Je dors mal. C'est peut-être le sport: je n'ai pas de courbatures mais les muscles chauds, surtout les bras, et comme nous travaillons beaucoup l'endurance, j'en reste comme encore essouflée, comme s'il me fallait des heures pour reprendre un rythme normal.
Bref, je me réveille souvent la nuit. Je peux donc dire qu'il a plu dès quatre heures du matin.
Nous partons vers le nord car je veux revoir Damme, le canal de Damme et ses arbres, ce tunnel qui me fait entrer directement dans les voyages de Bilbo.
Nous évitons les autoroutes, rejoignons la côte et nous suivons la mer, les dunes, le tram, les immeubles du front de mer. Il pleut, je fredonne «… avec ce ciel si bas qu'un canal s'est pendu…», nous avons tant mangé hier soir et petit déjeuner si tard que nous sommes en indigestion. Arrêt à Ostende vers midi pour un café, nous n'avançons pas vite.
Vers deux heures, alors que nous avançons à un feu, je vois un restaurant juste en face. Il faut déjeuner. Nous sommes à Oostduinkerke, le restaurant s'appelle Caricole et la serveuse accepte de nous servir à cette heure tardive. Bouillabaisse à la belge, avec un demi-homard et de la rouille, absolument génial. Il faudra revenir.
Il s'est arrêté de pleuvoir et quand nous passons en France, des rayons de soleil percent (je le jure!).
Dunkerque, nous suivons des canaux, beaucoup de feux. Gravelines. Beaucoup de Minicoopers, c'est bizarre, c'est amusant.
Calais le choc: nous arrivons le long d'une zone industrielle, d'un côté des pavillons de banlieue, coquets, de l'autre une palissade en plastique armée, c'est-à-dire transparente et laissant voir des fils d'acier à l'intérieur. Elle entoure quelques arbres, une forêt clairsemée par l'hiver. Une forte odeur de brûlé s'infiltre dans la voiture mais son origine est invisible. Quelques tentes Décatlon sont posées sur la terre détrempée sous les arbres. Une file ininterrompue d'Africains, par groupe de deux ou trois, suivent la palissade. Ils rentrent au camp dont l'entrée est gardée. Ils sont bien couverts, ils n'ont pas l'air affamé. Mais il fait froid, il a plu, il y en a beaucoup, il y en a sans fin, je suis bouleversée. Qui sont-ils, que font-ils là, pourquoi sont-ils installés ainsi (comment sont-ils réellement installés), ne pourrait-on pas utiliser des bâtiments désaffectés comme des casernes? Je pense à
Ceux qui passent, je raconte à H. que tout dépend des préfets, il y a les salauds (les tentes trempées à la lance, les chaussures volées) et les humains… J'ai envie de pleurer, j'ai honte: nous regardons, nous passons. Nous ne faisons rien, nous ne ferons rien.
Nous traversons la ville, longeons la citadelle, nous rejoignons la route de la côte. Sangate. Il fait beau. Vent et soleil. Je découvre fascinée la côte de l'Angleterre, les falaises de Douvres. Je suis émue. Je n'avais pas conscience qu'elles étaient si proches, je pense aux
Trois Mousquetaires et à
Vingt ans après et bien sûr à Conrad et Stephen Crane. La côte est magnifique, verdoyante, ondulée. Je ne connaissais pas du tout cette côte d'Opale, la bien-nommée entre la mer verte et le gazon des dunes.
Café au "Bureau" devant l'église Saint Nicolas (belle déco anglaise) de Boulogne-sur-Mer; il fait nuit. Nous rejoignons l'autoroute et rentrons par une autoroute déserte dans la nuit noire.