Alice du fromage

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Billets qui ont '2016-07-17' comme date.

dimanche 17 juillet 2016

Arriver

A six heures et demie au bord de la piscine. Une heure que je ne peux plus dormir. Je viens de m'installer ici, enveloppée dans le couvre-lit, s'il se pouvait que j'arrivasse à bloguer, à terminer un ou deux billets, but de plus en plus inatteignable. Odeur de croissants. Il fait beau. Moineaux. Aujourd'hui nous arriverons peut-être à arriver à la mer. Nos voyages sont ceux de la flèche de Z., plus nous avançons plus le but s'éloigne.

samedi 16 juillet 2016

De Tours à Niort

Chaque fois que nous sommes ensemble, nous en profitons pour mettre à jour notre garde-robe: chaussures (quatre paires!), lingerie, casquette en cuir, chapeau cloche en paille… et antimoustique (ils sont redoutables cette année, ils se sont multipliés avec les intempéries).

Une crêpe chez Mamie Bigoude plus tard (j'ai eu le temps de lire quarante-trois pages de Fantômette brise la glace — nous n'avons pas réussi à avoir le nom de leur décorateur (vers l'Atlantique, nous disent-ils) — je me suis dis que j'allais tapisser mon salon d'affiches de cinéma, comme au bon vieux temps quand nous avions reconstitué la carte d'Europe avec des cartes Michelin sur un mur entier), et nous quittons enfin Tours. Il est quatre heures et demie, je ne sais pas ce que nous allons trouver à Richelieu à cette heure-là.

J'avais tort de m'inquiéter. C'est une ville que je ne connaissais que par une carte postale des Cruchons, et lorsque j'avais vu qu'elle était sur le chemin de La Rochelle (notre but), j'avais insisté pour qu'on s'y arrêtât.
Nous tombons sur la fête biannuelle, les habitants et des comédiens en costumes d'époque, une bonne odeur de crottin (promenades en poney) et de feu de bois (cuisson de jambonneaux à la broche) ajoute à la reconstitution. Nous parcourons les lieux avec ébahissement, je songe que les Cruchons, au moins certains, trouveraient beaucoup à redire à cette animation (dans tous les sens du terme) mais je me laisse porter par le soleil et l'ambiance de kermesse. Tout cela est gai et sbon enfant.
Richelieu en Arts, nous dépensons encore, un Turc rose et une jeune fille bleue. Bourrées sous la Halle, une dame ressemblant à Mme de Merteuil apprend les rudiments de la contredanse aux spectateurs, puis fifres et tambours.

Nous quittons Richelieu, il est sept heures et demie, je veux passer par Loudun à cause des sorcières et d'Huxley. Mais pas de trace dans la ville pour le peu que nous en avons vu.
Plus tard nous arrivons en face du château de Thouard, par delà la vallée. Magnifique vision, mais il est trop tard. Le soleil descend, Hervé s'amuse avec sa nouvelle voiture (le régulateur de visite qui ralentit de lui-même quand la voiture approche d'une autre, ou redresse quand nous ne sommes plus exactement entre les lignes sur la chaussée).

Nous avons réglé Waze pour trouver l'hôtel, avec stupéfaction nous bifurquons avant Niort pour nous enfoncer dans la zone industrielle, immeuble de la Maaf, Decathlon, ou sommes-nous? J'ai l'impression de certains soirs aux Etats-Unis dans les zones urbaines, nous tournons encore, immeuble du RSI, une allée, un hôtel "de charme" ici? (non, c'est la chambre qui est "de charme").
Nous découvrons à l'abri de murs une maison de la région transformée en hôtel, avec une jolie piscine ronde. Tranquille et inattendue.

Dîner à Niort, la place de la Brèche est transformée, Hervé ne reconnaît rien. La Villa, restaurant sympathique qui bizarrement nous oublie à partir de onze heures: il faut réclamer le dessert, réclamer l'addition, réclamer de payer… Nous perdons une demie-heure de sommeil, c'est agaçant, dommage, tout était parfait.

jeudi 14 juillet 2016

Un château bien géré

Ecrire après (inévitablement toujours après), c'est écrire en sachant des choses que nous ne savions pas pendant que nous vivions la journée. Tout se teinte de ce qui est survenu entre le temps de la vie et le temps du récit, avec une sensation d'indécence et de devoir de silence. Ou bien non: le devoir de continuer comme si de rien n'était: keep calm and carry on ou le spectacle continue.
Billet commencé le 15 juillet au matin.

Matinée dans les locaux d'Hervé. Il déménage demain et samedi. Comme d'habitude des imprévus lui sont tombés dessus (quelle est la nature réelle d'un imprévu systématique?) J'en profite pour faire du courrier en retard. J'ai tellement de retard dans un peu tout que je pourrais rester enfermée une semaine entière avec mon ordinateur, quelques cartes postales et des cartouches d'encre (pour stylo, pas pour imprimante).

Résultat définitif d'APB (admission post-bac): ce sera donc une double licence math-info à Paris Diderot. Nous n'aurons pas d'enfant en classes prépa, c'est bizarre pour nous qui avons tant aimé cela, mais aussi soulageant pour moi qui m'en souviens comme d'une épreuve physique et mentale (physique, oui: je me souviens des transformations physiques de mon corps épuisé).

Après-midi au château de Villandry que je n'avais jamais visité. Ce château a eu de la chance dans ses propriétaires successifs. C'est un château Renaissance à l'extérieur, XVIIIe à l'intérieur. C'est ici qu'Henri II Plantagenêt a rendu à Philippe Auguste ses terres conquises sur le territoire français.
Joachim Carvallo a épousé en 1899 la fille d'une riche famille de Pennsylvanie et ces scientifiques amoureux de l'art espagnol n'ont acheté ce château que pour avoir de la place pour leur collection de tableaux… mais visiblement le couple menait ses passions jusqu'au bout: une fois le château acheté, le propriétaire a mené des recherches pour rétablir les jardins d'origine transformés en jardins à l'anglaise au XIXe siècle tout en redonnant aux façades leur aspect Renaissance; ce faisant il a fréquenté des moines bénédictins à Solesmes, ce qui a ranimé (ou animé) sa foi catholique défaillante (inexistante), amenant la conversion au catholicisme de son épouse protestante qui se mit à étudier l'hébreu: un couple fascinant, suivant avec systématie ses passions dans leurs implications logiques.

Nous avions remarqué la légèreté des interdits dans les jardins (une corde tendue bas pour interdire un accès, sans panneau) qui s'est confirmée dans les pièces (pas de "ne pas toucher", "ne pas s'assoir" sur tous les meubles), nous avions été étonnés que la visite guidée soit comprise dans le prix d'entrée (c'est-à-dire qu'elle est proposée aux volontaires, sans obligation). Cette gentillesse discrète la nous avait rappelé Chenonceau: avec raison, puisque dans les deux cas il s'agit d'un château privé. N'y a-t-il donc que les monuments nationaux pour avoir la manie de l'affichette en tout genre?
— Et que fait le propriétaire? C'est un industriel?
— Non, il gère le château.
— Vous voulez dire que le château est autosuffisant?»
Je suis surprise et enchantée de découvrir un propriétaire qui ne gémit pas que son château est impossible à entretenir. Il vit sur les terres, dans les communs du XVIIIe. Nous faisons de rapides calculs, trois cent mille entrées à onze euros, dix jardiniers à demeure. Je comprends mieux le commentaire du dépliant qui notait que passer à l'agriculture biologique avait entraîné un surcoût compensé par l'abondance des récoltes: cela ne représentait pas l'habituel discours lénifiant des promoteurs du bio; non, c'était le constat d'un homme qui avait pris un risque avec son propre argent. Je suis heureuse de cet autonomie financière comme si je découvrais un écosystème en équilibre.

Ciel changeant de Touraine, il fait beau sans faire trop chaud, nuages translucides qui tamisent le soleil. Nous achetons des bêtises à la boutique "jardinerie", beaucoup de confitures (j'ai oublié la confiture de sureau).

Langeais. Il est tard. Restaurant Errard, pigeonneau au gingembre, deux résidents belges et un suisse dans la salle (nous le savons par leurs conversations, non par leur accent). Je me demande un instant s'il ne s'agit pas de Kouchner qui aurait arrêté de fumer (plus rose, un peu bouffi). Mais non, il s'appelle Michel. (Leur conversation est si envahissante qu'un autre couple ira prendre le café et le cognac dans une autre pièce.)

Retour à la nuit. Il est dix heures et demie, nous trouvons avec peine une place pour garer la voiture en haut de la tranchée (c'est le nom de la côte qui commence à la sortie du pont Wilson au nord de la Loire) et redescendons, le feu d'artifice commence à onze heures. Il y a beaucoup de monde, en descendant la côte nous voyons qu'il sera impossible d'atteindre le pont, le feu d'artifice est tiré d'une île, ce doit être joli les fusées se reflétant dans la Loire.
Surprise: les lampadaires ne s'éteignent pas pour le feu d'artifice, nous trouvons à nous protéger de leur lumière à l'abri de la masse d'un camion vendeur de frites.

Feu d'artifice. Le dernier qu j'ai vu remonte à 2012, il y a toujours des progrès dans les fusées. J'essaie d'imaginer le métier des ingénieurs en feu d'artifice. Où se font les tests, dans les landes désertes du Massif central?

Longue remontée, la foule est partout, les voitures, le tram, tentent de se frayer un passage avec prudence. En arrivant à l'hôtel, Hervé m'annonce d'une voix blanche: «un camion a foncé dans la foule à Nice, soixante morts».
Et parce que nous venons de revenir dans une telle foule, j'essaie de bloquer les images qui montent.
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