Billets qui ont 'opération médicale' comme mot-clé.

Quel pied !

Vu le chirurgien. Tout va bien. Cependant il m'a fait peur : «Oui, le pied reste gonflé trois à six mois après l'opération, c'est normal.»

Normal? Mais il ne m'avait pas prévenue! Comment vais-je aller travailler? Je ne peux enfiler aucune chaussure, d'une part parce que je ne plie pas l'avant-pied (au niveau orteils-plante de pied), d'autre part parce que le pied est trop gonflé.

Un lilas centenaire

Radio de contrôle (tout va bien).

Lorsque nous regagnons notre voiture (la mazda, la rouge), nous sommes interpelés par un vieux monsieur qui était en train de l'admirer en refermant son portail. Toute la conversation (ou monologue) se déroulera dans le ronronnement de son Opel mi-sur le trottoir mi-sur la chaussée.

Je l'interroge sur son lilas que j'avais remarqué en arrivant: un tronc de dix à douze centimètres de diamètre, je n'ai jamais vu ça. Il commence à en remonter la généalogie: la maison appartenait aux grands-parents de sa femme, qui avaient planté le lilas à la naissance de sa mère.
Et il enchaîne :
— Votre voiture me fait penser… J'avais un cousin, c'était le fils de l'homme de la publicité Banania. Il avait dans son garage une Oldsmobile et un coupé Mercedès. Son fils avait gagné un solex à la loterie, et comme il était avoué à la Croix-des-petits-Champs, il préférait le solex, c'était plus facile pour le garer. Je me rappelle, on le regardait partir par la fenêtre à Neuilly, très british avec son chapeau et son parapluie, il courait le long du solex, et hop, il montait dessus.

Pendant ce temps le moteur de l'Opel tournait.
Il a fini par nous laisser partir, mais un moment, je me suis demandée combien de temps nous allions rester là, depuis combien de temps il n'avait eu personne à qui raconter ses souvenirs.

Journée

8400. Rien fichu de la journée.

Hier comme aujourd'hui, j'ai dormi comme une masse dans l'après-midi. Peut-être le contre-coup de l'anesthésie.

"Mon" infirmier est en vacances, retour à l'infirmière. Son style me fait rire: petite, brune, jupe en cuir. Elle me fait penser à Maria de Medeiros dans Pulp Fiction.


Bandé, le pied reste très présentable.

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Frankenstein

Teasing : je vais mettre en ligne ici une photo de mon pied couturé, mais comme c'est gore, je vais attendre trois ou quatre jours, que ce billet soit un peu plus bas et que vous puissiez y échapper si ce genre de photo vous révulse.


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(On voit bien l'endroit où un point de suture a sauté (l'infirmier a posé des strips). La plaie saigne à cet endroit, d'où mes interrogations sur la façon d'appuyer sur mon pied quand je dors.)

Retour

Voir le chirurgien, passer à la radio, s'exercer à descendre les escaliers avec la kiné («Pliez le genou, il faut que le pied gauche dépasse le pied droit»), récupérer tous les papiers (ordonnances, bulletin de sortie, bilans sanguins) auprès des infirmières : «vous pensez que je pourrai sortir à quelle heure? — Oh, en début d'après-midi. — Mon repas est prévu? — Mais oui.»

J'appelle H. pour lui dire de ne pas se presser, ça tombe bien il est en pleine livraison (le prototype du projet sur lequel il travaille depuis un an).

Je range mes affaires en clopinant, je déjeune, le téléphone sonne: «je suis en panne à Belle Epine». Exaspération de la voix, trois heures de sommeil, une voiture révisée il y a quinze jours. Exploration rapide des possibilités: il s'occupe de la voiture, du dépanneur, de son propre rapatriement; je me débrouille pour rentrer de mon côté.

Clopin-clopant jusqu'à l'ascenseur avec le gros (mais pas lourd) sac de sport, attente au secrétariat (le pied en l'air qu'ils disaient) qui m'appelle un taxi pour aller à la gare de RER (je sais que H. va m'engueuler, mais même si ce n'est pas le plus confortable, c'est tout de même le plus rationnel, le plus rapide, pour traverser diamétralement la région parisienne).

Descente des escaliers marche à marche (je n'ose pas prendre les escalators, je ne suis pas assez rapide, peur de tomber), tourniquet, quai, voiture pour Marne-la-Vallée. Changement à Nanterre Préfecture, RER pour Boissy-St-Léger, je monte. De l'autre côté du couloir, un jeune homme dort à poings fermés allongé sur trois banquettes, genre migrant à la rue, le jean fendu le long de la raie des fesses. Il est sans slip. Il sent mauvais du côté du supportable.
Plus tard, vers St-Maur, il se mettra à tousser à fendre l'âme. Nous passagers nous nous regarderons, sans savoir ce que pense chacun. Pitié, gêne, dégoût, indignation comme les deux dames qui sont descendues plus tôt «ah, c'est bien le RER»?
Je pense à R. qui expliquait que soigner les immigrés illégaux (il n'y avait pas encore de "migrants" à l'époque) était une mesure de santé publique.
Nous nous regardons, ne disons rien, ne ferons rien. Qu'a-t-il traversé, qu'a-t-il vu, quel espoir représentions-nous, qu'avons-nous déçu? Il faudrait le réveiller, le doucher, le nourrir, l'habiller.
Nous partirons. Les passagers descendent un à un de station en station, je reste la dernière. Il dort.
Je descends au terminus. La rame repart, il dort toujours.

O. arrive avec retard. Quelques minutes plus tard je suis chez moi.


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Les ruches de Notre-Dame sont saines et sauves. Je ne comprends pas comment c'est possible.
Inquiétude pour les faucons crécerelles: où vont-ils nicher?

Billard

Douche à la bétadine (je déteste cette odeur), le joint du pommeau n'est plus jointif et arrose toute la salle de bain, blouse et slip bleu marine, charlotte, chaussons, un bas de contention sur la jambe non opérée, deux tranquillisants (puisque l'anesthésiste n'a pas cru que ma tension était due à mon boulot et non à l'opération), brancard, impression de voler dans les couloirs allongée sur le dos, ascenseur, puis je ne sais plus très bien, réveil en pleine forme entre deux dames qui gémissent, «Vous avez mal? Combien sur une échelle de 1 à 10? —5 à 6 —Je vais vous faire une piqûre», puis dans ma chambre, devant un plateau composé de desserts: yaourt compote madeleine galette St Michel jus de pomme.

Ce n'est que bien plus tard que je me rendrai compte que je n'ai aucun souvenir de la remontée dans ma chambre, ni de la façon dont je me retrouvée en tee-shirt. Ces absences me terrifient: vie volée.
Je somnole, je ne sens pas mon pied, mes orteils, prise de tension et de température toutes les deux heures. Tout va bien.

Les nouvelles de Notre-Dame sont étonnamment bonnes: les trois rosaces sont sauvées, et l'orgue principal, et même le coq de la flèche qui contenait les reliques (je suis étonnée que tant de non-croyants accordent une quelconque importance à ces reliques).
Les dons affluent pour reconstruire. Le discours que Macron devait prononcer à l'issue du "grand débat" ne l'a pas été mais est malgré tout commenté. Twitter bruit.

H. passe. J'en profite pour me lever grâce à ma chaussure Barouk. Impossible de marcher car je ne sens pas ma jambe.
Dans la nuit je découvre l'usage du déambulateur: je suis fan de ce truc, quelle stabilité, quelle sécurité!


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Notre-Dame

Journée marathon à envoyer les rapports à relire, à imprimer le dossier réglementaire, à écrire les courriers indispensables. Je quitte le bureau en retard par rapport à mon planning, j'ai peur d'arriver trop tard pour les admissions, la branche du RER A pour Cergy est arrêtée pour deux heures: ouf, je prends celle de St-Germain-en-Laye.

Admission, chambre, tout est prêt, bracelet étiqueté à mon nom (que je donne plusieurs fois, mesure d'identification sécurisée), prise de tension, il faut prendre une douche à la bétadine ce soir et une demain matin à six heures, je suis la première à passer (à huit heures), H. arrive de son côté avec mes affaires dans un sac de sport. Il ressort m'acheter une brosse à dents et revient avec un Paris-Brest, dernière gourmandise avant un moment.

Il part. Je regarde négligemment mon téléphone, un ami a posté une photo avec de la fumée au-dessus des toits: «Notre-Dame vue de chez moi», commente-t-il, je me dis comme c'est bizarre, comme St-Sulpice il y a quelques semaines.

Ce n'est que peu après que je me rends compte de ce qui se passe. Je ne sens rien, anesthésiée. Je regarde mon téléphone. Ça parle d'orgues, de vitraux, de rosaces, détruits. Ruth et Lucy m'écrivent des mots désespérés. La flèche tombe. C'est beau, ce rougeoiment des braises à travers la toiture transparente. Irréel. Glaçant.

J'ai éteint mon téléphone. Je n'y croyais plus. Je pensais aux cloches qui avaient sonné pour Charlie, qui allaient tomber, plusieurs centaines de tonnes: comment imaginer cela? Je pensais à une mauvaise nouvelle de Balzac, Les Proscrits. Je me suis couchée en état de sidération, sans rien ressentir. Je ne sais plus quand j'ai appris que l'incendie était maîtrisé.

L'impensable, ou plutôt l'impensé, ce à quoi on ne pense pas, ce qu'on n'imagine pas, était arrivé. Ce qui allait de soi, l'existence de Notre-Dame-de-Paris, n'allait pas de soi. Ce que l'on pensait éternel, ou plutôt ce que l'on ne pensait pas puisque cela était, était périssable. Retour de la condition humaine.


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photo AFP

Procla

Le nom de la femme de Pilate apparaît dans L'Evangile de Nicodème appelé aussi Actes de Pilate. (Procla est son nom dans les plus anciens manuscrits grecs. En latin cela a souvent été transformé en Procula.)

Nous traduisons un passage où la femme de Pilate fait prévenir son mari que l'homme en face d'elle est un juste et qu'il doit éviter de s'en mêler.

«Dans sa version latine, cet évangile a eu beaucoup d'importance au Moyen-âge. On y a ajouté une descente de Jésus aux enfers, et quand il ressuscite, il apparaît à Joseph d'Arimathie. (On ne sait pas très bien où se trouve Arimathie.) Les pères de l'Eglise se sont posé la question: pourquoi avoir envoyé ce rêve à la femme de Pilate plutôt qu'à Pilate lui-même? Et ils y ont répondu [je crois que c'est Jean Chrysostome qui y a répondu mais je ne suis plus sûre]: parce que Pilate étant un homme, il aurait tout oublié à son réveil. [Rires dans la classe.] Une autre question était de savoir qui avait envoyé le rêve.»
Nous séchons. Dieu?
— Mais non: comme le but était d'éviter la crucifixion…
— C'était Satan ?!
— Eh oui !

Je digère l'information. Mais alors…
— Mais alors, quand Caillois écrit sa nouvelle?
— Oh, il y a aussi xxx, dans les années trente, qui a écrit sur ce thème.
Hélas je n'ai pas compris le nom de l'auteur. Années 20 ou 30.


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La liste des livres canoniques (constituant la Bible) a été établie par le concile de Trente. Les listes précédentes que nous connaissons étaient descriptives, non normatives. Il n'a jamais été question d'y faire entrer l'Evangile de Nicodème.

Le calendrier grec avait pour point de départ les premières Olympiades, en -776.

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Agenda
Rencontré l'anesthésiste. 16/10 de tension, ce qui est énorme pour moi qui suis plutôt à 11/7 habituellement. Le dawa au boulot m'a affectée davantage que je ne le pensais (car en réalité, j'en ressens une certaine ironie, une certaine colère, qui me tiennent chaud et que j'apprécie). Les anesthésistes de cette clinique ont tous signé l'OPTAM (ce qui permet d'être mieux remboursé), ce qui est rare en région parisienne. Et ils prennent cent euros de dépassement, ce qui est remarquable (les montants habituels vont du triple au sextuple). Bref, je donne le nom de la clinique: clinique St-Germain.


Dans l'église à la sortie du RER A est enterré Jacques II, roi d'Angleterre (et VII roi d'Ecosse). Je vais voir la chapelle, dans l'église même où il y a quelques années j'assistais à l'enterrement d'Hubert. Je n'avais pas remarqué ce détail à l'époque.

A la sortie je suis frappé par cette image:

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Elle lisait Dr Jeckill et Mr Hyde.

Lassitude

J'ai compris ce week-end pourquoi j'étais aussi désorganisée, pourquoi j'étais débordée sur tous les plans (boulot/intendance/perso) : apparemment, depuis mon opération de janvier, j'ai besoin de deux heures de sommeil de plus par jour.
C'est énorme.
Il paraît que c'est une conséquence de l'anesthésie (très longue), que cela va passer, qu'il faut attendre, qu'il faut compter un an avant un retour total à la normale.
Deux heures de vie en moins par jour pendant un an.
Il est inutile d'essayer d'aller plus vite, je sens très bien que je n'y arrive pas, le corps s'oppose.
Il ne reste qu'à faire comme de coutume quand tout commence à partir de travers: adopter une discipline stricte pour retrouver une certaine prise sur la vie, pour calmer cet horrible sentiment d'impuissance que j'éprouve devant le temps qui m'échappe.
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