Une rencontre
Par Alice, vendredi 9 novembre 2012 à 22:42 :: 2012
Dix heures et demie, les Halles, je suis en retard pour mon cours d'allemand, je vais prendre la ligne 4, pas à la station les Halles mais à Chatelet en prenant le couloir de la ligne 14; il faut connaître l'astuce car la direction "porte d'Orléans" n'est pas indiquée dans le couloir. Direction réservée aux initiés.
Contre le mur du couloir de la ligne 14 je remarque une très jeune femme asiatique, menue, en manteau gris et toque noire à la Audrey Hepburn. Elle se tient au mur, elle titube, j'hésite, je m'approche, que vais-je pouvoir faire, il n'y a rien pour s'assoir (c'est le lieu où arrivent les immenses tapis roulants des Halles, pour ceux qui connaissent):
— Ça va? Vous voulez de l'aide?
Elle me sourit, elle est toute pâle, elle me répond en français mais je ne comprends pas très bien, son accent est fort, elle parle de Louvre, je crois.
Oui elle a mangé quelque chose ce matin, elle ne comprend pas ce qu'elle a, elle paraît se ressaisir, j'aimerais la conduire jusqu'aux quais, en général il y a de quoi s'y assoir. Je finis par comprendre que c'est la ligne 14 qu'elle veut prendre, la station Pyramide, deviné-je. Elle s'accroche à mon bras, elle ne pèse rien, elle est si menue, elle sourit bravement, elle est pâle. Il lui faudrait du sucre, je n'ai rien sur moi, pas un seul de ces petits gâteaux que je récupère quand je prends un café au café.
Non, elle a mangé, du riz et des gâteaux (du riz au petit déjeuner? C'est une idée d'asiatique, ça!), elle ne comprend pas. Une inspiration me vient, je crains un peu de la choquer:
— Vous n'êtes pas enceinte? pregnant?
L'idée semble atteindre son cerveau au ralenti. Ses yeux s'arrondissent, sa bouche sourit, la lumière éclaire son visage comme si elle comprenait enfin (ouf, elle n'est pas choquée):
— j'ai oublié… le mois dernier… le bébé…
(Elle a oublié quoi? sa pilule? Elle a fait une fausse-couche le mois dernier? Elle a oublié qu'elle est enceinte? Non, ça, ce n'est pas possible, elle paraît trop surprise.)
Je suis soulagée, la nouvelle n'a pas l'air de la catastropher, elle semble heureuse, j'ai envie de rire:
— Vous savez, ça arrive…
Je l'accompagne sur le quai de la 14, lui trouve un siège.
— Reposez-vous avant de partir.
Elle est confuse, a peur de m'avoir mise en retard:
— Si vous tombez dans le métro (je fais avec les mains le geste de s'évanouir avec grâce), il y aura les pompiers… firemen… beaucoup de monde, beaucoup de bruit… Reposez-vous. Je peux vous laisser?
Elle dit oui, elle est encore sous le coup de la nouvelle, je l'abandonne, lumineuse sur le quai.
Je me demande si elle était vraiment enceinte, si mon intuition était juste. C'est dommage, je ne le saurai jamais.