Der müde Tod - carton en police arabisante Der müde Tod - carton en police de style chinois


La jeune femme échoue à chaque fois (comment empêcher une bougie de fondre si elle brûle?), ce qui explique le titre: la Mort exprime sa lassitude d'être invincible. Elle propose alors à la jeune femme de lui rendre son fiancé contre la vie d'un autre humain. Le dernier chapitre se déroule dans le village, où la jeune femme tente de trouver un habitant qui accepte de donner sa vie pour qu'elle puisse retrouver son bien-aimé.

C'était très beau et je n'ai pas eu froid (ma crainte prosaïque).

Pour les cinéphiles, un billet sérieux qui m'apprend que le titre est classiquement traduit par Les trois lumières (mauvaise traduction: les trois flammes serait plus exact et rendrait mieux la tension qui traverse le film).

Après le grec, l'allemand.

«C'est pas cool, Gaby, mais faut avancer. Faut s'en remettre ou se faire mettre.»
The Walking Dead, S8E5
(contexte : deux types enfermés dans une caravane en train de se disloquer sous la pression des zombies).

Ce n'est pas le sujet dont je voulais parler, mais cette phrase saisie au vol m'a fait rire. Pas mal cette traduction. J'apprécie qu'ils se donnent du mal pour le doublage.

Quoique. Le sujet global de ce billet pourrait être la traduction. L'IPT (institut protestant de théologie) nous envoie des devoirs en allemand. C'est amusant la décontraction protestante alors qu'ils sont austères, contre la rigidité catholique alors qu'ils sont davantage bons vivants.
Pour la validation du cours d’allemand, nous vous proposons de changer radicalement de corpus, un peu parce que les textes de Bultmann sont restés dans nos bureaux à l’IPT (confinés eux aussi, pour ainsi dire!), mais aussi et peut-être surtout parce qu’en ces temps troublés nous avons quelque raison de préférer la chanson, l’humour et le cinéma aux savantes mais austères considérations de l’ami Rudolf!

La chanson est signée Stephan Eicher et Martin Suter. Nous vous invitons à l’écouter pour commencer, puis à la lire. Il s’agit d’un duo interprété par l’hambourgeoise bohémienne de coeur Annette Louisan et le Yénische cosmopolite des Alpes helvétiques Stephan Eicher. Le duo alterne des passages en allemand et en suisse allemand. Votre tâche consiste à traduire les passages en allemand, mais nous vous encourageons à essayer – à titre facultatif, bien sûr – de deviner ce qui est dit dans les passages en suisse allemand.

L’humour est celui de Loriot, qui est un peu à l’Allemagne ce que Jacques Tati est à la France. Si son nom ne vous dit rien, vous lirez avec profit la brève biographie que voici (dépêche AFP à l’occasion du décès de Loriot en 2011):
«Le pape allemand de l'humour, le dessinateur, auteur et acteur Vicco von Bülow, plus connu sous le nom de "Loriot", est mort à l'âge de 87 ans, a annoncé sa maison d'édition."Je déplore la mort de ce grand artiste et de cet homme formidable qu'était Vicco von Bülow que nous aimions sous le nom de Loriot", a déclaré la chancelière allemande, Angela Merkel, dans un communiqué. "Observateur plein de finesse des choses de la vie et humoriste profond, Loriot était depuis longtemps devenu un classique", a-t-elle dit, ajoutant: "son oeuvre fera rire encore longtemps les jeunes et les moins jeunes, tout en permettant de mieux cerner ce qu'est l'âme, l'essence des Allemands". "Le miroir plein d'amour qu'il nous tendait va nous manquer", conclut la chancelière.
A mi-chemin entre le Monsieur Hulot de Jacques Tati et Charlie Chaplin, Loriot s'attaquait, à travers ses sketches aux répliques caustiques aux clichés quotidiens de la vie moderne de l'Allemagne d'après-guerre, seul en gentleman dans un monde devenu fou. La vie de couple, les femmes, les hommes, les animaux faisaient partie des thèmes de prédilection du comédien comme dans "l'oeuf à la coque", où un couple se dispute au petit-déjeuner sur la durée de cuisson de l’oeuf. Né en 1923 à Brandebourg (est) d'un père officier dans l'armée prussienne, Loriot, s'était choisi comme pseudonyme le nom français de l'oiseau figurant sur l'armoirie de sa famille. Il était également dessinateur, ses recueils de proses et de dessins humoristiques aux personnages à gros nez se vendant à plusieurs millions d’exemplaires. Au cinéma, en tant qu'acteur et réalisateur, il avait tourné "Oedipussi" ou l'histoire d'un homme animé d'un attachement malsain à sa mère, et "Pappa ante Portas".»

Pour ce deuxième exercice, le mode de validation est plus léger. Nous vous invitons à visionner les quatre saynètes ci-dessous:
pneumatische Plastologie
Der Hasenbrüter
"Szenen einer Ehe"
Fernseher kaputt

La tâche consiste à choisir la saynète que vous préférez, expliquer votre préférence et sélectionner deux mots nouveaux pour vous, dont vous chercherez la signification.

Le cinéma est aussi de la partie avec un chef d’oeuvre du muet:
Menschen am Sonntag (1930),

Oubliez la validation pour ce troisième exercice.
La tâche, si toutefois c’en est une, consiste à regarder le film avec ses (rares) cartons en allemand, et à se laisser porter par cette histoire, si toutefois c’en est une. Menschen am Sontag n’est pas aussi célèbre que les autres grandes oeuvres du cinéma muet allemand (Faust, Das Cabinet des Dr Caligari, Der blaue Engel, Metropolis, etc.), mais il n’a rien à leur envier ni sur la forme ni sur le fond. Considéré comme l’ancêtre à la fois du néoréalisme italien et de la Nouvelle Vague française, Menschen am Sontag semble d’un autre temps que le sien (un peu comme ces meubles du Bauhaus qu’on croirait sortis tout droit des années 1960). Au générique, on trouve, entre autres, Robert Siodmak à la mise en scène et Billy Wilder au scénario (avant leur exil aux États-Unis).

Samedi de pré-rentrée

Rendez-vous chez le médecin pour un certificat médical. « Quel sport ? … De l’aviron ? Ah c’est bien, ça me change.»
Plus tard :
— Vous devriez faire un test d’effort pour être tranquille trois ou quatre ans.
— Ah, ça va venir : il est probable que mon père m’offre un tour en Mirage, les avions supersoniques. Un test cardiaque est obligatoire.

Nous avons emmené Clara à son appartement, ou plutôt sa chambre : une pièce avec douche individuelle dans une maison de maître à Créteil. Six colocataires à cinq cents euros mensuels chacun (hors charge), ça rapporte davantage que de louer à une famille.
Elle revient avec nous et repart en vélo, avec le vélo de mes onze ans qui roule toujours parfaitement. Si réellement elle s'en sert (je n'en reviens pas qu'une "jeune" de vingt-sept ans accepte de rouler sur mon vieux clou taché de rouille donc j'attends de voir si son enthousiasme a hérité d'un vélo gratuit persiste) si réellement elle s'en sert je le ferais repeindre (et de repasser mentalement les couleurs possibles : blanc, mauve, rose, violet, orange ? Pas bleu ou noir, non, quelque chose qui ne donne pas envie de le voler.)

Le soir, O. m'accompagne à la cinémathèque voir L'Atalante. Il a été restauré grâce au travail de Bernard Eisenschitz, ce qui est l'occasion de penser à Marie et Jérémy (il faut que je leur envoie un mot. Que s'est-il passé avec Marie ? Elle a été choquée que je proteste devant la vague de suicides à France Telecom, que je proclame qu'il fallait arrêter de leur faire de la publicité, qu'il y avait d'autres façons de résister. Elle a coupé les ponts. Est-ce irréversible ?)
Restauration argentique, montage à partir de la comparaison de plusieurs versions, et notamment une version anglaise. O. est surpris et un poil narquois devant la ferveur des présentateurs et des spectateurs, qu'il comprendra d'autant moins après vision : quoi, ce film un peu crachotant, cette histoire simplissime, c'est cela qui les enthousiasme ?
— Mais tu te rends compte, juste après le muet… tu as vu la diversité des plans, l'endroit où il a fallu réussir à mettre la caméra ? le cadrage de la caissière et le jeu des vitres, la façon dont tout est expliqué dès le cortège de la noce, la jeune fille qui quitte son village, qui n'a jamais rien vu,…
Devant l'admiration de tous, il veut bien convenir qu'il doit y avoir quelque chose, même s'il ne saisit pas exactement quoi (mais moi non plus, moi non plus : comment saisir les difficultés d'un montage, de la durée exacte d'une scène pour que tout soit montré et rien de trop ? A quel moment devient-on poétique au-delà de réaliste, à partir de quand la réalité bascule-t-elle dans la poésie ? A moins que la réalité soit toujours poésie et que l'art consiste justement à saisir celle-ci, la rendre visible.)

Nicolas Seydoux, de Gaumont, nous a promis une dernière restauration, celle qui saura nous rendre un son audible : en effet, il est aujourd'hui par moment si criard qu'il en devient inaudible.

En compagnie des nuages

Trois heures du matin le 25 juillet. Est-ce avoir écouté vers le soir une tranche de bifteck et la biographie de Jules Verne ou être dans un hôtel confortable, sympatique, infiniment silencieux et avec wifi ou la perspective de bientôt rentrer qui vient de me réveiller ? Nous avons fini notre voyage vers l'ouest, il va falloir plonger vers le sud, fermer la boucle, rentrer, et je n'en ai pas du tout envie.

Longue journée de conduite aujourd'hui.

Nous quittons l'auberge de jeunesse sans autre péripétie, direction Bargfeld, la maison d'Arno Schmidt (c'est la raison pour laquelle nous nous sommes arrêtés à Celle : le plus gros bourg alentour de Bargfeld). A Bargfeld, quelques minutes d'hésitation : le village est petit mais il y a malgré tout deux ou trois rues ou routes bordées de maison en briques rouges foncées. Les photos sur internet n'indiquent pas vraiment d'adresse. Je ne suis pas parvenue à comprendre si la fondation Arno Schmidt était installée dans la maison de l'écrivain ou ailleurs.
Nous trouvons facilement la fondation, au bout de l'une des rues de Bargfeld. Une plaque de cuivre précise que pour visiter il faut prendre rendez-vous et donne un numéro de téléphone, mais je ne me vois pas téléphoner en allemand pour demander à visiter une exposition sur l'Allemand le plus difficile à lire du XXe siècle alors que je n'en maîtrise pas la langue.
Le portillon est ouvert, nous décidons d'entrer, en tongs dans la rosée du jardin net et entretenu. Nous tournons l'angle de la maison. C'est alors que j'aperçois par la porte-fenêtre un homme en train de travailler sur un ordinateur. Nous rebroussons précipitamment chemin.

Nous logeons la clôture. La maison bleue est là, derrière, à travers les pins, le toit rongé de mousse. Elle est petite et haute. Le portail délabré est fermé par un canedas, au fond du jardin se trouve un cabanon gris presque aussi grand que la maison mais sans étage. Il n'y a rien après la propriété, un champ, des vaches (barrière électrifiée : aucune chance d'entrer par là).
Sans doute aurait-il suffit de sonner puisqu'il y avait quelqu'un. Je n'y ai pas vraiment pensé, je n'en ai pas vraiment eu envie. Je voulais voir la maison, les champs, le village, la région, la hauteur du ciel. Schmidt a été très pauvre toute sa vie, une vie bien plus difficile que celle de ce râleur de Thomas Bernhard, et sa maison est discrète, timide, derrière celle pimpante de la fondation. Ici nous sommes très loin du monde même si le village est actif, vivant, net. Comment était-il entre 1950 et 1970 ? Peut-être différent d'allure mais sans doute dans le même esprit.

Nous reprenons la route, Waze annonce huit heures de trajet jusqu'à Amsterdam si nous ne prenons pas l'autoroute. Il fait beau, frais, le paysage est à la fois homogène (bouleaux, champs, maisons de briques rouges) et varié. Nous écoutons la suite des aventures de Jack London. La pluie se met à tomber drue, le reste de la journée sera sous les averses. Kebab à Sulinger. Un instant je songe à pousser jusqu'à Brême mais la pluie m'en dissuade : le cœur n'y est pas.

La journée se poursuit, fatigante à rouler sans interruption. Bruit sec, caillou dans le pare-brise, éclat. Zut. Vaut-il mieux changer le pare-brise avant de rendre la voiture ou rendre la voiture ainsi et laisser le concessionnaire le changer à moindre prix (puisqu'il est concessionnaire) mais cependant nous le facturer au prix fort ? Nous écoutons quelques «pages arrachées à Chantal Thomas » pour m'apercevoir que je déteste ce genre, le genre libertinage XVIIIe siècle, qui me paraît toujours du Gérard de Villiers pour dîners en ville (autrement dit, du cul que les intellectuels peuvent reconnaître qu'ils lisent, alors qu'ils ne reconnaîtront pas lire Gérard de Villiers). Ça m'ennuie et me dégoûte, sans compter que lorsque c'est écrit par une femme, ces histoires de dépucelage par Louis XV (Le testament d'Olympe) me font penser à la collaboration des kapos à la garde de leurs pairs. Bref, au milieu du troisième épisode, nous abandonnons (à l'origine, si j'avais sélectionné ces podcasts, c'est que je connaissais Chantal Thomas par Comment supporter sa liberté).

Nous écoutons ensuite Thierry Frémaux expliquer la sélection du festival de Cannes 2016. C'est un peu difficile à suivre pour nous : nous ne connaissons pas tous les noms et certains titres sont donnés en anglais alors qu'un autre titre a été donné au film lors de sa sortie en France. J'explique à O. que les cinéphiles sont des extrémistes prêts à tuer. Je découvre que Frémaux vit la même expérience (par exemple les réactions de son équipe au visionnage de The Neon Demon : « ridicule » ou « magnifique ») : ainsi donc ce serait toujours ainsi, par nature ? Frémaux ne paraît pas le vivre mal. Mais pourquoi diable un film déclenche-t-il une telle volonté d'être le seul à posséder l'interprétation juste, d'être celui qui voit et comprend exactement ? Quel est ce besoin de voir ses goûts confirmés ? Ou ne s'agit-il pas de goûts mais de vision du monde ?
Je note en passant que Frémaux considère que l'interprétation d'Isabelle Huppert dans Elle possède une force comique. Si c'est le cas, la bande-annonce a vraiment été mal construite.

Nous sommes entrés aux Pays-Bas. Les maisons sont toujours en brique mais les toits ont changé (beaucoup de chaume), les jardins aussi, plus grands, plus nets. Il y a beaucoup de moutons et des vaches. Les bouleaux se sont fait rares. Pendant quelques kilomètres je guide O. à la carte pour tenter de suivre un canal, de passer par du « pitto » (Reeze, Ommen) puis j'abandonne, les routes font la largeur d'une voiture et demie, en cas de croisement il est prévu que l'on morde sur la piste cyclable et même sur l'accottement renforcé par des briques de ciment ajourées, il y a quelques cyclistes malgré la pluie, tout cela paraît dangereux.
Arrêt à Raalte après avoir échoué à trouver un café ou une station essence en bord de route même. Nous sommes épuisés et faisons des erreurs de débutant : un quart d'heure d'errance dans la zone industrielle avant de trouver le centre ville. Il est près de six heures. Café, gâteaux, changement de conducteur. Nous réglons Waze sur "le plus rapide sans autoroute". Je prends le volant après avoir préparé une nouvelle liste de podcasts.

Une tranche de bifteck de Jack London. Quarante minutes de combat de boxe.
N344, 221, 415, 201.
Il pleut par intermittence. Nous décapotons dès que possible. Les nuages sont magnifiques. Depuis longtemps, depuis Melk au moins, le ciel nous présente des paysages de tableaux, une véritable invitation ou initiation à la peinture. Ce soir, à la faveur des orages et du soleil qui tombe lentement devant nous, les nuages d'une consistance épaisse et ferme présentent sur la largeur de l'horizon, vaste aux Pays-Bas, toutes les lumières, du plus sombre au plus lumineux, sans oublier les traits filtés du soleil contre les dernières parcelles de bleu.
Canaux, lacs (salés ou eau douce ?), bateaux, un pair oar, une yolette, enchantement. Nous enchaînons sur une biographie étincelante de Jules Verne en vingt minutes qui fait rire O. aux éclats (arrêt du podcast le temps de reprendre son souffle afin de ne pas perdre un mot du récit).
Si vous ne devez écouter qu'une émission, que cela soit celle-ci.

Arrivée à Amsterdam, hôtel au sud, à deux pas du tramway. Accueil chaleureux sur un mode logique c'est-à-dire informatisé, wifi gratuit (sans mot de passe) et efficace, la civilisation, enfin ! (J'assume de juger un pays, une ville, un hôtel, à sa capacité à utiliser l'informatique et à mettre de l'internet à disposition. C'est pour moi bien plus que de la technologie : c'est un état d'esprit, celui qui consiste à faciliter sa vie et celle de ses contemporains.)
La chambre nous fait rire : douche et WC chacun dans une colonne de verre dépoli dont les portes coulissent en demi-cercle. Tout est blanc, desaïgné à l'excès. Nous descendons profiter de notre cocktail de bienvenue et dînons sur place, le moral remonté au beau fixe.

Le désert de Tabernas

Ce matin, j'étais décidée à partir seule à Tabernas, partant du principe que si H. finissait aujourd'hui, nous pourrions visiter l'Alhambra ensemble demain.
Mais un bon gag réserve des rebondissements, et pris d'un doute à cause d'une phrase non cohérente avec le contexte, H. passa un coup de fil à quelqu'un de l'équipe chargée des installations: le développement urgent à finir ce soir pour débuggage dans les deux jours et installation lundi a en réalité été ajourné sine die mais les différentes équipes n'ont pas été prévenues: bref, H. a gâché sa journée d'hier pour rien (à cela près que le travail fait est fait). Well, well, well.

Nous partons vers dix heures, il fait très beau, c'est à cent quarante kilomètres, en chemin j'explique où nous allons. Nous ouvrons le dépliant sur mon portable, commençons à lire… Les indications ne sont pas très claires, sauf qu'il faut un 4x4 et non un cabriolet surbaissé, des chaussures de marche et non des tongs… Adieu piste d'Indiana Jones.
Je passe sur deux erreurs de direction (la première nous permet de voir un coyote, la deuxième un panneau (à l'usage des ouvriers d'un chantier qu'on voit au loin, probablement) que je regrette de ne pas avoir photographié: "araignées, serpents, scorpions venimeux dans le sable. Ne pas quitter la piste" (en anglais ou en espagnol, je ne sais plus). Nous remontons en voiture, tentons une autre direction, vers Tabernas, rond-point, tournons à la première pancarte indiquant "Western Leone".

Tout ce qui est raconté ici est vrai, le prix exhorbitant, l'endroit désert. Ce qui manque, mais l'auteur de ces lignes ne l'a peut-être pas vécu, c'est la dimension humaine: quel drame se joue dans ce village, ou n'est-ce que dans nos têtes?
Western Leone est donc deux décors accolés, celui d'un village de l'ouest (bois brun) et celui d'un village mexicain (pierre blanche). Tout cela tourne lentement à la ruine, attaqué par la pluie, le soleil et le vent. Il est impossible de rentrer dans la plupart des décors, nous photographions les planches du cimetière, la silhouette de la colline pelée. Cinq à six chevaux attendent sous un porche, dont un sellé. Un chien minuscule aboie quand nous passons, une perruche dans une cage trop petite pousse des cris. Des gens vivent ici, une famille peut-être, sont-ils salariés, et employés par qui?

Une consommation est comprise dans le prix du billet, nous entrons dans le saloon, un très vieux pousse un grognement pour appeler une très vieille; nous faisons simple et commandons un café. Elle comprend que nous sommes français et appelle; le vieux quitte son fauteuil, quitte le saloon; un jeune homme arrive dans un pull bleu ciel, vingt-cinq ans, les cheveux blonds trop longs, la lèvre tremblante, Klaus Kinsky plus mince, plus fiévreux, plus frêle; un instant je me sens découragée, oh non, c'est déjà difficile de faire face aux malades mentaux dans sa propre langue comment allons-nous faire en espagnol, qu'est-ce que c'est que ce freak; il saisit un gros livre sur le cinéma souvent feuilleté, il parle français, avec une certaine assurance même si son tremblement le rend incompréhensible, il ouvre à une page, nous montre la maison de l'assassinat du début d'Il était une fois dans l'Ouest, c'est ce saloon, il nous montre la pente du toit, oui, c'est bien ce toit, les autres maisons ont dû être construites plus tard ou le cadrage les cacher. C'est irréel, nous sommes dans le film sans y être, rien ne correspond, il ne s'agit pas du tout de la sensation éprouvée lorsqu'on rencontre des personnes rencontrées auparavant dans un livre: car ces personnes ont une vie autonome, alors que là, il n'y a rien — et il y a autre chose, ces gens dont on ne comprend pas ce qu'ils font ici, vivent-ils vraiment ici, dans la poussière et le silence? Cela ressemble à une malédiction, les oubliés du temps. (Et maintenant que j'écris quelques jours plus tard, il me semble que ce que je conserve de ce voyage, c'est l'image de ce garçon tremblant, disgracié, intelligent.)

Nous reprenons la route pleins d'interrogations, décidons de poursuivre vers Tabernas et arrivons à "Mini Hollywood", beaucoup plus professionnel (ou Disney amateur!). Plus cher aussi: il y a un zoo. Aucun doute, c'est la banque de Pour quelques dollars de plus. Nous comparons nos souvenirs, les miens sont flous, nous visitons longtemps l'ensemble de la ville (c'est magique, naïf et magique) puis une partie du zoo. Là encore, ce récit est digne de foi (je l'avais vu mais pas vraiment lu, compris, avant le voyage).



Vers trois ou quatre heures nous errons dans Tabernas pour déjeuner. Nous trouvons un restaurant, je fais l'erreur de commander du poulpe grillé, pensant obtenir à peu près ce que j'avais mangé au Portugal, je vois arriver un calamar entier de vingt-cinq centimètres, tentacule et bec compris… C'est fort en goût, très salé, un peu écœurant. Je fais l'effort de tout manger, pour ne pas désobliger la cuisinière qui a interrompu son propre repas dans la salle commune pour nous servir. H. est mort de rire.

Au lieu de faire demi-tour, nous continuons vers Almeira.



Bord de mer, ciel bleu, décapotable. Glaces, coup de soleil, arrêt en catastrophe pour acheter de l'écran solaire. Retour, mer de serres à perte de vue, incroyable (tentative de photo avec un téléphone: ça ne rend pas grand chose).



Traversée de la Sierra Nevada, la nuit tombe, il commence à faire froid, le vent soûle.
Retour au parking, retour à la Taberna de Jam. C'est décidément un merveilleux restaurant, par la qualité des produits et la gentillesse des serveurs (propriétaires?)

Western

En préparant un voyage en Espagne, j'ai fait une recherche sur les lieux de tournage des westerns spaghetti. Je voyais cela beaucoup plus au nord, mais c'est en fait dans les environs d'Almeira, dans le désert de Tabernas.

J'ai trouvé des explications détaillées dans un dépliant (la seconde partie est en anglais).
Je suis surprise de constater que le troisième Indiana Jones a été également tourné ici, sans doute parce qu'une partie se déroule à Venise, donc qu'il était plus simple de venir ici que de retourner aux US.

Apparemment il y a des fous pour jouer à des jeux de rôle grandeur nature, mais sans chevaux.

Vie quotidienne

Anniversaire de ma sœur (je n'arrive pas à admettre qu'elle vieillisse).

C'est la rentrée. Repas traditionnel au Wajda avec le dernier encore au lycée (chaque année, déjeuner ici le jour de la rentrée. C'est un restaurant que Tlön m'avait fait découvrir ce jour-là. Je me souviens qu'Hélène "de Fayard" était entrée avec un homme et me découvrant dans la petite salle, avait fait signe au garçon de l'installer loin de moi. Nous étions en froid depuis la sortie du Journal de Travers. Je crois ne pas l'avoir revue depuis).

J'ai acheté un galet creusé pour contenir une bougie (voilà que je fais dans le zen, manquait plus que ça (c'était non prémédité, le galet était en vitrine. Un autre proclamait «j'ai une mémoire admirable, j'oublie tout». Et je pense que ce n'est pas faux).

Passée chercher des billets à la cinémathèque. Première fois que j'y mettais les pieds. Elle est exactement en face de la grande bibliothèque, de l'autre côté du fleuve. Je me demande si elle n'est pas exactement au milieu des deux tours Est et Ouest.

A. était à Nancy (Vandœuvre) aujourd'hui pour accompagner l'écurie à une course (le cheval était favori mais a fauté (comprendre: a galopé durant une course de trotteurs)). Nous hébergeons ce soir une amie à elle qui n'avait plus de bus pour rentrer chez elle. En revanche C et I sont absents pour une semaine, ils font du cat-sitting (pour continuer la rubrique: "qui dîne et dort à la maison ce soir").

Il a fait beau.

La presse chez ma tante

Je lis Paris Match, toutes dates confondues, les trente ans de la mort de la mort de Grace de Monaco, le mariage de William et Kate, la naissance de George, les deux mille jours des Kennedy au pouvoir…

Je lis Le Berry républicain du jour.
Georges le croco

Le Territoire du Nord de l'Australie a offert un crocodile au fils de Kate et William portant le même prénom, George. Le reptile est né le jour où Kate a officialisé sa grossesse.

Les espions qui venaient du Nord

Ils sont séduisants, courageux, intelligents, vertueux et patriotes. Ils maîtrisent plusieurs langues, semblent immortels. «Ils», ce sont depuis quelques années les improbables héros du cinéma sud-coréen: les espions nord-coréens.

Holywood les dépeint en terroristes sans pitié menaçant les Etats-Unis. Mais, pour le cinéma sud-coréen, ce sont des hommes d'action dont les conflits intérieurs symbolisent le drame politique dont la péninsule coréenne est le théâtre depuis la fin de la guerre en 1953.

[…] c'est «la diplomatie du rayon de Soleil», menée par la Corée du Sud de 1998 à 2008, pour encourager les contacts entre les deux frères ennemis, qui a encouragé les cinéastes sud-coréens à présenter les Nords-Coréens de façon plus empathique.
Hier agresseurs froids et maléfiques, ils endossent, désormais, le costume d'agents à visage humain, hantés par le régime sanguinaire dont ils sont les sicaires. Ces films, qui il y a vingt ans, auraient été impensables, connaissent un grand succès auprès des jeunes Sud-Coréens qui n'ont aucune mémoire des horreurs de la guerre.

Depuis 2010, une dizaine de ces productions a été programmée dans les salles obscures en Corée du Sud (ou sont en cours de tournage) avec, à l'affiche, de grands acteurs. Kim Ki-Duk, le réalisateur de Pieta, Lion d'or à Venise, prépare actuellement Red Family (Famille Rouge), sur la vie d'un groupe d'espions passant pour une famille ordinaire du Sud.
Le Nord est une «inspiration idéale», souligne le critique Kim Sun-Yub. C'est un pays si mystérieux, si peu connu, que l'imagination se substitue souvent à la réalité. La mort du dirigeant Kim Jong-il, en décembre 2011, a aiguisé l'intérêt des cinéastes, affirme Jang Cheol-Soo, auteur de Secretly, Greatly, qui a fait 6,9 millions d'entrées depuis sa sortie en juin. «C'est un sujet qui peut s'adapter à plusieurs genres — films d'action, thrillers, films d'amour et même des comédies.»

Note : Un peu par hasard, je vois ma sœur pour la première fois depuis Noël; elle vient chercher sa chienne avant de rentrer chez elle. Au moment de se séparer, elle me dit :
— Bon, eh bien, à… . Elle hésite.
— Noël, complété-je.
— Justement non, parfois on se croise sans se voir.
Dans ce cas, cela peut signifier un an de plus.

Je suis ton père

Non, ce n'est pas une citation tirée de Star Wars, mais du dernier Die Hard. (Comment dire: moins nul que ne le dise ceux qui l'ont détesté, mais pas bien bon, faut l'avouer (ma justification: accompagner ma fille au cinéma après sa journée d'appel civique. Parce qu'après Die Hard 4, je n'avais pas l'intention de voir jamais les suivants). Manque de soin dans les détails, l'histoire ne tient pas la route, mais ce n'est pas vraiment cela qu'on vient voir.)
La citation en entier: «Je suis ton père, ne l'oublie pas.»

C'est avec Le Roi Lion que cette obsession américaine du père m'était soudain apparue comme une évidence, de Top Gun à The tree of Life (sans compter le prochain Ryan Gosling).

A venir, une histoire de zombie amoureux (il faut croire que Twilight a donné l'envie d'explorer le filon). Ça a l'air fun (Warm bodies!!)
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