Cette année, je n'ai pas été recontactée par la responsable de l'année dernière. Il faut dire que le courant passait mal entre nous. N'empêche, je suis un peu vexée, un peu déçue, un peu inquiète: est-ce que j'ai mal enseigné? Est-ce que les enfants étaient mécontents? Ou les parents? Ou n'est-ce que la responsable qui ne voulait plus de moi dans son équipe?
Dans le fond ça m'arrange, les enfants me font peur et je ne savais pas comment j'étais censée m'y prendre. Mais malgré tout, mi-vexée, mi-inquiète.
En juin, la responsable du bulletin de la paroisse avait demandé aux catéchistes leur témoignage. Voici ce que je lui avais donné (en sachant qu'elle couperait largement: je voulais lui laisser le choix des thèmes abordés, qu'elle puisse caviarder à l'aise en fonction de ce qu'auraient écrit les autres).
Pourquoi avoir accepté de « faire » du catéchisme? La réponse ressemble à une boutade: parce qu’on me l’a demandé. Cependant, n’est-ce pas tout ce que demande l’Évangile, à plusieurs reprises et sous des formes variées : répondre «oui» à un appel, même si l’on ne se sent ni très à la hauteur, ni très armé? (Mais comment je vais faire? Est-ce que je vais savoir faire?)
Par ailleurs, je suis convaincue de l’importance du catéchisme. Tout commence au catéchisme. C’est le premier lieu de la transmission. C’est le lieu qu’il faut tenir. C’est une question que je pose aux enfants quand je les vois me regarder lors de notre première rencontre, déconfits de s’être levés un dimanche pour une heure de quelque chose qui ressemble beaucoup à de l’école:
— A votre avis, pourquoi êtes-vous là? Pourquoi vos parents vous ont-ils inscrit au catéchisme?
— Pour qu’on connaisse Dieu et qu’on apprenne à l’aimer?
— Oui, bien sûr. Pour connaître et aimer Dieu. Mais pourquoi il est important que vous soyez ici, pourquoi vous, vous êtes importants? (Ils se regardent d’un air sceptique: eux sont importants?)
— Parce que vous êtes les suivants. Vous avez déjà fait de la course de relais ? Vous vous rappelez le nom du bâton, ça s’appelle un témoin. Vous êtes là pour qu’on vous passe le témoin. Les chrétiens ont besoin de vous, l’Église a besoin de vous pour qu’on continue à raconter l’histoire de Jésus et à croire en sa promesse. Vous êtes les suivants. Sans vous ça s’arrête.
(Entre nous, je ne sais pas si je les ai vraiment convaincus. Mais un ou deux deviennent attentifs. Et moi j’en suis convaincue : sans eux ça s’arrête. «Vous êtes la lumière du monde»: ils sont la lumière du monde et ils ne le savent pas. Nous devons tout faire pour faire naître et entretenir cette lumière.)
Qu’est-ce que cela m’apporte? Là encore je vais répondre par une boutade : beaucoup de panique. J’ai le bagage théorique nécessaire, mais je n’en ai aucun en pédagogie et je panique la veille, le matin: qu’est-ce que je vais raconter aux enfants? Et comment? Je n’ai pas d’aptitude en coloriage ou en découpage ou en chansons. Alors je révise les textes, j’essaie de trouver un axe intéressant, quelque chose à leur montrer, une carte de Méditerranée, une bible en hébreu... J’explique le contexte, la géographie, le vocabulaire («qu’est-ce que c’est, un scribe? Vous avez déjà vu du lin?») J’essaie de montrer combien les émotions et réactions des hommes et des foules d’hier et d’aujourd’hui se ressemblent, les peureux, les courageux, les enthousiastes, les indécis. J’attache beaucoup d’importance à ce qu’ils aient bien compris les textes.
Ce que je préfère, c’est le dialogue avec les enfants, leurs questions et leurs réponses. Ils sont terriblement sérieux (je leur ai posé la question: à la place du père, eux n’auraient jamais donné l’héritage à l’enfant prodigue), mais aussi provocateurs: «la résurrection, c’est comme Mario Kart, on a plusieurs vies. — Sauf que dans Mario tu n’as que trois vies, alors qu’avec Jésus, c’est pour toujours»).
Cette année, j’ai eu le souffle coupé par la question d’un futur communiant, alors que je venais de raconter Jésus visitant les apôtres barricadés dans une maison après la crucifixion: «mais Madame, est-ce que tout ça c’est vrai?» Souffle coupé qu’il ait attendu si longtemps pour la poser, mais aussi qu’il ose la poser. Je m’applique toujours à répondre avec le plus d’exactitude possible. Pour moi il est fondamental que ma réponse corresponde à ce que les enfants voient et vivent au quotidien, qu’il n’y ait pas de divergence entre le discours de l’Église et leur expérience du quotidien: «Pour moi c’est vrai. Pour toutes les personnes que tu vois à l’Église, c’est vrai. Les évangélistes ont raconté la vie de Jésus, puis Paul et les premiers Chrétiens, et c’est venu jusqu’à nous. Nous attendons le retour de Jésus et nous croyons à la vie éternelle. Mais tout le monde n’y croit pas. Il y a des gens qui ne le croient pas.»
C’est ce que j’aime avec les enfants : d’une certaine manière c’est avec eux qu’il est plus facile de parler sur le fond, de parler de ce qui compte vraiment. Car à quel moment dans nos vies parlons-nous de notre foi, et avec qui ?
J'ai écrit cela, une partie a été publiée dans le bulletin paroissial en juillet, et en septembre je suis débarquée: pas de doute, je suis vexée, même si soulagée!