Billets qui ont 'Balzac, Honoré (de)' comme nom propre.

Dernier jour

J'avais commencé ce billet pour bitcher : je n'ai jamais compris l'anti-pantacourt (police fashion) de certains amis, mais aujourd'hui j'ai découvert l'horreur: un bas de survêtement pantacourt, collant du genou au mollet (et donc vaguement bouffant au-dessus).
Le pantacourt je ne sais pas, mais ça non.

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Ce matin les plus jeunes chercheurs devaient produire un rapport d'étonnement. Comme ils ont beaucoup joué ensemble (pétanque, ping-pong), ils ont également travaillé ensemble sur leurs interventions de ce matin, interventions courtes, claires, complémentaires, une question chacun.

Je donne donc quelques notes pour conserver des anecdotes et des sources (des noms).

- Yuweh: la question de la vérité et du savoir n'a pas été posée (perspective philosophique).
Andrea: Il a vingt ans, j'aurais donné une réponse fictionaliste. La fiction construit sa propre vérité et ses propres lois.
Eric: Peut-être parler d'échec.
Aujourd'hui Frenhofer est un raté, à l'époque de Madeleine Ambrière, c'était un génie martyr. Les lectures ont changé et changeront encore.
A l'époque du Dictionnaire balzacien j'avais demandé à Madeleine Ambrière: fait-on une entrée «échec»?
Réponse de Madeleine: l'échec n'est pas balzacien, il y a toujours rebond.
Et donc nous avons fait une entrée «échec»: voir réussite.

- Tristan (thèse en génétique): La mise en ligne de l'œuvre va permettre de lire dans d'autres sens que l'édition Furne corrigée qui n'a même pas été publiée du vivant de Balzac.
Site suisse Variance.
Andréa: Pierre Barberis disait: il faut lire trois fois Balzac, une fois dans l'ordre Furne corrigée, une fois dans l'ordre chronologique des éditions et une fois dans l'ordre des brouillons.
L'importance du support: lire le même texte en feuilleton ou en livre ne donne pas la même lecture.

- Karolina: nous avons vu la prise en compte de la science par Balzac.
Quid de la prise en compte de Balzac par la science?
Réponse: en cours mais pas évident pour des problèmes de financement et de pouvoir.

Reprise d'Eric: de façon générale il faut évoquer le problème de l'anachronisme. Référence: François Hartog.
Homosexualité : mot inventé en 1869 en Allemagne. pour éviter l'anachronisme, dans le Dictionnaire Balzac, «homosexualité»: voir «troisième sexe», expression de l'époque.
«Psychologie»: faut-il renvoyer à «intériorité»?

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Les interventions terminent plus tristement en évoquant la difficulté des universités, de leur tendance à trop travailler en silo (un dix-neuviémiste ne peut pas travailler sur le XXe); D'un autre côté, remarque un autre, l'appel actuel à travailler en transdipliscinarité est due surtout aux manques de financement: l'université des humanités manque d'argent.

Conclusion d'Andréa: le colloque de 1980: réhabiliter Balzac contre la Nouvelle Critique (Barthes, etc). Militantisme pour défendre Balzac.
Le colloque de 2000: on était au-delà. Davantage multiple. On recommençait à faire de l'histoire. Encore de la socio-critique. Colloque très agréable, mais sans thèse.
2022 : beaucoup de défauts, mais réelle tentative d'interdisciplinarité en partant de ce qu'on connaît.

Christelle (déjà là en 2000): le côté éparpillé de 2000 était dû qu'il y avait énormément de jeunes balzaciens. J'espère que les jeunes d'aujourd'hui se sont également senti bien accueillis en 2022.

Claire (idem): bons souvenirs. Etonnant qu'il n'y a pas eu d'intervenant sur "Balzac et l'histoire".

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L'heure des adieux. Je déteste cela.
Des promesses de se revoir, de s'appeler: avec le temps j'ai appris à ne plus trop y croire, tout en laissant la porte ouverte. Après tout, quatorze ans que je vois quasi mensuellement Elisabeth rencontrée à Cerisy, sans compter les amis qu'elle m'a fait rencontrer. Tout est donc possible.

Retour par les chemins de traverse. Passage à Mortagne voir A. (excellent glacier). Rentrés tard dans la nuit, épuisés. Nous écoutons la biographie de Glenn Gould pour soutenir notre attention.

Décodons à pleins tubes

A rebours des prédictions pessimistes de la semaine dernière, le temps se maintient au beau. Ce matin, la brume en face du chateau donne un air de savane au bocage normand.

brume à Cerisy août 2022


Petit déjeuner avec un jeune doctorante qui nous raconte sa difficulté à vivre dans une chambre double aux Escures: difficile de ne jamais pouvoir réellement se détendre puisqu'on est toujours dans une interaction sociale, sans compter la pulsion de travailler la nuit qui se trouve empêchée. Il faut bien reconnaître qu'être ici en tant qu'auditeur est une fonction privilégiée.

Je retrouve H. tout heureux d'avoir rencontré une thésarde sur la modélisation géographique (je simplifie). Il y a davantage de mathématiciens ici que je ne l'aurais imaginé (d'où les livres achetés par H.).

Après le déjeuner je récupère mes livres et j'ai la joie incrédule de découvrir dans Secrets, complots, conspirations un article sur Frantômette.
Un oeil sur l'article me fait aussitôt penser qu'il va falloir les relire. Il y en aurait quatre-vingt-quinze (un tiers portant sur des associations secrètes), il me semble qu'il m'en manquait sept à la sortie du collège (mais il n'y en avait peut-être pas quatre-vingt quinze à l'époque).

Beaucoup de départs et d'arrivées aujourd'hui, est-ce parce que c'est le week-end? Il faut dire que venir ici est compliqué, un train ou avion d'Italie ou de Chine pour Paris puis l'un des rares trains jusqu'à Lison ou St-Lô, en début ou fin de journée, puis taxi ou bus. Mais justement, après un tel périple, autant rester longtemps plutôt que pour un saut de puce.

Quoi qu'il en soit, peut-être parce que les intervenants ayant déjà parlé sont plus détendus, ou grâce à la demi-journée de détente qui a permis de mieux se connaître, les échanges sont plus sereins et relèvent davantage de la conversation informée qui fait le charme de Cerisy.

L'après-midi, présentation du site ebalzac. L'ambition est extrêmement vaste. D'une part il s'agit de la numérisation de l'œuvre, ce qui a déjà été fait, mais celle-ci présente la photo Furne et Furne corrigée en vis-à-vis de la version numérisée (on nous signale des erreurs dans l'édition de la Pléiade); d'autre part le dessein est d'y adjoindre à la fois les références explicites de Balzac (les œuvres citées par Balzac) et les œuvres implicites, celles qui circulaient à son époque.
Les premières œuvres ainsi adjointes sont celles d'économistes car elles sont disponibles déjà numérisées ailleurs.
L'idée est d'essayer de retrouver les sources de Balzac, conscientes ou inconscientes. La volonté d'omniscience, de puissance (se faire Dieu, tour de Babel) me laisse songeuse. Reconstruire une époque, quelle difficulté, quelle impossibilité.

A l'occasion d'une recherche je trouve cette carte balzacienne.

L'intervention suivante se fait en visio-conférence à partir du Québec, belle évolution depuis Cerisy 2008.

Le soir, omelette norvégienne, anniversaire de Pierrette et ping-pong, tournantes et matchs en double. Je progresse. (J'ai gagné un match de double en équipe avec Andréa Del Lungo. Quelle émotion.)
Beaucoup d'étoiles quand nous sortons de la cave.

Des huîtres

Petit déjeuner avec une intervenante qui nous explique que si beaucoup de professeurs ne viennent que quelques jours, c'est qu'ils manquent de temps: ils profitent de l'été pour mener à bien des travaux plus personnels, le reste de l'année ils sont débordés par des charges administratives de plus en plus envahissantes1.

Ce que je remarque, c'est que beaucoup des présents passent du temps au téléphone, ce qui n'était pas possible en 2008 quand un filet d'ondes permettait d'avoir du réseau le soir vers 18 heures les jours de beau temps, à condition d'être chez Bouygues ou Orange.
Bizarrement, cette possibilité d'être davantage connecté n'aide pas les personnes à rester plus longtemps car elles n'oublient plus le reste du monde. Leurs obligations et contraintes les rattrapent («on vous sonne, vous obtempérez?!» constatait goguenard Tristan Bernard ou Alphonse Allais au début du téléphone Jean-Louis Forain quand Degas se fit installer le téléphone).

Les interventions de la matinée sont consacrées à l'économie (la politique économique) et la présence des chiffres. Certains dans la salle sont avides d'obtenir une équivalence en euros, ce qui me paraît étrange. Il me semble que l'important, c'est le fonctionnement interne du texte, que les chiffres ne sont que destinés à nous dire «il est pauvre», «elle est riche», «sa maîtresse lui coûte cher», «il est ruiné». D'ailleurs une personne dans la salle parle de proportionalité à l'intérieur des récits, ce qui me paraît très juste. Mais il est vrai que je serais preneuse d'une table de transcodification entre sous, francs, livres (dans Illusions perdues, par exemple). Je suppose que cela existe quelque part, mais j'aurais aussi vite fait de le faire moi-même.

L'après-midi est libre. Il n'y a pas eu de proposition de sortie ensemble pour un lieu ou un autre, et donc nous avons prévu à la demande de Christopher (américain à Rome) d'aller manger des huîtres au bord de la mer. Ce sera ce soir, car Lucie veut travailler à son intervention de samedi.

Sieste, promenade dans le parc (décharge électique contre les barbelés: je ne m'y attendais pas, pour moi c'était barbelés ou électricité, pas les deux). Quand nous revenons, de jeunes balzaciens jouent à la pétanque. C'est enfin ce qui doit être.
J'ai pris quelques photos, précieuses quand ils seront célèbres dans vingt ans2.

jeunes Balzaciens jouant à la pétanque à Cerisy


Je participe à ma manière en fournissant mon cordon de lunettes pour mesurer l'écart boule-cochonet.

Départ pour Hauteville. Miriam monte en décapotable avec H., je monte avec Christopher, Lucie, Eve, Cristiana et me taille un franc succès en diffusant Elle voulait revoir sa Normandie (j'aime faire connaître le vrai folklore français aux étrangers, ce qu'ils n'entendront pas en cours). Eve entame une conférence sur les textes problématiques de Sardou (Balavoine chanterait-il L'aziza aujourd'hui?), ce qui doit être particulièrement obscur pour les Américain et Italienne.

Terrasse face à la mer. Vent, coucher de soleil, huîtres, Pouilly-Fuissé. Bonheur.

huîtres à Hauteville

Il se trouve qu'Eve connaît (ou est connue de) Pierre Boyer. Evidemment, puisqu'ils ont les mêmes idées, mais elle sans la culpabilité puisque femme.
Elle ne désarme jamais et c'est ainsi qu'au moment du dessert elle s'exclame: «le sucré est féminin, les hommes mangent du fromage».
Voilà autre chose. Depuis, je me demande si mon grand-père mangeait des ou du gâteau. Question de classe, question sans réponse: il y avait du gâteau les jours de fête, on en mangeait pour célébrer la fête. Les autres jours, c'étaient des fruits. Les fruits sont-ils féminins?

Retour dans la nuit. Cette fois-ci c'est Eve qui monte dans la décapotable (mais elle ne connaît pas La Voie sacrée).

En arrivant au château, je m'aperçois que j'ai totalement oublié qu'il y avait une projection de La peau de chagrin de la BBC. J'en attrappe quelques minutes au vol: trop kitsch, trop Jane Austen (je veux dire les adaptations filmiques anglaises, si précises dans leur reconstitution qu'elles en deviennent jolies).



Note
1: j'ai découvert cette charge en lisant le blog de GC et je reste abasourdie de ce travail qui à mon sens devrait être confié au secrétariat des universités.

2: je me souviens d'un savoureux récit autour d'une photo de Heidegger dont le geste rappelle la pétanque.

La cloche disparue

Comme il y aura des actes de colloques et que Cerisy est payant je ne publie pas de notes. Je me spécialise donc dans l'anecdote.

Durant le petit déjeuner, Miriam raconte une tradition espagnole de la St Sylvestre: quelques minutes avant minuit, les cloches sonnent (pour se préparer), chacun à douze grains de raisin dans son assiette, et lors du compte à rebours, les douze secondes précédentes, on engouffre dans sa bouche un grain de raisin par seconde sans le mâcher, puis à minuit il faut tout avaler sans laisser s'échapper un seul grain de raisin, sous peine d'avoir de la malchance toute l'année.
Fin 2021, l'amie (non espagnole et inconsciente) chargée d'amener des grains en a apporté des énormes et Miriam en a laissé échapper cinq.
Aussitôt, nous comprenons pourquoi elle a eu des draps humides hier et qu'aujourd'hui il pleut.

Après le petit déjeuner et en attendant la première séance, je rejoins quelques intervenantes sur le pont-levis (qui n'a jamais été un pont-levis) devant la porte1. Elles étaient là lors du colloque précédent il y a vingt ans2 et racontent drôlement comment l'une de leurs amies avait caché la cloche du goûter (qui n'est pas celle du clocheton mais une jolie cloche à main) dans une potiche, quasi sans y penser. Cette blague innocente et quasi-inconsciente (la coupable m'a avoué «je l'avais fait sans y penser, la potiche était là, j'y avais mis la cloche, elle n'était pas vraiment cachée) avait provoqué une grande effervescence pour ne pas dire colère. (Je suis très fière de connaître la coupable de cette blague potache, dont le nom n'a jamais été dévoilé).

Première communication (dans la bibliothèque). Séance de questions-réponses. Les trois premiers à parler sont soit les organisateurs soit une ancienne organisatrice, tous contre la communication qui vient d'être donnée. Comme c'est très technique (jargon de la critique littéraire, catégories linguistiques et stylistiques, problèmes de définition), il est difficile pour moi de juger du bien-fondé des reproches adressés à l'intervenant3, mais je suis choquée par l'unanimité des trois voix. Le président de séance a tenté une défense après les deux premiers contradicteurs («A la décharge de xx, je voudrais dire que…») mais il s'est fait couper la parole par le troisième qui a accentué la charge. Puis est venue une remarque «il y a d'autres questions? Les derniers rangs n'interviennent pas beaucoup» et j'ai failli être sarcastique: que pourraient dire les amateurs (les derniers rangs) après de telles interventions?

A la pause, la révolte gronde parmi nous, les auditeurs libres sorties prendre l'air sur le pont-levis. Je m'informe du ressenti de mes compagnes, il est le même que le mien. Quand passe l'un des organisateurs, je mets les pieds dans le plat en m'étonnant de l'agressivité des remarques post-communication.
«— Ah bon, vous trouvez cela agressif? Je vous assure que ça ne l'est pas, ce ne sont que nos traditions universitaires.
— Mais justement, je pensais que Cerisy vous permettait (vous, universitaires) d'échapper à cela quelques jours.
(Une des auditrices utilise même les mots de «règlement de comptes»).

Je suis embarrassée lorsque l'organisateur introduit la prochaine communication en faisant part de notre discussion, mais j'ai malgré tout l'impression que les échanges suivants sont plus sereins.

Plus tard, la plus ancienne des auditrices (92 ans), qui vient ici chaque année depuis un demi-siècle au moins et était au collège avec une sœur d'Edith, se plaindra que les intervenants parlent trop vite et qu'elle ne comprend pas tout.
— C'est parce qu'ils lisent. Ils essaient de tout dire dans le temps imparti et c'est pour cela qu'ils parlent très vite.
— Mais pourquoi font-ils cela? Ils ne lisaient pas avant.
Je suis désolée pour elle, mais que dire? Il faudrait faire le deuil d'une partie de son travail, accepter de ne pas tout dire. Or les intervenants parlent devant leurs pairs, ils sont jugés, et pour certains, les plus jeunes, cela peut être décisif pour leur carrière future.

Pendant ce temps se poursuit le colloque Claude Cahun qui paraît encore plus houleux, dans la mesure où il aborde le thème du genre, confrontant de vieux (comprendre: historiques) surréalistes et féministes à une génération tendant vers le wokisme4.
A déjeuner, la jeune Espagnole, qui étudie à Venise et suit le colloque de Cahun, qui comprend le français mais parle en anglais, me confie son étonnement: «je ne comprends pas, les gens ne prennent pas la parole pour poser une question mais pour donner leur point de vue et faire une seconde conférence».
Elle me fait rire de bon cœur: «c'est vrai. Ce n'est pas comme ça en Italie? Je pensais que c'était toujours comme ça dans les colloques.
— Non. C'est impoli, n'est-ce pas?
— Oui, tout à fait. (traduction simultanée d'une conversation simplifiée par le bruit et le souci d'utiliser des mots simples dans une langue étrangère à nous deux).

Décidément, ces colloques donnent une furieuse envie d'une description à la manière de Balzac ou de David Lodge. (Le pastiche m'a toujours fascinée, mais je n'ai pas le courage d'essayer. Trop de travail (là aussi un trait décrit par Balzac: les gens avec des désirs mais qui ne travaillent pas pour les atteindre. Ce que dit également Proust. Peut-être que tous ceux qui travaillent beaucoup disent cela)).

Après le repas, traditionnelles photos (en noir et blanc) des colloques et «bibliothèque éphémère» qui permet de feuilleter les livres vendus à Cerisy… et de les commander. A ma grande surprise, H. en choisit trois, ce qui me permet d'en prendre autant en toute bonne conscience.

L'inconvénient de ces interludes (hier la visite, aujourd'hui la photo et la bibliothèque) est qu'elle raccourcit le temps pour les communications (d'environ quarante minutes chacune). Or il y en a trois, ce qui est inhabituel: la tradition est d'en faire deux, pour laisser davantage de temps pour les échanges. Sans doute aurait-il fallu prévoir huit ou dix jours et non pas six. Sans doute est-ce aussi l'une des raisons de la précipitation des communications.

Tout cela peut paraître très négatif, mais en réalité c'est très intéressant et amical. Nous nous sommes liés d'amitié avec un autre couple dans un configuration quasi identique à la nôtre (elle française intervient dans le colloque Cahun, lui américain l'accompagne et télétravaille). Ils vivent actuellement à Rome mais déménagent la semaine prochaine à Paris. Nous papotons également avec Miriam, espagnole à Venise, et Cristiana, italienne, toutes les deux au colloque Cahun, et Eve (Cahun aussi et à l'origine de débats houleux), française à Oxford. Il y a effectivement une proximité plus grande avec les Cahun: c'est que les Balzaciens sont intimidants et tendent à parler entre eux. C'est le cas pour tout colloque sur un grand écrivain, nous dit Edith, comme Proust ou Duras: les spécialistes du monde entier ont l'occasion de se rencontrer et en profitent. C'est légitime.

Mousse au chocolat.

Le soir, dans le grenier, lecture surréaliste par un acteur: dialogue imaginaire entre Birot (PAB) et Claude Cahun, reprenant des textes de l'un et de l'autre.
En apparté, l'acteur nous raconte que Giraudoux, arrivant devant l'affiche annonçant La Guerre de Troie, entra en colère. Le directeur du théâtre fit ajouter une bande en travers: «n'aura pas lieu».
Moralité, il n'y eut personne à la première ce soir là.

Puis quelques tours de tournantes au ping-pong à la cave avec une poignée de Balzaciens (les plus jeunes mais pas que).



Note
1: La fonction de ce pont a été théorisée par un anthropologue qui a photographié et analysé les groupes en circulation devant la porte: lieu de rencontre exemplaire, passage obligé, hauteur idéale du parapet pour se poser et poser ses fesses (je confirme), possibilité d'éviter certaines personnes ou au contraire prendre leur suite à l'appel des repas pour être assis proche ou loin d'elles.

2: Il y a eu deux précédents colloques Balzac, en 1980 et 2000. Celui-ci aurait dû se tenir en 2020 mais évidemment a été décalé par le confinement. Cela a mené l'un des organisateurs à commenter: «nous laissons aux suivants la difficile tâche de déterminer si le colloque suivant devra se tenir en 2040 ou 2042»).

3: Se souvenir: ne pas parler de Balzac et de psychologie sans citer Paul Bourget. Je ne sais plus de quel passage il s'agit. J'ai trouvé au moins cela sur google:
Balzac n'a pas écrit un seul roman à thèse. Son oeuvre tout entière n'est qu'un immense roman à idées. La différence est radicale. Le romancier à thèse est celui qui part d'une conviction à priori et qui organise sa fable en vu d'une démonstration ; le romancier à idées est celui qui part de l'observation, et qui par delà les faits dégage les causes. […] C'est dire que tout grand roman devient par définition un roman social. L'analyse psychologique est le procédé par excellence pour ce dégagement de vérités profondes. On ne saurait trop désirer que les romanciers contemporains pratiquent ainsi leur art. Ce dont la France actuelle a le plus besoin, c'est d'éducateurs de sa pensée, je n'ai pas dit de sermonneurs. La prédication n'a rien à voir avec la littérature d'imagination. Mais cette littérature […] a le droit, disons mieux, le devoir, de suggérer des hypothèses sur les faits humains qu'elle a enregistrés. Ces hypothèses elles-mêmes sont des suggestions pour le lecteur à qui elles apprennent à mieux se comprendre et à mieux comprendre son pays. Voilà notre service à nous.
«Note sur le roman français en 1921», Nouvelles pages de critique et de doctrine, Paris, Plon-Nourrit, 1922, p.130
4: Pour parler vite et simplifier: j'utilise le terme pour sa contemporanéité, sans en reprendre la connotation souvent négative en France, surtout chez les vieux birbes dont je tends à être.

Départ

Toutes les vacances le réveil a sonné à huit heures et demie. Notre vision de la grasse mat.

Départ prévu à deux heures. Croissants sur la terrasse. Arrosage des plantes en pot (il est prévu ici de fortes chaleurs la semaine prochaine). Rangement rapide de la maison (qui n'est désormais jamais vraiment en désordre, même si H me reproche de m'étaler). Fermeture de toutes les fenêtres (ça n'arrive jamais). Valises, je compte les jours sur mes doigts, six jours, sept robes, une que je sais que je ne mettrai pas car elle a de petites bretelles et il est prévu de la pluie, mais je ne la porte jamais, alors je l'emmène. Espoir et bêtise); un pantalon blanc pour demain (plus confortable en voiture, la peau sur le siège est désagréable); les sous-vêtements (leur couleur, leur texture, les bretelles amovibles pour être invisibles selon le tissu et la coupe de la robe (ces détails pour les messieurs qui se demanderaient comment une dame fait ses valises)); les chaussures (plates parce que c'est les vacances, mais malgré tout la paire dorée au cas où, et aussi parce que les robes plus courtes sont plus jolies avec un petit talon (non pas de basketts ou sneakers avec des robes. Ce refus catégorique est le signe le plus sûr de ma ringardise (je suis vintage d'esprit), je ne comprends pas qu'on en soit arrivé là, je me souviens du temps où l'on se moquait des basketts-costards des Américains, ça fait longtemps que c'est oublié, c'est un signe d'américanisation bien plus profond que le globish)); la trousse de toilette (le maquillage et le démaquillant sont lourds); des kleenex et des boules quiès; le pyjama, un gilet, j'ai fini. J'ajoute un livre, un seul (Balzac et son monde), je sais par expérience que je n'aurai pas le temps de lire. Et l'ordinateur et les chargeurs.

Je fais tout cela en écoutant la fin des Illusions perdues. Ce roman sur les éditeurs et les relations de la presse avec la politique me paraît tout à fait d'actualité, il suffit de lire ce billet de blog sur Paris-Match.

De son côté H prépare son matériel informatique: peut-il utiliser les deux ipads comme écran d'appoint (non); a-t-il téléchargé ce dont il aura besoin (car le débit sera faible à Cerisy); clavier, souris, chargeurs, fils divers. Cela représente un sac à côté de sa valise de fringues (pour être juste, reconnaissons que ce sac contient aussi un peignoir).

Je pensais avoir le temps de repasser: non. Repas tomates mozarella tartelette aux fraises, nous sommes prêts avec dix minutes d'avance. Dix minutes de retard après le chargement de la voiture (en évitant d'écraser un escargot à la coquille fêlée ce qui fait que je ne peux le déplacer).

Départ, petites routes dans la forêt vers Milly, Beauce vers Chartres, nous écoutons la tribune des critiques de disques, Schubert, toujours instructive (beaucoup aimé le Stabat Mater de Poulenc la semaine dernière).

Hôtel à Maintenon, celui de 2019 je pense (ou 2018?) Il m'avait laissé un très bon souvenir, il a survécu au confinement. Une demi-heure dans la piscine non chlorée, un quart d'heure au sauna.
Et excellent restaurant, une côte de veau d'anthologie.

J'ai oublié ma parka, j'espère qu'il pleuvra moins que prévu (hum).

Book d'oreilles

Ayant terminé (avalé) The boys, je me dis une fois de plus d'une part que les séries me mangent mon temps (donc ma vie) et que je devrais arrêter cette addiction, d'autre part qu'il va falloir recommencer à en chercher une qui vaille la peine (quête frustrante car offrant beaucoup de déceptions).

C'est à ce moment-là que je me suis dit qu'il faudrait revenir à Balzac. Le colloque est dans trois semaines et je n'ai lu qu'un tome et demie de pléiade. A la vérité je n'ai pas le courage de lire. Ça me fatigue les yeux, je ne tiens pas assise, j'ai les muscles qui chauffent. Je ne sais plus me détendre. Il faudrait ajuster mes lunettes.
J'ai donc fait une recherche sur les livres enregistrés et je suis tombée sur Book d'oreilles. (C'est nul mais ça me fait rire).

J'ai téléchargé Illusions perdues. Je l'ai lu il y a très longtemps, en 1986, en première année à Sciences-Po. Je me souviens qu'au fur à mesure que je lisais les descriptions de la morgue angoumoisine, je comprenais mieux ce qui m'était arrivé l'année précédente en hypokhâgne à Versailles: «tous avaient pour lui l’accablante politesse dont usent les gens comme il faut avec leurs inférieurs.»

Jour de pont

Nous sommes peu nombreux au bureau. J'ai amené des chocolats pour les présents, volontaires en ce jour de pont sans que j'ai eu à le demander.

Il faut se creuser la tête pour trouver des événéments à cette vie monotone qui tourne autour du boulot. J'ai fini Un début dans la vie. Ce serait un bon Balzac a étudier en classe si les élèves avaient le courage de lire.

Soir - Camembert rôti à la Dame du lac. C'est un ancien café devenu restaurant par la vertu du confinement. Il permet de manger un plat du jour très bien cuisiné à tous les repas, soirs et week-end inclus. En basse saison où les restaurants sont plus rares, c'est précieux. J'aime cette vie entre habitués d'un petit village.

Les jeudis de l'Oulipo se tiendront le mardi

Relayée par Dominique, la nouvelle était tombée il y a quelques temps déjà: les jeudis de l’Oulipo auraient lieu le mardi.

Quel plaisir de se retrouver pour la première fois depuis février 2020. Tout le monde est là, un peu plus blanc, en forme, je suis rassurée. La pizzeria est toujours ouverte, ouf, mais elle a dû changer de cuisinier — je ne mangerai sans doute plus de spaghettis cuits dans une meule de parmesan.
Nicolas a sorti un nouveau livre de poèmes sur les éléments, plus modeste, plus personnel que celui de février 2020. C’est un livre à compte d’auteur et il nous le distribue. Les contraintes de versification sont données à la fin du volume et les thèmes des poèmes sont expliqués ainsi: «Pour chaque élément, un mot ou une expression a ainsi été extrait de son étymologie (parfois incertaine, voire fantaisiste) pour inspirer le sujet du poème.»
Exemple : élément 59 praséodyme: jumeau couleur poireau

59. Destin

Deux poireaux s'aimaient d'amour tendre.
L'un d'eux, s'ennuyant dans son champ,
Voulut entreprendre un voyage.
Il pria l'autre de l'attendre
Et fit promesse d'être sage
Pour ne point finir en potage.
Après un adieu fort touchant,
L'aventurier prit son bagage
Et s'en alla de bon matin.
Hélas! Bien avant le couchant
Il fut trouvé très alléchant
Et termina dans un gratin.

Nicolas Graner, De tout un peu
Je parle à M. de mon projet de suivre le colloque sur Balzac en août prochain à Cerisy.
— J’ai commencé un marathon Balzac, la lecture de tous les Pléiade.
— Ah oui, tu révises. (Il a un sourire amusé.) Ce qu’il y a de bien, moi, c’est que même si je révise, je ne me souviens plus de rien.
J’ai le cœur serré. Je sais de quoi il parle: vieillir, et il est trop fin pour être consolé par quelques mots creux et convenus. Je me tais.

J’évoque avec GEF mon désir d’un colloque à Cerisy avec d’Hofstadter. Il s’exclame les yeux ronds: «Mais c’est beaucoup de travail!»
Certes : il faut trouver le sujet, trouver les intervenants. Il faut avouer que je me défausse sur lui, mais d’un autre côté, moi, je ne connais pas Hofstadter.

Pour ou contre la Pléiade?
— Je déteste ce papier.
— Ah, tu pousses ton anticléricalisme jusque là?
— Tu n’aimes pas la Pléiade parce que tu as de la place. Tu en comprendrais l’intérêt si tu avais un tout petit appartement.
— J’ai un petit appartement et je croule sous les livres.

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Le lundi et le mardi, la ligne 14 s’arrête à 22 heures. Je quitte donc le restaurant dès 21h30 car je ne veux pas prendre risque.
Par ailleurs, j’avais en tête que pour cause de travaux, à partir de 23 heures les trains s'arrêtaient à Melun et qu'il fallait continuer en car jusqu'à Moret. Pour éviter cela il fallait attrapper au plus tard le train de 22h46.
J'arrive à la gare à dix heures moins dix. Je découvre ô joie qu'il existe un train de 22h16 dont je n'avais pas connaissance.
Et heureusement, car il ne fallait pas comprendre «les trains partant de la gare de Lyon à partir de 23 heures auront pour terminus Melun», mais «aucun train ne quittera Melun à partir de 23 heures», c'est-à-dire que le train de 22h46 m'aurait entraînée dans la galère du car et du trajet interminable.

Cependant, pour compenser ce coup de bonheur, le train de 22h16 est mis à quai à 22h12 et ne démarre qu'une demi-heure plus tard, ce qui fait que je commence à m'inquiéter de notre heure d'arrivée à Melun: allons-nous finalement prendre le car? Je pose la question sur Twitter à @ligneR, et miracle, on me répond que non (double miracle: qu'on me réponde, et que le train aille jusqu'à Moret).

Législation sociale et sacrement du mariage

Aucun rapport entre les deux, si ce n'est que ce sont les deux extrémités de ma journée.

Matinée dans un cabinet d'avocat à écouter de la jurisprudence sociale et des statistiques socio-médicales. Je n'ai pas le courage ni à vrai dire la mémoire de vous en faire la relation sans mes notes. Retenons deux choses:
- la "loi travail" qui a provoqué tant d'agitations ne va changer grand chose, si ce n'est compliquer quelques mécanismes qui fonctionnaient sans cela (et le bouleversement de la hiérarchie des normes est une vieille lune: il en est ainsi depuis les lois Auroux de 1981 (rédigées par Martine Aubry));
-il existe pour l'instant deux niveaux de remboursement des médecins selon qu'ils ont signé un contrat d'accès aux soins (CAS) ou pas, demain, il y en aura quatre (selon les spécialistes, le CAS étant remplacé par l'OPTAM).
Si vous n'y comprenez (comprendrez) rien, c'est normal. Ce n'est pas fait pour : c'est "bienveillant", comme dirait H. (c'est réellement pensé pour améliorer la rémunération des praticiens en fonction de la complexité des consultations, pour diminuer les dépassements et protéger les patients), mais les montages sont compliqués car ils tiennent compte de trop de paramètres.

Remarque d'un juriste qui m'a fait rire : «Pour réformer le droit du travail, il faudrait commencer par ne rien changer, pour ne pas mettre tout le monde dans la rue. Ensuite, on stabilobosserait un certain nombre de lignes qui deviendraient des dispositions de droit commun (selon qu'on est de droite ou de gauche on en stabilobosserait plus ou moins). Tout ce qui ne serait pas stabilobossé pourrait être modifié.»

Sacrement du mariage le soir. Héritages multiples de St Augustin (le mariage pour protéger du péché originel contenu dans l'acte de procréer et dans la procréation elle-même) et des canonistes (le mariage, contrat né du consentement des parties (pas forcément les époux…)), récupérés par les théologiens qui ont sacralisé ce contrat tout en mettant en valeur l'analogie union Christ-Eglise, union homme-femme (Ephésiens 5, mais ce n'était pas ce que visait saint Paul).
Quelques questions de fond, aucune théorie unifiée et des divergences entre les théologiens. Un cours tragi-comique: amusant par son contenu, désolant quand on songe aux conséquences existentielles de ces définitions dogmatiques.

Anecdote : à 38 ans, La Pérouse qui avait déjà mené plusieurs campagne militaire n'a pas pu épouser celle qu'il voulait car son père refusait son consentement. La Pérouse a dû passer par l'acte juridique de l'émancipation.
(voir le récit de Balzac La Vendetta et l'introduction en Pléiade).

Panama Papers

J'ai l'impression que les Panama Papers font davantage rire les Français (source de plaisanteries, de dessins, reprenant cette remarque de Balzac que je ne me lasse pas de citer: «En France, tout est du domaine de la plaisanterie, elle y est la reine : on plaisante sur l’échafaud, à la Bérézina, aux barricades, et quelque Français plaisantera sans doute aux grandes assises du Jugement dernier.») qu'ils ne les scandalisent (ce qui n'est pas pour me déplaire, d'ailleurs. Je préfère cela aux bougonneries perpétuelles).

Peut-être n'est-ce que moi qui suis fataliste et désabusée depuis que j'ai appris qu'en 1932, la révélation de comptes cachés en Suisse a permis, non pas la condamnation des fraudeurs, mais la chute du gouvernement. (J'en ai déjà parlé, je pense, car cela m'a accablée: à quoi bon les déclarations de principe, les puissants ne sont mis en cause que par les révolutions (et c'est alors dans le sang. Or je ne souhaite pas de sang, et la révolution me fait peur. Comme dirait H., quoi qu'il arrive, nous serons du mauvais côté: pour la gauche (la vraie) nous serons riches, pour la droite, nous serons intellos.


PS: 11 avril. J'ajoute ces pastiches à la Panamanière. Voir aussi chez Elisabeth et Guillaume.

Bonnes résolutions

- ne jamais commenter de cinéma sur FB
- FB toujours : ne jamais commenter un article sans l'avoir lu intégralement
Toute personne lisant ces lignes est encouragée à me rappeler ces résolutions sur FB si j'y faillis.

- lire les Evangiles en allemand
- lire Ricœur (commencer à)
- lire Balzac (commencer à)

Le besoin et l'utile

Petit déjeuner :
— Je songe à t'inscrire à un cours de vingt heures sur un roman de Balzac, nous irions ensemble.
— Bof… si tu penses que j'en ai besoin…
— Besoin, besoin… Tu n'avais pas besoin d'aller à Florence, et cela ne servait à rien. Mais est-ce que c'était inutile ?


Mais ce soir je suis découragée. J'irai seule, c'est inutile, il a raison, cela lui est tellement indifférent, il ne comprend tellement pas de quoi je parle.


Agenda :
Bonne sortie en skiff, un peu tremblante. Ralentir la fin des retours.
60 k€ pour transformer une extraction en fichier xml… Je suis en rage.
Pensées pour Jean à Nantes.

Le lendemain

Et donc le lendemain, je suis malade.

Journée à lire Une place à prendre, de Rowling. C'est un hasard: à l'origine je l'avais emprunté au cas où cela intéresse quelqu'un à la maison (réponse: non, il est resté deux semaines sur le meuble de l'entrée), lundi midi la bibliothèque du CE était fermée, et comme souvent, je me suis mise à le lire machinalement pendant que je l'avais à la main.

Je le finis dans la journée. C'est mauvais. Cela pourrait être un mélange de Robert Cormier (les adolescents) et d'Anne Fine (les pires sentiments qui sont en nous), mais sans atteindre l'excellence de ces deux auteurs dans leurs domaines respectifs. Trop de descriptions, trop d'explications, trop de méchanceté. Je me suis demandé si Balzac pouvait donner cette impression à ces contemporains, comment s'en rendre compte? Je ne crois pas, mais serions-nous aveuglés par l'étrangeté des mondes où nous pénétrons, les salons, les intérieurs bourgeois, les femmes de chambre, quels seraient les personnages de Balzac aujourd'hui? Plus ou moins ceux de Rowling, mais qu'en ferait-il?

"Pourquoi c'est bon?" (Par quoi est-ce bon?) restera la grande interrogation de ma vie. D'où vient cette intuition quasi immédiate?

Engouement pour La Rabouilleuse

Deux matins de suite dans le RER A : le 12 février en Pléiade, le 13 en folio chiffonné.


        

Promenade en Touraine

Passage par Moncontour que Balzac rêvait d'acheter, visite de Saché dans un village merveilleusement à l'écart, silencieux (un état de tranquillité qui me rappelle Cirey). De Blois à Tours les villages changent, la brique solognote disparaît au profit de la pierre blanche de Touraine. Je crois que je préfère ma Sologne moins solennelle. Saché quant à lui (ou à elle? château ou maison?) est tout à fait mon genre. La sérénité gagne même les enfants qui s'installent sur les sièges mis à disposition dans la tour comme s'ils devaient y vivre le restant de leurs jours.

Détour (vite, vite) pour apercevoir la château d'Azay-le-Rideau: surprise, tandis que sur les cartes postales il apparaît toujours sur un fond de nature, il est si bien serti dans la ville qu'on ne l'aperçoit qu'avec peine.

Passage dans les nouveaux locaux de H. Son immeuble s'appelle Amelia Earhart, j'en suis enchantée. J'avais beaucoup résisté à l'achat d'un tee-shirt au musée de l'air et de l'espace à Washington, voilà qui me fait regretter de ne pas avoir cédé.

Marais

A midi passée chercher mon billet pour Ginzburg au musée du judaïsme. Prétendre que lorsqu'on hésite à acheter un livre il faut l'acheter est criminel. Flâner à la fois vite (peu de temps, pause déjeuner) et longtemps dans la librairie, avec toujours les larmes qui montent dans l'accumulation de ce genre de livres. Pensées incorrectes, est-ce que tous les salariés sont juifs, le musée respecte-t-il les obligations légales de diversité? (Je deviens bizarre, c'est qu'on doit beaucoup m'embêter.)

Comme Emmanuel Régniez avait attiré mon attention sur les 70 ans de la mort de Walter Benjamin, comme j'avais relu le matin même mes quelques mots sur la correspondance Strauss/Scholem, je vérifiai les livres de Gershom Scholem. J'ai acheté tout ce qu'ils avaient, je crois.

  • Gershom Scholem, Fidélité et utopie (je suis contente, je crois qu'il est épuisé);
  • Gershom Scholem, Sur Jonas, la lamentation et le judaïsme (Jonas, celui qui reproche au Seigneur d'être trop indulgent);
  • Gershom Scholem, La kabbale (inévitable);
  • Gershom Scholem, Benjamin et son ange (quand même);
  • Gershom Scholem, Walter Benjamin, histoire d'une amitié (l'amitié entre les grands hommes me fascine, me console, me réconforte);

et un livre que j'avais en son temps hésité à acheter en grand format. Je l'ai pris en poche:

  • Avraham b. Yehoshua, Le Responsable des Ressources humaines. (J'ai commencé par celui-là, bien sûr, abandonnant Frédéric II pour quelques heures.)

Tourné un peu en songeant à ma tentation de tenter d'apprendre l'hébreu, [en songeant] qu'il faudrait qu'un jour je raconte "mon histoire juive", [en songeant] que je semblais condamnée à (ou incapable de ne pas) retourner sur mes traces pour explorer chaque chemin abandonné trop tôt, [condamnée à] tous les reprendre pour vérifier que c'est avec raison qu'ils avaient été abandonnés. Chemin après chemin, il n'en reste plus beaucoup, je crois. Va venir le moment où il faudra avancer sans se retourner, où il n'y aura plus rien sur quoi se retourner, tous les souvenirs présents, vivants.



Le soir, bibliothèque historique de la Ville de Paris. Daniel Ferrer et Jean-Jacques Labia, l'incroyable projet de Balzac et Stendhal, réécrire La Chartreuse de Parme à quatre mains. Comme d'habitude j'ai davantage appris en une heure qu'en vingt ans. C'est très étrange, la façon dont le creusement du détail permet de peindre des panoramas entiers. A regarder une seule ligne d'écriture, des pans tombent, Balzac était bibliophile, Stendhal non, qui pouvait prendre des notes sur un livre ou y rédiger un contrat. Détail sans intérêt littéraire, mais détail qui donnera un relief à certaines réactions des personnages. Cela minuscule détail parmi une foule de précisions plus directement dans le sujet, la bataille de Waterloo et celle de Wagram, «Waterloo fut la Berezina de Balzac», ses Scènes de la vie militaire restées au stade éternel de projet; reproches et compliments, compliments qui sont des reproches et inversement, qu'est-ce que le style... Mais enfin il semble qu'ils s'aimaient bien.

Que j'aime cette bibliothèque. C'est drôle de se dire qu'au même moment dans Paris doivent se tenir des dizaines de conférences identiques, professeurs invités par des associations des amis de Trucmuche, tout cela gratuit, gratuit, qu'ai-je fait de ma jeunesse, ils me font rire ceux qui regrettent leurs nuits blanches et leurs beuveries, s'ils savaient ce que je regrette, ils seraient horrifiés.



J'ai sommeil. Ménage dans la dropbox, mails, j'ai sommeil, je finis mon thé, le linge est étendu. Je ne vais même pas avoir le courage de lire.

La tombe de Balzac

Apparemment la concession arrive à son terme.





«Concession en reprise administrative, s'adresser à la conservation.»
Mais s'y adresser pour quoi? Pour la reprendre, pour racheter la place?

Musée Balzac

«Balzac était très bavard. Les jours où il devait y avoir beaucoup de travail à l'étude, Maître Guillonet-Merville lui disait: "Demain il y aura du travail, restez chez vous"».


Sur le mur de la maison de Balzac, rue Berton à Passy.


Le contrat de mariage

Je lis Balzac.

Il y a quelques temps, Paul est arrivé déconfit à l'un de nos déjeuners hebdomadaires. Tout autant attentif à ne pas laisser trop de papiers à trier à ses héritiers que désireux de s'occuper, il range ses armoires, jette, classe, étiquette ses archives, me demande conseil sur ce qu'il faut garder («Gardez tout ce qui vous fait plaisir! — Mais qu'en feront-ils après moi? — Laissez-les juges, vous ne savez pas ce qui intéressera vos petits-enfants. Au pire ils jetteront, pourquoi jeter maintenant ce que vous avez envie de garder?»).

Il venait de retrouver la correspondance échangée entre ses grands-pères, le père de sa mère et le père de son père, à l'époque des fiançailles de ses parents. Et lui qui adule sa mère dont le souvenir est encore grandi par l'absence tentait de dissimuler par un sourire l'humiliation filiale qu'il avait ressenti à la lecture de ces lettres: «Cela ressemble un peu à un marché entre maquignons.»

Il y a des lectures qu'on devrait éviter aux fils, même ou surtout s'ils ont 87 ans.
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