Alice du fromage

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Billets qui ont 'jeu télévisé' comme mot-clé.

samedi 28 juillet 2007

La cage dorée

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Des scènes violentes ou à caractère sexuel, des échanges d'insultes et des rumeurs de viol ont ému une partie de l'opinion et des dirigeants politiques. Une bagarre entre les locataires de ce nouveau "Loft" a même dégénéré, la semaine dernière, lorsqu'une partie d'entre eux a voulu déshabiller une jeune femme avant de la jeter dans un étang. Des téléspectateurs ont composé le numéro de la police pour réclamer son intervention.
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C'est en octobre 2006 que les dix candidats, jeunes et peu fortunés pour la plupart, ont été installés dans une luxueuse villa avec jardin et piscine dans le nord des Pays-Bas. Enfermés en permanence, ils n'ont que des contacts très réduits avec le monde extérieur. Le groupe a à sa disposition une somme de 6 millions d'euros. Chaque mois, les participants peuvent voter pour expulser l'un d'entre eux. Deux locataires sont partis après des incidents, un autre s'en est allé volontairement. Le dernier occupant des lieux gagnera la villa. Quelque 500 000 personnes regardent chaque jour "La Cage dorée" et 100 000 autres se connectent sur Internet pour suivre sa version intégrale, ce qui assure à l'émission de rester à l'antenne au moins jusqu'en 2008.
Le 17 juillet, le public a pu découvrir comment l'un des participants, Jaap, dit "la terreur", était utilisé par la production pour rendre l'émission "plus spectaculaire". En pleurant, ce colosse de 24 ans affirmait participer à "un complot". La direction de Talpa se défend toutefois d'entretenir l'agitation dans la villa. Elle admet seulement organiser, "de temps en temps, une fête ou un événement du même genre" pour éviter les images de gens "allongés huit heures par jour sur un matelas et sirotant des cocktails".
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Le Monde, édition du 28 juillet 2007

Tout cela me rappelle étrangement On n'achève bien les chevaux: même récompense à la durée, même tricherie des organisateurs pour créer de l'événement, même désespoir des participants qui souhaitent tenir à tout prix.
Seule la cruauté est peut-être plus grande, car c'est de la résistance psychologique pure qui est exigée des candidats, et non de la résistance physique, avec tout ce que cela peut entraîner de dérives violentes. Gagnera celui qui tiendra le plus longtemps, mais aussi celui qui réussira à effrayer tous les autres, absous d'avance par les caméras complices.
Honte sur nous.

mardi 3 octobre 2006

Dites-moi que ce n'est pas vrai

Il me semble — j'espère me tromper — qu'un nouveau seuil a été franchi dans l'incivilisation, dans l'inculture militante, dans l'imbécillité triomphante. Le Loft des années récentes a fait beaucoup de petits, qui par comparaison lui donnent à peu près l'allure d'une séance du jeudi à l'Académie française. En ce début d'été tout est Loft et sous-Loft, sur le petit écran. Ce qui me frappe c'est que l'état de délabrement, qui paraît avoir atteint son échelon ultime (mais on ne sait jamais), n'est pas seulement intellectuel, il est aussi moral : l'un ayant toujours impliqué l'autre, bien entendu; mais il me semble que jusqu'à présent ce n'était pas évident à ce point-là.

Renaud Camus, ''Rannoch Moor (journal 2003)'', p.346
Dans cette remarque camusienne, l'immoralité vient en dernier lieu, ce qui ne laisse pas de me surprendre.
En effet, il m'a toujours semblé qu'elle était le ressort quasi unique de ces jeux et concours (le Loft, Greg le millionnaire, Koh-Lanta, l'île de la tentation, la ferme des célébrités, Star académie, le maillon faible, qu'est-ce que j'oublie?) C'est l'immoralité de ces jeux et mises en scène divers qui m'a choquée dès le début. Ce n'est pas la bêtise ou l'inculture ou la vulgarité des candidats que je trouvais (que je trouve) navrantes, puisqu'aussi bien ils étaient choisis précisément selon ces critères, c'est que des personnes plus intelligentes qu'eux (mais pas nécessairement moins vulgaires), les organisateurs, les producteurs, aient pu inventer des jeux aussi imbéciles ou dégradants, aient pu délibérément humilier, avec leur consentement —et qu'ils aient eu un trop petit Q.I. pour se sentir humiliés rend-elle la chose plus ou moins cruelle?—, des jeunes gens ou des adultes pas bien malins, prêts à tout pour un quart d'heure de gloire ou quelques milliers d'euros, et faire rire d'eux ou s'identifier à eux ou faire rêver d'être à leur place (quel est le pire?) des milliers de téléspectateurs.

A-t-on jamais réfléchi par exemple au mécanisme très particulier du "maillon faible", où il importe d'éliminer non seulement les mauvais, les boulets, mais aussi, de façon plus subtile, les bons, les meilleurs que soi? Il s'agit de rester entre médiocres, dans une médiocrité juste assez brillante pour flairer le danger que représentent les candidats meilleurs que soi, dans une médiocrité moyenne entre médiocres moyens. L'immoralité, ici, vient du fait que l'excellence n'est ni reconnue, ni récompensée, ni désirable. Elle devient une tare. L'immoralité du "maillon faible", à mes yeux le plus immoral de tous ces jeux, est qu'elle habitue les téléspectateurs à considérer la supériorité intellectuelle, culturelle ou morale comme un danger: nous allons perdre si nous laissons des gens avec davantage de connaissances et de compétences vivre parmi nous.

Je songeais à tout cela en regardant grâce à par la faute de Tlön Ségolène Royal se déclarer candidate à la présidence de la République.
Je ne l'avais jamais vue à la télévision, jamais entendue, avant dimanche; je ne connaissais d'elle que des photos, des phrases, et les commentaires goguenards qu'elle suscite régulièrement. Sans bien comprendre l'engouement dont elle est l'objet depuis le printemps, j'imaginais qu'elle avait une voix, une présence, un certain charisme, quelque chose d'inexplicable qui aurait expliqué pourquoi tant de gens l'aimaient.
J'imaginais qu'il y avait une raison, irrationnelle certes, mais une raison.
Une fois de plus j'étais naïve.
Elle parle mal, son débit est haché, elle se tortille et se balance, elle dit des phrases incompréhensibles, elle apostrophe Jean-Noël (mais qui est-ce?), se réjouit des foules "sentimentales et joyeuses"… Je n'arrive pas à y croire. Dites-moi que ce n'est pas vrai, comment cela est-il possible?

Finalement je crois avoir compris. Les Français, tout au moins un nombre important d'entre eux, sont en train de choisir leur candidat préféré à la Star'Ac. Ils ont éliminé les bons, les mauvais, ont conservé un candidat médiocre, comme on leur a appris à le faire depuis quelques années.
Il faudrait peut-être leur rappeler ou leur apprendre qu'ils ne sont pas en train de choisir quelqu'un pour six mois qui enregistrera un disque ou gagnera cent mille euros, mais quelqu'un qui sera président cinq ans et exercera de très lourdes responsabilités en politique intérieure comme extérieure.

Je suis très inquiète, depuis dimanche. Je viens juste de prendre la mesure des dégâts.
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