samedi 2 juin 2012
Comment pourrir les vingt ans d'un jeune homme
Par Alice, samedi 2 juin 2012 à 16:43 :: 2012
Il y a vingt ans, ma tante (vieille fille sans enfant) ne m'avait pas parlé pendant un an parce que j'avais accouché à la maison. Peut-être que si je ne lui avais pas envoyé une carte d'anniversaire en avril suivant nous n'aurions plus eu aucun contact.
Cela lui aurait évité d'envoyer un chèque de quatre cents euros à mon fils pour ses vingt ans en lui donnant une foule de petits renseignements sur sa vie quotidienne et en glissant incidemment parmi eux «J'aimerais bien avoir un ou deux coups de fil par an; sinon je considèrerai que tu as "rompu les ponts" avec moi. Cela me fera de la peine mais tant pis.»
(Sur le fond elle n'a sans doute pas tort, à cela près que que c'est plutôt contre-productif. Il faut savoir que C. ne peut pas toucher à la télé parce qu'il a cassé la télécommande quand il avait sept ans et qu'elle lui dit quand elle le voit qu'«il lui fait peur» parce qu'il fait un mètre quatre-vingt-cinq et elle moins d'un mètre cinquante.)
Désarçonné, choqué parce qu'il ressent comme du chantage moral1 (du moins je le suppose, puisque pendant ce temps j'étais à Porto), C. montre la lettre à son père qui, fatigué par sa semaine mais aussi par vingt-six ans de ce genre de relations2 et formaté par notre vieille éducation qui veut que nous respections nos aînés, se met à chapîtrer C. sur son égoïsme et autres défauts (apparemment ce fut un panorama large et complet de tous les défauts qu'il trouve à tout le monde sauf à lui-même, dans la grande tradition proustienne3).
— Merci beaucoup, charmant anniversaire.
Désorienté par cette semaine de quatre jours, H. pensait être jeudi et l'avait oublié.
Notes
1 : C'est une vieille coutume familiale.
2 : date à laquelle nous nous sommes rencontrés
3 : «Et à la mauvaise habitude de parler de soi et de ses défauts il faut ajouter comme faisant bloc avec elle, cette autre de dénoncer chez les autres des défauts précisément analogues à ceux qu’on a. Or, c’est toujours de ces défauts-là qu’on parle, comme si c’était une manière de parler de soi, détournée, et qui joint au plaisir de s’absoudre celui d’avouer. D’ailleurs il semble que notre attention toujours attirée sur ce qui nous caractérise le remarque plus que toute autre chose chez les autres.» A l'ombre des jeunes filles en fleurs Noms de pays: le pays (Je lis Proust comme une histoire de famille.)
Cela lui aurait évité d'envoyer un chèque de quatre cents euros à mon fils pour ses vingt ans en lui donnant une foule de petits renseignements sur sa vie quotidienne et en glissant incidemment parmi eux «J'aimerais bien avoir un ou deux coups de fil par an; sinon je considèrerai que tu as "rompu les ponts" avec moi. Cela me fera de la peine mais tant pis.»
(Sur le fond elle n'a sans doute pas tort, à cela près que que c'est plutôt contre-productif. Il faut savoir que C. ne peut pas toucher à la télé parce qu'il a cassé la télécommande quand il avait sept ans et qu'elle lui dit quand elle le voit qu'«il lui fait peur» parce qu'il fait un mètre quatre-vingt-cinq et elle moins d'un mètre cinquante.)
Désarçonné, choqué parce qu'il ressent comme du chantage moral1 (du moins je le suppose, puisque pendant ce temps j'étais à Porto), C. montre la lettre à son père qui, fatigué par sa semaine mais aussi par vingt-six ans de ce genre de relations2 et formaté par notre vieille éducation qui veut que nous respections nos aînés, se met à chapîtrer C. sur son égoïsme et autres défauts (apparemment ce fut un panorama large et complet de tous les défauts qu'il trouve à tout le monde sauf à lui-même, dans la grande tradition proustienne3).
— Merci beaucoup, charmant anniversaire.
Désorienté par cette semaine de quatre jours, H. pensait être jeudi et l'avait oublié.
Notes
1 : C'est une vieille coutume familiale.
2 : date à laquelle nous nous sommes rencontrés
3 : «Et à la mauvaise habitude de parler de soi et de ses défauts il faut ajouter comme faisant bloc avec elle, cette autre de dénoncer chez les autres des défauts précisément analogues à ceux qu’on a. Or, c’est toujours de ces défauts-là qu’on parle, comme si c’était une manière de parler de soi, détournée, et qui joint au plaisir de s’absoudre celui d’avouer. D’ailleurs il semble que notre attention toujours attirée sur ce qui nous caractérise le remarque plus que toute autre chose chez les autres.» A l'ombre des jeunes filles en fleurs Noms de pays: le pays (Je lis Proust comme une histoire de famille.)