Alice du fromage

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Billets qui ont 'incivilité' comme mot-clé.

jeudi 19 février 2015

Les profanateurs de sépulture

Cette histoire de tombes juives profanées reprend quasi-exactement une discussion chez nos voisins le 16 janvier dernier autour d'une galette. C'était donc très peu de temps après l'attentat au journal Charlie, et la conversation avait glissé mollement, sans passion, vers les collégiens qui avaient refusé la minute de silence et autres récits.

Notre voisin (50 ans) se demandait si on n'en faisait pas un peu trop: «On dirait que tout le monde a oublié ce que c'est qu'être ados et les conneries qu'on peut faire en groupe. Je me souviens, il y a quelques années, on avait crié au scandale parce qu'on avait trouvé une tête de porc balancée dans l'enceinte d'une mosquée. Mais c'est typiquement ce qu'on aurait été capable de faire avec mes potes, juste pour rire et faire ch***, pas besoin d'aller chercher plus loin.»

Je pense à la gamine du village de ma tante qui bouleverse les tombes sans que personne ne dise rien alors que tout le monde connaît ses parents.

Je pense à mon beau-père (70 ans) nous racontant la voiture du surgé montée à la force des bras au dernier étage de l'internat, un client de mon mari (même âge) les poteaux électriques sciés pour faire un radeau sur la Creuse… «Les gendarmes sont venus. Qu'est-ce qu'on s'est pris comme raclée! Ch'peux vous dire qu'on n'a pas r'commencé!» (Mais cinquante ou soixante ans plus tard il est tout heureux de raconter).

Et je me demande si en même temps que le sens de l'autorité et de la responsabilité, nous n'aurions pas perdu une certaine capacité à la légèreté ("l'étourderie" de la jeunesse, dit Balzac dans Les chouans).

jeudi 18 août 2011

Far West, Berry profond (extrême centre)

Ma tante (la sœur de ma mère) me fait rire :
— Elle nous disait tout le temps qu'elle ne savait pas comment elle grossissait qu'elle ne mangeait rien. Mais on a finit par savoir le fond de l'affaire: elle buvait un à deux litres de lait entier par jour qu'elle allait chercher à la ferme. Alors j'ui ai dit: «Mais enfin, Roselyne, le lait, c'est avec ça qu'on engraisse les veaux!…»

Ma tante me fait peur. Je n'arrive pas à faire la part de l'irritabilité, de la paranoïa, et du véritable harcèlement. Quand elle parle de sa vie, j'ai l'impression d'être arrivée dans un de ces westerns où une bande de blancs-becs terrorisent les paisibles habitants d'un minuscule village.

Les adolescents sur leur mobylette, qui discutent jusqu'au milieu de la nuit, c'est agaçant, mais elle a le sommeil très léger et habite à côté de la place («Le Plassis») où ils se réunissent: faut-il prendre ses jérémiades au sérieux?
Mais les filles de treize ans qui s'amusent à déplacer les fleurs et les plaques sur les tombes et à les mélanger, la boîte à lettres de ma grand-mère arrachée et abandonnée à deux cents mètres de là sur la place, les tuiles de la salle des fêtes jetées à bas du toit (et l'adjoint au maire qui refuse de porter plainte de peur de ne pas se faire réélire)?
Personne ne dit rien, les plus faibles craignent les représailles, les plus forts rient que ce n'est pas bien grave.
Ma tante est dans un état de nerfs lamentable, résignée et exaspérée.

— Tu ne peux pas aller dormir chez mémé? Tu seras plus loin de la place, tu ne les entendras pas.
— Oh tu sais, maman, je m'en occupe déjà toute la journée, alors le soir… Elle fait un geste de la main pour montrer qu'elle en a "jusque là", au niveau du cuir chevelu.
— Mais qu'est-ce qu'on peut faire, alors?
— Rien. Il n'y a rien à faire.

J'ai tout de même insisté pour qu'elle aille déposer une main courante. La boîte aux lettres arrachée, c'est un acte réel, concret, pas une interprétation de vieille dame acariâtre. Il n'y a qu'une poignée d'enfants dans le village. Il serait facile de faire faire quelques travaux d'utilité publique aux coupables.

Ce qui m'étreint, ici, c'est l'ennui de ces adolescents entre treize et dix-huit ans. Qu'est-ce que je peux faire? Ch'ais pas quoi faire.

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