TGV à Montparnasse. Je n'ai pas pris de livre, pensant lire Poe sur mon téléphone, mais finalement j'ai dormi, l'esprit transpercé par la voix claire d'un blondinet de quatre ans qui a posé des questions tout le long du chemin (dilemme: abrutir les enfants en leur donnant une tablette ou subir les questions des plus éveillés d'entre eux. Résister à la tentation de la facilité).

Repas. Conversations à bâtons rompus, nous ne nous sommes pas vus depuis mars, depuis Marseille. Anecdotes et questions existentielles. Aline me déconcerte en me demandant pourquoi je n'envisage pas de faire ma prochaine virée en voiture avec C. ou A. (puisque j'ai fait la précédente avec O.) Je n'y avais jamais pensé. Je me suis tant engueulée avec les deux grands et la vie est si facile avec O… Oui, de l'extérieur cela doit paraître injuste (et peut-être est-ce injuste en soi). Cela mérite réflexion.
Je me fais prendre à partie parce que je ne juge pas utile de réagir aux impolitesses d'un voisin d'immeuble: «Oh mais avec toi, il faut jamais froisser personne, il faut toujours être gentil…»
Ça alors. C'est bien la première fois qu'on me dit ce genre de chose. Trop gentille? J'en suis quasi satisfaite (à cela près qu'on me le crache comme un reproche), aurais-je fait des progrès dans le détachement, dans la retenue? Depuis le temps (quatre, cinq ans? depuis que je suis fatiguée de me disputer avec Jean-Yves) que ma résolution du nouvel an est de moins m'emporter… («éruptive», disait R.)
Mais enfin, cela revient au même si c'est pour me le voir reprocher avec colère — à cela près que le besoin d'expliquer mes raisons m'est passé. (Enfin je crois; nous n'avons sur nous-mêmes que peu de victoires définitives, ne nous réjouissons pas trop vite.)
Tout cela est curieux. Les relations humaines sont curieuses.
Nos compagnons sont parfaits : nous passons à autre chose. Dans ce genre de situation, le plus important est que personne ne prenne partie pour personne et de passer à autre chose.

Retour dans les jardins de William Christie. Ils me paraissent encore plus irréels que l'année dernière. A-t-il fait sec ici? Tout est vert, tout est beau, dans ce mélange de jardin anglais, jardin à la française, si parfaitement combinés. Il fait gris et lourd en début d'après-midi et très doux dès que le ciel se découvre. C'est enchanteur.

Programme entendu (il y a divers lieux, des morceaux y sont joués tous les quarts d'heure ou vingt minutes. Chacun fait son choix et se déplace.): dans la pinède, Haendel et Vivaldi puis Purcell; dans le théâtre de verdure, John Downland puis dans le cloître la première suite de Bach sur viole de gambe (et non violoncelle).
La dernière rencontre de l'après-midi réunit tous les auditeurs devant la maison pour des extraits d'Orfeo. Les colombes (pigeons paons blancs) sont moins assidues que l'année dernière, ou ils préfèrent Vivaldi et Purcell à Monteverdi.

Dîner chez Jerem', croque-monsieurs (pluriel à vérifier) et entrecôtes. Il fait doux, les menaces de pluie se sont éloignées. Nous revenons prendre place devant le miroir d'eau. Ph, notre mentor, a eu beaucoup de peine à obtenir des places (problèmes de connexion. Les places s'arrachent dans la demi-heure de leur mise en ligne en juin) et nous ne sommes pas côte à côte. Gentiment il donne les places les plus en avant à A. et moi.
La représentation est un enchantement, les voix sonnant très claires et très pures entre les arbres au-dessus de l'eau. Une jeune fille confie à son père: «à chaque fois que j'écoute Orpheo, j'espère qu'il ne va pas se retourner». Le violoncelliste se couvre les jambes à l'entracte. Il fait froid depuis que la nuit est tombée, il ne faut pas bouger. L'enfer luit rouge loin contre les haies noires.
C'est une très belle représentation.

Puis bizarrement, seconde altercation sur un sujet impensable, le ventre de Paul Agnew (?? WTF? comment peut-on exploser à propos d'un tel sujet?)

Nous rentrons par un chemin plus long, en faisant un détour.



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Pour mémoire, détails des compositeurs, musiciens et chanteurs.
Pastorale italienne : Haendel, Fra pensieri quel pensiero HWV 115; Vivaldi, Care selve, amici prati RV 671 - Carlo Vistoli, contre-ténor; Alix Verzier, violoncelle; Florian Carré, clavecin.
Pastorale anglaise (Henry Purcell) : Passacaille If love's a sweet passion (The Fairy Queen); What pow'r art thou (Cold Genius - King Arthur); Thrice happy lovers (The Fairy Queen, Prélude à l'acte V); Song-tune: your hay it is mowed (King Arthur) - Nicolas Scott, ténor; Cyril Costanzo, basse; Annie Gard, violon; Sarah Kenner, violon; Stephen Goist, alto; Matt Zucker, violoncelle; William Christie, clavecin.
O sweet woods : John Dowland: Awake sweet love (First book of Songs or Ayres 1597); O sweet woods (Second Book, 1600); If my complaints could passions move (First Book); A Shepherd in a shade (Second Book); When Phoebus first did Daphne love (Third Book,1603) - Natasha Schnur, soprano; Arash Noori, luth.
Suite de Bach : Suite n°1 BWV 1007 (Prélude, Allemande, Courante, Sarabande, Menuets, Gigue) - Myriam Rignol, viole de gambe.

Ditribution d'Orpheo: Cyril Auvity (Orfeo), Hannah Morrison (Euridice, La Musica), Paul Agnew (Apollo, Eco), Miriam Allan (Proserpina, Ninfa), Lea Desandre* (Messaggiera, Speranza), Carlo Vistoli* (Spirito infernale, Pastore), Sean Clayton* (Pastore), James Way* (Pastore), Antonio Abete (Plutone, Spirito infernale, Pastore), Cyril Costanzo* (Caronte, Spirito infernale)
Violons : Tami Troman Emmanuel Resche
Altos : Simon Heyerick Myriam Bulloz
Violoncelle : Alix Verzier
Violone : Thomas de Pierrefeu
Flûte à bec et cornet à bouquin : Eva Godard; Maud Caille-Armengaud
Trombones : Cyril Bernhard, Romain Davazoglou, Nicolas Vazquez, Aurélien Honoré
Harpe : Nanja Breedijk
Théorbe, luth : Thomas Dunford, Massimo Moscardo
Clavecin, orgue, régale : Marie Van Rhijn, Florian Carré