Alice du fromage

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Billets qui ont 'Laforgue, Jules' comme nom propre.

jeudi 16 mai 2024

Albums

J'essaie de travailler sur mon ordi, rattrapper du retard. En théorie, il y aurait trois sujets principaux: ce blog, un certain nombre de comptes à pointer (car je suis trésorière d'une association, vérificateur des comptes d'une autre et membre de la commission Finances de la FFVP) et le rangement du dernier étage, «mon» étage, condition sine qua non pour qu'H. mette en place le simulateur de vol qu'il m'a offert à Noël (c'est une question d'accès à l'écran télé).

Cependant, dans l'après-midi je suis dérangée à plusieurs reprises par H. qui doit sélectionner des photos de son père pour sa nièce (ou petite-fille, si vous suivez) qui a proposé de faire un diaporama. Je finis par rester à ses côtés.
H. a récupéré toutes les photos scannées par son père et il les regarde une à une. Elles sont en vrac, sans nom, et nous passons une partie de l'après-midi et de la soirée à les regarder, à nous émerveiller et à tenter d'identifier les individus sur les photos les plus anciennes. Le plus étonnant pour moi, c'est que certaines photos anciennes ressemblent aux propres photos de ma famille au point d'en être indiscernables. «Nous sommes du même milieu social», commente H.

Comme son père était souvent le photographe, il n'y a pas tant d'images de lui mais elles sont équilibrées entre sa famille et sa belle-famille puis H. et son frère — et les petits-enfants. (Je suis toujours obnubilée par les problématiques de jalousie, même si rien n'indique que la famille d'H. soit concernée par cette maladie.)

Je mets en ligne l'une de mes préférées, même si elle ne représente rien pour moi puisque je ne les ai jamais connus ainsi (fin des années 60, je pense).

Raymond et Rosa


Le titre du billet fait référence à ces quelques lignes de Laforgue:
Dans un album,
Mourait fossile
Un géranium
Cueilli aux Îles.


Quant à moi, je veux bien qu'on cite à mon enterrement:
Les morts
C’est discret,
Ça dort
Trop au frais.

J'ai aimé Laforgue dès la première minute. Dans la liste des choses à faire avant de mourir, il y a l'Uruguay et Montevideo et l'incompréhensible trilogie du XIXe: Laforgue, Lautréamont, Supervielle.

vendredi 4 août 2006

Résister en poésie

Madame Squ*n*bol, ma professeur de français de première, était très maigre. Elle devait avoir une quarantaine d'années, était toujours entre deux dépressions causées par la trop grande désinvolture de ses élèves envers la littérature. Elle s'habillait de couleurs vives, de vêtements "chics", et ma mère ne manquait jamais, lorsque nous nous promenions en ville, de me faire remarquer lorsque nous passions devant certaine boutique : «C'est ici que s'habille Madame Squ*n*bol».

Son livre préféré était L'Oiseau bariolé, de Jerzy Kosinski, et j'ai pensé à elle lorsque j'ai appris le suicide de Kosinski un jour de mai, bien plus tard.

Je lui dois en particulier la découverte de Jules Laforgue.

Elle reste avant tout pour moi l'adolescente de quinze ans qui a eu l'idée, pour protester contre la nourriture infecte du réfectoire, de se lever au milieu d'un repas et de réciter Une charogne.
Elle a été renvoyée trois jours.
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses.
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !

Charles Baudelaire
Les billets et commentaires du blog Alice du fromage sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.