samedi 8 juillet 2017
En voiture dans la montagne
Par Alice, samedi 8 juillet 2017 à 21:05 :: Eté 2017
Je réveille O. à huit heures, je ne sais pas à quelle heure il s’est couché. Aujourd’hui nous devons rejoindre Soglio et je voudrais voir la charte de la Confédération suisse au musée de Schwyz. Après tout, si nous sommes ici, c’est que je voulais voir le lac des quatre cantons et la prairie du Rütli. En faisant des recherches j’ai découvert cette randonnée panoramique de Schwyz et il m’a paru plus pratique de coucher à Oberiberg. Mais le but premier était de voir le berceau de la Suisse.
J’ai mal au genou droit, je ne plie plus la jambe, mais sinon tout va bien, pas de courbature.
Petit déjeuner, valises, vaisselle — le reste de fondue part très bien. En faisant le tour des armoires pour vérifier que nous n’avons rien oublier, nous trouvons trois caquelons… Trop tard, trop tard. Nous avons manqué de foi.
Nous étions bien ici, à l’écart du monde.
Encore une fois la route pour Ibergeregg, puis la descente. O. est au volant, il descend ce que j’ai monté il y a deux jours, il y a vraiment à peine la place pour deux voitures. Nous espérons ne pas croiser de bus. Un obstiné dans une voiture genre Fiat Panda ne se gare pas et heurte notre rétroviseur gauche, la roue droite de la voiture me paraît quitter le goudron, c’est effrayant. Plus loin c’est l’inverse, un 4x4 met une roue hors du bitume pour nous laisser passer… Les huit mois de permis d’O. sont validés.
Musée des chartes confédérales. Ce qui nous est expliqué, c’est que la Suisse s’est « inventée » au XIXe siècle, en 1848, et que pour ce faire, elle s’est inventé ou retrouvé des mythes prouvant qu’elle avait toujours été unie — ou tout au moins que son histoire était une longue histoire d’entraides et d’alliances internes et de luttes contre l’extérieur. C’est donc à cette époque qu’elle a choisi une charte inconnue datant de 1291 pour faire débuter son histoire commune, alors qu’elle aurait pu tout aussi bien choisir la bataille de Morgaten pour ce faire.
Nous apprenons au passage que c’est la défaite subie à Marignan contre François 1er qui a contenu les désirs expansionnistes suisses: suite à cela, les cantons n’ont plus cherché à sortir de leurs frontières.
Je fais remarquer à O. que d’une certaine façon la Suisse a toujours été hors de l’Europe: aujourd’hui l’Union Européenne réunit peu ou prou les pays qui échangeaient leurs princesses lors des mariages royaux. Il n’y avait pas de noblesse suisse, ils ont été exclu du jeu politique européen à l’époque comme ils s’en excluent aujourd’hui… tout en pouvant servir de modèle à l’Europe dans la façon de bâtir une confédération. L’Europe manque d’un mythe fondateur, c’est souvent souligné (mais il est peut-être trop tôt pour qu’elle en ait un), plus étrange est la façon dont la France s’obstine à détruire (à ne plus transmettre) les siens.
Nous repartons en suivant le lac de Brünnen à Flüelen, nous déjeunons au bord du lac à Flüelen avant de le quitter. Direction le col du Gothard en ne prenant pas l’autoroute puisque le but est de voir du paysage, pas de prendre un tunnel.
Je dors dix minutes, O. me dira que j’ai raté de magnifiques paysages mais qu’il n’a pas voulu me réveiller (il a eu raison, je suis très mal si on me réveille au milieu de mes dix minutes).
Route du col protégée par un toit (toit en travaux, buldozer au-dessus de nos têtes, nous nous en apercevons après coup quand nous sommes plus haut que la galerie déjà empruntée). Les travaux de terrassement sont extrêmement nombreux, il est rare qu’il se passe dix kilomètres sans en rencontrer un.
Motos à foison (parce que nous sommes samedi?), en cuir du cou aux orteils. Cyclistes, catégorie folle, cyclistes rencontrés à tout endroit des cols, posant la question angoissante de leur apparition: mais d’où viennent-ils, où espèrent-ils être ce soir, pourquoi tant de souffrance, et savent-ils (songeons-nous quand nous les avons dépassés depuis quelques kilomètres) ce qui les attend?
Direction Chur (Coire), nous plongeons vers l’Engadine un peu avant de l’atteindre, longeons le lac de Sils en direction de Soglio. (Nous reviendrons demain). La descente de la vallée de l’Engadine est impressionnante, une route en lacets au flanc d’une seule montagne fait descendre la paroi en quelques minutes.
Il fait doux, la pluie annoncée menace sans se décider, il fait frais après les jours torrides précédents.
Montée vers Soglio, parking, palazzo Salis où descendait Rilke. Il y a six ans nous n’avions pu y dormir, cette fois-ci j’ai réservé à l’avance (c’est mon cadeau d’anniversaire).
Apéritif dans le jardin, table en pierre sous le tilleul, nous étudions la carte d’Europe, W ou Z, Klagenfurt Vienne Ohlsdorf Prague ou Ohlsdorf Klagenfurt Vienne Prague; tour du jardin pour aller admirer les séquoias (cinq ou six mètres de diamètre).
J’ai mal au genou, une douleur de bleu au toucher, comme si j’avais reçu un coup de marteau sur la rotule. J’évite de plier la jambe, je descends les escaliers une marche à la fois, jambe gauche la première.
Dîner, la salle à manger est comble et bruyante. Nous parlons d’Emily Dickinson (à propos de s’habiller en blanc). Qui connaît Emily Dickinson? J’évalue les personnes autour de nous:
— Ici? Sept sur dix. Il y a même une chance pour qu’il y en ait un spécialiste.
O. me regarde dubitatif. Je reprends:
— J’appelle spécialiste quelqu’un qui l’a lue, connaît sa biographie, est capable d’expliquer ses influences, etc. Sinon, « connaître », c’est avoir lu un de ses poèmes ou rencontré quelques citations… et savoir qu’elle ne s’habillait qu’en blanc.
— Hmm. Sept c’est beaucoup.
— Oui, mais les gens qui sont là ne sont pas là par hasard. Ceux qui ne font pas le tour des hôtels historiques suisses sont là à cause de Rilke… Je ne dirais pas la même chose d’une salle UGC aux Halles.
— Tu dirais combien pour une salle UGC?
— Ça dépend. Pour quel film?
— Les gardiens de la galaxie.
— Trois… peut-être cinq…
— Trois sur dix?
— Non, cinq pour toute la salle.
O. rit.
Le service est plutôt lent. Chaque fois que je finis par sortir mes cartes postales pour les rédiger, le plat suivant arrive. Trois fois : est-ce suffisant pour se convaincre du pouvoir des cartes postales sur la rapidité du service?
Ce soir était la dernière étape planifiée du voyage. Désormais nous n’avons pour seule contrainte qu’être rentrés pour le 5 août ou si possible un ou deux jours avant.
J’ai mal au genou droit, je ne plie plus la jambe, mais sinon tout va bien, pas de courbature.
Petit déjeuner, valises, vaisselle — le reste de fondue part très bien. En faisant le tour des armoires pour vérifier que nous n’avons rien oublier, nous trouvons trois caquelons… Trop tard, trop tard. Nous avons manqué de foi.
Nous étions bien ici, à l’écart du monde.
Encore une fois la route pour Ibergeregg, puis la descente. O. est au volant, il descend ce que j’ai monté il y a deux jours, il y a vraiment à peine la place pour deux voitures. Nous espérons ne pas croiser de bus. Un obstiné dans une voiture genre Fiat Panda ne se gare pas et heurte notre rétroviseur gauche, la roue droite de la voiture me paraît quitter le goudron, c’est effrayant. Plus loin c’est l’inverse, un 4x4 met une roue hors du bitume pour nous laisser passer… Les huit mois de permis d’O. sont validés.
Musée des chartes confédérales. Ce qui nous est expliqué, c’est que la Suisse s’est « inventée » au XIXe siècle, en 1848, et que pour ce faire, elle s’est inventé ou retrouvé des mythes prouvant qu’elle avait toujours été unie — ou tout au moins que son histoire était une longue histoire d’entraides et d’alliances internes et de luttes contre l’extérieur. C’est donc à cette époque qu’elle a choisi une charte inconnue datant de 1291 pour faire débuter son histoire commune, alors qu’elle aurait pu tout aussi bien choisir la bataille de Morgaten pour ce faire.
Nous apprenons au passage que c’est la défaite subie à Marignan contre François 1er qui a contenu les désirs expansionnistes suisses: suite à cela, les cantons n’ont plus cherché à sortir de leurs frontières.
Je fais remarquer à O. que d’une certaine façon la Suisse a toujours été hors de l’Europe: aujourd’hui l’Union Européenne réunit peu ou prou les pays qui échangeaient leurs princesses lors des mariages royaux. Il n’y avait pas de noblesse suisse, ils ont été exclu du jeu politique européen à l’époque comme ils s’en excluent aujourd’hui… tout en pouvant servir de modèle à l’Europe dans la façon de bâtir une confédération. L’Europe manque d’un mythe fondateur, c’est souvent souligné (mais il est peut-être trop tôt pour qu’elle en ait un), plus étrange est la façon dont la France s’obstine à détruire (à ne plus transmettre) les siens.
Nous repartons en suivant le lac de Brünnen à Flüelen, nous déjeunons au bord du lac à Flüelen avant de le quitter. Direction le col du Gothard en ne prenant pas l’autoroute puisque le but est de voir du paysage, pas de prendre un tunnel.
Je dors dix minutes, O. me dira que j’ai raté de magnifiques paysages mais qu’il n’a pas voulu me réveiller (il a eu raison, je suis très mal si on me réveille au milieu de mes dix minutes).
Route du col protégée par un toit (toit en travaux, buldozer au-dessus de nos têtes, nous nous en apercevons après coup quand nous sommes plus haut que la galerie déjà empruntée). Les travaux de terrassement sont extrêmement nombreux, il est rare qu’il se passe dix kilomètres sans en rencontrer un.
Motos à foison (parce que nous sommes samedi?), en cuir du cou aux orteils. Cyclistes, catégorie folle, cyclistes rencontrés à tout endroit des cols, posant la question angoissante de leur apparition: mais d’où viennent-ils, où espèrent-ils être ce soir, pourquoi tant de souffrance, et savent-ils (songeons-nous quand nous les avons dépassés depuis quelques kilomètres) ce qui les attend?
Direction Chur (Coire), nous plongeons vers l’Engadine un peu avant de l’atteindre, longeons le lac de Sils en direction de Soglio. (Nous reviendrons demain). La descente de la vallée de l’Engadine est impressionnante, une route en lacets au flanc d’une seule montagne fait descendre la paroi en quelques minutes.
Il fait doux, la pluie annoncée menace sans se décider, il fait frais après les jours torrides précédents.
Montée vers Soglio, parking, palazzo Salis où descendait Rilke. Il y a six ans nous n’avions pu y dormir, cette fois-ci j’ai réservé à l’avance (c’est mon cadeau d’anniversaire).
Apéritif dans le jardin, table en pierre sous le tilleul, nous étudions la carte d’Europe, W ou Z, Klagenfurt Vienne Ohlsdorf Prague ou Ohlsdorf Klagenfurt Vienne Prague; tour du jardin pour aller admirer les séquoias (cinq ou six mètres de diamètre).
J’ai mal au genou, une douleur de bleu au toucher, comme si j’avais reçu un coup de marteau sur la rotule. J’évite de plier la jambe, je descends les escaliers une marche à la fois, jambe gauche la première.
Dîner, la salle à manger est comble et bruyante. Nous parlons d’Emily Dickinson (à propos de s’habiller en blanc). Qui connaît Emily Dickinson? J’évalue les personnes autour de nous:
— Ici? Sept sur dix. Il y a même une chance pour qu’il y en ait un spécialiste.
O. me regarde dubitatif. Je reprends:
— J’appelle spécialiste quelqu’un qui l’a lue, connaît sa biographie, est capable d’expliquer ses influences, etc. Sinon, « connaître », c’est avoir lu un de ses poèmes ou rencontré quelques citations… et savoir qu’elle ne s’habillait qu’en blanc.
— Hmm. Sept c’est beaucoup.
— Oui, mais les gens qui sont là ne sont pas là par hasard. Ceux qui ne font pas le tour des hôtels historiques suisses sont là à cause de Rilke… Je ne dirais pas la même chose d’une salle UGC aux Halles.
— Tu dirais combien pour une salle UGC?
— Ça dépend. Pour quel film?
— Les gardiens de la galaxie.
— Trois… peut-être cinq…
— Trois sur dix?
— Non, cinq pour toute la salle.
O. rit.
Le service est plutôt lent. Chaque fois que je finis par sortir mes cartes postales pour les rédiger, le plat suivant arrive. Trois fois : est-ce suffisant pour se convaincre du pouvoir des cartes postales sur la rapidité du service?
Ce soir était la dernière étape planifiée du voyage. Désormais nous n’avons pour seule contrainte qu’être rentrés pour le 5 août ou si possible un ou deux jours avant.