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Retour sur un ancien chemin

Retour sur au club littéraires des anciens Sciences-Po, ce club qui réunit des anciens au restaurant une fois par mois pour présenter un livre sur un thème imposé et repartir avec le livre d'un des participants (bookcrossing).

C'est ici que j'avais rencontré Paul Rivière, il y a bien longtemps (septembre 2000. J'avais présenté Le Voleur de Bible. Par coïncidence, la dernière soirée à laquelle j'avais participé de façon régulière avait eu lieu le 11 septembre 2001 — marche dans Paris silencieux, sous le choc, pour rejoindre le restaurant. (Ce soir-là, Madame Bleu de Chine (comprendre l'éditrice de Bleu de Chine) intervenait).

Ensuite, je n'y étais plus allée que sporadiquement, prise d'abord par mon Deug de philo, puis par la découverte de RC et le forum de la société des lecteurs.
Cependant ce club est resté au long des années le prétexte des rencontres hebdomadaire avec Paul: il venait avec le thème de la prochaine rencontre, je proposais des auteurs, nous discutions. Les livres s'entassaient sur la table de restaurant en pile aussi haute que la bouteille.

Je n'arrive pas à me souvenir exactement de ma dernière participation; avant la mort de Paul en avril 2010. Sans doute en mai ou juin 2009. Je sais que les derniers livres que j'ai présentés étaient Vies politiques d'Arendt (quel thème? l'actualité, la culture? je ne sais plus) et Les gommes (thème: la ville).

Je reçois régulièrement les annonces des prochaines rencontres, et cette fois-ci, un peu par curiosité, un peu par ce que je me sens moins fatiguée que l'année dernière, je me suis inscrite. (Thème: "vos lectures non littéraires". J'ai présenté Souvenirs de Hans Jonas, m'apercevant en le feuilletant que beaucoup de noms inconnus en 2005 lors de ma première lecture (Bultmann, Löwith, von Harnack,…) me sont devenus familiers.)

Le hasard fidèle à lui-même m'a placée en face d'une dame revenant de plusieurs années au Etats-Unis qui enseigne quelques heures à la catho. La conversation a glissé sur le cycle C et a amené la fameuse question: pourquoi la théologie?
— La foi, sans doute. La montée de l'islam et la nécessité de "se connaître soi-même" pour répondre de soi et répondre aux autres. Et fondamentalement, c'est sans doute ce que j'aurais dû faire depuis toujours.

Pourquoi la théologie? Avouons que je ne sais toujours pas ce que c'est: de quoi parle-t-on? C'était un moyen d'échapper à la littérature, qui me paraît artificielle et affectée dès que je m'y penche, et à la philosophie, qui d'une part me dépasse souvent et d'autre part me met en colère, tant il me semble qu'elle joue à l'apprenti-sorcier, diffusant des idées (que l'on pense des conclusions mais qui sont des hypothèses) mises ensuite en pratique dans les cent ou deux cents ans suivants, causant des milliers de morts. (Evidemment, on peut répondre que la religion ne fait guère mieux. La théologie est-elle la religion? Il y a une phrase de Schmitt comme quoi un théologien souhaite la mort de ses ennemis. Bref, à suivre dans les prochaines années).

Un chose est sûre, c'est que cela me dirige où je voulais aller. C'est le chemin qui s'enfonce au cœur de mon obsession, s'il faut appeler ainsi une idée jamais absente, toujours présente: la destruction des juifs d'Europe. La question de Taubes demeure, «Que s'est-il passé?»

Je quitte la soirée avec deux livres, un policier et une sorte de catalogue d'exposition (Le Coup de filet de Camilleri et Moi, Eugénie Grandet de Louise Bourgeois). Le problème avec ces soirées, c'est que vous vous retrouvez avec des livres qui n'entrent absolument pas dans votre programme de lecture (par politesse, vous les prenez: c'est atroce de présenter un livre que personne ne choisit ensuite).

Hantée

Pour me détendre, changé la terre et le pot de deux plantes. La femme de ménage était moyennement contente (j'avais utilisé un grand sac poubelle pour protéger la moquette.)

Comité financier à 14h30 à Paris dans des étages désertés (l'immeuble sera quitté définitivement demain soir, nos interlocuteurs sont dans les derniers sur le navire), je rentre tôt.
Mardi en passant à la bibliothèque Audoux, j'ai feuilleté sur une table Une année à Treblinka de Jankel Wiernik. Je suis tombée sur le passage où les fosses du début sont rouvertes pour que les corps en décomposition depuis plusieurs mois soient brûlés. Jusqu'ici, je n'avais lu cela que dans Le Livre noir d'Ehrenbourg et Grossman, et malgré toute ma confiance et mon admiration pour Grossman, je ne pouvais m'empêcher d'espérer que ce n'était pas entièrement vrai, que Grossman avait exagéré, ou rêvé, ou extrapolé… Mardi soir, en rentrant à minuit, j'ai rouvert Le livre noir pour vérifier si Grossman indiquait Wiernik dans ses sources (non). L'extermination me hante, je résiste au désir de me remettre devant Shoah, cette pulsion me tient depuis La Chute, et surtout depuis le témoignage de Frau Junge.

Je regarde Sophie Scholl, emprunté mardi. Les dernières minutes, le couloir vers la guillotine, la guillotine (je croyais qu'elle avait été décapitée à la hache: adaptation pour le film?). Je pense à Dostoïevski décrivant la dilatation du temps vécue par le condamné à mort, encore deux rues, encore un coin à tourner, encore une rue…
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