mercredi 6 février 2013
La gare de Vigneux
Par Alice, mercredi 6 février 2013 à 22:16 :: 2013
J'ai un souvenir de la gare de Vigneux, celui de ma dernière cuite (en date), ma deuxième, donc, la première datant de 1989 — je venais de trouver du travail, c'était un soir de chili con carne et de tequila rapido, août ou septembre 1989 à Talence.
Décembre 2004, sans doute le 6, la saint Nicolas. J'avais dîné avec R., peut-être à la Coupole ou à l'une des brasseries proches. Nous avions bu une bouteille, il pleurait un ami qui s'était suicidé en septembre, et moi une amie morte en novembre.
Je me souviens avoir refusé un dessert mais demandé une autre bouteille de vin.
Et je me souviens l'avoir bue pratiquement seule et très vite, trop vite, le temps qu'il mange son dessert.
Sans doute m'a-t-il raccompagnée en taxi à la gare de Lyon, je ne m'en souviens pas mais c'était le genre de choses qu'il faisait.
J'étais ivre morte. Bizarrement je ne me souviens de rien et j'ai des souvenirs très précis par flash. Je sais que je suis tombée de tout mon long, parce que je me souviens du ciment froid contre ma joue, mais cette image, je ne l'ai reconstituée que le lendemain en tâtant des zones douloureuses — pommette, genou,… — et la sensation du ciment froid sur ma joue.
Je suis montée dans le train, je me suis endormie, mon téléphone a sonné, H. s'inquiétait, il était aux alentours de minuit. Je l'ai rassuré, j'arrivais (à l'époque nous n'avions qu'une seule voiture, il devait venir me chercher à la gare). Je me suis rendormie, réveillée quand le train s'arrêtait — à Vigneux.
Je m'étais trompée de train.
Je suis descendue du train, j'ai appelé H., très ennuyée. Et je l'ai attendu. J'avais un grand manteau bleu ciel, tricoté main, j'étais assise sur les marches, je pleurais comme un veau: «elle est moooorrrte». Il faisait très froid, un jeune grand noir tout désemparé tentait de me consoler: «faut pas pleurer, Madame». «—Qu'est-ce que tu fais là? Tu ne rentres pas chez toi? —Je dors dans la rue, Madame, mais faut pas pleurer». Et je le regardais sans rien dire, il ajoutait encore à ma désolation, avec sa gentillesse et la perspective qu'il passe la nuit dehors par ce froid.
H. est arrivé, nous sommes partis, à un feu rouge j'ai ouvert la portière et j'ai vomi la bouteille de vin.
Nous sommes rentrés, H. ne me fit pas un seul reproche et n'en reparla jamais.