Bonne nuit malgré l'absence de tapis de sol: pas de caillou qui remonte traitreusement durant mon sommeil (c'est la particularité du camping à même le sol: le soir vous vous couchez la surface est plane, le matin vous vous levez vous avez l'impression que des caillous ont vicieusement émergé durant la nuit et que vos côtes et hanches se souviennent de chacun).

Petit déjeuner au Pegasus (le foyer du club, où je croise un jeune pilote remorqueur), inscription au club de Sisteron, briefing («le briefing est à 10 heures, Fred ne supporte aucun retard»). Je savais que le planeur cherchait à attirer des pilotes femmes, je suis soufflée de constater qu'il n'y en a aucune dans la salle. J'ai toujours été dans des milieux masculins (aviron, ingénieurs), mais jamais à ce point-là.

briefing de RAF


— Ça alors! Mais pourquoi les pilotes de la RAF viennent-ils faire du planeur à Sisteron?
— Ça coûte beaucoup moins cher à l'entraînement. Quand tu sais piloter un planeur tu sais tout piloter.

Le vent changera de sens vers 13h, il faudra donc emmener les planeurs en 17; la météo s'annonce mauvaise dans deux jours.

Courses dans la zone commerciale du coin. A vrai dire je ne sais pas trop quoi acheter, je sais juste qu'il ne faut pas que je mange trop avant de voler. Pour ce midi je me prends des sushis, pour les autres jours les bols déhydratés japonais qu'affectionnent les enfants (en d'autres termes, le Bolino japonais). Je fais un saut au magasin de sport pour prendre un tapis de sol et des lunettes de soleil cheap (ça m'ennuirait d'abîmer mes lunettes achetées en Grèce). J'hésite longuement devant des tongs que je finis par ne pas prendre.

Déjeuner devant la caravane de Pat, soleil, c'est les vacances. Il fait chaud. Je regrette les tongs et même un short: j'aurais pu préparer mon bronzage car cela va être plus dur cette année sans l'aviron.
Marc devait voler en premier avec Pat mais il n'arrive pas. Je vais donc commencer. Je m'applique à montrer à Pat que j'ai bien écouté tout ce qu'il m'a dit : collant polaire, chaussettes de foot, sous-vêtement en soie, tee-shirt manche longue, foulard, veste polaire. Devant la température estivale il me prête malgré tout un bob, car le bonnet en polaire, ça va faire beaucoup. Néanmoins il me fait enfiler d'énormes surbottes autrichiennes («Ne marche pas avec»). Parachute. Je m'installe.
— Tu as des canules? [pour l'oxigène]
— Euh non, tu m'as pas dit qu'il en fallait.
— C'est pas grave, je t'en prêterai au besoin.

Nous avons eu beaucoup de mal à monter. Le principe est de toujours avoir la hauteur minimale nécessaire pour rejoindre une piste d'atterrissage, pas question de s'éloigner de Vaulmeilh tant que cette hauteur n'est pas atteinte. Nous restons 40 minutes à tourner au-dessus de la Malaup pour atteindre 2200m, je sens derrière moi la déception de Pat, il tient tellement à me faire faire un beau vol. Je n'ose pas lui dire que je m'en fiche, je ne suis pas venue faire du tourisme, mais vérifier que ça me plaît, que je n'ai pas peur, que je ne suis pas malade de façon rédhibitoire.
De temps en temps il me dit: «tu vois en bout d'aile? C'est l'aéroport de Gap, d'Aspres, de Barcelonette,...» J'hésite à lui avouer que je ne distingue pas grand chose. Ou je distingue, mais sans savoir si c'est bien ce que je pense. La seule façon de vérifier serait de se rapprocher… et donc d'être obligés d'atterrir, puisque pas de moteur pour remettre les gaz. Il me donne des noms de montagne et de chaînes que je comprends à moitié. Il me faudrait une carte à consulter avant d'être en l'air.
Quoi qu'il en soit, et même si ce n'est pas verbalisé, il s'agit bel et bien de commencer à me familiariser avec les terrains de secours en cas de problème. Approche rationnelle du risque.

Nous allons jusqu'au lac de Serre-Ponçon, nous prenons quelques ascendances à 3 ou 4 mètres/secondes. Ça secoue; je suis rassurée, je ne suis pas malade et je n'ai pas peur. Nous montons jusqu'à 3000 m. Je fais des rots comme un bébé, normal paraît-il, c'est dû aux variations de pression, ça fait gonfler les intestins. Voilà quelque chose qu'on ne raconte pas dans Top gun.

Pat me laisse les commandes le long des parois, ça ne se passe pas trop mal, mieux que lorsque j'essaie de spiraler dans les ascendances où je suis capable de faire des accélérations/décélérations très brutales (150km/h à 100km/h en un geste de manche) qui malmènent la machine et me désorientent. Il y a trop de choses à faire et à surveiller, je suis crispée et j'ai terriblement chaud, je ne suis pas du tout habillée de façon adéquate.

circuit en planeur au-dessus de Sisteron


Vol de 2h33, je suis remplacée par Marc.
Je ne sais plus ce que j'ai fait en attendant, il me semble que j'ai dû ramener la voiture de Pat au camping (c'est toujours intéressant, un homme qui vous file les clés de sa voiture sans vous connaître plus que ça, surtout quand il s'agit d'un break BMW.)
C'est à ce moment-là que je reçois cet arbre de décision qui me convainc que cette activité est pour moi.

graphique du bonheur grâce au planeur


Le soir nous sommes invités par Marc qui a pris un gîte avec sa femme. Repas très gai au cours duquel nous abordons un sujet envahissant: la gestion de la vessie par le pilote de planeur. J'en avais eu des échos cet hiver au club, c'est ainsi que je savais que les filles utilisaient des protections pour incontinence. Les garçons ont chacun leur méthode; ceux autour de la table utilisent plutôt des poches en plastique qu'ils balancent par la petite fenêtre de la verrière. La femme de Marc nous regarde avec effarement, je suis intérieurement morte de rire: quel sujet de conversation avec une dame qui ne vole pas, qui a accompagné son mari et passe son temps à l'attendre, et qui nous a invités à dîner.

Nous passons une très bonne soirée et rentrons sous la pleine lune.