Choc : je suis la seule de mon âge dans un groupe de vingt. Il est possible que deux ou trois aient trente ans, mais c'est un maximum. La plus jeune passe en terminale l'année prochaine. Je ne pensais pas être une telle exception. Cela m'intimide.
Une majorité de filles, dix-sept sur vingt.

Constatation (connue (de moi) mais renouvelée): l'efficacité du réseau jésuite. Tous viennent d'écoles tenues par des jésuites ou d'universités dont les aumôniers sont jésuites. J'ai l'impression de me revoir moi-même à Sciences-Po… sauf qu'à âge équivalent ils ont voyagé bien plus que moi (ô ce regret d'avoir fait mes études avant la chute du mur). Et puis je faisais partie des "pauvres" à Sciences-Po, et eux non.

Explication du statut des réfugiés (définition juridique. Photo d'un powerpoint projeté au mur) :



«En France on appelle étrangers des gens qui ne le sont pas: ils sont nés ici, ils n'ont pas d'ailleurs. Ça génère beaucoup de frustrations.»

La proposition jrs se décline en sept programmes.

J'aime bien les grains de sagesse jésuite (jèz pour les intimes) que sème le père Antoine (il me semble que c'était Antoine):
— Qui ici a vécu la position d'être étranger? (Quelques mains se lèvent.) C'est fondateur. Le jour où vous descendez d'avion et que vous êtes le seul Blanc et qu'on va bien voir que vous n'êtes pas d'ici, vous comprenez quelque chose. Et ne rien comprendre, une autre langue, un autre alphabet… (Et soudain je me demande, comme dans une psychothérapie inattendue, quelle part joue dans le fait d'être là le fait d'avoir grandi au Maroc.)
«Les gens passent, ils ne vous appartiennent pas. A un moment ils ont besoin de partir, il faut l'accepter»; «un atelier d'amicothérapie»; «si vous vous sentez plus proches des migrants qui passent que de l'équipe dans laquelle vous travaillez ou que de votre famille, quelque chose ne va pas, ce n'est pas sain»; «les migrants sont placés six semaines en famille d'accueil. Pas plus de six semaines, parce qu'ils doivent construire leur vie, pas s'incruster dans la vôtre»; «vous ne pouvez sauvez personne. Vous saurez ce qu'ils vous apportent, vous ne saurez jamais ce que vous leur apportez. Il faut l'accepter»; «chaque fois que vous créez un groupe, vous créez un dedans et un dehors. Certeau l'a théorisé. C'est difficile, il faut en être conscient»; «une langue, c'est une manière d'apprendre à se connaître. On dit dans une langue des choses qu'on ne dirait pas dans une autre».

Déjeuner, végétarien par défaut, avec quelques tranches de jambon à part.

Après-midi sur le droit d'asile : les procédures juridiques françaises — et européennes quand les deux se croisent. C'est épouvantablement compliqué, je ne comprends pas comment un migrant ne parlant pas français a une chance de sortir du labyrinthe.
Je retiens que les audiences du CNDA (cour nationale du droit d'asile) à Montreuil sont publiques, qu'il est conseillé d'y aller une ou deux fois pour avoir une idée des dossiers traités là.

Pierre raconte toutes les embûches, le trafic des tickets de queue dans les préfecture, le jour où la préfecture de Nanterre a ouvert la porte du fond et non la porte principale, rendant caduque l'attente de ceux arrivés à trois heures du matin, ceux qui achètent des «récits de vie infaillibles» (pour obtenir le droit d'asile) à des compatriotes peu scrupuleux et se font débouter parce que leur récit ressemble à des dizaines d'autres (il me semble que Kaurismäki en parlait dans De l'autre côté de l'espoir).

Pierre sourit tout le temps, la bouche fermée, les yeux rieurs, comme s'il s'excusait de raconter des trucs révoltants, injustes, sur un fil, qui mettent en jeu la vie des gens.

En fin de journée nous abordons le planning. Je dois venir tous les matins de juillet du mardi au vendredi. Peut-être poserai-je une journée de congé le lundi 27 pour participer à la dernière randonnée du mois.