Billets pour la catégorie 2023 :

Insomnies

Neuf jours sans écrire.
C'est compliqué. Le soir je tombe de sommeil; dans la journée, je ne peux écrire que dans la voiture, ce qui implique 1/ que nous fassions de la voiture 2/ que je ne sois pas en train de conduire.
Il y a aussi le classement des photos et leur renommage, l'écriture de cartes postales ou leur confection via l'appli Popcarte (je fais des tests d'acceptation par mes correspondants), les réponses à la famille inquiète («vous voyez beaucoup de militaires?»), les visios (hélas oui) de préparation de la rentrée et les interactions diverses (une salariée a attrapé le palu, c'est exotique): le quotidien ne vous abandonne plus si facilement.

Insomnies : je vais aller tenter de mettre quelques points en ligne, avec cet espoir toujours illusoire, toujours déçu, de compléter plus tard, au moins par des photos.

Vilnius I

Visite guidée de la ville avec une guide qui a du peps. Historienne, donc que des faits vérifiés, mais présentés comme des anecdotes pour la plupart. Le squat d'Užupis devenu l'un des quartiers les plus chers de la ville. Le dieu de la bière. Baptême des Lituaniens. Les soldats de Napoléon. La rue de la littérature.

SMS de mes parents, coups de fils de ceux d'H : coup de chaud pour nous. Ils s'inquiètent simplement de ne pas avoir de nouvelles depuis trois jours. Je comprends soudain que notre excursion à Nida près de la frontière russe les a inquiétés davantage qu'ils l'ont avoués.

Un tour à trois heures sur les traces de la Vilnius soviétique, mais nous nous sentons trop fatigués (je le retterai plus tard, comme toujours).

café Strange Love.

Tour de l'université. Nous comparons ce que nous avons compris du matin, parfois ça diverge. Pendule de Foucault. Mickiewicz everywhere.

Retour rue de la Littérature, à la recherche de la pâtisserie qui sentait si bon ce matin.

Nous cherchons deux restaurants recommandés par l'hôtelier. Comme toujours, c'est le genre d'objectifs qui est surtout un prétexte pour se promener dans la ville. Fontaine. Premier restaurant fermé le lundi. Façon d'indiquer les jours. Deuxième restaurant mystérieux. Jamais réussi à y entrer. Mais sérendipité, plaque Brodsky sur la façade. Street Art Alice.

Place mystérieuse. déchiffrage difficile de la plaque: Moišė Karpinovičius, (père d'Abraham Karpinovicius). .

Guinness au gringo. Le Nude hamburger, idée de génie. Netflix en gros sur la télécommande de l'hôtel. Bullet train qu'Hervé n'a jamais vu.

De Klaipeda à Vilnius par Kaunas

Départ de Klaipeda. Je photographie une statue de motard et trouve plus tard sur Google de qui il s'agit .
Route transversale sans histoire. Kaunas. Niémen (comme Normandie-Niemen: j'ai atteint le Niémen!
Repas puéril (food confort) et cocktail au gin.
Rue natale de Levinas. Désincarnée (lessivée, blanchie, immeubles de bureau et colonnades). A l'angle, une terrasse de bar, un grand écran, match de baskett.
Musée du diable. Hélas fermé. Nous laisse du temps pour trouver un diable à y ramener (la tradition veut qu'on y ramène un diable).
Chaleur. Fontaines, bassins, brumisateur. H. fait l'andouille.
Vilnius. The Joseph. Chambre pas prête => un tour dans la ville.
Retour.
Très jolie déco (je l'ai choisi pour cela), tout neuf, un peu étrange, dernier étage sans ascenceur, le proprio veut savoir ce que nous prenons au petit déjeuner et à quelle heure car nous l'apportera dans la chambre (? what??)
Il est tard désormais. Nous échouons dans un restaurant "typique" où nous mangeons lourdement. Au lit, demain nous avons rendez-vous à onze heures.

De Jevalga à Klaipeda par Nida

Huit Polonais au petit déjeuner (six enfants dont cinq en survêtement aux couleurs de la Pologne)
Départ. Il pleut mais nous sommes à peu près seuls: bouchons évités et route carossable. Campagne. Des cigognes ou des grues.
Suite du podcast sur les réfugiés. Maintenant Didier Fassin. Lassant.
Arrêt à Liepāja. Marché. Salon de thé.
Podcast Agatha Christie.
Klaipeda en Lituanie. Ancien Memel. Déjeuner. Puis bac, puis péage sur la presqu'île. Nida, à quelques kilomètres de la Russie. Des touristes russes (mais pourquoi? pas d'euros, dans l'incapacité de faire quoi que ce soit).
Maison de Thomas Mann. Heinrich Mann et l'ange bleu.
Café, dune, retour à Klaipeda. Agatha Christie préparatrice en pharmacie.
Hôtel Eurtorpe, très calme; dîner dans un pub. Veau Orloff. Un très bon thé. Rue Kurpiu. 1, Klaipėda

De Tallinn à Jegalva en passant par Urvaste

Les journées de transit sont toujours difficiles.

Les barres soviétiques à Väike-Õismäe. Pas si mal voire bien.
Autoroute pour Urvaste. Il fait bon. H. conduit. Je fais des cartes Popcartes. C'est long (de faire une popcarte).
Saverna buffik sur la route. Inattendu et d'autant plus inattendu qu'on va y entendre successivement à la radio L'été indien de Dassin et Evidemment de France Gall en estonien (du moins je suppose).
Chêne de Tamme-Lauri. Plus vieux chêne d'Europe. H. pas enthousiaste.
Je prends le volant. Podcast sur les migrants. François Héran. Des statistiques qui me font rire.
H. de mauvaise humeur. Il roule trop vite décapoté, ça fait du vent et du bruit, ça le fatigue et il devient de mauvaise humeur. C'est moi que ça fatigue.
Je décide de nous arrêter à Jegalva. Bouchons dans le sud de Riga. Routes mauvaises et Lettoniens chauffards.
— Mets ton clignotant. Ils le voient bien, que tu n'es pas d'ici. Ils vont te laisser passer.
Jegalva. Hôtel amusant, entre années 50 et 70, avec un côté Shining. Pour une fois la serveuse ne connaît pas l'anglais.

Quelques jours plus tard, j'apprendrai que c'est ici (et non sur la presqu'île de Courlande comme je le pensais) qu'a résidé Louis XVIII pendant son exil. Zut, on aurait au moins pu passer devant son château).

Tallinn 2

Epuisés hier + mariage => réveil tard. Je demande un massage comme le propose l'hôtel => attente vaine toute la matinée à l'hôtel. Tant mieux : repos. J'avance dans ma lecture des Âmes baltes (dilemme: lire ou écrire ou classer des photos?)
La citation de Brokken sur la langue que font apprendre les parents estoniens.
Varblane Terrace. Les Estoniens ont le sens du thé.
Les choeurs sur la place. Fête nationale ukrainienne.
Musée des marionnettes, Nukk museum.
Tour guidé. Guide étudiant russe. Histoire du type qui ne voulait pas vendre son terrain au cœur de la ville. Les deux villes, la ville haute et la ville basse, qui se détestaient. C'est aussi le cas aujourd'hui entre le maire et ?? le premier ministre?
Le soir, repas sur la tour de la télé. Décor de science-fiction. Serveur grec à Tallin par amour. Science-fiction bis.

Tallinn 1

Résumé de la journée: des kilomètres à la recherche d'une laverie automatique.

Réveil en fanfare. Lol.
De beaux hommes. Estonie terre des beaux hommes.
Longue errance en fonction des adresses Google. Pressing chic puis laverie industrielle. Quartiers non touristiques. Maisons des "vrais gens", sans doute upper-middle-class puisque pas appartements.
Restaurant salon de thé sans doute de quartier (nom à retrouver). Site likealocalguide.
Il fait frais. Canicule en France.
H. trouve un lavomatic à Tallinn (adresse précieuse: SOL Laundromat Wash SelfService, Maakri 23). Trois heures de libre, les employées (lavandières?) s'occupent de tout.
KUMU, le musée d'art moderne. Autre trajet dans la ville, quartier chic.
Un long moment au musée. Noms inconnus. Il faudrait tout lire pour savoir qui travaillait sur place, qui travaillait en exil.
Découverte du concept de hippies soviétiques (??!!!)
Retour au lavomatic. Loin. Epuisés, mal aux pieds, mal partout.
Café Paris, les touristes mangent n'importe quand. (quelques lignes à écrire sur le pourquoi). Nous reprenons des forces. J'étudie likealocalguide.
Repas léger et heureux au caniche noir, à côté de l'institut français. Très beau glaçon.

Nous rentrons épuisés. La règle du remplissage des chambres d'hôtel.
Il y a un mariage à l'hôtel.

Estonie

Journée de transit entre Riga et Tallin. Des camions, mais raisonnables. Belle route.
H. s'est piqué ce matin pour recaler progressivement sa piqûre au lundi soir. Nausées.
Les pieds dans la Baltique.
Arrêt au hasard dans un restaurant au bord de la route juste avant l'Estonie. Très bon moment. Jeune serveuse incrédule et ahurie devant nos cartes postales.
Hôtel Von Stackelberg à Tallin. Ancienne demeure d'un baron balte. Je découvrirai plus tard en avançant dans ma lecture des Âmes baltes que Jan Brokken y a séjourné en 2010. La peinture était encore fraîche.
Langue du groupe finno-ougarien. Impossible désormais de rien deviner. Tout est différent. Même le stop devient «stopp».
Sortie dans Tallin pour dîner. Parlement. Cathédrale russe. Les trois statues de moines, Nazgul, Dementors.
Le serveur apprend le français: la troisième langue obligatoire est soit le français, soit l'allemand. Son anglais est infinement naturel.

Riga I

J'ai dormi d'un seul trait, je suis en trains de rêver de ma prof de grec (je suis accusée d'avoir séché des cours) quand je me réveille. H. dort encore, il m'expliquera qu'il s'est endormi très tard, le pub d'à côté ayant fermé vers deux heures du matin. Vu la chaleur lourde, impossible de fermer les fenêtres.

Petit déjeuner (avec toujours ce choix international qui ne permet pas de savoir ce que mange un autochtone au petit déjeuner), je découvre une merveilleuse petite patisserie, un feuilleté léger avec très peu de confiture au fond et des noix grillés concassées dessus.
Pause dans la cour de l'hôtel. Je plaide pour que nous demandions une chambre côté cour et que nous restions ici deux jours pour reposer notre dos de la voiture — et parce que cela paraît bête de ne pas en profiter maintenant que nous sommes là. Nous étendons la carte des pays baltes, je liste à grands traits notre nombre de jours disponibles, nous remontons le temps à partir de Châlons: passer à Berlin, Sans-souci pas le temps une autre fois, la tannière du loup en Pologne, Vilnius, Nida, la chêne de Tamme-Lauri.

— Tu veux vraiment passer à Nida?
— Oui, je veux voir la maison de Thomas Mann. Et puis ça nous fait un but.
— On aurait dû le faire en montant, ça fait un sacré détour.
— C'est l'inconvénient de ne pas préparer son voyage. Tant pis, au pire on dormira une nuit sur la presqu'île.
— A quelques kilomètres des Russes? Tu es folle, pas question.
— Euh… tu es sérieux?
— Oui. Tu as vu ce qui s'est passé avec la Pologne il y a quelques mois?

Je n'argumente pas, on verra bien. Nous réservons deux nuits de plus, déplaçons nos bagages et sortons trouver un parking à la voiture: Europark à deux rues d'ici, pas de barrière, pas de ticket, on gare la voiture, on charge l'appli, on enregistre sa plaque et sa carte bleue, et voilà.
— La confiance règne.
— Si on veut. Si tu ne viens pas chercher ta voiture, ils te débitent et c'est tout.

Est-ce le Covid ou le fait d'être européen (union-européen) depuis trente ans seulement? Les paiements électroniques sont très développés, nous sommes loin des galères en Italie en 2011 ou en Autriche en 2017, où nous étions régulièrement obligés de partir à la recherche d'un distributeur de billets car seul le cash était accepté. Ici les distributeurs donnent des coupures de dix euros, il est clair qu'au-dessus, personne ne s'attend à un paiement en liquide.

Nous nous dirigeons vers le centre. Eglise orthodoxe, tout est écrit en cyrillique, statue de Barclay de Tolli, le promoteur de la terre brûlée. Nous coupons à travers un parc magnifiquement fleuri pour aller visiter le musée consacré à Krišjānis Barons, le père des Dainas, que Vaira Vīķe-Freiberga, future présidente lettonne, a fait connaître en exil au Canada, puis dans le monde entier.
Hélas c'est exceptionnellement fermé, jusqu'au 23 croyons-nous comprendre, peut-être une histoire de gaz, il y a des travaux de l'autre côté de la rue. Tout cela n'est que supposition car rien n'est en anglais; apparemment les touristes ne sont pas censés s'intéresser à cela.

Traversée du jardin, passage devant l'opéra, place de la liberté, déjeuner à un angle, sur ce que je comprends être l'ancienne poste. La jeune serveuse a le visage fermée jusqu'au moment où elle comprend que nous sommes français: «j'apprends le français» murmure-t-elle en rosissant. Une fois de plus je me dis qu'il faut absolumment que j'emmène un stock de cartes postales de Paris et Moret quand nous nous déplaçons à l'étranger.
Très bon repas, simple et bien fait. Il y a toujours de l'attente, tout est préparé au fur à mesure.

Mon second souhait était le musée d'art nouveau rue Albert mais apparemment il était trop loin vu l'heure: H. a préféré le musée de l'occupation soviétique. Le parvis est occupé par une exposition d'oeuvres consacrées à la famine des années 32 et 33 provoquée en Ukraine par Staline. J'en ai photographié deux, qui datent de 1986 et 2007, soit bien avant la ou les guerres.

Yevhen Lunyov, Staline and the bones of ukraine, 1986 Valeriy Viter, Ukraine 1932, 2007


En résumé, la Lettonie a été indépendante pour la première fois en 1918. Lors du pacte germano-soviétique en 1939, elle a été attribuée aux Soviétiques. Le 14 juin 1941, juste avant l'invasion allemande, les Soviétiques déportent trente à quarante milles Lettons (sauvant paradoxalement les juifs). Occupation allemande, puis retour des Soviétiques en 1945.
Le musée raconte la résistance et la façon dont elle est brisée: par la déportation des Lettons (on déporte les paysans qui nourrissent les résistants dans les forêts) et l'importation de population "russe" (je mets des guillemets car je suppose qu'il s'agit de diverses ethnies de l'empire soviétique — hypothèse à vérifier), ce qui fait qu'au moment de la proclamation de l'indépendance (mai 1990), la moitié de la population est russophone — aujourd'hui «citoyens de seconde zone" à ce que je comprends.

J'ai photographié la chaîne de Vilnius à Tallinn le 23 août 1989. Riga était au centre.

23 août 1989, chaîne humaine aux pays baltes - musée de l'occupation soviétique, Riga


Tout est traduit en anglais dans le musée, mais beaucoup d'interrogations demeurent: qui sont ces familles photographiées? Sont-ce des notables, des familles politiquement connues, ou simplement les photos dont on disposer? Le plus terrible, ce sont ces petits garçons de dix ans dont la mort (à vingt-deux ou vingt-trois ans) intervient invariablement en 1941 tandis que les filles survivent jusqu'en 1980 ou 1990.
Description de l'occupation, description de la résistance, description de la déportation, description de la vie au goulag, témoignagnes filmés des Lettons rentrés de déportation. Cartes postales des enfants envoyés à leur famille, aux dessins réalistes.

Ici il y a des drapeaux ukrainiens partout.

Nous rentrons, pensifs. Le soir nous allons dîner dans une cafétéria de quartier à deux pas de l'hôtel, en face d'un théâtre. Je ne sais pas trop ce que j'ai mangé, un genre de cordon bleu à la tomate, mais pas gras. La soupe, un bortsch chambré, était excellente.

Lituanie, Lettonie

Petit déjeuner somptueux — le plus beau que j'ai jamais vu, reprenant les goûts anglais, américains, suisses, français, grecs, sans compter ceux que je n'ai pas reconnus.

Départ.
Nous n'avons pas l'habitude du monde. Nous voyageons peu, le plus souvent à des dates décalées sur des routes départementales. Les autoroutes de France sont-elles aussi chargées? C'est le week-end, y a-t-il des pendulations hebdomadaires en Pologne? Il y a beaucoup de monde et les Polonais ont une conduite à la française, agressive et dangereuse. Ils ont tous l'air terriblement pressés, conduisent beaucoup trop près, ne stabilisent pas la vitesse sur une des voies. Impossible de conduire au régulateur, la vitesse change tout le temps. On rencontre le même problème qu'en France: deux ou trois voies avec des vitesses beaucoup trop proches, difficile de dépasser. Se rabattre et laisser passer les plus rapides est une des clés d'une conduite aisée sur autoroute. Ici, même se caler à cent dix ou cent vingt est impossible.

A partir de Varsovie (j'ai traversé la Vistule! Ô nom magique des grands fleuves — j'ai dans la tête Cendrars et le Transsibérien) il devient évident que certains partent en week-end ou en vacances, sans doute vers Gdańsk (Dantzig, le couloir de Dantzig entre deux-guerres (et le risque que tout cela recommence avec Kaliningrad) ou Gdańsk et Solidarność la crainte et l'espoir à la maison, crainte maintenant je le comprends plus forte des adultes qui se souvenaient de Budapest et Prague — voyage dans la mémoire autant que dans le paysage) et la Baltique. Longtemps je suis une Jeep avec un magnifique canoë style pirogue indienne «comme dans les films» sur le toit.

Les voitures ont changé, davantage de SUV, davantage de Mercedes en Pologne qu'en Allemagne, ai-je l'impression, quelques voitures françaises. En quittant Lodz nous avons indiqué Tallinn sur Waze : mille cent cinquante kilomètres, douze heures de route. Nous avons l'impression que ça bugue, les kilomètres ne descendent pas, l'heure avance… Nous remplaçons cette destination ambitieuse par quelque chose de plus encourageant: Kaunas, qui nous permet d'être sûrs de prendre la bonne route. Bifurcation vers Łomża, «on va quitter l'autoroute, on va être plus tranquille, ça va davantage nous ressembler, on sera bien».
Et donc route plus étroite avec autant de monde, ralentissements. «Je crois que c'est dans ce coin que mes parents viennent voir les bisons» (vérification faite, c'est plus à l'est, à la frontière de la Biélorussie). Nous traversons quelques villages et Łomża. Sans connaître la langue, sans s'être renseigné sur rien, tout cela est incompréhensible: comment vivent les gens ici? Pourquoi s'être installés ici? Quel temps fait-il l'hiver? Où sont les écoles, les lycées? D'un autre côté, tout est très familier: les mêmes fleurs des champs, les mêmes arbres, le même style des immeubles de bureau.

Et soudain, après un rond-point compliqué, une autoroute vers le nord. Elle est toute neuve, n'existe pas vers le sud, n'est pas connue du GPS de la voiture. Nous sommes seuls. Nous roulons vers le nord. «Ça permettra à la Russie de nous envahir plus vite. Ou l'inverse».
A midi, arrêt vers ce qui est peut-être la dernière station-service avant la frontière. Pins de soutien à l'Ukraine (je regrette de ne pas en avoir acheté un) et magazine gratuit avec une jolie militaire en couverture. A l'intérieur, article, «la spectaculaire rénovation de l'armée polonaise» (oui, je lis le polonais quand les mots ont 80% de lettres en commun). H. me raconte que la Pologne a remis au goût du jour les défilés militaires et a récemment exposé les armes achetées à la Corée du sud.
Ce n'est pas pour rien que je voulais voir les pays baltes: combien de temps cela va-t-il tenir?

Passage de la frontière. Désolation. L'autoroute s'arrête, la route devient une départementale défoncée, quelques grands bâtiments blancs en train de lentement retourner à la poussière autour de parkings où s'éparpillent des semi-remorques. La queue des camions est cette fois-ci dans le sens Lituanie-Pologne, ouf. La route est très mauvaise, la file des voitures ininterrompue et les travaux commencent. Les Lituaniens sont en train de construire une autoroute. Le bizarre est qu'elle ne paraît pas avancer au fur à mesure, mais être en cours partout à la fois, terre damée, murs anti-bruit montés, engins de chantiers monstrueux et abandonnés (parce que c'est samedi?). Peut-être que toutes les autoroutes sont construites ainsi, et non comme l'avancée des rails sur la prairie dans les westerns? Après tout je n'en sais rien. Des kilomètres et des kilomètres de travaux. Une file, cinquante à l'heure, «mais regarde, la prochaine fois qu'on viendra, si on revient, cela n'aura plus rien à voir. C'est un moment à ne pas manquer».

Travaux, routes départementales, nous n'avançons pas, «je ne comprends pas, selon mes calculs, il manque cent kilomètres». Nous analysons le trajet et soudain j'ai une idée: n'aurions-nous pas changé de créneau horaire? Aux horloges nous sommes une heure plus tard, ce qui renforce notre impression de ne pas avancer. Nous sommes passés en Lettonie (espace Schengen, passage marqué par un panneau et le changement de l'enrobé routier), nous n'irons pas beaucoup plus loin ce soir. Direction Riga; avec difficulté je trouve une chambre, tout paraît plein.
Malgré tous ces désagréments, on est bien. L'air est doux, le paysage tranquille; il rappelle la Sologne, pins et bouleaux. Comme nous ne sommes plus ni sur autoroute, ni sur un chantier, nous voyons des maisons, croisons des villages. Le paysage redevient humain.

Arrivée à Riga dans le soleil déclinant, la Daugava magnifique. Rues larges, immeubles hauts, très décorés (Art nouveau, disent les guides). C'et charmant, même si nous sommes trop fatigués pour vraiment apprécier.
Chambre dans un hôtel tranquille, sans doute un immeuble rénové, au plafond haut. C'est joli, fonctionnel, pratique, avec un je-ne-sais-quoi de grandeur passée dans la décoration soignée. Comme je le pressentais, pas de clim, il faudra choisir cette nuit entre la chaleur et le bruit, laisser ou pas les fenêtres ouvertes (ce fut souvent le cas en 2017 dans notre tour d'Europe).
La cour intérieure laisse voir les façades d'autres immeubles, terriblement dégradées.

Nous sortons pour aller dîner dans un pub tchèque dans notre rue repéré par H. Des roses au sol attirent mon regard, je regarde: c'est un monument aux victimes du KGB.

monument aux vicitmes du KGB - Riga


«Dans cet immeuble, durant l'occupation soviétique, l'agence de sécurité d'Etat (KGB) emprisonna, tortura, tua et humilia moralement ces victimes.»
La progression dans les verbes laisse à penser.

Repas léger de poisson. H. propose de rester ici, je vais réfléchir. Retour. Je sombre dans le sommeil.

Puis la Pologne

Autoroute, autoroute, autoroute. En sortant de Gießen, H. choisit de rejoindre la Pologne par Dresde plutôt que Berlin: «comme ça on évitera les bouchons autour de Berlin.»

Et donc nous eûmes les bouchons de Dresde.

Comment ne pas visiter un pays? En le traversant par autoroute. Mais on apprend des choses malgré tout. La conduite allemande n'est pas agressive, vous n'avez jamais un type qui colle à votre capot à cent trente kilomètres/heure pour que vous le laissiez passer. Les distances de sécurité sont respectées et c'est très agréable. En revanche, une voiture qui arrive derrière un camion n'hésite jamais à déboiter, à la limite de la queue de poisson (d'un point de vue français). Autre spécialité, le camion qui en double un autre dans une côte, faisant ralentir toutes les voies.

Comme d'habitude il y a des travaux, régulièrement des travaux. Imaginons des travaux sur un axe ouest-est: en France les deux ou trois voies deviennent une, et l'axe est-ouest n'est pas affecté. En Allemagne, les voies est-ouest sont rétrécies, de façon à créer deux voies rétrécies ouest-est. Bien mieux, ces deux voies sont nettement séparées par un terre-plein et les véhicules se partagent, voie de droite les camions et les voitures qui souhaitent emprunter une sortie, voie de gauche les voitures plus rapides.

En approchant de Dresde (vingt kilomètres, trente? je ne sais pas, puisque comme je ne m'y attendais pas, je n'ai pas fait attention), la quantité de camions devient phénoménale. Ils se suivent sans discontinuer sur la file de droite, c'est très impressionnant.
Le lendemain (moment où j'écris), nous tenterons une estimation: si un camion fait quinze mètres (trois voitures par camion), il faut six camions pour cent mètres, soixante camions par kilomètre. Y avait-il trois kilomètres ou dix kilomètres de camions (que nous avons doublés par la voie de gauche due aux travaux)? cent quatre vingt à six cent camions, «c'est plus une fourchette, c'est un éventail.»

Autre particularité allemande: le break. L'Allemand préfère le break au SUV, et je suis d'accord avec lui.
Echantillon sur l'aire d'autoroute où nous sommes arrêtés, près de Bautzen-Bolbritz: une Honda, une Skoda, une BMW, une Vokswagen, une Ford.

cinq breaks sur une autoroute allemande


Dresde, Görlitz, nous passons en Pologne. (Franchissement de la Neisse, ce voyage fait prendre chair à mes cours d'histoire du lycée.) Quelle limitation de vitesse? 120 km/h paraît-il, mais si c'est vraiment le cas, personne ne le respecte. Nous nous adaptons au flux.
Lorsque j'étais au lycée, le symbole de la puissance américaine était le coca-cola, l'exemple donné pour expliquer «l'offre crée la demande». Le long des autoroutes de Pologne, c'est MacDonald et KFC: immenses panneaux publicitaires dans les champs et l'une ou l'autre enseigne systématiquement associée aux stations-services.
De l'autoroute, le pays est vide, très peu de toits ou de bétail dans les champs. Forêts de pins au tronc plus foncé que les pins landais.

Abrégeons: peu avant Breslau, au croisement de la A4 et de la A8, nous jouerons de malchance: travaux, bouchons, accident, violent orage. Petit détour dans le but de couper à travers les bouchons et rejoindre l'autoroute une entrée plus loin. Détour amusant dans le village du coin sur une route pavée. Pas sure que cela ait servi à grand chose.

Notre but était Varsovie, nous avons perdu une ou deux heures sur la route, nous sommes moites et gluants, le coucher du soleil est prévu à vingt heures, nous décidons de nous arrêter à Łódź (prononcé Voutch, nous a dit mon père). Les abords de la ville sont étonnants, pleins de barres d'immeubles plus ou moins pimpantes, plus ou moins délabrées, la chaussée est déformée, bordée de flaques d'eau (un autre orage?), les trams sont rouges et jaunes. Nous suivons la route qui nous mène jusqu'à l'intérieur de la ville, nous ne savons pas où nous sommes, hauts immeubles de bureau carrés, je vois «Katedra»: «suis ça, ça nous amènera au centre».
Cela ne nous a pas amené au centre mais devant la cathédrale. Une recherche internet plus tard, nous sommes à l'Holiday Inn du coin. C'est une solution de facilité, rien de typique, mais nous avons eu une journée éprouvante et j'ai envie d'une clim et de gens qui parlent anglais. Nous nous garons dans le parking de l'hôtel, entre des voitures luxueuses surveillées par les immeubles décatis alentour. Ce côtoiement de richesses et de délabrement nous laisse perplexes. Est-ce plus sain que de rejeter les logements sociaux au loin?

Très belle chambre, bon restaurant à l'hôtel. En entamant nos dumplings (piroguie? raviolis?), H. et moi échangeons un regard: lui le mi-yougoslave, moi la mi-polonaise, nous avons le même souvenir d'enfance, le même souvenir d'assaisonnement d'une farce très fine. C'est très réconfortant.

**********

Journée compliquée. Sentiments compliqués envers la Pologne. Tout ce que j'en connais, c'est par Shoah de Lanzmann. La famille s'attend à ce que j'aille voir tel ou tel village où s'est marié ma grand-mère ou que je rende visite à une cousine, mais ce que je souhaiterais, c'est une ou deux semaines, seule, de pélerinage, à ressasser l'éternelle question sans réponse: «que s'est-il passé?»
Après seulement je pourrai m'occuper des vivants.
Mais je ne peux pas expliquer ça, ça ferait de la peine ou même, ça vexerait.

L'Allemagne enfin

Hôtel recommandé à Châlons: Le Renard, sans prétention et efficace.
Je m'endors sur mon clavier. Je me couche. Plus tard dans la nuit j'entends vaguement H. déclarer «il reste un bug, tant pis, je me couche».
Plus tard encore je me réveille et pense «mais s'il reste un bug, tout ce qu'il a fait ces derniers jours ne sert à rien, rien ne va être utilisé»; plus tard encore je me réveille et pense «il va se réveiller avec la solution».

Il s'est donc réveillé avec la solution, ce qui nous a valu deux heures de programmation pendant lequel j'ai écrit un billet de blog et fais vingt minutes de Tabata.

Passage chez mes beaux-parents, reprogrammation de divers appareils après l'installation de la fibre. Ils vont bien mais lui a mal partout, elle se déplace difficilement — lui a mal partout, elle se déplace difficilement, mais ils vont bien. Ils nous remercient trois fois d'être passés et j'ai honte de passer si rarement. Nous leur laissons l'ordinateur d'H. — pour éviter de le perdre, qu'il soit volé, qu'H. travaille — et mes beaux-parents plaisantent: «nous avons l'ordinateur en otage, nous savons que vous allez repasser».
C'est vraiment la honte.

Départ vers deux heures et demie. Je dors vingt minutes puis je blogue, nous échangeons nos places au bout de deux heures. Il fait très chaud, la conduite allemande est plutôt agréable, sans agressivité. Il y a beaucoup de monde. Nous arrivons à Gießen à sept heures et demie et trouvons un hôtel dans le centre. Personne et porte close, la carte-clé s'obtient en s'enregistrant sur un automate.

Nous n'avons pas beaucoup avancé (450 km?) mais nous sommes très fatigués. Demain sera un autre jour. J'apprends tard le soir qu'hier, l'aéroport de Francfort a été inondé.

Photo d'une caravane dans une station-essence. J'ai supposé que l'effet miroir était destiné à minimiser le réchauffement à l'intérieur de l'habitacle. Pas sûr qu'il soit facile de rouler derrière cela (éblouissant) mais c'était très joli.

Faux départ

Le projet initial, c'était de dîner ce soir à Châlons-en-Champagne avec les parents de H puis de partir demain matin pour être à la frontière polonaise le soir, la frontière lituanienne le surlendemain soir et Tallin le troisième soir. Pourquoi cette hâte? C'est que nous sommes si nuls en voyage, si incapables de nous dépêcher et de nous tenir à un plan qu'il nous a semblé que c'était la seule façon d'être sûrs (sûrs, aux aléas politiques et militaires près; sûrs, à la carte d'identité d'H. près) d'atteindre Tallin: si nous prenions notre temps nous n'y arriverions jamais.

Matin studieux pour H. qui débuggue pendant que je repasse (Down by law, Permanent vacation (le long traveling arrière parfaitement stable sur Manhattan qui s'éloigne, présence des deux tours. Mais comment a-il annulé les mouvements du bateau?); Jarmusch me rappelle l'une des rares règles de cinéma que j'ai fini par dégager: pas de grand film sans une bande-son impeccable), puis ma valise, puis déjeuner. H. remonte travailler, je range le rez-de-chaussée, lave les vitres de la voiture, fait la vaisselle. H. survient, découragé: «je n'aurai pas fini ce soir, je vais emmener mon ordinateur, je travaillerai ce soir…».
Pour une fois je refuse: «pas question. Il te faut combien de temps? Appelle ton père, décale le repas à demain, retourne travailler. Je ne veux pas de vacances où tu passes toutes tes soirées sur l'ordi, autant rester ici.»
Il va vraiment falloir qu'il change de boulot. Il a tant de mal à se motiver que cela devient infernal.

Je me mets à la partie théorique du brevet SPL (Sail Plane Licence) en attendant. Cours sur l'oreille interne, la cochlée, les otolytes.

Cinq heures et demie: «c'est bon, il me reste deux petits bugs, on peut y aller, je terminerai ce soir à l'hôtel, je laisserai mon ordinateur demain chez mes parents.»
Ce n'est pas tout à fait satisfaisant — j'aurais préféré que tout soit fini avant de partir et qu'il n'emmène pas son ordinateur, mais c'est mieux que rien. Cela fait descendre la tension d'un cran, je parle d'expérience.

Nous chargeons la voiture, bagages ajustés au coffre. Habituel problème des médicaments, glaçons, glacière; chaque fois je pense au journal de Viktor Klemperer, lorsqu'il voit un de ses voisins déporté partir sans son traitement contre le diabète et l'inquiétude de ses proches. Evidemment je ne peux pas le dire, c'est trop bizarre; mais cette histoire de médicament (et des risques de l'oublier) me mine.

Départ finalement; nous ne nous sommes pas si mal débrouillés. J'aime prendre la route, trois kilomètres au compteur et un objectif quelque part tout droit trois mille kilomètres plus loin (peut-être qu'en plissant les yeux vraiment fort on pourrait l'apercevoir?); cette fois je me souviens du début du Seigneur des Anneaux, ou plutôt de Bilbo le hobbit: «tous les chemins commencent devant ta porte».

Campagne décapottée, restaurant le Mange-disque à Villenauxe-la-Grande, arrivée à l'hôtel à presque onze heures… et maintenant H. débuggue et je blogue. Je tombe de sommeil. Au lit !

Préparatifs

Faire ou ne pas faire de canoë? H. avait d'abord dit non («je n'ai pas terminé ma livraison, j'ai encore du travail»), puis oui (en revenant de la boulangerie, celle qui est loin, près de l'église: «j'ai changé d'avis, il fait un temps à faire du canoë»), mais c'est moi qui ai alors dit non («on va faire du canoë, il sera midi, tu vas faire la sieste (NB: à cause du diabète), tu vas te mettre à travailler à cinq heures: ce n'est pas possible»).

Travail, donc; pendant ce temps je range le premier étage, je fais tourner une machine. Il y a eu un orage cette nuit, la terrasse n'est pas assez sèche pour que je termine de la passer à l'huile de lin. Coup de fil d'un camusien, il voudrait reprendre le travail sur les Eglogues, «parce que vous comprenez, on s'intéresse à RC en Amérique, on va traduire Le grand remplacement, ce serait bien d'en profiter pour faire connaître son œuvre littéraire.» Ah ben c'est sûr, les gars du Ku Klux Klan, les Eglogues, ça va les passionner. Comment faire comprendre à ces zemmouriens qu'ils me font horreur? (Je ne m'attendais pas à ça. Quand on m'avait parlé du projet, j'avais cru à un vrai désir de littérature, mais c'est juste… juste… en fait je ne sais pas ce que c'est. Du snobisme? Un désir de publicité? Je ne comprends pas.)

Messe, c'est l'Assomption tout de même.

En rentrant, je propose quelque chose qui paraissait plaisant mais qui va se révéler une grave erreur: «si on allait déjeuner à St Mammès, chez le caviste ou dans le nouveau restaurant en bord de Seine?»
Nous y allons à pied. Il est une heure de l'après-midi, c'est plein, idéalement placé en bord de Seine. Nous reconnaissons le propriétaire, il a un restaurant à Moret, plutôt style raclette: «nous l'avons fermé en juillet août». Spritz à la mandarine, discussion avec nos voisins qui ont abordé en canoë au pied du restaurant.

Il faut rentrer. H. titube, ne se sent pas bien. Elevée à la campagne, je demeure persuadée qu'une bonne promenade aide à digérer. Mais il ne va vraiment pas bien, je suis inquiète (sans le montrer) et je me sens vaguement coupable (moi et mes idées). Nous nous arrêtons le long du Loing sur une aire de pique-nique pour qu'il se repose et moi-même je m'endors dix minutes. Le spritz était fort.
Nous rentrons.
Dans l'après-midi j'étudie Les âmes baltes. Histoire de Romain Gary. Je me mets au repassage, termine Night onEarth, regarde Mystery Train. Comme c'est étrange, voilà un film que je suis allée voir deux ou trois fois au cinéma, quand le Champo faisait des rétrospectives Jarmusch. J'y retournais car j'étais si fatiguée que je m'endormais au milieu et ratais la fin. Aujourd'hui je me rends compte qu'en fait, je n'en avais jamais vu plus que les dix premières minutes. En réalité je dormais toute la séance, et non quelques minutes.

Soudain dans la soirée, H. s'exclame: «J'ai oublié de me piquer hier! [à l'ozempic]. C'est pour ça que je me suis senti si mal cet après-midi!»
C'est la deuxième fois que ça arrive. Autrefois, Gvgvsse terminait certains de ses billets par: «toujours les mêmes erreurs». Que devrions-nous dire. Il faut que je mette en place des procédures, des pare-feux. Jusqu'ici je m'étais refusée à le faire, arguant que chacun est responsable de lui-même, mais finalement, puisque cela a des conséquences sur ma vie, autant le prendre en compte.
Je programme sur mon téléphone une alerte tous les lundis soirs.

Un peu mieux

Planeur. Ciel voilé, chaleur étouffante. Nous ne sommes pas nombreux, Dom présent décide de rentrer chez lui devant les mauvaises conditions météo (ça ne l'intéresse pas de voler en local (pouvoir à tout moment se poser sur la piste), il vient «circuiter», faire des kilomètres).

Nous reparlons des bases, du repère capot. C'est la première leçon, celle où on t'explique qu'une fois ton assiette déterminée (inclinaison du planeur pour une vitesse donnée, vitesse optimale définie par le constructeur et le manuel de vol, qui change d'un type de planeur à l'autre), il faut prendre un repère à l'intérieur du cockpit par rapport à l'horizon et s'y tenir.

Je me dis que je n'ai peut-être pas pris cette leçon suffisamment au sérieux et une fois en l'air, je m'applique.
Sortie courte (22 minutes), rien «ne tient» (comprendre: pas d'ascendance franche), mais PP est content de moi: «tu as fait beaucoup de progrès, c'est plus calme, ça ne gigote plus dans tous les sens».
Cela faisait plusieurs semaines que nous n'avions pas volé ensemble. Je m'abstiens de lui dire qu'aujourd'hui l'air était calme et que mes derniers instructeurs ne paraissaient pas de son avis.

Ne pas me décourager, ne pas psychoter, ne pas me dénigrer, tenir bon. Je révise mentalement la nuit chaque fois que je me réveille (et je me réveille souvent); les messages radio («planeur India Lima en vent arrière, piste 24 main gauche train fixe»; «planeur Alpha Novembre en ZPA pour piste 06 main droite»); les quatre possibilités de corrections pendant le roulage (palonnier droit manche à droite si le planeur est à gauche de l'avion aile gauche basse; palonnier droit manche à gauche si le planeur est à gauche de l'avion l'aile droite basse; palonnier gauche manche à gauche si le planeur est à droite de l'avion aile droite basse; palonnier gauche manche à droite si le planeur est à droite aile gauche basse) (cela n'a aucun sens d'écrire cela, c'est affaire de sensation et de réaction, mais du fond de mon lit je visualise le repère capot (position de l'aile) et l'avion remorqueur et je révise pied-manche); la sensation magique du virage stabilisé; le TVBCR (tout va bien ça roule ou tout va bien continue Robert, train-trafic, vent-vitesse-volet, balast-bronx, compensateur-ceinture, radio) (je ne déroule pas cette check-list assez vite); j'essaie de trouver mes repères pour l'atterrissage mais il y a quelque chose que je n'ai pas compris, la façon de conjuguer manche et aérofreins pour régler la vitesse et le plan d'atterrissage.

Je verrai cet hiver au simulateur. J'aurais aimé être lâchée cette saison, mais ce sera trop juste. Tant pis.

Nouvelles décousues

Descente chez mes parents pour l'anniversaire de papa — un peu plus tard que les années précédentes. H. travaille dans la voiture, il a encore quelque chose à livrer, un programme non terminé.

Nous en profitons pour nous renseigner sur la Pologne. Nous repartons avec des cartes et des guides de Varsovie. Je retiens qu'il nous faudra une trousse de secours et un extincteur — pour la Pologne et pour l'Allemagne, je ne sais plus quel pays exige quoi, mais quoi qu'il en soit, cela sera toujours utile. Autre point délicat: lorsqu'on approche de la Lituanie, ne pas laisser son smartphone choisir librement son réseau: la Biélorussie a des émetteurs puissants, et comme elle est hors communauté européenne, cela coûte très cher.

Nous apprenons que l'Australie a mis au point un robot pour tuer les chats sauvages.

O. m'a ramené un PC pour installer le simulateur de vol en planeur et il papote avec H de ce qu'il y a à installer et désinstaller sur cette machine.

A. va quitter son emploi fin août — ou plutôt ne pas renouveler son CDD. Elle a l'intention de reprendre des études mais nous n'y comprenons pas grand chose: elle n'a pas l'air de savoir quoi, elle n'a pas l'air d'être inscrite à quoi que ce soit, apparemment elle a l'intention de décider en septembre pour septembre (ôÔ), et dans ce cas-là, pourquoi avoir pris une maison perdue dans la campagne à vingt minutes de tout plutôt que s'être installée à Caen, par exemple?
Tout cela n'a aucun sens, mais nous renonçons à nous renseigner car nous nous faisons rabrouer à chaque question. Quoi qu'il en soit c'est son problème; nous verrons bien.

Papa a mal au dos, aux lombaires et plus inquiétant, aux cervicales. Je comprends qu'il souffre d'un rétrécissement du canal rachidien et qu'il n'y a pas grand chose à faire. C'est toujours la même chose: on se dit que s'il y a un traitement, il faut s'en occuper maintenant car chaque année compte à son âge; d'un autre côté, chaque année amène son lot de progrès et miracles de la médecine, donc inutile de se précipiter.
Je ne sais que penser, mais je déteste les voir vieillir, je ne le supporte pas.
Cet hiver, il faudra que j'essaie de venir les voir plus régulièrement.

Le temps

Veille de vacances, et donc en retard, en retard. J'essaie de boucler tout ce que je peux mais tout prend trop de temps.

En parallèle, durant mes trajets, je travaille mentalement mes atterrissages. Je visualise trente secondes. 90 km/h, 25 m/s, 32 secondes pour 800 mètres, la longueur de la piste, celle de la branche arrière, par vent nul.
C'est long, 32 secondes. Je ferme les yeux, je ne compte pas mais visualise un cadran, l'aiguille des secondes qui se déplace. J'accélère toujours vers 20 secondes. «Respire, il y a le temps. Tu as le temps.» Il faut m'en convaincre.

J'ai repris les cours théoriques. Ce sont des cours en ligne, le problème est donc d'avoir du réseau tout le long de mon parcours en train.

Cours sur les cinq sens. Caractéristiques de l'œil. Je découvre l'échelle de Monoyer : 10/10e correspond à un angle de discrimination de 1 minute à 1 mètre. Ainsi donc, avoir 12/10e à un œil n'est pas une absurdité, mais une réalité quantifiable.

Le guide Verne

La dernière fois que j'ai vu Patrick, il venait de lire Le rayon vert: «L'intrigue est minimale, mais c'est le meilleur guide sur l'Ecosse.»

Alors j'ai tapé «Verne balte» sur Google et je suis en train de lire Un drame en Livonie. Il faudra que je vérifie la date de son écriture, mais dans les premiers chapitres, c'est tout le XXe qui est en germe: deux populations antagonistes, les Allemands et les Slaves (et le reste, des juifs, est-il quasi noté tel quel, après avoir nommé les Esthes (avec une h)).

J'ai eu peur un moment que la durée du jour si haut soit courte, mais vérification faite, elle est quasi plus longue qu'ici. Y a-t-il des «nuits blanches de Tallin»? Sans doute que oui, mais il y manque un Dostoïevski.

Retrouvailles

Journée de télétravail. J'ai tourné mon bureau d'un quart de tour, ce qui fait qu'il en est à trois quarts de tour depuis que nous avons emménagé. Le problème est que le plancher n'est pas plan et que le fauteuil à roulettes tend à partir en arrière, m'obligeant à rester toute la journée en tension pour éviter de m'éloigner de mon bureau.
J'espère (je pense) avoir résolu ce problème. Reste à tester la course du soleil dans l'écran.


Le soir, retrouvailles avec Adèle, la marraine de l'aîné. Retrouvailles est peu dire, quel est le nom d'une réunion après une longue séparation? Je n'arrive pas à me souvenir de la dernière fois que nous nous sommes vues, j'arrive à la date incroyable de 2011 (communion de O. Mais la communion de son dernier, ça devait être en 2014 ou 2015, non?), en habitant à trente kilomètres l'une de l'autre. Est-ce vraiment possible? Autrefois nous nous voyions au moins pour la galette des rois; une année nous ne l'avons pas fait, et depuis il n'y a plus eu que des coups de fil.

Elle est prof d'histoire en lycée et nous raconte des histoires incroyables:
— J'ai fait partie d'un jury pour le recrutement des profs en section européenne allemand et anglais. Je vois arriver une convocation pour le jury de russe. J'appelle la secrétaire, je lui dis qu'il doit y avoir une erreur, je ne parle pas russe, je n'ai aucune compétence pour juger quelqu'un. Elle me répond non non, c'est bien ça. En fait ils ont la flemme de déplacer un jury spécifique pour deux candidats (d'ailleurs il y en a un qui n'est pas venu) et donc je me suis retrouvée dans un jury de russe. Je ne pouvais pas poser de question sur la langue, alors j'ai posé quelques questions de littérature et de culture gé. Il ne savait pas grand chose. A la délibération mon voisin s'est penché vers moi et m'a dit: «c'est pas jojo mais c'est toujours mieux que recruter un poutiniste».

— J'ai un élève, son père voulait qu'il passe en première S. Je lui dis «mais enfin, avec 4 en maths et 6 en physique, ce n'est pas possible»; «mais si, c'est parce qu'il a un jumeau, on va le ramener au pays et on va le désenvoûter» (elle explique en off: parce que vous savez, en Afrique, c'est la théorie qui veut que l'un des deux prenne toute la force de l'autre) «mais avec le covid, comment allez-vous voyager?» «peut-être pas à la rentrée, mais je vous assure, à la Toussaint».

— J'en ai un autre, c'est Jean-Claude. Le père, un pur Bellifontain, ne jure que par Jean-Claude, un guérisseur exorciste qui va désenvoûter son fils pour qu'il travaille mieux. A chaque problème: Jean-Claude.

Etc, etc.

Dimanche tourmenté

Il fait mauvais, nous sommes peu nombreux. Nous sortons trois planeurs, un pour l'instruction et deux pour des jeunes pilotes.
Il y a beaucoup de vent et de fortes rafales. Il fait presque froid.

Nous réussissons tant bien de mal à atteindre 1400 mètres, sous les nuages.
— Que dit la réglementation sur les nuages?
— Qu'il ne faut pas y entrer.
— Qu'il faut être trois cent mètres en dessous. Mais en fait on ne la respecte pas.

RL m'a conseillé la programmation mentale: assise sur une chaise, yeux fermés, repasser et mimer toutes les étapes de l'atterrissage (la PTL).

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Ce matin regardé La tulipe noire sur Arte en faisant la vaisselle.
Ce soir, commencé Peu m'importe qu'ils nous prennent pour des barbares. Se souvenir de regarder les films de Radu Jude et de lire Isaac Babel.

Projets indécis

35 à 40 degrés en Italie, paraît-il. H. s'était chargé d'organiser les vacances et avait prévu de descendre toute la botte, mais il hésite de plus en plus devant les températures annoncées.
Je contre-propose Tallin. Après tout, nous ne savons pas combien de temps les pays baltes vont rester accessibles. Tarente ou Tallin, cela se décidera au dernier moment, le 15 août.

— Ah mais… Est-ce que l'Estonie fait partie de l'espace Schengen? Je risque d'avoir un problème.
— Comment ça?
— Mon passeport n'est pas à jour.
— Comment ça? Ni ta carte d'identité ni ton passeport ne sont valides? Tu m'as regardée faire refaire mon passeport en janvier sans réagir?

Comment peut-on s'en fiche à ce point-là? Cela vaut-il la peine de quitter la maison dans ces conditions d'indifférence, d'imprévoyance? Je dissimule mon découragement:
— Bon ben on suivra les frontières et on entrera là où on nous laissera passer.

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Laura est venue pour la journée. Il y a longtemps que j'aurais dû l'inviter; là, c'est presque trop tard: dans une semaine nous partons en vacances et en septembre elle s'installe à Bourges. Elle a pour projet d'aller en février prochain rendre visite à sa sœur installée en Australie et d'y rester plusieurs mois. Il paraît que l'Australie permet facilement de travailler sur place mais est stricte sur ses lois migratoires.

Elle nous raconte la vie l'hiver dans un village de l'Ariège: «Mes parents habitent sur la place au-dessus du café. Tous les cafés sont fermés l'hiver sauf un mais personne n'y va parce qu'ils n'aiment pas le patron. Alors les gens vont chez mes parents. Ils toquent et ils entrent. C'est infernal, il y a tout le temps du monde et on n'arrive pas à s'en débarrasser. Ils s'installent.»
Ça me fait rire. J'imagine si bien. La vie de village regrettée par les romantiques.

Le soir O et Y passent chercher leur chatte. Ils nous racontent Madère (Ronaldo y a fait construire un aéroport qui paraît infernal pour les habitants, les avocatiers sont de grands arbres, les mangues pendent au bout de looongs fils nus et il ne reste qu'à les saisir) et Amsterdam (un restaurant spécialisé dans la cuisine à l'ail, un loueur de vélos très confiant et la boue divine ou céleste qui vend de la mousse au chocolat).
Ils racontent deux expériences de lieux encore dans les guides de voyage mais déserts depuis le covid: une place renommée pour sa vannerie à Madère et une galerie marchande à Amsterdam. Cela paraît les avoir beaucoup impressionnés.

Promenade à Cracovie

Si ce film passe près de chez vous, allez le voir.

Je découvre ce soir que Libé lui reproche de ne pas être un film. Mais en fait c'est le cadet de nos soucis, même si parfois j'aurais bien aimé savoir comment ils avaient préparé les scènes: ces conversations à bâtons rompus, ce ne sont pas des conversations spontanées, n'est-ce pas? Il a fallu les préparer. Y avait-il un scénario, les deux amis/acteurs ont-ils répété? Ou bien non?

Polanski et Horowitz se promènent dans Cracovie et racontent des anecdotes, deux galopins sans âge remontent le temps. Horowitz était si petit, trois ans, il ne se souvient pas de grand chose (et il paraît plus introverti); Polanski était si seul, d'abord sans mère puis sans père, arrêtés tous les deux. La ville, le ghetto, les Allemands. Récits entrecoupés de questions, de rires, de silence. Le contraste entre la banalité du ton et la brutalité des faits vous plonge en état de sidération: «quel est ton premier souvenir, le ghetto ou le camp de concentration?»

Ce serait comme si l'un des Derniers témoins d'Alexiévitch avait décidé de se mettre en scène devant une caméra.

Tempête

Il pleut, le vent est fort. A midi, la coulée verte était fermée à hauteur de l'allée Vivaldi (peur des chutes de branches) et le soir je trouve le ficus sur le flanc. Il est pourtant protégé par des hauts murs sur trois côtés mais cela n'a pas suffi.

Les gens râlent pour leurs vacances. Perso je me réjouis pour la forêt de Fontainebleau
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