lundi 8 mars 2010
La différence entre assurance et solidarité
Par Alice, lundi 8 mars 2010 à 12:32 :: 2010
Ce soir à 18h30, je serai là .
Je sais, c'est un peu tard pour prévenir, mais je doute que cela intéresse qui que ce soit. Et non, ce n'est pas professionnel, c'est ma façon de gagner du temps, d'apprendre en deux heures (enfin, d'apprendre: d'obtenir une première teinture) ce qui me demanderait des heures de lectures (que je ne ferais pas) et ce que les médias ne m'expliqueront jamais.
Autre curiosité: découvrir la Cour de cassation et les ors de la République... (si vous désirez venir, n'oubliez pas de vous inscrire en ligne: il s'agit de mesures de sécurité).
Cycle Assurance et protection sociale - Les risques marchands et non marchands : quelles clefs de répartition?
Késako?
Il s'agit dans le cadre de la directive européenne sur les services ("ex-Bolkestein", profondément remaniée) de croiser deux axes de réflexion:
1/ Dans le cadre de la directive sur les services, que va devenir le secteur social, qui couvre «l'économie sociale, l'éducation populaire, le soutien aux familles, la politique de la petite enfance», financé par les prélèvements sociaux? Ce secteur devra-t-il être soumis intégralement à la concurrence pour obéir à la directive européenne?
Définition du secteur non marchand : aucune définition n'est donnée à priori au niveau de l'Union européenne, il s'agit d'une appréciation au cas par cas, selon les pays, selon les équilibres nationaux, au fur à mesure des affaires jugées par la Cour de Justice des Communautés européennes. (Rappel en gros: vous payez votre femme de ménage, c'est du secteur marchand, elle est payée par les allocations familiales ou la sécurité sociale, c'est un service non marchand).
Débat entre ceux qui pensent que l'Union européenne participe de la pensée libérale — ce qui est à peu près ce qu'on entend tous les jours dans les discours politiques, relayés et amplifiés par les médias — et ceux qui constatent, de facto, que l'étude de la jurisprudence de la CJCE montre que « la solidarité a progressivement acquis la valeur d'un principe juridique en Droit communautaire» tandis que «les systèmes de solidarité ont fait preuve d'une remarquable robustesse, du moins dans la vieille Europe»1.
2/ Quelle différence entre l'assurance et la solidarité?
Cette différence est fondamentale pour comprendre les choix de société que nous avons à faire, que nous allons devoir faire, mais elle est rarement expliquée.
Je vais faire un détour dans mes explications en développant un exemple.
Il existe en assurance la notion de "zonier". Le zonier pévoit des tarifs différents en fonction des risques que présente chaque zone géographique (la zone peut être la commune, le département, un pays (le risque de terrorisme, le risque politique, etc.),...)
Pour donner un exemple s'appliquant à un particulier, s'il existe un zonier, vous ne paierez pas la même prime d'assurance contre le vol pour la même surface d'appartement protégée par les mêmes serrures à Tulle ou à Paris. Il peut ne pas avoir de zonier, ou sa maille peut-être plus ou moins fine: il s'agit de choix que font les assureurs quand ils construisent leur tarif (algorithme basé sur des statistiques). Par exemple, la Maif, mutuelle des instituteurs et des professeurs, a longtemps tarifé sans zonier, ce qui voulait dire que l'habitant de Tulle payait un peu pour l'habitant de Paris. C'était un système fondé sur la solidarité, typique d'un véritable esprit mutualiste (Juste ou pas juste? On peut considérer que l'habitant de Tulle payait le fait de courir moins de risques, on peut répondre que l'habitant de Paris n'avait qu'à choisir d'habiter Tulle... Etc.)
S'il n'existe pas d'autre mutuelle ou assurance que la Maif, la situation est figée. Mais si le secteur est concurrentiel, l'assuré habitant Tulle choisira peut-être un jour une assurance ayant un tarif basé sur un zonier correspondant au niveau de risque que représente Tulle, c'est-à -dire faible. Il fera le choix de l'assurance contre celui de la solidarité.
Question: jusqu'où peut-on mutualiser, jusqu'à quand peut-on faire payer ceux qui présentent le moins de risques pour ceux qui en présentent davantage?
Réponse: tant que ceux qui présentent le moins de risques acceptent de payer pour les autres, tant qu'ils ne résilient pas leur contrat pour passer à la concurrence.
Problème: la concentration des mauvais risques.
Exemple encore: à la fin des années 90, la Macif avait entrepris de résilier tous les contrats habitation situés en zone inondable dans la vallée du Rhône2. Cela lui permettait de baisser ses primes et devenir très attractive pour les bons risques... tandis que les assureurs qui acceptaient les maisons à risques étaient logiquement obligés d'ajuster leur prime à la hausse et de devenir moins concurrentiels...3.
C'est ce qui se passe dans un secteur de la santé fonctionnant librement: très vite, les meilleurs risques paient de moins en moins chers, tandis que les plus "mauvais" (cigarette, antécédents familiaux, métiers à risque, etc) n'ont plus les moyens de payer leur prime alors que ce sont eux qui en ont le plus besoin.
Or un pays ne peut jamais s'abstenir totalement de soigner les plus démunis, non par humanité, mais par rationalité: car il y aura dans ce cas des risques d'épidémie (cf. la malaria, le sida, etc.). D'autre part, les soigner trop tard n'est pas une solution non plus: il coûte moins cher à la collectivité de soigner une bronchite qu'une pneumonie ou une tuberculose...
Les pays (européens) (l'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas) qui laissent le choix de leur assurance à leurs concitoyens ont dû mettre en place des systèmes de compensation obligeant les sociétés d'assurance attirant les meilleurs risques à reverser une quote-part à ceux prenant en charge les plus mauvais, péréquation compliquée à calculer et à rendre efficace.
En France, la Sécurité sociale obligatoire permet la solidarité entrel les bons et les mauvais risques. Une législation fiscale plus favorable pour les complémentaires de santé qui ne font pas remplir de questionnaires de santé incite également à une répartition équilibrée des "bons" et "mauvais" risques.
Vers quoi va-t-on aujourd'hui? Une privatisation de l'hôpital public (la crainte sous un gouvernement de droite... sachant que du fait d'une gestion défaillante, les hôpitaux publics coûtent bien plus chers que les hôpitaux privés à soins égaux fournis) ou une étatisation de la médecine privée (multiplication des contraintes pour les médecins afin de contrôler les dépenses de santé)? A la lecture des textes, les juristes eux-mêmes ne sont pas d'accord entre eux.
Je vais donc aller écouter quelques interventions sur ces sujets ce soir.
P.S.: Cette présentation est une présentation"d'amateur". Il est possible que j'y expose des partis pris dont je n'ai pas conscience, étant loin de maîtriser toutes les finesses du sujet.
Mes partis pris conscients: je suis pour la Sécurité sociale "à la française" qui organise la solidarité (ce qui n'empêche pas souhaiter de la rendre plus efficace et moins coûteuse) et pour l'Union européenne qui, quoi qu'on en dise, ne l'interdit pas et aurait même tendance à la défendre. (Pourquoi ne dit-on pas davantage que l'Europe est souvent un recours pour les citoyens contre leur propre Etat?)
Notes
1 : Alain Supiot, M. E. Casas, J. de Munck, P. Hanau, Au-delà de l'emploi : transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe : rapport pour la Commission des Communautés européennes, Flammarion, coll. «Flammarion Documents et Essais», Paris, 1999. (Notons pour ne pas donner une image contraire de l'opinion d'Alain Supiot par une citation isolée, qu'Alain Supiot pense justement que la CJCE vide le champ social de son contenu.)
2 : Le contrat d'assurance est un contrat; il faut l'accord des deux parties, on ne peut parler d'un refus de vente.
3 : En France, quand une telle situation dégénère, on assiste généralement à l'intervention du législateur. Exemple: la Corse.
Je sais, c'est un peu tard pour prévenir, mais je doute que cela intéresse qui que ce soit. Et non, ce n'est pas professionnel, c'est ma façon de gagner du temps, d'apprendre en deux heures (enfin, d'apprendre: d'obtenir une première teinture) ce qui me demanderait des heures de lectures (que je ne ferais pas) et ce que les médias ne m'expliqueront jamais.
Autre curiosité: découvrir la Cour de cassation et les ors de la République... (si vous désirez venir, n'oubliez pas de vous inscrire en ligne: il s'agit de mesures de sécurité).
Cycle Assurance et protection sociale - Les risques marchands et non marchands : quelles clefs de répartition?
Késako?
Il s'agit dans le cadre de la directive européenne sur les services ("ex-Bolkestein", profondément remaniée) de croiser deux axes de réflexion:
1/ Dans le cadre de la directive sur les services, que va devenir le secteur social, qui couvre «l'économie sociale, l'éducation populaire, le soutien aux familles, la politique de la petite enfance», financé par les prélèvements sociaux? Ce secteur devra-t-il être soumis intégralement à la concurrence pour obéir à la directive européenne?
Définition du secteur non marchand : aucune définition n'est donnée à priori au niveau de l'Union européenne, il s'agit d'une appréciation au cas par cas, selon les pays, selon les équilibres nationaux, au fur à mesure des affaires jugées par la Cour de Justice des Communautés européennes. (Rappel en gros: vous payez votre femme de ménage, c'est du secteur marchand, elle est payée par les allocations familiales ou la sécurité sociale, c'est un service non marchand).
Débat entre ceux qui pensent que l'Union européenne participe de la pensée libérale — ce qui est à peu près ce qu'on entend tous les jours dans les discours politiques, relayés et amplifiés par les médias — et ceux qui constatent, de facto, que l'étude de la jurisprudence de la CJCE montre que « la solidarité a progressivement acquis la valeur d'un principe juridique en Droit communautaire» tandis que «les systèmes de solidarité ont fait preuve d'une remarquable robustesse, du moins dans la vieille Europe»1.
2/ Quelle différence entre l'assurance et la solidarité?
Cette différence est fondamentale pour comprendre les choix de société que nous avons à faire, que nous allons devoir faire, mais elle est rarement expliquée.
Je vais faire un détour dans mes explications en développant un exemple.
Il existe en assurance la notion de "zonier". Le zonier pévoit des tarifs différents en fonction des risques que présente chaque zone géographique (la zone peut être la commune, le département, un pays (le risque de terrorisme, le risque politique, etc.),...)
Pour donner un exemple s'appliquant à un particulier, s'il existe un zonier, vous ne paierez pas la même prime d'assurance contre le vol pour la même surface d'appartement protégée par les mêmes serrures à Tulle ou à Paris. Il peut ne pas avoir de zonier, ou sa maille peut-être plus ou moins fine: il s'agit de choix que font les assureurs quand ils construisent leur tarif (algorithme basé sur des statistiques). Par exemple, la Maif, mutuelle des instituteurs et des professeurs, a longtemps tarifé sans zonier, ce qui voulait dire que l'habitant de Tulle payait un peu pour l'habitant de Paris. C'était un système fondé sur la solidarité, typique d'un véritable esprit mutualiste (Juste ou pas juste? On peut considérer que l'habitant de Tulle payait le fait de courir moins de risques, on peut répondre que l'habitant de Paris n'avait qu'à choisir d'habiter Tulle... Etc.)
S'il n'existe pas d'autre mutuelle ou assurance que la Maif, la situation est figée. Mais si le secteur est concurrentiel, l'assuré habitant Tulle choisira peut-être un jour une assurance ayant un tarif basé sur un zonier correspondant au niveau de risque que représente Tulle, c'est-à -dire faible. Il fera le choix de l'assurance contre celui de la solidarité.
Question: jusqu'où peut-on mutualiser, jusqu'à quand peut-on faire payer ceux qui présentent le moins de risques pour ceux qui en présentent davantage?
Réponse: tant que ceux qui présentent le moins de risques acceptent de payer pour les autres, tant qu'ils ne résilient pas leur contrat pour passer à la concurrence.
Problème: la concentration des mauvais risques.
Exemple encore: à la fin des années 90, la Macif avait entrepris de résilier tous les contrats habitation situés en zone inondable dans la vallée du Rhône2. Cela lui permettait de baisser ses primes et devenir très attractive pour les bons risques... tandis que les assureurs qui acceptaient les maisons à risques étaient logiquement obligés d'ajuster leur prime à la hausse et de devenir moins concurrentiels...3.
C'est ce qui se passe dans un secteur de la santé fonctionnant librement: très vite, les meilleurs risques paient de moins en moins chers, tandis que les plus "mauvais" (cigarette, antécédents familiaux, métiers à risque, etc) n'ont plus les moyens de payer leur prime alors que ce sont eux qui en ont le plus besoin.
Or un pays ne peut jamais s'abstenir totalement de soigner les plus démunis, non par humanité, mais par rationalité: car il y aura dans ce cas des risques d'épidémie (cf. la malaria, le sida, etc.). D'autre part, les soigner trop tard n'est pas une solution non plus: il coûte moins cher à la collectivité de soigner une bronchite qu'une pneumonie ou une tuberculose...
Les pays (européens) (l'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas) qui laissent le choix de leur assurance à leurs concitoyens ont dû mettre en place des systèmes de compensation obligeant les sociétés d'assurance attirant les meilleurs risques à reverser une quote-part à ceux prenant en charge les plus mauvais, péréquation compliquée à calculer et à rendre efficace.
En France, la Sécurité sociale obligatoire permet la solidarité entrel les bons et les mauvais risques. Une législation fiscale plus favorable pour les complémentaires de santé qui ne font pas remplir de questionnaires de santé incite également à une répartition équilibrée des "bons" et "mauvais" risques.
Vers quoi va-t-on aujourd'hui? Une privatisation de l'hôpital public (la crainte sous un gouvernement de droite... sachant que du fait d'une gestion défaillante, les hôpitaux publics coûtent bien plus chers que les hôpitaux privés à soins égaux fournis) ou une étatisation de la médecine privée (multiplication des contraintes pour les médecins afin de contrôler les dépenses de santé)? A la lecture des textes, les juristes eux-mêmes ne sont pas d'accord entre eux.
Je vais donc aller écouter quelques interventions sur ces sujets ce soir.
P.S.: Cette présentation est une présentation"d'amateur". Il est possible que j'y expose des partis pris dont je n'ai pas conscience, étant loin de maîtriser toutes les finesses du sujet.
Mes partis pris conscients: je suis pour la Sécurité sociale "à la française" qui organise la solidarité (ce qui n'empêche pas souhaiter de la rendre plus efficace et moins coûteuse) et pour l'Union européenne qui, quoi qu'on en dise, ne l'interdit pas et aurait même tendance à la défendre. (Pourquoi ne dit-on pas davantage que l'Europe est souvent un recours pour les citoyens contre leur propre Etat?)
Notes
1 : Alain Supiot, M. E. Casas, J. de Munck, P. Hanau, Au-delà de l'emploi : transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe : rapport pour la Commission des Communautés européennes, Flammarion, coll. «Flammarion Documents et Essais», Paris, 1999. (Notons pour ne pas donner une image contraire de l'opinion d'Alain Supiot par une citation isolée, qu'Alain Supiot pense justement que la CJCE vide le champ social de son contenu.)
2 : Le contrat d'assurance est un contrat; il faut l'accord des deux parties, on ne peut parler d'un refus de vente.
3 : En France, quand une telle situation dégénère, on assiste généralement à l'intervention du législateur. Exemple: la Corse.