mardi 2 février 2010
A la dérobée
Par Alice, mardi 2 février 2010 à 23:46 :: 2010
Les gens descendent à Chatelet, d'autres montent, un espace se crée entre moi et ma voisine, nous sommes debout collées le long des strapontins, elle légèrement tournée vers moi, le dos au mur. J'observe ses mains, six à huit millimètres d'ongles, french manucure, comment peut-on travailler avec ça, elle est très jeune, plus petite que moi, chemisier blanc tailleur noir, pas de manteau c'est étrange, les yeux lourdement maquillés, la peau ocre, un peu vulgaire mais jolie. Dans l'espace créé par le départ de une ou deux personnes elle secoue son iPhone pour que l'écran repasse en lecture verticale. Elle a des écouteurs sur les oreilles.
Comme la foule est moins serrée je peux ouvrir mon livre; je me plonge dans L'Inauguration de la salle des Vents, à la recherche de certains mots. Je ne l'ai pas relue depuis Journal de Travers, de nombreux passages acquièrent une nouvelle épaisseur. Je lis.
Comme la foule est moins serrée je peux ouvrir mon livre; je me plonge dans L'Inauguration de la salle des Vents, à la recherche de certains mots. Je ne l'ai pas relue depuis Journal de Travers, de nombreux passages acquièrent une nouvelle épaisseur. Je lis.
p'têt pas rompu rompu, y z'ont jamais vraiment rompu, surtout que bon, officiellement, tu m'diras y avait rien à rompre, mais bon, quand même i z'étaient ensemble, et un beau jour crac tu sais pas trop pourquoi, p'têt pa'ce q'le mec il avait peur d'êt malade comme ça à l'étranger, hyperloin d'sa famille et tout, ou même pa'ce qu'i sentait bien qu'question soutien moral et tout, si tu vois c'que j'veux dire, ça allait p'têt pas être idéal-idéal, bon i's'barre bon ben l'aut' déjà là ça aussi déjà ça l'arrangeait pas mal, si tu r'gardes bien, ça voulait dire qu'il aurait pas à s'taper sept huit piges d'un mec que tu savais bien comment qu'tout ça barré comme c'était barré ça allait s'finir, et bon ben lui il était couvert, si tu vois c'que j'veux dire, i pouvait s'dire ben ouais o.k. d'accord o.k. tout ça c'est bien triste, mais quand même c'est pas mon problème, le mec i m'a quitté i m'a quitté, c'est quand même pas moi que j'l'ai laissé tomber pa'ce qu'il était malade, ça a rien à voir, et là pareil l'coup du téléphone … (p.302)Je sens un regard sur la page, un poids. Je relève la tête. Elle est en train de lire. J'imagine les mots arrivant à sa conscience, à sa compréhension. Nos yeux se croisent, je lui souris, elle me rend un sourire hésitant, étonné.