Billets qui ont 'Chartres' comme ville.

Journée du patrimoine

Matin visite du palais de Justice, après-midi visite de la préfecture. Deux belles visites, bien préparées, avec l'objectif pédagogique de nous informer sur le fonctionnement de la justice ou le rôle du préfet.

Le président du greffe est passionné par les archives et paraît avoir des projets d'études: prouver que le procès de la bande d'Orgères est le plus grand procès criminel de France (quatre-vingt accusés), retrouver toutes les lettres qui expliquent, depuis 1800 environ, que le bâtiment actuel est inadapté, pour les mêmes raisons alors qu'aujourd'hui (froid, dimension, sonorisation, etc). Plusieurs projets, éternellement, sont à l'étude pour le remplacer.

Ce qui me frappe surtout concernant l'hôtel de Ligneris, c'est la présence obsessionnelle de Jean Moulin, dans toutes les pièces. J'apprends qu'il a commencé à résister avant même la Résistance, dès le 17 juin 1940, en refusant de signer une lettre accusant à tort les tirailleurs sénégalais de crimes de guerre. Je me rends compte que je le confondais sa mort avec le suicide de Brossolette: Jean Moulin, lui, est mort dans le train qui l'emportait en déportation.
Dans une lettre il dit qu'«il ne pensait pas si simple de faire son devoir», ce qui me rappelle la remarque de Marc Bloch disant que les soldats les plus tranquillement courageux étaient les travailleurs qui avaient l'habitude d'accomplir leurs tâches quotidiennes, avec le souci du travail bien fait.

hôtel de Ligneris - préfecture de Chartres


Passage dans la cathédrale. La dernière fois que j'avais vu l'intérieur, il n'y avait que quelques pans du choeur qui étaient restaurés. Aujourd'hui toute la nef est éclaircie ainsi que le trancept sud. Le chœur, restauré dans les couleurs du XVIIIe siècle, est magnifique. Nous passons un long moment à observer les niches du tour de chœur dont le nettoyage permet d'apprécier l'expressivité.

Déjeuner au Petit Prince; goûter au Molière dont la légende veut que le propriétaire aurait servi de modèle à l'Avare, écriture de cartes postales à deux, trois, quatre ou cinq mains; dîner chez nos hôtes, avec une lecture inattendue de la vie d'Ophélie Winter.

Départ pour Chartres

Journée concentrée sur les urgences d'avant-hier, puis départ pour Chartres.

Toast en terrasse à l'amitié.

La bibliothèque des amis est toujours un réconfort, source de curiosité confiante.



Au cours du dîner j'apprends qu'avant de se lancer dans Saint-Simon (ou en parallèle), il est utile de lire Saint-Simon ou le système de la Cour d'Emmanuel Le Roy Ladurie.

Attaque brutale de chagrin

Je discute avec une ou deux personnes que je ne connais pas et qui ne connaissent personne, afin qu'elles ne se sentent pas isolées. P. et moi les raccompagnons à leurs voitures. Elles partent.

C'est alors que je me rends compte que je suis seule. Philippe, Tlön, Skot, blogueurs des premières heures qui ne sont ici que parce que je les ai présentés à P., et JY avec qui j'ai porté plainte contre JA et supporté un certain nombre de difficultés, tous sont partis à la cathédrale sans me prévenir, sans venir me chercher, sans que je compte le moins du monde.

Je m'effondre intérieurement. Il est toujours difficile d'être ramenée à la vieille malédiction, car on a beau savoir qu'on n'échappe pas à une malédiction («car à ceux condamnés à cent ans de solitude, il n'est pas donné de seconde chance»), il se trouve toujours des périodes où l'on pense l'avoir dépassée, l'avoir exagérée, que ce n'était pas une malédiction, que ce n'était qu'un concours de circonstances qui ne se reproduira plus. Et toujours la tentation de cette vieille question à laquelle je sais désormais qu'il ne faut pas vouloir répondre, qu'il faut juste la balayer de ses pensées: «C'est eux ou c'est moi?»

Je m'endors sur un canapé du salon, après m'être sans doute évanouie quelques secondes dans les WC (évanouissement ou sommeil flash? Comment savoir? Quelle est la différence?)
Plus tard, ils reviendront puis s'entasseront à cinq dans une voiture pour rentrer à Paris, me laissant seule dans la mienne.

Plus tard encore, découvrant que Skot m'a envoyé vers 15h le téléphone d'une amie, nous aurons l'échange de SMS suivant:
— ??
— C'était le téléphone de X. (commentaire off: oui, ça j'avais compris. Mais pourquoi?) Sinon ça va? Tu semblais fâchée, on n'a pas compris…
— Fâchée? (Je décide de donner mon point de vue, même si c'est pitoyable. Juste pour voir, comme au poker: voyons ce que je vais avoir comme réponse. Je m'applique à utiliser des termes sans ambiguité. (Sachant que c'est un peu injuste que cela tombe sur Skot qui est le plus à même de culpabiliser)) En larmes d'avoir été larguée comme une vieille chaussette. J'aurais préféré que vs pensiez à moi avant plutôt que vs vs inquiétiez après (Vs êtes vraiment bizarres).
— Terrible malentendu! Je t'ai appelée plusieurs fois au moment de partir et P. nous a dit que tu suivais.
— Il ne m'en a rien dit.
— Il devait être occupé avec ses autres invités Désolés mais on n'a pas tt de suite compris que tu souhaitais venir et on a pensé que tu nous rejoindrais avec d'autres convives.
— Tant pis. […]

Je sais déjà que je ne saurai jamais ce qui s'est passé. Je n'ai rien entendu, mais comme je ne faisais pas attention, cela ne veut rien dire; P. ne m'a jamais dit que nous pouvions les rejoindre, se bornant à répéter en boucle «ils vont revenir» (Mais qu'est-ce que ça peut me faire qu'ils reviennent puisque ma présence leur est indifférente? Quelle importance désormais? Et pourquoi P. n'y est-il pas allé? Ce n'est pas si souvent qu'il croise JY, Tlön ou Skot. N'avait-il aucun désir de bavarder un peu, dégagé des soucis d'hôte de maison? J'ai le soupçon que cela lui plaisait que je reste, qu'il n'a rien fait pour que nous partions avec les autres.)


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Agenda
J'emmène la collection entière des Maigret et deux Rohmer.
Les trois ados installés dans le salon avec leurs portables ont fait fondre les fils électriques à force de jouer en ligne.

Chartres

Il pleut furieusement tôt le matin, je songe aux rameurs de Melun qui fêtent les 50 ans du club d'aviron.

Cruchons à Chartres, depuis combien d'années maintenant? Je pourrais chercher ici, mais j'ai la flemme, et qu'est-ce que cela changerait? Cruchons vidés de leur substance, sans lecture ou explication de texte, mais ç'avait déjà été le cas l'année dernière. L'annonce de RC en mars 2012 (si loin déjà!) aura vraiment tout fait voler en éclats.

Gare de Lyon, Aline, Jérémy, Laurent, cela fait une éternité que je ne les ai pas vus, et cela fait vraiment plaisir. La pluie s'est arrêté, le soleil pointe. Le train bondé se vide après Versailles. Discussion à bâtons rompus, Eugénie-les-Bains (une chambre à Eugénie-les-Bains), le sous-titrage, la comtesse de Ségur, sa biographie («son mari venait la voir une fois par an et chauqe fois lui faisait un enfant», la comtesse et l'ancêtre des relais H), des nouvelles de Marie, etc.

Chartres, étagères, bibliothèque, livres. Echanges, mes Camus trouve preneurs. J'ai amené des comtesse de Ségur et des Claude Simon, je repars avec un dictionnaire de grec, deux Daniélou dédicacés à François Mauriac et un Joachim Jérémias.

Nous sommes là un mois plus tard que d'habitude, pas de repas sur la terrasse mais dans une petite pièce, ni cuisine ni salle à manger. («C'est une vrai Knoll?») Charcuterie, pain, vin, fromage («J'ai pris du petit Billy»). «Aline et la réunion Tupperware» («ça passe le temps»), en attendant «Aline et la réunion sex-toy», et un jour peut-être «Aline entre au Sénat». Les garçons s'appellent Garçon, ça tombe bien. Pigny, Orléans, Nîmes (ni Nantes ni Lyon). Le chien, ma tante, une relation gagnant-gagnant. La vanille n'est pas bourbon. Nous ne faisons pas la vaisselle. Je prends Notes sur l'oreiller au moment de partir («Prends ce que tu veux» : je fais très attention à ne pas entendre cette phrase).

Puis la cathédrale, sans échafaudage pour la première fois depuis que nous venons (septembre 2009, j'ai vérifié). Le chœur, les colonnes peintes façon marbre, la statue de la Vierge, une impression d'Italie, loin de la cathédrale sombre que nous connaissons. Les vitraux au-dessus du chœur, Marie, la Visitation et l'Annonciation, Ezéchiel, Jérémie (avec une auréole si je me souviens bien), Jean-Baptiste, les grisailles des années 30, etc.

Le goûter (après avoir acheté une carte d'Océanie), Massenet et Thaïs, Laurent qui écume pour Jérémie la crème de la crème parmi les cantates de Bach de Philippe… La passoire pour les nouilles, ce n'est pas une passoire pour ceux qui ne savent pas se servir des passoires, mais une passoires pour les nouilles. Ah. Je feuillette Comprendre Wagner, une BD en allemand… (L'allemand est très tendance, tout le monde semble faire ou refaire de l'allemand.)

Retour debout dans le train, c'est fou tout ce monde, c'est la première année que c'est ainsi. Qu'avons-nous changé, la date, l'heure?

Chartres au soleil

Un rendez-vous plus tardif que les années précédentes. Effectif réduit cette année, il reste les inconditionnels, et la conversation roule autant (davantage?) sur Nadine de Rothschild (comment ça danseuse? Je la croyais cousette) que sur RC (avec suspens et décision demain, si j'ai bien compris).

Petits plats dans les grands grâce à la jeune fille de la maison (quand ça change, ça change). Etagères et livres, livres et étagères.

La cathédrale de Chartres, transfiguée par la mise au jour d'un enduit couleur sable. Cela change totalement le jeu de la lumière et des couleurs, c'est très impressionnant. Rosaces peintes découvertes pendant les travaux.
Explications (enfin) à propos de la grille déposée à droite de l'entrée: elle servit un temps à fermer le chœur après la disparition du jubée.

Efficacité facebookienne

— Quoi? Deux semaines de pokes et elle vient coucher chez toi, de Lorient? Alors que moi ça fait un an et demi que je poke un mec à quatre rues de chez moi??!

Chartres, troisième édition

Le noyau des fidèles et quelques nouveaux.

Le portail nord, raffiné, précis, méticuleux. Je reste abasourdie de la précision des allusions à l'Ancien Testament. J'ai oublié l'histoire de Saul (que je confonds avec Esaü) et celle de Gédéon. Je confonds Elie et Elisée et je ne connais pas vraiment la différence avec Isaïe. J'aime profondément les statuts colonnes et le songe des rois mages.

Nous avons fini de descendre (en fait nous avons fini en juin) dans les profondeurs du chapitre III, désormais nous remontons.

Laurent nous initie à l'art de la vision par les trouées lors des voyages en train.

Le pilier de Paul Claudel

Notre-Dame de Paris, huit heures du matin. L'éclairage entre les piliers est diffus, parfait, sans rien de la dureté des spots utilisés parfois dans les églises (je n'aime pas que les églises soient trop lumineuses. Ni trop sombres.) La cathédrale devient intime, resserrée.
Ma récente lecture de Claude Mauriac me pousse à rechercher "le pilier de Paul Claudel" (c'est en fait "Notre-Dame du Pilier" qu'il aurait fallu chercher, mais je ne le savais pas). Spontanément je le cherche au même endroit que "le pilier de Péguy" à Chartres (le pilier comportant une plaque commémorant son pèlerinage), mais celui de Claudel est de l'autre côté, à droite du chœur à la croisée des transepts. Le lieu est signalé par un pavé gravé]. Ce pavé se trouve au pied d'un pilier sur lequel est aujourd'hui clouée une plaque à la mémoire de Mgr Lustiger. Le texte en commence ainsi: «Je suis né juif et je porte le prénom de mon grand-père Aron»…


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Agenda (ajouté en 2018) :
Furieuse contre la bibliothèque de Sciences-Po qui veut un justificatif de domicile alors que je paie ma cotisation d'ancienne élève par prélèvement depuis des années. J'y ai oublié mes gants rouges. Carnets de Finnegans Wake avec l'équipe de Daniel Ferrer. Passé en librairie. 3e tome de Mme de Sévigné en pléiade. Bière avec Patrick jusque tard dans la nuit.

Trois lieux

Une cathédrale, un appartement, un jardin.
Un temps magnifique, surtout dans la cathédrale. Une chance.

Du crémant d'Alsace, du saucisson de sanglier (corse), de l'andouillette, des macarons glacés, un magnum de rouge, des explications, des livres. "Synthèse et analyse", euh, je ne sais pas.

«La Mort approche». Suis-je la seule à m'être sentie oppressée devant une coïncidence digne d'Edgar Poe?

Pélerinage proustien

Comment expliquer Péguy quand la brume et la pluie noient la cathédrale jusqu'au dernier moment?

- Suivre une messe en latin n'est pas difficile, chanter en modulant interminablement chaque syllabe beaucoup plus.

- Je recommande chaleureusement la visite de la maison de Tante Léonie. Service à crème au chocolat et assiette à asperges inclus. Très belles photos, dont une du modèle de "Françoise" (cela m'émeut et me ravit).
Je ne connaissais pas le pré Catelan, planté par le mari de "Tante Léonie". Je ne tiens pas à remplacer mes images mentales de lecteur par des modèles géographiques "réels" (non, jamais ce parc ne remplacera l'idée que je m'étais construite de la première rencontre de Gilberte et du narrateur), mais cela m'a permis de dédoubler des images que j'avais superposées: pas de différence pour moi entre la demeure de Swann et celle des Guermantes au cours de la lecture, comme si Swann demeurait chez les Guermantes... Cela ne me choquait pas, Swann vit dans les limbes tant qu'il n'est pas installé avec Odette.
J'ai beaucoup aimé l'église d'Illiers. Pour une fois il est permis d'aimer le XIXe siècle (quelques fresques plus récentes, quelques statues) : qu'importe, du moment que Proust l'a vu. Le banc de la famille Proust est soigneusement capitonné de rouge.
Trois madeleines, les villageois n'ont pas transformé Illiers en Proustland, c'est le moins que l'on puisse dire (un peu interloqués par les travaux en cours d'une future station d'épuration dans la ville, face à des pavillons d'une dizaine d'années: est-ce vraiment possible?)

- Meslay-le-Grenet. La femme qui fait visiter (pas à nous) a un tic de langage qui m'exaspère mais que j'ai oublié maintenant que j'écris, ce qui me le fait regretter (ô paradoxes des blogs). Cette danse est très bien conservée dans sa fragilité, c'est-à-dire qu'elle est aussi bien effacée, bien pâle, bien mortelle... Un homme, un squelette, un homme, un squelette, et des commentaires en vieux français. Cette Mort est presque tentatrice, bien plus enjouée que les vivants qui paraissent répugner à la suivre.

- Château de Tansonville (il ne se visite pas, nous observons à travers la grille («— Mais qu'est-ce qu'on fait là? — Nous soignons notre fétichisme.»)), château de Villebon, premier nom qui apparaît dans les brouillons avant celui de Guermantes. Le château est magnifiquement conservé, en briques rouges, tours et pont-levis. Sully est mort ici (trente et un ans après Henri IV), il est enterré à Nogent-le-Rotrou, contre l'église Notre-Dame, mais pas dedans, puisqu'il était protestant. Nous trouvons sur les murs un Tristan Camus qui m'enchante. Il pleut des cordes, la voix frêle de notre guide couvre difficilement le tambour de la pluie sur les parapluies, les pavés, les gouttières.
Vieille tradition de service public qui tient les propriétaires successifs de ce château, au service des rois puis au service de la République.

- Froid. Lait chaud, café et macarons. Peut-on convaincre les enfants de l'intérêt de l'art et de la littérature en les faisant rencontrer des gens qui aiment l'art et la littérature en riant et racontant des (quelques) bêtises ? Peut-on leur montrer qu'il s'agit d'une vision du monde habitable, ni froide, ni méprisable?

Bunker Palace Hotel

Dans la maison de P., il y a une pièce réservée aux bouteilles de whisky, un abri anti-atomique, et sous la terrasse, une longue pièce froide dans laquelle les araignées, saisies vives par les glaces, restent suspendues comme des étoiles blanches dans leur toile.

Les Eglogues à Chartres

  • Aller

- RC, Journal de Travers I et II pour Jérémy
- Jean-Yves Pranchère, L'autorité contre les Lumières pour Patrick
- Sebastian Haffner, Histoire d'un Allemand, pour Patrick
- Recueil de l'académie des jeux floraux, 1993, pour Philippe
- Barthes dans L'Arc
- Melville dans L'Arc, (J.)
- Nabokov dans L'Arc, (J.)
- Duane Michals, (J.)
- Mahler dans L'Arc
- Robbe-Grillet, colloque à Cerisy 1976
- Robbe-Grillet, Projet pour une révolution à New York
- Robbe-Grillet, La maison de rendez-vous
- Robbe-Grillet, Les Gommes, (J.)
- Otto Rank, Don juan et le double
- Perec, W ou les souvenirs d'enfance
- Nicole Lapierre, Changer de nom, (M.)



  • Retour

- André Gide, Les caves du Vatican, donné par Tlön
- Malègue, Augustin, ton maître est là, emprunté à Patrick
- Trackl chez Seghers, emprunté à Patrick
- Barthes dans L'Arc
- Mahler dans L'Arc
- Robbe-Grillet, colloque à Cerisy 1976
- Robbe-Grillet, Projet pour une révolution à New York
- Robbe-Grillet, La maison de rendez-vous
- Otto Rank, Don juan et le double
- Perec, W ou les souvenirs d'enfance

Hier

Longue journée hier : tout d'abord visite privilégiée avec guide individuel de la cathédrale de Chartres, visite malheureusement écourtée par l'action conjointe d'un suicide le matin et d'une Anglaise qui n'avait pas imaginé que son restaurant pût accueillir tant de clients le midi (la dernière cliente négociant âprement une assiette de soupe); redécouverte des longues robes romanes et des visages si doux, de la rosace et de l'obscurité particulière de cette cathédrale (je n'y étais pas venue depuis vingt ans, je pense). Commentaire suivi des vitraux et des statues, et comme toujours cette conviction qu'il serait bien temps que je relise la Bible.

Dormi profondément dans le train, remis une religieuse dans le droit chemin à la gare Montparnasse, mangé deux gâteaux au gingembre, arrivée vers sept heures à la galerie.

Je n'ai pas l'habitude de ce genre de manifestations, et pour tout dire, je les crains : je redoute le snobisme, le parisianisme (forme particulière de snobisme qui s'exprime surtout par des exclamations bruyantes de femmes, la particularité parisienne étant à mes oreilles le ton, l'accent, un côté poissonnière précieuse), les gens impolis qui se précipitent sur les cacahuètes et le kir, tout ce petit monde venu pour tout sauf pour les tableaux.
Donc j'y allais craintivement.

J'ai été enchantée. L'accrochage est très réussi, il y a une grande harmonie entre les proportions de la salle et celles des tableaux (ce n'est pas si simple, les tableaux étant souvent grands et la salle plutôt moyenne), l'alternance des tableaux sombres et clairs maintient la curiosité en éveil, et la salle (avant d'être pleine de monde) est suffisamment spacieuse pour permettre de prendre du recul devant les œuvres.
Les tableaux sont très bien choisis, très représentatifs. J'ai retrouvé les volcans sur un mur, impression de croiser de vieux amis, un peu triste de me dire que s'ils sont vendus, je ne les verrai plus.
Il n'y avait ni cacahuète ni kir ni grandes exclamations, les gens sont venus nombreux mais calmes, tranquilles, heureux d'être là. C'était bien.

Plus tard, chez Jean-Paul Marcheschi, le besoin de m'assoir m'a rapprochée d'une petite blonde qui s'est avérée être la responsable de la galerie. Nous avons parlé un peu d'art (enfin, surtout elle, il valait mieux!), elle me disait être effrayée par la façon dont la France, les Français, vivaient totalement repliés sur eux-mêmes en matière de peinture et n'avaient aucune idée de ce qui se faisait à l'étranger. Elle me parla avec admiration des Allemands, de leur culture artistique, de leur façon d'aller spontanément vers les tableaux «les plus durs, les plus forts».
Elle connaissait Jean-Paul Marcheschi depuis les années 1990, quand il exposait à la Fiac.
Je lui ai demandé si elle savait qui était la minuscule vieille dame entourée d'attentions assise au milieu de la pièce.
— Eh bien, vous savez peut-être que Jean-Paul a vécu longtemps avec un garçon qui est mort. C'est sa mère…
Je l'interrompis :
— Vous voulez dire que c'est la mère d'Oyosson?
— Euh oui, sans doute… Vous connaissez? La mère d'Oyosson… J'ai senti les larmes qui montaient, assise sur le canapé, à côté de cette inconnue à qui j'aurais bien été en peine d'expliquer mon émotion.
— Excusez-moi, je suis très émue… c'est très étrange, les livres, c'est comme si les personnes sortaient des pages… (Je me suis enfoncée dans une explication compliquée qui avait l'avantage d'éloigner l'émotionnel et nous avons changé de sujet.)
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