jeudi 23 septembre 2021
Brrr
Par Alice, jeudi 23 septembre 2021 à 22:21 :: 2021
Quand H. fait du "présentiel" (quel mot correct devrait-on utiliser? A situation nouvelle mot nouveau, je n'ai jamais su traduire IRL (in real live) autrement que par "en chair et en os", à la fois désuet et légèrement emphatique: «Viens, on se verra enfin en chair et en os» sonne malgré tout étrange) — quand H. fait du présentiel, donc, nous partons ensemble.
Le choix est le suivant : soit je m'adapte à son horaire et pars une heure plus tard, et donc arrive une heure plus tard; soit il s'adapte à mon horaire et arrive beaucoup trop tôt (son bureau ouvre à une heure décente, c'est-à-dire neuf heures), temps qu'il passe à petit-déjeuner au Terminus en face de la gare de Lyon, un bistrot ouvert dès cinq heures avec cuisine opérationnelle (le nombre de fois où à sept heures et demie il est impossible d'avoir une omelette) qui sert des toasts au saumon à six heures du matin.
Ce matin nous avons choisi le pire des deux mondes: il est parti avec moi et j'ai petit déjeuné avec lui — hagards de sommeil, n'échangeant pas un mot — nous aurions mieux fait de dormir une heure de plus.
Journée toujours aussi speed et décousue, je suis frustrée de ne rien réussir de propre, de ne jamais réellement traiter un sujet à fond. Je suppose que ça viendra — dans un, deux, ou trois ans. Comme s'est exclamé l'un des jeunes de l'équipe: «la patience est une vertu». (Non, ce n'était pas à moi qu'il s'adressait.)
Présentation des futurs locaux à l'équipe. Au printemps nous passerons de Vincennes actuellement à rue Picpus. J'ai cru comprendre que j'allais y perdre un quart d'heure… il sera temps de faire deux jours de télétravail.
Je papote avec Dominique, la responsable compta finance. Son père est mort d'Alzheimer («On ne meurt pas d'Alzheimer mais des conséquences d'Alzheimer. — Qu'est-ce que tu veux dire? — Lui faisait beaucoup de fausses routes, d'où des pneumonies à répétition. Il est mort de cela.»), sa mère a une maladie neuro-dégénérative qui n'est pas Alzheimer («nous, on ne voit pas la différence»), elle suit les infos sur le sujet, me parle des deux hippocampes, de la mémoire, de la musique qui passe outre l'hippocampe (et donc échappe en partie à la perte de mémoire).
Je lui raconte mes troubles de langage depuis que j'ai été très fatiguée lors de ma première grossesse (et les dix ans qui ont suivi), ma façon de dire «tu sortiras la boîte aux lettres» quand je veux parler de la poubelle (par exemple) ou d'avoir des blancs de plusieurs secondes quand soudain un mot m'échappe, non que je l'ai sur le bout de la langue, mais que mon cerveau se transforme en lande brumeuse dans lequel je ne vois plus rien. Je suis aphasique quelques instants.
— Tu as peut-être fait un micro-AVC. La seule façon de le savoir c'est de passer un scanner.
— A vingt-quatre ans?
Moi qui me disais que ça me faisait un point commun avec Mallarmé, qui aurait vécu après la mort de son fils une période d'aphasie ou équivalent. (Il me semble que ça correspond à une période d'absence d'écriture.) Un micro-AVC, c'est moins glamour.
Ce que ne sait pas Dominique, ce qu'elle ne peut pas savoir, c'est qu'elle me ramène à la mort de Jacqueline, ma coéquipière d'aviron à quatorze ans, morte d'un AVC à trente-sept ans.
Ne nous affolons pas (en fait cela me fait sourire mi-figue mi-raisin). N'empêche que le soir j'ai mesuré ma tension, qui forcément avec la frustration de la journée n'est pas mirobolante.
La doctoresse l'autre jour a regardé mes diverses mesures et a été rassurée: ma tension fait des pics, mais redescend en vacances ou le week-end après l'aviron. Apparemment c'est ce qui compte. Une vraie tension haute ne cède pas (si j'ai bien compris).
Le soir A. nous ramène le chat. Dîner d'une flameküche. Elle a l'air en forme. Elle raconte qu'elle se fait mal voir de ses collègues car elle a accepté de faire deux tournées: sa hiérarchie directe la remercie (parce que le travail est fait, je suppose), sa hiérarchie N+1 n'est pas enchantée car cela fausse leurs arguments à l'appui d'un recrutement pour remplacer un facteur qui vient de partir à la retraite.
Je ne sais qu'en penser. Les deux positions ont leurs avantages et leurs inconvénients.
— Tu veux dire que le jour où tu pars ils perdent deux postes?
— Pas vraiment, parce que lorsque je fais deux tournées, je ne fais que l'urgent, les paquets, les lettres urgentes. Pas la publicité, pas les lettres vertes.
— Mais c'est distribué quand alors ? Tu connais le cas du facteur qui repostait tout le courrier? (Histoire vraie. Elle rit.)
— Le titulaire le fait le lendemain.
Le soir je termine Alexandre le bienheureux, commencé hier et que je n'avais jamais vu.
Le choix est le suivant : soit je m'adapte à son horaire et pars une heure plus tard, et donc arrive une heure plus tard; soit il s'adapte à mon horaire et arrive beaucoup trop tôt (son bureau ouvre à une heure décente, c'est-à-dire neuf heures), temps qu'il passe à petit-déjeuner au Terminus en face de la gare de Lyon, un bistrot ouvert dès cinq heures avec cuisine opérationnelle (le nombre de fois où à sept heures et demie il est impossible d'avoir une omelette) qui sert des toasts au saumon à six heures du matin.
Ce matin nous avons choisi le pire des deux mondes: il est parti avec moi et j'ai petit déjeuné avec lui — hagards de sommeil, n'échangeant pas un mot — nous aurions mieux fait de dormir une heure de plus.
Journée toujours aussi speed et décousue, je suis frustrée de ne rien réussir de propre, de ne jamais réellement traiter un sujet à fond. Je suppose que ça viendra — dans un, deux, ou trois ans. Comme s'est exclamé l'un des jeunes de l'équipe: «la patience est une vertu». (Non, ce n'était pas à moi qu'il s'adressait.)
Présentation des futurs locaux à l'équipe. Au printemps nous passerons de Vincennes actuellement à rue Picpus. J'ai cru comprendre que j'allais y perdre un quart d'heure… il sera temps de faire deux jours de télétravail.
Je papote avec Dominique, la responsable compta finance. Son père est mort d'Alzheimer («On ne meurt pas d'Alzheimer mais des conséquences d'Alzheimer. — Qu'est-ce que tu veux dire? — Lui faisait beaucoup de fausses routes, d'où des pneumonies à répétition. Il est mort de cela.»), sa mère a une maladie neuro-dégénérative qui n'est pas Alzheimer («nous, on ne voit pas la différence»), elle suit les infos sur le sujet, me parle des deux hippocampes, de la mémoire, de la musique qui passe outre l'hippocampe (et donc échappe en partie à la perte de mémoire).
Je lui raconte mes troubles de langage depuis que j'ai été très fatiguée lors de ma première grossesse (et les dix ans qui ont suivi), ma façon de dire «tu sortiras la boîte aux lettres» quand je veux parler de la poubelle (par exemple) ou d'avoir des blancs de plusieurs secondes quand soudain un mot m'échappe, non que je l'ai sur le bout de la langue, mais que mon cerveau se transforme en lande brumeuse dans lequel je ne vois plus rien. Je suis aphasique quelques instants.
— Tu as peut-être fait un micro-AVC. La seule façon de le savoir c'est de passer un scanner.
— A vingt-quatre ans?
Moi qui me disais que ça me faisait un point commun avec Mallarmé, qui aurait vécu après la mort de son fils une période d'aphasie ou équivalent. (Il me semble que ça correspond à une période d'absence d'écriture.) Un micro-AVC, c'est moins glamour.
Ce que ne sait pas Dominique, ce qu'elle ne peut pas savoir, c'est qu'elle me ramène à la mort de Jacqueline, ma coéquipière d'aviron à quatorze ans, morte d'un AVC à trente-sept ans.
Ne nous affolons pas (en fait cela me fait sourire mi-figue mi-raisin). N'empêche que le soir j'ai mesuré ma tension, qui forcément avec la frustration de la journée n'est pas mirobolante.
La doctoresse l'autre jour a regardé mes diverses mesures et a été rassurée: ma tension fait des pics, mais redescend en vacances ou le week-end après l'aviron. Apparemment c'est ce qui compte. Une vraie tension haute ne cède pas (si j'ai bien compris).
Le soir A. nous ramène le chat. Dîner d'une flameküche. Elle a l'air en forme. Elle raconte qu'elle se fait mal voir de ses collègues car elle a accepté de faire deux tournées: sa hiérarchie directe la remercie (parce que le travail est fait, je suppose), sa hiérarchie N+1 n'est pas enchantée car cela fausse leurs arguments à l'appui d'un recrutement pour remplacer un facteur qui vient de partir à la retraite.
Je ne sais qu'en penser. Les deux positions ont leurs avantages et leurs inconvénients.
— Tu veux dire que le jour où tu pars ils perdent deux postes?
— Pas vraiment, parce que lorsque je fais deux tournées, je ne fais que l'urgent, les paquets, les lettres urgentes. Pas la publicité, pas les lettres vertes.
— Mais c'est distribué quand alors ? Tu connais le cas du facteur qui repostait tout le courrier? (Histoire vraie. Elle rit.)
— Le titulaire le fait le lendemain.
Le soir je termine Alexandre le bienheureux, commencé hier et que je n'avais jamais vu.