mardi 30 avril 2013
Hannah Arendt (le film)
Par Alice, mardi 30 avril 2013 à 08:21 :: 2013
Que des dialogues, bien sûr, avec l'accent allemand parlant anglais.
Je me demande si l'appartement d'Arendt donnait ainsi sur l'East River.
Je ne sais pas s'il est possible de rendre le scandale de l'époque. Hannah Arendt a perdu tous ses amis dans cette affaire. Toutes les correspondances s'interrompent à ce moment-là (je feuilletais l'autre jour celle d'Arendt-Scholem: elle s'arrête en 1963). Le film illustre cela avec Hans Jonas et Kurt Blumenfeld.
L'idée développée est que ce qui nous rend humain est la pensée. Eichmann et ses pairs ont cessé d'être humain car ils ont cessé de penser. Ils se sont contentés d'appliquer des ordres.
Cela me paraît faux : Heidegger n'a jamais cessé de penser, cela ne l'a pas empêché d'errer.
Ni l'intelligence ni la culture ne protègent du mal (dans son application quotidienne: la méchanceté) ni de la bêtise.
Ce qu'essaie d'articuler Hannah Arendt, c'est la médiocrité d'un homme avec l'efficacité et l'atrocité du système mis en place. Un taylorisme poussé à l'extrême, finalement. Chaque artisan intervenant dans la construction d'une cathédrale ne devait pas être bien malin non plus. Ce qui manque à l'artisan ou à Eichmann, c'est le recul pour juger de l'ensemble.
Mais si Eichmann ou les autres avaient eu ce recul, auraient-ils agi autrement? Je ne le crois pas, au moins pour la majorité d'entre eux.1
Qu'est-ce qui rend humain? L'attention à chacun, individuellement. Le refus de traiter une personne selon la catégorie où on la place.
Crime contre l'humanité: j'ai compris soudain qu'il ne s'agissait pas de crime contre "l'humanité, communauté d'hommes", mais crime contre "l'humanité, ce qui constitue la qualité d'homme, la qualité d'appartenir à l'humanité"; crime de déni d'humanité.
La particularité de ce crime, c'est qu'il s'applique autant au bourreau qu'à la victime: le bourreau dénie la qualité d'homme à la victime, mais ce faisant il se la dénie également. En ne sachant pas reconnaître un pair, il pert la qualité de pair. En un sens on juge le bourreau pour quelque chose qu'il s'est infligé à lui-même.
Peut-on juger un homme comme un homme quand il s'est lui-même retiré la qualité d'homme? Sa seule place ne serait-elle pas le zoo? Mais si nous décidions cela, deviendrions-nous comme lui, en lui niant sa qualité d'homme?
Note
1 : Je triche un peu en disant cela, car je suis persuadée que malgré leurs dénégations, ils étaient au courant. Si même les personnes enfermées dans les ghettos de Hongrie étaient au courant, comment les dignitaires berlinois ne l'auraient-ils pas été? Je crois que c'est Himmler qui avait vu les Einsatzgruppen à l'œuvre et disait à tout dirigeant allemand: «N'y allez pas, n'allez pas voir ça» (la référérence est à retrouver dans Raul Hilberg).
Je me demande si l'appartement d'Arendt donnait ainsi sur l'East River.
Je ne sais pas s'il est possible de rendre le scandale de l'époque. Hannah Arendt a perdu tous ses amis dans cette affaire. Toutes les correspondances s'interrompent à ce moment-là (je feuilletais l'autre jour celle d'Arendt-Scholem: elle s'arrête en 1963). Le film illustre cela avec Hans Jonas et Kurt Blumenfeld.
L'idée développée est que ce qui nous rend humain est la pensée. Eichmann et ses pairs ont cessé d'être humain car ils ont cessé de penser. Ils se sont contentés d'appliquer des ordres.
Cela me paraît faux : Heidegger n'a jamais cessé de penser, cela ne l'a pas empêché d'errer.
Ni l'intelligence ni la culture ne protègent du mal (dans son application quotidienne: la méchanceté) ni de la bêtise.
Ce qu'essaie d'articuler Hannah Arendt, c'est la médiocrité d'un homme avec l'efficacité et l'atrocité du système mis en place. Un taylorisme poussé à l'extrême, finalement. Chaque artisan intervenant dans la construction d'une cathédrale ne devait pas être bien malin non plus. Ce qui manque à l'artisan ou à Eichmann, c'est le recul pour juger de l'ensemble.
Mais si Eichmann ou les autres avaient eu ce recul, auraient-ils agi autrement? Je ne le crois pas, au moins pour la majorité d'entre eux.1
Qu'est-ce qui rend humain? L'attention à chacun, individuellement. Le refus de traiter une personne selon la catégorie où on la place.
Crime contre l'humanité: j'ai compris soudain qu'il ne s'agissait pas de crime contre "l'humanité, communauté d'hommes", mais crime contre "l'humanité, ce qui constitue la qualité d'homme, la qualité d'appartenir à l'humanité"; crime de déni d'humanité.
La particularité de ce crime, c'est qu'il s'applique autant au bourreau qu'à la victime: le bourreau dénie la qualité d'homme à la victime, mais ce faisant il se la dénie également. En ne sachant pas reconnaître un pair, il pert la qualité de pair. En un sens on juge le bourreau pour quelque chose qu'il s'est infligé à lui-même.
Peut-on juger un homme comme un homme quand il s'est lui-même retiré la qualité d'homme? Sa seule place ne serait-elle pas le zoo? Mais si nous décidions cela, deviendrions-nous comme lui, en lui niant sa qualité d'homme?
Note
1 : Je triche un peu en disant cela, car je suis persuadée que malgré leurs dénégations, ils étaient au courant. Si même les personnes enfermées dans les ghettos de Hongrie étaient au courant, comment les dignitaires berlinois ne l'auraient-ils pas été? Je crois que c'est Himmler qui avait vu les Einsatzgruppen à l'œuvre et disait à tout dirigeant allemand: «N'y allez pas, n'allez pas voir ça» (la référérence est à retrouver dans Raul Hilberg).