Alice du fromage

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Billets qui ont 'Vierzon' comme ville.

mercredi 18 décembre 2013

Inéluctable

J'ai appris hier soir que mon père avait des soucis de santé — et donc, inévitablement, j'ai rêvé de la ferme de mes grands-parents. Cette fois-ci j'ai rêvé qu'il fallait qu'on la vide: découragement devant le capharnaüm des greniers.

Au réveil, je me suis souvenue avec soulagement que c'était déjà fait.

mercredi 3 juillet 2013

A Rochechouart

Impossible de me souvenir exactement de l'origine du projet, une engueulade, un regret, en tout cas le rendez-vous était pris depuis longtemps: «ne sois pas jaloux, Jacques, nous allons venir te voir.»

Et c'est ainsi que nous partîmes de bon matin pour Rochechouart voir un ami FB (deux, finalement) inconnu IRL.

En passant à Vierzon j'émets le souhait de passer devant la ferme de mes grands-parents (la dernière fois dois remonter à 2003), nous nous trompons de sortie et nous nous retrouvons, pas tout à fait par hasard, à Brinay. Les fresques sont là, et les rosiers au dehors, et les beaux manoirs, ou maisons de maître, ou "châteaux". Tout est si calme et si bien entretenu sous le ciel gris et la bruine qui hésite.
A la sortie nous discutons avec une dame du village, qui nous dit tout de go en réponse à une question: «Cela appartenait à la baronne de Neuflize qui a vendu ses propriétés à ses manants».
Aucune hésitation dans l'utilisation du mot, très naturel. J'en suis enchantée, impression de glisser vers Proust et Balzac.
Nous apprenons au passage que des cars emplis de Japonais parviennent jusqu'à ce coin reculé du Berry, j'en suis enchantée: les Japonais auront vu un coin de la vraie France, c'est tout de même autre chose que le boulevard Haussmann.

Nous reprenons la route. Vierzon, la ferme donc (et en passant l'église bizarre où furent enterrés mes grands-parents). Les marronniers de la ferme n'ont pas été coupés (j'aavais rêvé qu'ils étaient coupés, j'avais rêvé aussi qu'il y avait eu un glissement de terrain au ras de la ferme, etc, etc); il y a des volets en plastique aux fenêtres de l'étage, nous ne voyons pas le bas de la maison caché par le portail, je ne veux pas m'approcher pour ne pas déclencher l'aboiement des chiens. Mais tout paraît à peu près inchangé, je suis rassurée. La mare est est très verte, mais visiblement inutilisée. Nous repartons. Il paraît qu'il devrait y avoir une ligne entre la Chine et Châteauroux, que des investisseurs chinois voudraient s'installer à Châteauroux. Si cela devait se passer, je me demande combien de temps ils résisteraient à la loudeur de la législation française. La Souterraine, déserte, (un sandwich), Le Dorat, magnifique collégiale à l'extérieur rébarbatif mais l'intérieur très équilibré. Ici se trouvent les reliques de saint Israël (saint Israël?) et saint Théobald. Cependant la collégiale s'appelle saint Pierre-aux-liens. Nous montons un peu dans la ville. Elle paraît à l'écart du temps, inchangée, pas d'enseigne moderne en plastique, pas de parabole, une impression d'années 50 ou 60. En vitrine chez un commerçant, une affiche annonce fièrement un concours international de tone de moutons (six nations) pour le week-end prochain (nous ne serons plus là). Il bruine par moments.

Bellac sous le soleil. Nous trouvons sans peine la maison de Giraudoux, dont l'harmonie dans les verts est gâchée par une pancarte rouge vif maison des illustres. Je découvre ce label créé par Frédéric Mitterrand et je me dis que 1/ RC est décidément beaucoup plus lu et écouté qu'il ne le croit dans les cercles intellectuels et politiques (ce qui explique d'ailleurs qu'il n'ait pas "le succès de Dieudonné": on attend/attendait autre chose de lui) 2/ si tous ces hommes de pouvoir ou d'influence avaient confié un musée ou une galerie à RC, le gâchis aurait été évité (il en sont donc partiellement responsables). Enfin bon, c'est trop tard.
Nous tournons dans Bellac à la recherche d'un monument aux morts que nous ne trouverons pas. Eglise, pancarte du lieu où fut écrit «La mouche du coche», monument dédiée aux six héroïnes de Giraudoux (nous n'identifions qu'Electre).
La vilel est jolie, pimpante, en travaux: elle prépare le festival de théâtre et d'autres festivités.

Prochaine étape Mortemart. Château des ducs. Mais nous sommes venus chercher autre chose, les éditions Rougerie. Le cafetier les connaît, nous indique l'adresse. Pas de plaque, aucune indication sur la maison. Les visiteurs ne sont pas désirés. Nous sonnons. Un chien aboit. Personne, ou personne qui souhaite être vu. Il est déjà tard, nous devons être à six heures à Rochechouart, il faut partir (d'autres détours que j'ai oubliés nous tentaient, trop tard, trop tard).

Rochechouart, j'ai un choc en apercevant le château, il est magnifique, l'archétype des châteaux forts, mais sans le côté mal dégrossi.
Jacques, Annie, Sun. Apéro au Morgon et au boudin aux châtaignes (un régal, j'en aurais bien ramené à la maison (mais il fallait aller à saint Yrieix (je crois) pas le temps, pas le temps). Conversation à bâtons rompus, Rochechouart est construit sur une métorite ce qui a des conséquences sur la réception du téléphone, cigares (ce n'est pas un peu dangereux, la cigarette, quand on est branché sur oxigène?)
Repas au restaurant, retour, Annie nous accueille à Surris, c'est en Charentes et non plus en Haute-Vienne, Annie est la Charentaise la plus fervente que j'ai jamais vue (mais je n'en n'ai pas vu beaucoup).

dimanche 7 février 2010

Samedi soir

Beau texte d'Oscarine Bosquet, Participe présent, mésanges et Rosa Luxembourg. J'écoute la voix dans la pénombre, douce et obstinée.

Puis Simone, qui est Simone, « C'est toi l'Arabe », sa voix rauque et chantante qui me rappelle une amie de ma mère, j'apprends que Joseph était merveilleusement beau et qu'il aurait bien pu coucher avec la femme de Putiphar, puisqu'après tout les douze commandements n'existaient pas encore (ce qui me paraît aussi magiquement absurde que d'imaginer qu'avant Newton, les pommes flottaient dans les airs). Dans une version de l'histoire, Joseph finit par prendre la femme de Putiphar en pitié, elle qui l'aura aimé toute sa vie. Ils ont cent ans tous les deux. « Comment tu veux élever des enfants avec une histoire pareille ? »

« Mon gynéco m'a dit : moi, j'ai coché la case garçon. » (C'est une bonne idée, désormais j'en ferai autant.)
« Comment ça tu es fan de TrucMuche? Il faut te défaner. »

Connais-je davantage Marie que Bernard, que dire des affinités immédiates, irraisonnées? Nous avons en commun quelques livres lues, c'est déjà ça.
La théière oblongue de Simone ressemble moitié à un char, moitié à un canard, mais nul ne l'a vue.
Elle aurait dû garder mes boucles d'oreilles, elles lui allaient très bien, et si j'avais été sûre qu'elle les portât, cela m'aurait fait plaisir.

Marie a oublié notre projet d'échange culturel. Zut alors. D'un autre côté, le titre de mon billet de septembre 2008, dont je ne me souvenais plus, montre que je ne me faisais pas beaucoup d'illusions.


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Dimanche

Pas grand chose à raconter, ou alors ma vie. Peut-être qu'un blog sert à ça, possible. Marché, jardin, rien de palpitant. M'enfin bon, s'il fallait attendre du palpitant pour écrire. Pas envie d'y retourner demain. Il faudrait réussir à écrire d'épaisses couches de rien pour pouvoir cacher quelques éclats de réel à des endroits où personne n'aurait le courage d'aller les chercher. Mais cela prendrait beaucoup de temps.
Continué les tas de feuilles. Presque plus de gazon, plus que de la mousse. Pourquoi les gens râlent-ils contre la mousse, c'est pourtant pratique, plus besoin de tondre.
Une épine dans l'index gauche, impossible de la fixer, ma vue se trouble.

samedi 2 janvier 2010

Nostalgie

Samedi, classé des papiers avec Out of Africa en fond sonore. Il y a longtemps que je n'ai plus besoin de le regarder, j'en connais les images par cœur. Pourquoi ce film-là ce soir, et ce besoin d'avoir le cœur fendu juste ce soir, en triant des bulletins de notes, des factures et des articles de journaux ?
L'Afrique aura vraiment tout pris à Blixen, c'est une vaincue qui rentre en Europe.
Il me reste cependant un doute sur la véracité de cette biographie. Il faudra que je reprenne dans Vies politiques de Arendt les références du livre écrit par le frère de la baronne (est-ce bien cela ? il me semble que c'est son frère).

Est-ce pour cela que le lendemain, c'est le DVD que papa m'a donné il y a déjà trois ou quatre ans que j'ai regardé, en remplissant je ne sais quels documents administratifs ? Mon père a copié les films super8 familiaux, les films de l'enfance, c'est très flou, cela ne montre à peu près rien à quelqu'un qui ne connaît ni les lieux ni les personnes. Mon père a surtout fait d'excellents choix de fonds sonores, Sydney Bechet s'adaptant si bien aux images que les images semblent suivre la musique par instants.
Je ne savais pas que certains moments, bien plus récents (1981) avaient été filmés.
Pour les plus anciens, 1971 ou 72, les films viennent confirmer l'exactitude confondante de ma mémoire.
Il ne reste rien, ni la maison d'Inezgane (occupée par des militaires), ni la ferme de ma grand-mère (vendue à un maréchal-ferrant), ni ma coéquipière de galère…

vendredi 21 août 2009

Pensées éparses

- Pfiuu. Quelques photos et un grand coup de nostalgie.

- J'ai repris le manuel d'allemand de cinquième de mon père, imprimé en 1955. J'aime bien le promener, le "sortir". Je le lis comme un roman, en tournant les pages. Ce n'est pas comme ça que je vais retrouver des réflexes.

- Cet après-midi j'ai cherché sur Googlemaps l'emplacement de l'ancienne ferme de mes grands-parents. Stupéfaction d'apercevoir une piscine derrière la ferme. L'honnête ferme devenue lieu de plaisir... Oh, je n'aurais jamais dû regarder (Loth ou Orphée? Qu'importe, l'enseignement est le même, je le sais, pourtant).

- Je pense à l'église d'Auvers-sur-Oise. Tout à fait mon genre.

mardi 25 novembre 2008

Cerisy, la campagne de France

La perspective d'aller à Cerisy avec ceux qui sont peut-être, après tout, "mes pairs", me paraissait parfaitement fastidieuse. Tout envie de voyage s'estompe — des villes et encore des villes : je me suis rendu compte que, désormais, j'aimais mieux draguer que de visiter quoi que ce soit; les villes ce sont avant tout des corps, pour moi, des visages, des poils, des peaux, des lèvres, des voix, des caresses, des draps sous la lampe (on verra après...).
RC, Journal de Travers, p.1518

Il faut avouer que draguer dans les profondeurs de la campagne normande... à moins de trouver son bonheur parmi les participants du colloque, c'est assez compliqué. (M'a fait rire cet Australien qui m'a confié, tandis que le car négociait comme il pouvait les routes du bocage: «J'ai l'impression que le terriroire français est beaucoup plus ouvert, beaucoup plus accessible, qu'il y a beaucoup plus de routes qu'en Australie.» (Well... yes.))

Je suis rentrée de Cerisy reposée, avec une envie de déménager. Pour la première fois depuis une éternité (depuis combien d'années, en fait? avant la construction de l'autoroute passant par Vierzon), j'avais dormi une semaine dans des nuits silencieuses et noires. Point de routes, point de lampadaires. Le froid lui-même, que j'avais redouté, était accueillant, le corps s'adaptait sans effort à l'air frais mais propre.
Et moi qui m'étonnais il n'y a pas si longtemps d'être devenue si citadine, je me suis aperçue que c'était faux: ce dont je n'ai pas envie, c'est de la demie-ville, la ville avec tous les inconvénients de la ville sans ses avantages, ses cinémas, ses expositions, ses conférences, ses concerts, ses bibliothèques...
Mais j'appartiens à la vraie campagne, à la solitude, sans voiture et sans lampadaire.
J'ai envie d'y retourner. Quand et où? (La Sologne? Les bords de Loire? Le Nivernais? Le plateau de Langres?)

Dimanche, en sortant de la voiture à l'orée d'un bois, l'odeur et la nuit m'ont brutalement rappelé la ferme de ma grand-mère. Sept ans qu'elle est morte et ça ne passe pas. Pire, cela semble revenir. Dieu qu'elle me manque, mes souvenirs sont si vivants qu'il me semble les ressentir physiquement.

mercredi 17 septembre 2008

Promesse d'ivrognes

Marie m'emmène à Beyrouth et je lui montre les beautés de Vierzon.

lundi 26 février 2007

Digressions historico-politico-familiales

En sortant de La vie des autres, H. évoque un souvenir d'enfant du début des années 70: sa grand-mère yougoslave naturalisée française, devenant hystérique à la frontière, refusant d'entrer en Yougoslavie où ses enfants l'emmenaient en vacances revoir sa famille. Elle craignait qu'"ils" ne la laissent plus repartir.
J'évoque mes propres souvenirs, le kilo de café envoyé d'urgence en Pologne pour dépanner la famille qui avait emprunté du café à des voisins pour un mariage et n'arrivait pas à s'en procurer pour le rendre, un cousin éloigné de papa qui venait parfois à Vierzon avec sa fille voir ma grand-mère, mais jamais avec sa femme et son fils, qui restaient en Pologne pour garantir son retour. Ce cousin habitait près d'une église désaffectée, la nuit on venait le chercher pour être parrain lors de baptêmes célébrés en cachette. Il était parrain d'innombrables enfants.
Je me souviens de ma découverte du mot apatride («Ça veut dire quoi apatride?») à côté du nom de Martina Navratilova lors des matches de Roland-Garros et de l'horreur que ce mot avait fait naître, apatride, pire qu'exilé, sans aucun lieu pour se poser ou se reposer.
Je méprise les intellectuels occidentaux qui ont supporté le communisme. Je supporte mal un certain anti-américanisme. Quelles que soient les errances d'un président, les actions géopolitiques absurdes, violentes, hégémoniques, de soixante années de politique internationale américaine, on ne peut les comparer à ce qu'ont connu les pays du bloc soviétique, ne serait-ce que parce qu'on peut évoquer tranquillement cette politique brutale sans risquer sa vie (et je reste le souffle coupé devant un film comme Docteur Folamour, sorti en pleine guerre froide, un an après la mort de Kennedy). Les actuelles compromissions des pays occidentaux avec la Russie de Poutine ou la Chine me sont odieuses.

Je me souviens d'un devoir d'histoire en terminale, le professeur avait eu un geste désabusé au moment de la correction: «Personne n'a compris l'enjeu de ce texte, il s'agit d'évaluer la possibilité et les conditions de la réunification de l'Allemagne», je l'avais regardé comme s'il était fou: réunification? mais c'était totalement impossible, comment pouvait-on seulement y songer?
Je me souviens exactement de la première fois où j'ai entendu le mot pérestroïka, j'étais au lit à l'internat, j'écoutais la radio, le doute et la joie se mêlaient, fallait-il y croire, pouvait-on y croire, ne risquait-on pas d'être joué?
Je me souviens de la décision de la Hongrie en septembre 1989, j'étais en formation à Périgueux pour mon premier emploi, je regardais la télévision le soir seule dans ma chambre d'hôtel, le monde entier retenait son souffle. En juin, les étudiants chinois de la place Tian Anmen avaient été écrasés, qu'allait-il se passer?
Je ne comprends pas que Mikhaïl Gorbatchev ait totalement disparu de l'actualité, il est l'homme qui a le plus profondément changé le monde depuis 1945.

Tandis que passe la bande-annonce de Goodbye Bafana, C., 14 ans, demande: «C'est qui, Nelson Mandela?» Mon cœur manque un battement, est-il possible de ne pas savoir qui est Nelson Mandela? Je me souviens du regard de profond mépris de mon voisin en classe de seconde, lycéen sur-politisé comme il y en avait quelques-uns (entourés de quelques filles à longues jupes qui sentaient le patchouli), parce que je ne savais rien du boycott des oranges Outspan.

Parfois j'essaie d'imaginer ce qu'a pu être la décolonisation pour nos parents ou nos grands-parents, ou ce que c'était de vivre avant la seconde guerre mondiale. Le sentiment du monde est incommunicable, il ne peut qu'être imparfaitement reconstitué par recoupements successifs.

mercredi 31 janvier 2007

Vie des animaux

Cinq sensations que je ne retrouverai sans doute jamais (variation sur une chaîne qui s'estompe) :
  • Le goût des granulés que ma grand-mère donnait aux lapins;
  • L'odeur du lait artificiel pour les veaux au moment où mon grand-père ajoutait de l'eau chaude pour le délayer;
  • La langue râpeuse des veaux sur mes bras salés (comme une langue de chat, mais avec une surface de gant de toilette et non de timbre-poste);
  • La trompette ahurissante des pintades quand elles voulaient soudain signaler leur joie ou leur fureur (je n'ai jamais su);
  • La tête jaune du dernier poussin, curieux ou trop à l'étroit, émergeant du dos d'une poule brune ayant triplé de volume pour abriter tous ses petits (ce spectacle me manque tant que j'en rêve parfois).

jeudi 20 juillet 2006

Copieuse

Ce matin, en commençant le numéro de L'Arc1 consacré à Herman Melville, je sélectionnais déjà mentalement les passages à recopier ici.
Puis je me dis que c'était tout de même un peu exagéré, de tant recopier, c'était un peu trop facile, de remplir un blog avec des extraits.
Puis je me rappelai que c'était pour moi l'intérêt principal d'internet : y mettre en ligne tout ce qui m'intéressait, pour l'avoir partout sous la main, et indexé, en plus (évidemment, cela n'aurait nul besoin d'être public, mais ne compliquons pas).
Puis je me dis que j'avais toujours copié, et que je ne voyais pas pourquoi, sous prétexte qu'il s'agissait d'un blog, je devrais arrêter.
Et je m'aperçus que c'était vrai : je recopie des livres depuis très longtemps.

Lorsque j'avais sept ans ou huit ans, nous passions les deux mois de grandes vacances chez nos grands-parents, paternel et maternel, alternativement. Il fallait nous occuper, et j'avais déniché la machine à écrire qui avait servi aux études de BEP sténo-dactylo de ma tante dans les années 60. C'était une Underwood monumentale, sans doute des années 30 ou 402 sur laquelle je me mis à taper. Ma tante, perfectionniste, me dégotta une méthode et je me mis à apprendre à taper à la machine (dfg jkl, et variations, des pages entières, je m'en souviens encore). J'adorais le bruit de cette machine, et son odeur. J'écrivais de petits contes et mon grand-père réussit à me vexer et à me flatter d'un même mouvement en m'accusant de les copier.
Non, pas encore.

Quand j'eus neuf ans, mon grand-père nous offrit à Noël une petite machine portable Olivetti. Je ne réussis jamais à inventer le moindre texte sur cette machine : c'était l'Underwood ou rien. Mais quelques années plus tard (onze, douze ans (je date exactement mes souvenirs car je sais où ils se sont déroulés)), j'empruntais un livre à une amie, La cachette au fond des bois, d'Olivier Séchan (je m'en souviens bien, car je me demande encore s'il s'agit du frère de Renaud). Ce livre me plaisait, il était introuvable, je n'avais qu'une solution : le recopier.
Je commençai donc à recopier ce livre de bibliothèque rose à la machine à écrire (je ne comprends pas bien pourquoi je lisais des bibliothèques roses à onze ans, mais bon. Je lis bien encore des bibliothèques vertes…). J'ai dû en taper la moité, je pense. Il m'a fallu dix ans pour éclaircir ce mystère : pourquoi les fins de lignes dans le livre étaient-elles alignées tandis que celles que je tapais à la machine, même si je ramenais le chariot au moment adéquat, ne l'étaient jamais?

Il faut croire que l'expérience ne m'avait pas convaincue car l'autre livre que j'ai recopié, je l'ai recopié à la main : La Bague d'argent, lui aussi épuisé. Celui-là avait été emprunté à une voisine de ma grand-mère paternelle. (Il y avait très peu de livres chez mes grands-parents, on empruntait pour moi aux voisines les livres de leurs garçons de vingt-cinq ans : j'ai lu un peu plus de livres de scouts des années 50 qu'il n'est habituel pour une petite fille). Je me souviens de peu de choses, une amitié, le maghreb colonial, le désert, une fin dont le coup de théâtre était prévisible dès la page 50 quand on était une habituée du Bossu et du Capitaine Fracasse… Il y avait dans les premières pages de ce livre le dilemme de la torture : résister à la torture, certes, mais avait-on le droit de ne pas parler lorsque c'était un ami qui était torturé ?
J'ai vérifié ce soir, ce livre est disponible chez quelques libraires.
Je l'ai recopié dans un carnet à petits carreaux, sans sauter de ligne (je suis en train de me dire que je devais quand même beaucoup m'ennuyer).

J'ai peu à peu abandonné ces solutions extrêmes pour me mettre à la copie extensive des extraits que j'aimais dans les livres que je lisais. J'ai des pages entières de Kundera, Hemingway, Thomas Mann ou Karen Blixen, copiées minusculement dans un carnet à tranche violette... Je m'en sers encore, je l'ouvre, j'ai l'impression de retrouver de vieux amis.

Maintenant j'ai à disposition un scanner de compétition. Ce n'est certes pas le même charme, mais ce n'est pas aussi automatisé qu'on pourrait l'imaginer. La reconnaissance de caractères nécessite une relecture et des corrections minutieuses : l'important dans la copie, c'est le temps et l'attention incorporés.
Ce qui est magique, c'est de pouvoir retrouver un mot parmi des centaines de pages. Cela n'en finit pas de me ravir.


Notes
1 : J'ai appris ce soir en passant chez mon libraire que les éditions Inculte rééditaient certains numéros de L'Arc.

2 : Je l'ai demandée à ma grand-mère pour mes trente ans. Elle est sous mon bureau. J'attends de trouver une solution pour la faire réparer.

mardi 13 juillet 1971

Chèvre au biberon

Vierzon, l'été qui a suivi ma première année d'école. Ma sœur a deux ans à peine, moi quatre ans et demi.
Nourir les chevreaux était un grand moment de bonheur.


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