Alice du fromage

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Billets qui ont 'Pennsylvanie' comme autre lieu.

mercredi 22 août 2012

De Philadelphie à Long Island

Comme chaque fois que nous n'avons rien de particulier de prévu, l'heure de réveil est naturelle: entre neuf et dix heures, et comme j'ai plutôt mal dormi (le thé? l'idée du boulot qui me travaille depuis plusieurs jours?), j'en fais autant plutôt que reprendre mon blog.

Petit déjeuner à deux pas, à recommander chaudement par opposition au Denny's sur le même parking. Nous prenons la route en direction de Trenton (il n'y a rien à Trenton, a dit Jack, mais ce lieu était cité par le film sur la guerre d'Indépence à Mont Vernon. Nous avons abandonné la 95, nous suivons à peu près le Delaware, plus ou moins (je me souviens du nom de Bristol). Les maisons sont opulentes.

Nous traversons le Delaware dans un sens pour atteindre Trenton.
Nous traversons le Delaware dans l'autre sens. Bouchon. Tout s'explique quand nous avançons: le pont est extrêmement étroit et la circulation est alternée. La chaussée est constituée d'une sorte de treillis, j'imagine les ponts militaires ainsi (c'en est peut-être un), je suppose que le treillage évite que l'eau stagne et le pont gèle.
Nous dépassons la voiture clignotante qui bloque la voie de gauche pour apercevoir un noir en train de peindre la rambarde au rouleau. Un autre lui fait la conversation (c'est très utile quand on travaille, ça donne du cœur à l'ouvrage), trois autres les regardent (en rang d'oignon) et deux se chargent de la circulation. Cool.

Rive droite du Delaware. Et comme nous l'avait dit Jack, c'est vraiment très joli, entre le fleuve, les maisons aux (très) vastes pelouses tondues et les sous-bois.



Nous retraversons (aller-retour) le Delaware à "Crossing Washington", pour le plaisir de la reconstitution historique («Allez, imaginez-vous en hiver en train de traverser de nuit sur des barques parmi les glaçons»), sur le même type de pont très étroit et comme je franchis la ligne jaune un quart de seconde devant la voiture qui arrive en face à trente mètres (nous roulons à quinze miles à l'heure pour ceux qui veulent faire des calculs), son conducteur me regarde d'un air furieux et affolé. Je crois que des voies si étroites les paniquent totalement.

Nous arrivons à New Hope et nous ne comprenons pas: au milieu de nulle part, cette ville (ce village) aligne les boutiques "hippies", longues robes et artisanat pour touristes. Nous traversons le Delaware pour voir Lambertville (beaucoup plus pincée, j'échaffaude l'hypothèse que les gens habitent ici et travaillent en face), retraversons pour reprendre notre route, nous trompons entre deux routes de campagne («Euh, vers le sud-ouest, c'est pas bon» (la voiture comporte une boussole sur le tableau de bord. C'est très pratique: «Et là, je vais à droite ou à gauche? — Plutôt au nord, je pense»), faisons un large détour parmi les champs de maïs genre La mort aux trousses, reprenons notre chemin.
Désormais nous croisons des hôtels et des pontons à kayacks, nous sommes arrivés dans une région destinée aux vacances et sport d'eau (la Pennsylvanie que nous avons vue: ski dans les Appalaches, kayack sur le Delaware. Aucune idée de ce qu'il y a entre les deux.)

Arrêt à Frenchtown (pas tout à fait par hasard), il est quatre heures, nous mangeons dans une pizzeria. Je suis frigorifiée par mon iced tea, je sors avant les autres, me promène un peu. Le soleil est déjà bas, il fait doux, un magasin s'appelle "Rive gauche", j'hésite à acheter un parapluie représentant la Tour Eiffel (mais les valises vont être suffisamment problématiques sans cela), "the Yellow Dog" vend des accessoires pour chiens, des cafés sont fermés, ça sent l'automne et la fin des vacances, il y a fête au village le deux septembre, avec concours de costumes pour animaux de compagnie.

Traversée définitive du Delaware. Plus de forêt. Champs, maisons, magasins, la circulation s'intensifie. Nous devons rendre la voiture demain à midi, nous décidons de dormir dans Long Island: même s'il y a des bouchons, il n'y aura pas de pont à traverser.
Sept heures moins dix. Bouchons ou quasi bouchons. Verrazano bridge. Magnifique vue sur Manhattan. Magnifique vue sur la mer.



Long Island.
Arrêt à Canarsie Pier. Les toilettes les plus sales du voyage, mais des pêcheurs le long des balustrades, des cerfs-volants contre le ciel et des avions qui semblent devoir les toucher. Carillon entêtant, sans doute une baraque à frites, de celui qui accompagne les meurtres dans les films d'Hitchcock.

Motel et MacDo, après quelques péripéties. Daredevil à la télé, avec toujours les pubs exaspérantes.

mardi 21 août 2012

Philadelphie

Matin : musée de Philadelphie. Petit déjeuner dans une rue proche, dans une toute petite échoppe chinoise ou japonaise qui nous enchante après l'expérience désastreuse d'hier soir.

Exposition Arcadia, qui aurait pu s'intituler "Les Baigneuses". Tout cela manque un peu de couleurs vives à mon goût, mon préféré est Franz Marc.
Nous nous séparons, rendez-vous à une heure et demie dans le hall. Art moderne, art contemporain (de grands Towmbly illustrant L'Illiade). J'erre dans les collection de mobilier anglais, je découvre Romney, ailleurs Eakins, et un Goya, des Manets marins, un très beau Renoir (dans la réalité, elle paraît bleue, j'aurais juré que sa robe était bleue. Ce doit être les rideaux). Je m'y perds, entre un Picasso qui ressemble à Toulouse-Lautrec, un Van Gogh qui ressemble à un impressionniste, un Toulouse-Lautrec presque classique.

Cafétéria, hors de prix; boutique de souvenirs pour la deuxième fois (la première, c'était après Arcadia). Errance, perte de temps ou détente à regarder les gadgets et admirer l'inventivité des marketteurs (nous achetons des piques pour tenir les épis de maïs, ustensile découvert chez Ruth).

L'objectif suivant était les manuscrits de la Mer morte exposés à l'institut de Benjamin Franklin, mais nous abandonnons devant le prix de l'entrée (37 dollars). Nous errons encore plus longtemps dans la boutique aux souvenirs, il y a vraiment beaucoup de gadjets, des T-shirts rébus (œil, cœur, pomme, pi), etc.

Quartier de la signature de la déclaration d'Indépendance. Je suis impressionnée par une cloche offerte par la Grande-Bretagne à la ville en 1976 pour le bicentenaire de cette déclaration (j'imaginais les Anglais plus rancuniers).

Se garer demande de décrypter des panneaux qui annoncent à peu près (en abréviations): autorisés deux heures entre huit heures du matin et six heures du soir du lundi au vendredi, trois heures entre vingt heures et une heure du matin le vendredi soir, quatre heures le samedi et le dimanche avant sept heures du soir. Bref, la logique semble d'être de permettre aux habitants de se garer quand ils rentrent chez eux, mais nous avons un peu de mal à déchiffrer et démêler les abréviations («On est quel jour?» «Il est quelle heure?») en quinze secondes en passant.

Nous allons jusqu'au bout de Chesnut street. Un parc avant le pont raconte l'histoire de la famine en Irlande.
Pot en terrasse pour attendre l'heure d'aller rejoindre Jack. Il me reconnaîtra et viendra s'assoir avec nous dix minutes avant notre rendez-vous.
Resto chinois avec une carte qui évalue les plats épicés par une note de 1 à 10.

Retour bizarroïde ce soir encore, à la recherche d'une station service (et la première trouvée est fermée). Nous finirons par interroger des fumeurs devant un pub («Mais non, tous les buveurs de bière ne sont pas méchants»), instructions précises après quelques secondes de réflexion, sans eux nous ne l'aurions jamais trouvée. (Je pense que nous avions de quoi rentrer, mais à condition de trouver notre chemin sans hésitation, ce qui était loin d'être assuré (nous utilisons un iPhone qui ne fait pas toujours la différence entre les routes et les tunnels.))
Un bonheur n'arrivant jamais seul, l'arrêt à la station nous permet de localiser une entrée sur la 95 (on pourrait imaginer également que ce n'est pas par hasard que la station service se trouve là, mais bon).

lundi 20 août 2012

De Baltimore à Philadelphie

Première réveillée, je tape sur mon blog le plus longtemps possible. Comme tout le monde se plaint d'être fatigués, je laisse dormir. De toute façon, de moins en moins de choses sont prévues pour la fin du voyage, deux visites à Poe à Baltimore et Philadelphie, et finalement une rencontre avec un vieil "ami" Facebook, de l'époque où Gunther intervenait beaucoup, je pense (aujourd'hui, je n'accepte plus beaucoup d'amis totalement inconnus). Il restera un Australien et Red Shuttleworth à rencontrer.

Hier soir, nous avons donc dépassés Baltimore d'une dizaine de miles. J'insiste pour faire demi-tour et aller sur la tombe de Poe.
La highway est mauvaise, les voitures en mauvais état, tout est miteux et pauvre. Les maisons sont basses, d'un seul étage, mitoyennes, à l'anglaise ou comme dans les corons. Pas de végétation. Nous passons dans un quartier grec (panneau indicateur à l'appui), approchons de la ville.

«This year thousands of men will die from stubbornness.» J'aime bien cette pub sur le bord de la route rencontrée pour la première fois en quittant les chutes du Niagara (c'est en fait le nom de la ville, Niagara Falls).

Parking. Galerie marchande. La première enseigne que nous voyons est un Cheesecake factory:
— Regarde, comme dans Big Bang Theory!
— Quoi? De quoi tu parles?
— Mais si, tu sais bien, c'est l'endroit où travaille Penny.

Et comme il est onze heures et demie, nous déjeunons dans un Cheesecake factory sur le port. En face de nous se trouvent des pédalos, dont de merveilleux pédalos en forme de dragons. Nous déjeunons (très bien) en décidant qui feraient du dragon (quatre places) et qui pédaleraient (deux des quatres places).





Hélas, tous nos plans minutieusement élaborés tomberont à l'eau (ou plutôt pas) car la passerelle d'accès nous sera fermée au nez: le bateau à moteur (celui qui justement aurait dû nous récupérer si nous tombions à l'eau) est en panne. Déception.

Dans notre dos, l'immeuble de The Examiner: — Ah tiens, c'est le journal de la fin du Diable s'habille en Prada.

Nous partons pour la tombe de Poe, guidé par l'iPhone.
— Le cimetière devrait être ici.
Je suis arrêtée à un feu rouge. Hôpital en diagonal à gauche, hauts immeubles massifs (nous sommes en plein centre ville), briques rouges à droite, briques rouges à gauche.
— Mais si regarde, c'est une église, le cimetière est autour!

C'est minuscule, en plein cœur de la ville, exactement l'inverse du cimetière découvert hier soir dans mes phares. Cette situation a elle seule valait le détour. La tombe se situe tout de suite à l'entrée, sorte de monument plutôt vilain. Poe la partage avec sa femme Virginia et sa tante qui l'avait accueilli quand il s'était fait renvoyé de West Point. Mais en avançant dans le minuscule cimetière envahi de lierre (très joli contre la brique rouge), nous découvrons tout au fond la première tombe de Poe, à côté de celle de son grand-père. Celle de l'entrée a sans doute été érigée quand Poe est devenu connu.

Etape suivante, la maison de Poe, ou plutôt celle de sa tante. Maintenant je veux la voir, je veux voir sa situation même si selon internet elle sera fermée (mais après tout, nous ne sommes pas "à l'abri d'un coup de chance"). Ce qui m'intrigue (ou plutôt ce qui me laisse présager de ce que nous allons voir) ce sont les dernières lignes du site donnant des indications de lieu: «Note: Use caution when parking in an urban environment. Common sense dictates that you lock your car and keep any valuables out of sight» (Soyez prudents quand vous vous garez en environnement urbain. Le bon sens recommande de fermer sa voiture et de ne pas laisser d'objets de valeur en vue): c'est évidemment toujours vrai, mais habituellement on ne l'écrit pas.

Effectivement, en s'éloignant de la tombe, nous quittons très vite les hauts buildings administratifs. Maisons basses mitoyennes comme elles sont de règle ici, quartier noir, pauvreté (mais pas de tags ou de vitres cassées, ce n'est ni sale ni délabré; c'est pelé sous la chaleur, personne ou presque dans la rue, pas de végétation sauf de l'herbe trop haute dans les arrières-cours, cela donne un sentiment de solitude, d'éloignement, comme si l'on avait glissé dans une autre réalité. A quoi tient une impression d'opulence? A quelques coup de pinceau, des rideaux aux fenêtres, un air pimpant dont je n'arrive pas à déterminer la cause.)

La maison est à un angle de rues, face à un terrain vague. C'était donc la maison de la tante de Poe, minuscule si l'on compte qu'au moins quatre personnes y vivaient (la tante, sa fille et sa mère, Poe). Personne dans les rues, des voisins bruyants se disputent dans une maison mitoyenne, porte ouverte (il fait très chaud). Briques rouges.
Fermée.

Nous partons pour Philadelphie.
Pour une fois nous arrivons tôt, nous prenons un motel à quatre heures de l'après-midi à Essington, près de l'aéroport. (Deux jours: nous n'aurons pas à faire et défaire les valises demain matin, cela repose). A. et O. préfèrent rester ici, nous partons faire un tour à Philadelphie avec Déborah.

Surprise, Love de Robert Indiana au détour d'un buisson, sur une place.
Nous errons, achetons une carte mémoire pour appareil photo dans un magasin indien dont un mur entier est tapissé de boîtes de bâtons d'encens et un autre de bouteilles d'essence de parfum (la mémoire de l'odeur me prend à la gorge); dans une vitrine des poudres de perlimpimpin pour bander plus longtemps (une corne de rhinocéros sur l'un des paquets qui ressemble à des paquets de tabac à priser).

Voiture. Avant de rentrer, j'émets le vœu de voir le boathouse row signalé par le guide vert (et soudain je comprends que "row" veut également dire "rang" ou "en file", tandis qu'à Mystic Port l'homme des barques avait utilisé "crew" («Oh, you crew»), c'est-à-dire "équipe": very appropriate). Le plan d'eau est magnifique, paisible, serein, des doubles glissent sur l'eau, la route le suit et semble quitter la ville très ville (je veux dire que nous ne sommes plus en milieu urbain, mais que d'un point de vue administratif, ce doit être encore Philadelphie).
Il est temps de faire demi-tour et de rentrer. Mais c'est moi qui guide et H. qui conduit, et cela sera notre perte: je ne suis jamais très inquiète, partant du principe qu'on finira bien par rentrer («We are lost, we are French!» ont appris à crier les enfants en chœur quand je conduis) tandis que H. aime la précision et rentrer directement en suivant les instructions de l'iPhone.
Les gens conduisent vite, plus vite qu'on ne l'a jamais constaté en ville; je n'ai qu'une crainte, c'est de prendre une route qui nous fasse traverser le Delaware sur le Whitman Bridge. Je ne comprends pas ce qu'indique l'iPhone, je donne une indication un quart de seconde trop tard, nous nous retrouvons à rouler vers le nord, de l'autre côté du plan d'eau. C'est très beau, mais étroit, eau d'un côté, roche de l'autre, impossible de faire demi-tour.

Demi-tour malgré tout au niveau du zoo. Errance, visiblement les routes que nous voulons atteindre sont en tunnel dont nous ne trouvons pas les entrées. Nous finissons par croiser un panneau indiquant l'aéroport (ce n'est pas si facile, il n'y a qu'une seule route, puisqu'il faut réussir à monter sur un pont, un autre pont que le Whitman (d'où ma crainte de me tromper). Tant qu'on ne monte pas sur ce pont, l'aéroport est hors de portée). Nous rentrons, il fait nuit.

Il y a un Denny's à côté du motel. Nous nous réjouissions de pouvoir tester les repas après les petits déjeuners.
Grave erreur (ne jamais vendre la peau de l'ours): trois quart d'heure d'attente (ce fut si long que j'étais résolue à aller voir en cuisine et à m'en aller si je découvrais qu'aucun plat n'était en préparation contrairement aux promesses répétées de la serveuse. J'étais en train d'y aller quand les plats sont arrivés) et une nourriture détestable (pour ma part un goût atroce d'huile trop utilisée).
Nous partons dormir, laissant H. faire la peau de l'assistant gérant.

samedi 11 août 2012

Des chutes du Niagara à New Stanton

Lever neuf heures au lieu de sept heures pour compenser le coucher tardif, et petit déjeuner chez Denny's. («Il y a Denny's à deux pas», nous avait indiqué la jolie rousse comme une promesse de plaisirs inouïs, et comme cet atout était également proclamé sur la pub du coupon, nous étions curieux de voir ce qui faisait rêver cette jeune femme.)
Quand nous poussons la porte vers dix heures (il nous a fallu un peu de temps pour réorganiser les valises (basiquement vider un sac de sport dans les autres pour avoir moins de volumes à tétriser dans le coffre)), nous sommes surpris de découvrir une salle pleine: est-ce comme cela tous les jours, ou un week-end réussi commence-il par un breakfeast chez Denny's?
L'ameublement est celui d'un fast-food, mais ce n'est pas un fast-food: on s'assoit comme au restaurant, on consulte la carte et on commande.

Et ça vaut le détour; nous consommons suffisamment de calories pour tenir la journée (et tant mieux, car c'est à peu près ce qui va nous arriver).
Je laisse tomber le menu "pancakes aux fraises" (aucune envie de manger de la glace à la vanille et de la chantilly avec mes œufs brouillés) et prend le "new" menu "pancakes aux myrtilles". Un peu lourd pour un estomac français normalement constitué, on mange avec la sensation qu'on ne le devrait pas, mais basta, demain (et même aujourd'hui) nous serons loin, profitons.
La preuve que ''Denny's'' est grand, c'est qu'il ne sucre pas les boissons à priori. (Le sucre semble être aux Américains ce qu'est le piment dans d'autres parties du monde.) Je remarque une fois de plus des plats où seuls le blanc d'œuf est utilisé dans l'omelette, le cholestérol semble plus redouté que de diabète.

Nous prenons la route à onze heures, ce qui est bien trop tard pour ce que nous avons prévu de faire. Je viens d'écrire à Ruth que nous arriverons à Charlottesville demain soir, et que ce soir nous serons au-delà de Pittsburgh (avec une "h", précise wikipedia, à ne pas confondre avec Pittsburg).

Routes 219 puis 119, plein sud. Pennsylvanie. Nous entrons dans la forêt des Alleghanys, ou quelque chose comme ça. Pour résumer, nous aurons sur une distance Paris-Poitiers ou Paris-Bordeaux (la vitesse réduite à laquelle nous roulons pertube mon appréhension des distances qui n'est déjà pas excellente) une densité de peuplement qui ressemble à celle entre Lamotte-Beuvron et Vierzon (pour ceux qui connaissent).
Les maisons apparaissent de loin en loin au bord de la route, forêts. Des acres sont à louer, apparemment la région (du moins les particuliers) vit de la vente du bois et des sports d'hiver. Ce n'est que vers la fin de la journée que nous atteindrons davantage de prairies, de vastes étendues gazonnées tondues à la Suisse.

Nous nous arrêtons vers deux heures dans une station-service après Salamanque, presque à la frontière de l'Etat de New York et de la Pennsylvanie. Nous cherchons une carte, mais il n'est pas prévu de souhaiter descendre vers le sud par cette route: les cartes concernent les comtés du nord. L'employée, une dame très ridée, est née à Maastricht (Car dès que nous disons que nous venons de France (en réponse à «Haï gaïs, where d'you come from?», les connexions européennes affluent: j'ai un frère, un oncle, l'année prochaine nous allons, l'année dernière ma fille…)). Ce n'est que bien plus tard que je ferai le lien avec l'occupation américaine en Allemagne.

Les routes du sud de l'état de New York sont mal entretenues, oui, «adopt a highway», car elles sont abandonnées. "Rough road" indique une bretelle d'accès à une quatre voies, et la chaussée est pleine de cicatrices, de pansements de goudron, il y a une fente entre les deux files dans laquelle apparaît de l'herbe ou de la mousse.

Les panneaux me plaisent beaucoup: «Chasseurs de dindes, soyez sûrs de votre cible avant de tirer» (à prendre au premier degré), «Buckle up for the next million miles» (Attachez votre ceinture durant le prochain million de miles) et aussi, plus effrayant «Blessé dans un accident? Appelez le 888-8888», pub pour un avocat.
Ah, et le pictogramme "ours", nous faisant rêver à une traversée de grizzlis devant le pare-choc…

Sept miles avant Punxsutawney, un pictogramme sur un panneau nous enjoint de faire attention aux carrioles tirées par des chevaux (vitesse limitée à 55 miles) et "sur comme la mort" nous arrivons derrière un cheval au grand trot conduit par deux enfants. Ils se garent le plus possible mais je ne suis pas pressée de les doubler, nous les prenons en photo. Amish (malgré tout ils se modernisent car le soir à l'hôtel je trouverai une affichette publicitaire pour leur artisanat.

Punxsutawney. Qui a deviné pourquoi nous avons fait ce détour? La première chose que nous voyons en arrivant est une gigantesque marmotte (qui ressemble à un castor) sur un surpermarché.

Deux déceptions: cela ne ressemble pas du tout au film et tous les magasins de souvenirs (souveuhnirrr) sont fermés (il est quatre heures un samedi). Petit tour sur internet à partir du wifi du McDo local: le film n'a pas du tout été tourné ici, mais dans une ville de la région des grands Lacs.
Oui, nous sommes là à cause du Jour sans fin, et quand les enfants le comprennent enfin, ils sont absolument navrés par tant de bêtises (les ados qui vous expliquent comment vous comporter rationnellement me laissent toujours perplexe).
Deux satisfactions: la caissière du supermarché, après avoir murmuré rêveuse «Je n'ai jamais eu de clients venus d'aussi loin» nous indique l'endroit où trouver la marmotte (nous ne savions pas qu'il y en avait une) près de la bibliothèque municipale (et la pelouse centrale ressemble enfin au film) et au grand désespoir des enfants nous nous photographions près de la statue d'une marmotte géante.

Voir Punxsutawney et mourir (d'ennui). Ce ne doit pas être drôle de grandir ici (6000 habitants, une ville jugée digne de figurer sur la carte Michelin 930 des Etats-Unis comme seule grande ville à des miles à la ronde). Et c'est plutôt laid.

Ensuite le paysage devient plus plat et moins boisé. Les maisons sont entourées de prairies plutôt que de pelouses, et nous croisons régulièrement des animaux écrasés (deux biches ou chevreuils, des ratons-laveurs). A Burrell, nous avons la surprise de voir surgir entre deux lignes de crêtes trois immenses cheminées, plus hautes que les deux tours de refroidissement de la centrale nucléaire qu'elles surplombent («Quatre tranches», dit H.). L'ensemble est inmanquable, installé en hauteur dans le paysage.





Pittsburgh. Notre projet était d'y dormir et de visiter le musée Warhol demain (à l'origine cet après-midi, mais la route a été beaucoup plus longue que prévu), mais tous les hôtels sont complets: convention aéronautique, nous explique une réceptionniste, nous ne trouverons rien à quinze miles à la ronde.
Nous consultons les enfants, seront-ils très déçus de manquer les Warhol? Non, je ne suis même pas sûre qu'ils aient vraiment identifié Marylin au MoMa (ces quelques visites dans les musées me font constater une fois de plus à quel point leurs livres scolaires manquent d'images mythiques, de Monet, de Warhol, de pas de l'homme sur la lune, de visage d'Henri IV ou François Ier, de choses que l'on est tout heureux de découvrir soudain dans la réalité).

Tant pis pour Pittsburgh. Nous devons être à Charlottesville demain soir, je l'ai dit à Ruth, et je veux prendre une section de la skyline drive. Hôtel ou motel à vingt miles à l'est de Pittsburgh, le jeune homme de l'accueil nous fait une réduction «parce que c'est nous», je me demande si c'est vrai car c'est la deuxième ou troisième fois que cela nous arrive (est-ce notre accent français?), j'ai l'impression d'être dans un système SNCF où le prix dépend du remplissage de l'hôtel (bref, la chambre est à soixante-cinq dollars contre cent trente-neuf affichés, soit vingt de plus que le taudis d'hier).

Celui-ci nous plonge dans Barton Fink:





Les filles ne veulent pas manger, je sors avec H. et O. rejoindre à pied (à pied!) le restaurant chinois à cent mètres.
Intriguée, je choisis des "wallnut shrimps" (crevettes aux noix), plat que je n'ai jamais vu en France. (J'aime bien comparer les cuisines étrangères dans les pays étrangers. Naïvement je pensais qu'elles étaient toute pareilles, que manger indien en France ou en Suède était la même chose: et bien non). Le plat est décrit comme crevettes à la mayonnaise avec des noix, mais je me dis que ce doit une autre définition de la mayonnaise.
J'avais tort. Crevettes frites par deux de façon à former un cercle, recouvertes de miel puis de mayonnaise, avec des noix confites qui se décomposent sous la dent.
C'est atroce. Je ris aux larmes. «Pauvres bêtes, Astérix» (Astérix et les Bretons).
— Ils auraient mieux fait de continuer à tenir des blanchisseries!
— «Dès que j'aurai fait assez d'économies j'ouvrirai un restaurant».
— C'est dans quoi, ça?
Le 20e de cavalerie.
Je gratte la mayonnaise et par politesse, je mange les deux tiers du plat.

J'insisterai même pour laisser deux dollars de tip, car je ne voudrais pas qu'ils se doutent d'à quel point c'est mauvais.
Mais j'ai sans doute tort, ils ne doivent pas manger leur cuisine. Ils devraient essayer, une fois.

— «Avec du miel?»
— «Il y a même de la graisse d'urus».
— Ah mais oui, tu as raison, c'était une orgie! (Astérix en Helvétie, pour ceux qui ne connaissent pas.)

Rentrée à l'hôtel, j'écris des cartes postales en regardant Men in Black II. Je n'ai plus de timbres.
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