mardi 14 novembre 2006
Les Lumières du faubourg
Par Alice, mardi 14 novembre 2006 à 00:30 :: 2006
J'aime Aki Kaurismäki. Moi qui ne prends plus la peine d'aller au cinéma, je m'efforce de ne pas rater la sortie de ses films. Je suis donc allée voir Les Lumières du faubourg il y a dix jours.
J'attendais tranquillement ce qui allait s'en dire sur les quelques blogs que je lis. C'est simple : rien.
Alors je vais essayer.
Le plus grand problème que je rencontre quand j'essaie de penser à ce film pour mettre mes quelques idées en ordre, c'est que je n'arrive pas à y penser de façon isolée : je n'arrive à penser aux Lumières du faubourg que par rapport à deux autres films, La fille aux allumettes, du même Kaurismaki, et Dancer in the Dark, de Lars von Trier.
Cela m'a gêné pendant le visionnage du film, cela me gêne encore : on dirait que ce film, au moins dans ma tête, n'a pas d'existence propre, il est la version masculine de La fille aux allumettes. J'ai l'impression d'un tryptique : à la question "Est-il possible d'être sauvé ? " (ou : "l'amour peut-il nous sauver?"), La fille aux allumettes répond non, L'Homme sans passé répond oui, les Lumières du faubourg répond peut-être.
Mon malaise, ou ma légère déception, provient sans doute de ce fait tout simple : il est difficile de s'entendre répondre "peut-être" quand la réponse précédente était "oui"…
Quant au film lui-même, il me semble que c'est un Dancer in the Dark réussi: même noirceur, même exploitation du faible par le fort, même impossibilité, purement morale de la part du faible (qui trouve là sa grandeur) de se justifier, même condamnation sociale… Mais Kaurismäki, à la différence de von Trier, n'en rajoute pas, il fait ni dans le baroque ni dans le drame et tend strictement vers l'inverse, vers le moins d'effets : comment pourrais-je en montrer moins encore? s'interroge la caméra, les acteurs pourraient-ils parler moins, bouger moins, qu'est-ce qui est vraiment indispensable? s'interroge le réalisateur.
Les images et les histoires de Kaurismäki obéissent toujours à une logique implacable. Chaque image parvient à être une totale surprise et une totale évidence : si les histoires extrêmement épurées de Kaurismäki, à la limite de la caricature, demeurent si expressives et si plausibles, c'est qu'elles obéissent impeccablement à des lois d'enchaînement de causes à conséquences que nous connaissons parfaitement, de même que nous savons que nous ne voulons pas reconnaître que nous les connaissons (et que nous allons aussi au cinéma dans l'espoir que cela se passera différemment à l'écran que dans "la vraie vie" (et de temps en temps, oui, il y a un miracle, comme dans L'Homme sans passé (mais cela peut arriver aussi dans "la vraie vie") et d'autres fois, non, il n'y a pas de miracle, un prêt bancaire sans caution ne sera pas accepté, non, ce n'est pas gratuitement qu'une jolie petite blonde drague un minable, oui, le minable se fera casser la figure s'il cherche noise à trois gros musclés, etc), et tout le poignant des Lumières du faubourg, c'est que nous savons à l'avance tout ce qui va se passer, inéluctablement, et que nous passons le film à espérer que nous nous trompons.
Lorsque je pense à ce film, je pense au mot "politique" (c'était déjà le cas pour L'Homme sans passé), dans le sens fort et noble du terme — et c'est pour moi un émerveillement, il n'arrive pas souvent que j'associe noblesse et politique. Nous assistons à une démonstration qui dénonce autant les travers insupportables d'une société qu'elle illustre avec douceur et fatalisme les illusions, les forces et les faiblesses de la gent humaine.
Lorsque je pense à ce film, je me dis que Kaurismäki raconte aujourd'hui ce que racontaient Hugo ou Zola ou Eugène Sue il y a plus d'un siècle à leurs contemporains, il réactualise la critique sociale à travers l'œuvre d'art, sans mièvrerie, avec tendresse et dureté.
Il faut que je retourne voir ce film pour essayer de comprendre un détail : par quel miracle, quelle image, quelle expression, savons-nous (le spectateur sait-il) de façon certaine au bout de trois secondes que la vendeuse de saucisses est amoureuse du héros? Comment Kaurismäki nous le fait-il comprendre? Pourquoi cela m'a-t-il paru si évident?
J'attendais tranquillement ce qui allait s'en dire sur les quelques blogs que je lis. C'est simple : rien.
Alors je vais essayer.
Le plus grand problème que je rencontre quand j'essaie de penser à ce film pour mettre mes quelques idées en ordre, c'est que je n'arrive pas à y penser de façon isolée : je n'arrive à penser aux Lumières du faubourg que par rapport à deux autres films, La fille aux allumettes, du même Kaurismaki, et Dancer in the Dark, de Lars von Trier.
Cela m'a gêné pendant le visionnage du film, cela me gêne encore : on dirait que ce film, au moins dans ma tête, n'a pas d'existence propre, il est la version masculine de La fille aux allumettes. J'ai l'impression d'un tryptique : à la question "Est-il possible d'être sauvé ? " (ou : "l'amour peut-il nous sauver?"), La fille aux allumettes répond non, L'Homme sans passé répond oui, les Lumières du faubourg répond peut-être.
Mon malaise, ou ma légère déception, provient sans doute de ce fait tout simple : il est difficile de s'entendre répondre "peut-être" quand la réponse précédente était "oui"…
Quant au film lui-même, il me semble que c'est un Dancer in the Dark réussi: même noirceur, même exploitation du faible par le fort, même impossibilité, purement morale de la part du faible (qui trouve là sa grandeur) de se justifier, même condamnation sociale… Mais Kaurismäki, à la différence de von Trier, n'en rajoute pas, il fait ni dans le baroque ni dans le drame et tend strictement vers l'inverse, vers le moins d'effets : comment pourrais-je en montrer moins encore? s'interroge la caméra, les acteurs pourraient-ils parler moins, bouger moins, qu'est-ce qui est vraiment indispensable? s'interroge le réalisateur.
Les images et les histoires de Kaurismäki obéissent toujours à une logique implacable. Chaque image parvient à être une totale surprise et une totale évidence : si les histoires extrêmement épurées de Kaurismäki, à la limite de la caricature, demeurent si expressives et si plausibles, c'est qu'elles obéissent impeccablement à des lois d'enchaînement de causes à conséquences que nous connaissons parfaitement, de même que nous savons que nous ne voulons pas reconnaître que nous les connaissons (et que nous allons aussi au cinéma dans l'espoir que cela se passera différemment à l'écran que dans "la vraie vie" (et de temps en temps, oui, il y a un miracle, comme dans L'Homme sans passé (mais cela peut arriver aussi dans "la vraie vie") et d'autres fois, non, il n'y a pas de miracle, un prêt bancaire sans caution ne sera pas accepté, non, ce n'est pas gratuitement qu'une jolie petite blonde drague un minable, oui, le minable se fera casser la figure s'il cherche noise à trois gros musclés, etc), et tout le poignant des Lumières du faubourg, c'est que nous savons à l'avance tout ce qui va se passer, inéluctablement, et que nous passons le film à espérer que nous nous trompons.
Lorsque je pense à ce film, je pense au mot "politique" (c'était déjà le cas pour L'Homme sans passé), dans le sens fort et noble du terme — et c'est pour moi un émerveillement, il n'arrive pas souvent que j'associe noblesse et politique. Nous assistons à une démonstration qui dénonce autant les travers insupportables d'une société qu'elle illustre avec douceur et fatalisme les illusions, les forces et les faiblesses de la gent humaine.
Lorsque je pense à ce film, je me dis que Kaurismäki raconte aujourd'hui ce que racontaient Hugo ou Zola ou Eugène Sue il y a plus d'un siècle à leurs contemporains, il réactualise la critique sociale à travers l'œuvre d'art, sans mièvrerie, avec tendresse et dureté.
Il faut que je retourne voir ce film pour essayer de comprendre un détail : par quel miracle, quelle image, quelle expression, savons-nous (le spectateur sait-il) de façon certaine au bout de trois secondes que la vendeuse de saucisses est amoureuse du héros? Comment Kaurismäki nous le fait-il comprendre? Pourquoi cela m'a-t-il paru si évident?