Alice du fromage

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Billets qui ont 'Proust, Marcel' comme nom propre.

mardi 10 août 2021

Nouveau départ

«Leur Jésus est un autre.» J'adore.

Ça me rappelle ce passage de Proust:
Il fallut pourtant une circonstance exceptionnelle pour qu'un jour [le directeur] découpât lui-même les dindonneaux. J'étais sorti mais j'ai su qu'il l'avait fait avec une majesté sacerdotale, entouré, à distance respectueuse du dressoir, d'un cercle de garçons qui cherchaient par là moins à apprendre qu'à se faire bien voir, et avaient un air béat d'admiration. Vus d'ailleurs par le directeur (plongeant d'un geste lent dans le flanc des victimes et n'en détachant pas plus ses yeux pénétrés de sa haute fonction que s'il avait dû y lire quelque augure), ils ne le furent nullement. Le sacrificateur ne s'aperçut même pas de mon absence. Quand il l'apprit, elle le désola. «Comment, vous ne m'avez pas vu découper moi-même les dindonneaux?» Je lui répondis que n'ayant pu voir jusqu'ici Rome, Venise, Sienne, le Prado, le musée de Dresde, les Indes, Sarah dans Phèdre, je connaissais la résignation et que j'ajouterais son découpage des dindonneaux à ma liste. La comparaison avec l'art dramatique (Sarah dans Phèdre) fut la seule qu'il parut comprendre, car il savait par moi que, les jours de grandes représentations, Coquelin aîné avait accepté des rôles de débutant, celui même d'un personnage qui ne dit qu'un mot ou ne dit rien. «C'est égal, je suis désolé pour vous. Quand est-ce que je découperai de nouveau? Il faudrait un événement, il faudrait une guerre.» (Il fallut en effet l'armistice.) Depuis ce jour-là le calendrier fut changé, on compta ainsi: «C'est le lendemain du jour où j'ai découpé moi-même les dindonneaux.» «C'est juste huit jours après que le directeur a découpé lui-même les dindonneaux.» Ainsi cette prosectomie donna-t-elle, comme la naissance du Christ ou l'Hégire, le point de départ d'un calendrier différent des autres, mais qui ne prit pas leur extension et n'égala pas leur durée.

Proust, Sodome et Gomorrhe
Ceci me permet d'un même élan de donner à Matoo ce lien vers La Recherche en ligne.

vendredi 6 août 2021

Régime alimentaire

A la Table du loup j'ai commandé des accras, des frites de patate douce et des pommes de terre à l'ail. Et un gin anisé et du pain perdu.

— Y en a qui mangent du pain avec leurs pâtes, toi tu manges des frites avec tes patates.

Ce matin je suis en indigestion et j'ai une haleine de chacal.





PS: Au même moment, à 21h, QuandMarcelTweete, le bot (robot) qui recherche les phrases courtes dans La Recherche, a tweeté «Je n'ai plus faim».

jeudi 22 juillet 2021

Sodome et Gomorrhe

Ligne 1, 7 heures.
Je ne connaissais pas cette couverture, subtilement en rappel de la robe de la lectrice.

femme lisant Proust sur la ligne 1


mercredi 19 mai 2021

Pas de quoi se vanter

En boîtant dimanche à Veneux-les-Sablons, j'ai repéré place de l'église (et de la mairie réunies) une plaque célébrant Jacques Madeleine.

monument Jacques Madeleine place de l'Eglise à Veneux


Personne ne savait qui il était.
Renseignement pris, Jacques Madeleine est le lecteur de Grasset Fasquelle qui a refusé le manuscrit du Côté de chez Swann.

vendredi 28 février 2020

Vers Bruges

Un peu hésité : prendre la décapotable ou pas? le temps s'annonce mauvais, mais le but de cette voiture est bien de se promener. C'est parti pour un voyage hors autoroute jusqu'à la nuit.

Beauvais : nous découvrons le rouge beauvaisien, la statue de Jeanne Hachette, de multiples rappels de la guerre de 14-18. Il fait froid dans la cathédrale (nous sommes là pour elle, je voulais la visiter), elle paraît courte, quasi dépourvue de nef qui se fond dans les transepts. C'est la cathédrale gothique la plus haute du monde; elle en paie le prix: deux piliers sont étayés par une énorme armature en bois, plus loin c'est un gigantesque contrefort, une béquille, qui a été installé. Je m'interroge sur les calculs de force qui ont amené à ces travaux.
— Ce qui est sûr, c'est qu'ils n'ont pas été fait par des Français: les écoles françaises d'architecture sont les seules au monde à ne pas comporter de cours d'ingénierie. C'est comme ça qu'on se retrouve avec des projets qui prévoient du verre polarisé aux fenêtres de la TGB. «Vous avez calculé la surface nécessaire? — Euh non. — Bon ben on va faire autrement, alors.»

Puis Amiens. Maison Jules Verne qui est plutôt un musée. Beaucoup de collégiens, ce doit être une visite obligatoire dans la région. Des affiches Art déco, des reliures, un bel escalier en spirale. Très belle demeure. Malheureusement aucun "goodies", pas de carte géographie ou de reproduction d'affiche, simplement quelques livres de poche. Tant pis.
Il pleut (pluie picarde, nous a dit le garçon de café). Trou de mémoire, c'est bien d'Amiens que parle Proust et Ruskin? Drapeaux australien et néo-zélandais, la guerre est omniprésente. Cette cathédrale me rappelle Chartres et Notre-Dame de Paris. Nous déambulons rapidement et allons prendre un chocolat («chez Brigitte», me murmure H.) Il faudra que je revienne (sans H. qui est désormais allergique aux édifices religieux) un jour où il fera chaud et clair.

Pluie battante et vent dans la nuit noire sur l'autoroute.

Comme l'année dernière, nous avons rendez-vous au club de Bruges pour le dîner (nourriture de cantine). Puis hôtel Monsieur Ernest, le même que celui réservé avec O. en juillet 2017.

mardi 11 juillet 2017

Klagenfurt

Toujours pas d’internet. Il est une heure du matin (le 12 juillet, donc), j’écris cela dans TextEdit dans la couchette du haut des lits superposés. Il fait très chaud. Je viens d’ouvrir la fenêtre que nous avions décidé de laisser fermer après l’expérience bruyante de la nuit dernière. Je manque de courage pour écrire: trop d’impressions, trop de détails, et tout cela si trivial, si banal, si humain. Ecrire pour décrire, pour saisir, pour ordonner, pour ne pas oublier. Ecrire pour s’obliger à mettre de l’ordre, comme une discipline musculaire. Ecrire contre la paresse de se laisser entraîner par le flux. Mais c’est si long.

Le petit déjeuner est servi de 7h30 à 9h. Lorsque nous arrivons dans la salle à manger commune, celle-ci est déjà pleine de gens de tous âges, il y a autant de couples âgés (définissons âgé: cinquante ans et plus, cheveux gris ou rides) que de couples avec enfants en bas âge. La seule population peu représentée est celle des adolescents (quatorze à vingt ans). Il y a même des hommes seuls, jeunes ou moins jeunes, venus ici peut-être pour l’animation, la vie.
La salle bourdonne mais n’est pas excessivement bruyante, cela me réconforte étrangement (je veux dire que je ne m’y attendais pas) de voir ces têtes blondinettes barbouillées de fromage blanc. Pas de cris, pas de larmes, pas de caprices. (Il est peut-être trop tôt).
Nous nous installons sur la terrasse après avoir essuyé la table, il a plu cette nuit. Depuis plusieurs jours j’ai adopté le petit déjeuner muesli, fromage blanc et céréales, les céréales étant plus ou moins sophistiquées selon la classe de l’hôtel, ce qui signifie que plus l’hôtel est luxueux, plus les céréales sont variées et présentées peu transformées, proches de la graine nue.
Nous petitdéjeunons en préparant notre journée et en regardant les enfants jouer à la balançoire. Philipp, un blondinet de deux ans, semble particulièrement aventureux. En toute logique il devrait se prendre une balançoire dans la mâchoire mais cela ne semble inquiéter personne. C’est si reposant, cette façon darwinienne d’élever les enfants, sans adulte hystérique pour protéger ou interdire.
— C’est si tranquille et si heureux. Il ne manque plus qu’un meurtre.
O. manque de s’étouffer de rire dans son café.
— Mais si, tu sais bien, transpose il y a quatre-vingts ans dans les îles avec de vieux Anglais, c’est tout à fait Miss Marple.

Nous partons sans repasser par la chambre. Rive sud du lac. J’ai mis ma combinaison d’aviron (une seule pièce moulante intégrant short et haut débardeur) sous un short en jean et un haut gris afin de pouvoir faire du kayak le cas échéant. Le coup de soleil pris en montagne il y a quatre jours (ou cinq? nous avons perdu la notion du temps) dérougit à peine, il est à la fois très laid (un V foncé marqué sur la poitrine en dessous du cou contrastant avec la peau blanche) et douloureux (certains tissus ne sont pas supportables).

[…] Je reprends ce récit toujours dans la couchette du haut mais à Vienne le 14 juillet, six heures du matin.

En suivant la rive droite du lac nous passons devant un parking et une pancarte «G. Mahler» : nous n'aurons donc même pas besoin de chercher. Nous nous garons, prenons le chemin. Il est neuf heures et quart. Nous montons vers la cabane (das Haüschen de Maiernigg) à travers la forêt, un quart d'heure de marche indique la pancarte. Nous croisons un homme avec deux chiens dont le noir, vieux, raide, marche avec peine.
Il fait bon, il fait frais, nous arrivons une demie-heure trop tôt à la cabane de Malher, elle est fermée. Elle est en dur, un peu plus grande que le chalet de Toblach. Ce qui est surprenant, c'est l'absence totale de perspective, de ligne de fuite: elle est au milieu des bois, la pente remonte en face des fenêtres. Je pense à ce que j'ai lu un jour, qu'il ne faut pas une belle vue à un créateur, cela distrait. Il faut des murs, des gravures fades. Mahler dormait-il sur place, y a-t-il un lit, nous ne le saurons pas car nous décidons de ne pas attendre, nous avons un programme chargé.

Nous sommes arrivés dans le musée Robert Musil pour l'ouverture. C'est une seule grande pièce, avec un premier renfoncement consacré à Ingeborg Bachmann et un second à Christine Lavant dont je n'avais jamais entendu parler (renseignement pris, un contact me dit que c'est un Trakl féminin).
Des photos, des lettres, des valises, une machine à écrire, toute une chronologie (une vie) appuyée sur des preuves. Musil est né ici mais n'y a passé qu'un an. Tout est en allemand et nous passons un temps si long dans ces pièces qu'à plusieurs reprises (quatre!) les personnes en charge de l'endroit (qui est aussi une bibliothèque-librairie-salon) viennent nous demander si tout va bien: mais que pouvons-nous faire si longtemps dans un endroit somme toute si petit?
Nous lisons, mademoiselle, monsieur, je lis en allemand et je ne lis pas vite. Musil apprend le crawl, nouvelle nage de l'entre-deux-guerre. Il écrit un texte sur la bêtise (en 38, il me semble: on devine qui il vise). Il fait ses études à l'école militaire de Mährisch, trois ans après que Rilke l'a quittée. (C'est l'expérience qui a inspiré Törless). Il est chargé de trouver de jeunes auteurs inconnus pour la revue Die Neue Rundschau. La métamorphose de Kafka passe entre ses mains et aurait pu paraître dans la revue, mais les négociations échouent car Kafka refuse un racourcissement de sa nouvelle.

Je passe aux textes sur Bachmann, de grands panneaux imprimés qui reprennent peu ou prou ce que j'ai lu dans Retour à Klagenfurt, le livre acheté autour de 1988-1989 qui a motivé ma venue ici. Je prends les panneaux en photos ainsi qu'un portrait de Nelly Sachs. J'en profite pour parler de Celan à O. (mais ce qui vient quand on présente un auteur, un poète, à quelqu'un qui ne le connaît pas et n'éprouve pas d'intérêt particulier, c'est toujours l'anecdote: Bachmann est morte brûlée, Celan s'est suicidé, Nelly Sachs, «connue de ceux qui la connaissent», a échangé une importante correspondance avec Celan, le tome 2 de L'homme qans qualité paraît toujours neuf dans les livres d'occasion de Gibert: comment sortir de cela?1.)

Mais O. lit tout, avec gentillesse (envers moi) et avec application; il prend les documents (des feuilles A4 photocopiées) qui nous sont donnés, et c’est avec l’un d’eux, Literarturwandern - Auf den Spuren von Ingeborg Bachmann, que nous partons en balade dans la ville. Je me rends vite compte que Retour à Klagenfurt m’a dit l’essentiel et que je pourrais l’utiliser pour commenter les lieux : place du nouveau marché avec le dragon qui est l’emblème de la ville et que l’on retrouve jusque sur les tickets de parking, l’avenue des ursulines (petit mystère : « pour les dictionnaires, gasse serait une ruelle, une allée, mais sur le terrain, c’est belle et bien un boulevard ou une avenue. A moins que cela ne prenne ce sens que composé (Ursulinengasse, avenue des Ursulines) ? Nous passons devant le théâtre (à voir l’automne, dit Bachmann dit Uwe Johnson) (« c’est un banc — Non, ce n’est pas un banc — Si c’est un banc… ah non » (sculpture moderne)), suivons la rue Radetzky tout du long (et comme cette promenade sur les pas de Bachmann n’est qu’un prétexte à l’errance, oublions de faire un crochet devant la maison de ses parents au 26 de la Henselstraße).

Vendredi 28 juillet, Anvers, six heures du matin. Insomnie peut-être due à un dessert de trop ou à l’absence de climatisation. On s’habitue au confort. Je repends cette narration indéfiniment remise, parce que les ciels sont trop beaux, parce qu’il n’est pas possible de taper en voiture en écoutant des podcasts. Je suis tellement en retard. Combien de jours pour tout raconter si l’on ne raconte pas au fur à mesure ?

La Radetzkystraße est bordée de belles demeures bourgeoises. Vers sa fin les trottoirs se chargent de fleuristes dans la version jardinière, c’est-à-dire qui vendent des graines et des plants, et non des fleurs coupées (toute l’Autriche est ainsi : jamais vu autant de pépiniéristes et vendeurs de matériel de jardinage aux abords des villes qu’ici). Elle aboutit au pied d’une colline couronnée d’une église, la Kreuzbergl. Nous grimpons sous le soleil de plus en plus chaud le chemin de croix dont les stations sont des mosaïques grandeur nature (je ne reconnais pas toutes les stations, sans que je sache s’il s’agit d’une version autrichienne du chemin de croix ou d’une version locale).
La suite de la promenade nous emmènerait au bord du lac et le descriptif nous prévient de prévoir une heure à une heure et demie. Nous rebroussons chemin.
Faux Hugo à l’angle de la Karnerstraße et de la Radetzkystraße : ils n’ont pas de menthe donc ne peuvent nous faire un Hugo, nous expliquent-ils. Nous buvons un mélange de vin blanc et d’eau pétillante. Retour en ville, monument commémorant le référendum de 1920 qui a choisi de rattacher la Carinthie à l’Autriche et non à la Slovénie (une recherche plus tard, j’apprends que ce qui est en jeu, c’est le sort des Slovènes et de la langue slovène. La Carinthie est un bastion du conservatisme germanophone pour ne pas dire de l’extrême-droite, aujourd’hui encore. J'ignorais ce fait mais je me souviens m’être interrogée devant le nombre de panneaux bilingues. Cela permet de comprendre le dégoût de Bachmann envers sa ville alors que rien ne l’explique quand on se promène dans cette ville souriante.), ancienne place (Alter Platz).

Nous déjeunons dans une petite rue d'un plat du jour proposé par un boucher-traiteur en contemplant l'élégance des Autrichiens (cela rend le débraillé des touristes toujours un peu honteux), puis nous entrons à St Egid pour y chercher la tombe de Julien Green. Elle se présente comme une grande dalle de marbre au sol dans une des chapelles du bas-côté de droite. Elle est parfaitement intégrée au dallage comme si elle était ici de toute éternité. Au mur une autre plaque présente un poème de Green. Mais comment a-t-il obtenu cela? Des gens prient, je n’ose déambuler d’autant que je suis en short (l’Italie m’a enseigné une retenue vestimentaire dans les églises que je n’avais pas apprise en France — et je m’y sens tenue en tant que touriste, visiteuse), mais il me semble qu’aucune autre tombe n’est ainsi présente dans l’église, y compris des tombes de prélats.

Deux Hugo dos à St Egid, retour à la voiture, le ciel se couvre, atmosphère lourde et orageuse, direction le cimetière (Friedhof, maison de la paix, maison du repos : dernière demeure) d’Annabilch que je sais être près de l’aéroport, toujours grâce à Uwe Johnson.
Un plan du cimetière indiquant les tombes « remarquables » se trouvent à l’extérieur de l’enceinte, à gauche des bâtiments administratifs et du crématorium (comme nous sommes entrés par la droite, nous avons erré), celle de Bachmann est tout au fond, dans la partie opposée à l’entrée. Sont enterrés avec elle son père et sa mère — son père mort la même année, 1973. Avant ou après elle ?

J’ai vu ce que j’étais venue voir à Klagenfurt. Direction le lac pour rechercher de quoi sortir en canoë.
Nous avons beaucoup erré : rive nord du lac, nous avons suivi en voiture l’allée le long des deux clubs d’aviron jusqu’à nous heurter à une impasse ; rive ouest, à pied cette fois, nous avons interrogé la caissière de l’entrée de la plage, en face du camping, un gigantesque complexe pour lequel existent une carte famille et une carte annuelle — elle ne savait rien, comme plus tôt les employés du cimetière ne savaient rien — je crois qu’elle était fatiguée ou indifférente, comment peut-on s’intéresser si peu à sa ville ? J’ai insisté pour poursuivre le long de la plage jusqu’aux mâts entraperçus plus loin, et là, dans un endroit tranquille et gazonné, il nous a semblé, il a semblé à O. qui posait les questions en allemand, qu’il était trop tard pour ce soir (il était cinq heures, mais quel est ce monde qui se couche avec les poules ?) mais que si nous venions demain matin à neuf heures, nous pourrions louer un canoë.

Plus loin un château, le château de Maria Loretto et à la pointe s’avançant dans le lac un restaurant — fermé, déception.

Rebrousser chemin le long du canal. Club de kayak en face, de « vrai » kayak, ie sportif et non touristique ; musculature du kayakeur bronzé qui remonte le canal torse nu, sort de son bateau et se penche, tel Tarzan, se saisit de l’embarcation d’une main et part vers le club d’un pas souple (vision cinématographique qui nous fait rire dans son irréalité) ; reprendre la voiture, chercher un restaurant sur Yelp (Yelp et Waze, les deux mamelles de notre voyage). Si l'auberge de jeunesse dîne à six heures, il nous faut supposer que les Autrichiens dînent tôt.

Garer la voiture est toujours angoissant (ce doit être un pli parisien, car en réalité nous ne rencontrerons de problème nulle part) : y aura-t-il de la place proche de l'endroit où nous allons ? Aurons-nous assez de monnaie pour payer le parcmètre ? C'est pourquoi O. rentre spontanément dans le premier parking qui semble proche de notre destination. Nous découvrons ensuite qu'il s'agit du parking d'un centre commercial, il paraît fermer à neuf heures.
C'est alors que j'ai vu O. devenir fou. Il a un grand sens de l'orientation et se repère très vite. La sortie du parking donnait dans le centre commercial. Il a cherché à sortir du centre commercial, arpentant le second étage puis le premier, de plus en plus vite, ne trouvant rien, grommelant « ce n'est pas possible, le parking ne peut pas être la seule sortie », s'arrêtant pour interroger les murs ou l'horizon du regard, de plus en plus proche d'un état qui ressemblait à de la panique, la panique de la raison confrontée à l'absurde.
Nous avons fini par trouver une sortie pour les piétons. En longeant le bâtiment de l'extérieur, il est apparu qu'il n'y en avait que deux. Ce centre commercial est installé dans les anciens bâtiments d'une industrie du XIXe siècle : je suppose qu'on a évité de défigurer le bâtiment en y perçant des portes, mais je me demande comment les normes de sécurité en cas d'incendie. Ce centre commercial s'appelle Arcadie ; je fais remarquer à O. que dans les livres ou films de SF, ce nom est toujours mauvais signe, c'est toujours l'enfer sous un aspect souriant.

Nous allons dîner au Bacchus. Il pleut, nous ne pouvons nous installer en terrasse. Le serveur est très aimable et séduit O. en lui disant que son allemand était tel qu'il n'avait pas compris que nous étions français. Nous prenons une spécialité de la maison prévue officiellement pour deux mais qui conviendrait à trois. Nous découvrons que "Mineralwasser" signifie ici pétillante. "Sprudelwasser" paraît inconnu en Autriche.

Nous rentrons préparer nos valises : demain, nous avons prévu de faire du canoë avant de rejoindre Vienne.



Note
1 : Si alors Swann cherchait à lui apprendre en quoi consistait la beauté artistique, comment il fallait admirer les vers ou les tableaux, au bout d’un instant elle cessait d’écouter, disant : « Oui... je ne me figurais pas que c’était comme cela. » Et il sentait qu’elle éprouvait une telle déception qu’il préférait mentir en lui disant que tout cela n’était rien, que ce n’était encore que des bagatelles, qu’il n’avait pas le temps d’aborder le fond, qu’il y avait autre chose. Mais elle lui disait vivement : « Autre chose ? quoi ?... Dis-le alors », mais il ne le disait pas, sachant combien cela lui paraîtrait mince et différent de ce qu’elle espérait, moins sensationnel et moins touchant, […]. Proust, Un amour de Swann

lundi 2 novembre 2015

Vieillir

— Tu as l'air fatiguée.

On me le dit souvent en ce moment. Je ne dors pas beaucoup, et encore moins depuis le changement d'heure (je n'arrive pas à me coucher), mais je crois qu'il s'agit surtout de la conséquence de mes efforts pour ne pas grossir.

Une amie de ma mère disait: «A partir d'un certain âge, une femme doit choisir entre son visage et ses fesses» (j'ai l'impression d'avoir déjà écrit cela ici mais je ne l'ai pas retrouvé). J'étais adolescente et je n'avais pas compris. Elle m'avait expliqué qu'il s'agissait d'avoir un visage lisse et des grosses fesses, ou une taille fine et des rides.

A ma grande surprise, je viens de retrouver cette idée dans Proust:
Comme les femmes qui sacrifient résolument leur visage à la sveltesse de leur taille et ne quittent plus Marienbad, Legrandin avait pris l'aspect désinvolte d'un officier de cavalerie.

Marcel Proust, La Fugitive, p.665 (Pléiade, Clarac)
Je ne pense pas ressembler jamais à un officier de cavalerie, ou beaucoup plus tard, après soixante-dix ou quatre-vingts ans.
Ce qui m'importe, ce n'est pas tant d'engraisser que de ne plus pouvoir mettre mes robes.

jeudi 6 août 2015

Tout s'achète

Ouvert le courrier pendant deux heures (eh oui: des centaines de lettres) en écoutant Albertine disparue (deux premiers CD). Sidérée toujours par la muflerie des lettres envoyées par le narrateur à Albertine. Peut-il réellement s'agir du récit transposé de l'amour de Proust pour un ami, pouvait-il réellement traiter qui que ce soit ainsi, littéralement l'acheter, et ne pas être choqué de l'acheter? C'est incroyable. Et quelle bassesse.

Cet amour insupportable qui n'est que désir de possession, qu'est-ce que je déteste cela.


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Agenda
H. me récupère à Neuilly. Paris est désert. La isla minima, film amer et lent, entêtant.

vendredi 16 mai 2014

La prisonnière

Ligne 1 entre 16h et 16h30.





Je n'ai pas vu ce que la photo a enregistré : en effet mon angle n'était pas le même, je voyais le jeune homme à hauteur de mes yeux tandis que mon téléphone le voyait à hauteur de mon nombril.
Le livre était l'un des premiers livres de poche.


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Agenda
RV avec O. pour un achat de chaussures aux Halles. La famille fait son show (j'ai honte).
Puis avec C. pour une veste. Nous nous arrêtons au BHV Hommes.
Déborah nous rejoint.

jeudi 17 octobre 2013

Oulipo

Soirée Oulipo. Je vais trop loin dans les couloirs (c'est agaçant, ces travaux interminables au niveau de l'entrée Est) et me retrouve nez à nez avec des statues de Romains et de sangliers, crus et cuits.

Restaurant, honnête (moins bien que l'ancien), mais surtout très aimable, arrangeant. Je suis pour une prime à la gentillesse. Il faut encourager, favoriser, les gentils. (Ce n'est pas une boutade: je crois vraiment que c'est fondamental. On a trop tendance à accorder ce qu'ils veulent aux pénibles, pour s'en débarrasser: non.)

Rires. Je me souviens avoir repéré des phrases pour les noter ici, mais j'ai tout oublié.
Je confie mon soulagement de me retrouver avec des "bizarres". (Je discutais l'autre jour avec un co-? (camarade de cours du soir) sur nos stratégies envers notre entourage professionnel: dire ou ne pas dire que nous suivons un cursus de théologie.
— Je ne le proclame pas, mais je ne le cache pas, si je dois partir plus tôt, par exemple.
— Moi je le cache, je ne l'ai même pas dit dans ma famille. Au mieux je dis que je prends des cours de grec ancien.
— Mais pourquoi?
— Je suis fatiguée de l'étiquette de bizarre ou d'intello.
(Oui, cela me fatigue beaucoup, cela me pèse.)

Conclusion : une des personnes présentes à table essaie demain de glisser le mot tautologie en conseil d'administration pour voir si c'est un mot connu autour d'elle.)

Dominique nous tient au courant des résultats de sa veille proustienne: édition de 26 lettres de Proust à sa voisine (j'aurais détesté avoir pour voisin ce célibataire sans contraintes voulant en imposer à tout son entourage), une édition fac-similée des épreuves de Combray corrigées par l'auteur (tirage limité, sortie prévue initialement aujourd'hui et repoussée d'une semaine) et le week-end de France Culture consacré à Proust.
Je n'ai pas osé lui dire que Proust n'est plus au centre de mes préoccupations, que désormais je recherche le temps à l'origine (ou au commencement? (cela est presque une plaisanterie mais pas tout à fait)) et que j'ai entrepris d'écouter Römer systématiquement).

Nous glissons sur le site Gallica : enchantement de tant de merveilles à disposition, désolation d'un outil si mal pratique, si peu adapté aux besoins, ne permettant pas les copier/coller, avec un moteur de recherche lamentable («Moi, j'utilise google en ajoutant "gallica" à la fin de ma recherche plutôt qu'utiliser le moteur de Gallica.»)
GEF fait remarquer à juste titre qu'en censurant Google Books, la France pénalise les chercheurs français par rapport aux étrangers.

jeudi 18 avril 2013

Lisieux

Traversée de la région parisienne entre six et neuf heures du matin. Pas une bonne idée. Des champs autour de Massy, toujours étranges. En retard, déplacement du rendez-vous, café au lait à Evreux, je dors dix minutes.

Proust, Sodome et Gomorrhe deuxième partie, La Raspelière, toponymie, la visite des Cambremer. Que c'est drôle et méchant et finement observé. Je note une citation sur le tricot à ajouter à mon billet sur Ryan Gosling et une citation de Leibniz qui me fait penser à mon année à l'ICP (beaucoup de raison, peu de foi): «Un philosophe qui n'était pas assez moderne pour elle, Leibnitz, a dit que le trajet est long de l'intelligence au coeur.»

Crêperie, blagues Carambar (— Pourquoi ta sœur est toujours au téléphone? — Parce qu'elle veut garder la ligne).

— Ça veut dire quoi, aliénation?

Je prépare mon oral de demain pendant que A. passe son entretien.

Puis basilique de Lisieux, histoire de France, verveine, tilleul, miel, confiture de tomates vertes, Histoire d'une âme en MP3. Je fais l'erreur de ne pas acheter de cartes postales parce que je pense avoir le temps de m'arrêter ailleurs. Ce ne sera pas le cas.

Au lieu de rentrer directement, je passe par Deauville et Trouville1 puis Honfleur. Je veux montrer ces villes à A. mais aussi je veux passer par le pont de Normandie.

Nous rentrons. Je redors dix minutes sur une aire d'autoroute. Même Proust ne réussit plus à me tenir éveillée. La voiture tient vaillamment le coup, ce n'était pas évident, elle doit avoir trois cent mille kilomètres.



Note
1 : A. est la plus innocente du monde. A des camarades de classe qui annonçaient fièrement qu'elles allaient à Trouville, elle avait répondu: «c'est quoi cette ville si perdue qu'elle s'appelle Trou?»

samedi 23 mars 2013

Ryan Gosling est quelqu'un de très bien

«Pour me détendre, j'ai un passe-temps bien à moi: je tricote. J'ai découvert le tricot sur le tournage d'un film en 2007. Des grands-mères qui jouaient des figurantes m'ont enseigné cet art, et j'ai trouvé ça très relaxant. Aujourd'hui, dès que je suis un peu stressé, pour me calmer, je sors mes aiguilles et ma pelote de laine. Ça m'apaise.»

Ryan Gosling cité dans la revue One n°80, mars-avril 2013


Les bienfaits du tricot sont confirmés par Proust: «il [Cottard] lui répondit que j'étais trop émotif et que j'aurais eu besoin de calmants et de faire du tricot.»

vendredi 18 janvier 2013

Vendredi latin

Après-midi latin (conférence). Je me dis que si j'avais eu cet ordinateur à l'époque de Compagnon, j'aurais pu taper en direct (y a-t-il du wifi au Collège de France?) Bon évidemment, je n'aurais pas pu donner les références précises des citations (le vrai plus de mes notes sur Compagnon, c'est ça: j'ai référencé toutes les citations à partir de mes Pléiades).

Le soir il commence à neiger. Bibliothèque Beaugrenelle. Je récupère un livre "pour public motivé".

En bas de la pente la voiture ne tourne pas. Elle ne freine pas non plus. Je choisis un arbre pour arrêter ma course (lente), je serre le frein à main, la voiture dérape et s'arrête. Je repars lentement dans la bonne direction.
Il y a trois centimètres de neige fraîche.

vendredi 21 décembre 2012

Pour Dominique

A propos de Proust et Visconti: voir ici en particulier dans les commentaires.

Et le blog d'EF.

mercredi 18 juillet 2012

Mal à l'aise

Pété un boulon à la poste de La Défense (j'ai pris quelques photos pour Flickr mais pas réussi à les récupérer sur mon téléphone hier soir).
Chaque fois que j'y vais, quelqu'un est en train de se faire vendre un Chronopost vingt-trois euros sous prétexte que cela arrivera le lendemain (on ne leur dit pas qu'il faut que ce soit posté avant midi, onze heures, dix heures…) Avant, il suffisait d'un à deux francs cinquante, nous n'avions pas de promesse, mais cela arrivait le lendemain.
(Ce n'est pas pour cela que j'ai pété un boulon, mais parce que l'automate me demande, quand je veux acheter un timbre (une vignette), si "j'accepte les conditions générales de vente", et comme j'ai une enveloppe contenant deux livres qui s'est perdue, j'ai demandé à voir ces conditions (non seulement je paie pour des lettres qui n'arrivent pas, mais en plus on insinue que c'est de ma faute: je n'ai pas "respecté les conditions générales de vente". Manque de bol, le type derrière son comptoir panique, il ne les a pas, elles sont en ligne, il ne peut pas les imprimer, etc, etc.).
En face, sous le Cnit, tous les guichets sont fermés, un automate est en panne, une affiche m'annonce que la poste est à mon service (c'est ce que j'ai pris en photo. Mais tout marche si mal que ce sont des vidéos qu'il faudrait.)

Lu Une sale rumeur d'Anne Fine (parce que je suis allée rendre iWoz et Limonov). Je sais pourtant qu'il ne faut pas lire Fine, personne n'a une vision plus méchante, plus désespérante des rapports humains. Mais elle m'a fascinée autrefois en décrivant le divorce comme la dissolution du passé (la perte des souvenirs communs, l'absence de quelqu'un pour se souvenir ensemble) (dans les Confessions de Victoria Plum? Je ne sais plus) et je la lis chaque fois que je tombe sur un de ses livres.

En rentrant, pris une photo de ce que je vois en franchissant le seuil de ma maison. Home sweet home, j'aperçois la moitié de la table de la cuisine, deux tasses, des fruits, tout exactement dans l'état où je l'ai laissé le matin (sachant que je mets les fruits en évidence sur la table pour qu'ils soient mangés: tout ce qui n'est pas sous leurs yeux est oublié (tout reste rangé dans le frigo est destiné à la poubelle au bout de quatre jours de purgatoire)). («Mais maman, pourquoi tu as toujours l'air exaspéré?»)
Ma fille a passé la journée ici. Elle est en peignoir (elle a quitté son pyjama à dix-sept heures, cafte son frère), le linge mouillé est dans la machine, elle n'a pas rangé la table (ah si, elle a mis le lave-vaisselle à tourner (mais sans le vider ensuite): effort de la journée, mettre de la lessive dans un compartiment et appuyer sur un bouton). Que me disait-elle hier qui m'a serré le cœur, car je sais qu'elle a raison? «Soit on s'engueule, soit tu es distante».
Oui, distante. Pour ne pas l'engueuler, c'est exact. On allume les pare-feux qu'on peut.

Plus tard, avant de monter, je dérange A. sur l'ordinateur: «Tiens, je t'ai pris Proust en poche au CE». Je vois ses épaules s'affesser, ça fait un an qu'elle proclame qu'elle veut lire Proust, elle l'a commencé dans la Pléiade en janvier (contre mon avis, c'est bien trop dur pour elle), ce qui lui a permis de ne rien lire d'autre pendant quatre mois. Elle n'est jamais venue à bout de Du côté de chez Swann, et j'ai apris mi-mai qu'en fait ce tome était une lecture imposée par la prof de français. Je lui ai conseillé vingt fois d'abandonner la Pléiade et de le prendre en poche, moins décourageant. Las.
Aujourd'hui je l'ai trouvé au CE, je le lui ai ramené. On ne sait jamais. (La fille des "on ne sait jamais". Ce n'est même pas une question d'espérer. Keep pushing, voilà tout. Faire sa partie. Est-ce que cela à un sens? (Je ne veux pas dire localement, au niveau de mon cas particulier, mais au niveau du principe? Ou est-ce juste bête, vaguement pathétique et stupide dans son obstination aveugle?)[1])

Je mange des céréales, me fais un thé, vide le lave-vaisselle en papotant aviron avec C., abandonne la cuisine. Qu'ils fassent ce qu'ils veulent, qu'ils mangent ce qu'ils veulent. Après tout, ils sont en vacances, et pas moi.



O. est parti en camp scout (il n'a pas plu, il n'a pas plu!) en oubliant ses tongs (les lui envoyer ou pas, telle est la question (ô la poste)), C. a testé le club d'aviron .

Notes

[1] Mais bien sûr, il n'y a pas que ça. C'est aussi minimiser les remords sur ce qui demande le moins d'efforts, tandis que courent ceux nés de la paresse et de l'égoïsme, tout ce qu'on aurait dû faire ou qu'on se demande si on aurait dû le faire et si on l'avait fait en serait-on là (qu'a-t-on raté? Mais on le sait, ce qu'on a raté, ou on croit le savoir, et l'on sait aussi qu'on referait la même chose (ou qu'on ne ferait toujours pas ce qu'on devrait faire (enfin qu'on devrait peut-être faire, qu'on aurait peut-être dû (car après tout, qu'est-ce que ça changerait, aurait changé?), par paresse, oui, ou découragement, à-quoi-bonisme. Mais malgré tout, on essaie encore un peu, par sursaut, par réflexe, parce qu'on ne sait jamais) (et on se dit qu'on est en train de réécrire les romans d'introspection psychologique du XIXe siècle et que… bah…))).

samedi 2 juin 2012

Comment pourrir les vingt ans d'un jeune homme

Il y a vingt ans, ma tante (vieille fille sans enfant) ne m'avait pas parlé pendant un an parce que j'avais accouché à la maison. Peut-être que si je ne lui avais pas envoyé une carte d'anniversaire en avril suivant nous n'aurions plus eu aucun contact.

Cela lui aurait évité d'envoyer un chèque de quatre cents euros à mon fils pour ses vingt ans en lui donnant une foule de petits renseignements sur sa vie quotidienne et en glissant incidemment parmi eux «J'aimerais bien avoir un ou deux coups de fil par an; sinon je considèrerai que tu as "rompu les ponts" avec moi. Cela me fera de la peine mais tant pis.»
(Sur le fond elle n'a sans doute pas tort, à cela près que que c'est plutôt contre-productif. Il faut savoir que C. ne peut pas toucher à la télé parce qu'il a cassé la télécommande quand il avait sept ans et qu'elle lui dit quand elle le voit qu'«il lui fait peur» parce qu'il fait un mètre quatre-vingt-cinq et elle moins d'un mètre cinquante.)

Désarçonné, choqué parce qu'il ressent comme du chantage moral1 (du moins je le suppose, puisque pendant ce temps j'étais à Porto), C. montre la lettre à son père qui, fatigué par sa semaine mais aussi par vingt-six ans de ce genre de relations2 et formaté par notre vieille éducation qui veut que nous respections nos aînés, se met à chapîtrer C. sur son égoïsme et autres défauts (apparemment ce fut un panorama large et complet de tous les défauts qu'il trouve à tout le monde sauf à lui-même, dans la grande tradition proustienne3).

— Merci beaucoup, charmant anniversaire.
Désorienté par cette semaine de quatre jours, H. pensait être jeudi et l'avait oublié.


Notes
1 : C'est une vieille coutume familiale.
2 : date à laquelle nous nous sommes rencontrés
3 : «Et à la mauvaise habitude de parler de soi et de ses défauts il faut ajouter comme faisant bloc avec elle, cette autre de dénoncer chez les autres des défauts précisément analogues à ceux qu’on a. Or, c’est toujours de ces défauts-là qu’on parle, comme si c’était une manière de parler de soi, détournée, et qui joint au plaisir de s’absoudre celui d’avouer. D’ailleurs il semble que notre attention toujours attirée sur ce qui nous caractérise le remarque plus que toute autre chose chez les autres.» A l'ombre des jeunes filles en fleurs Noms de pays: le pays (Je lis Proust comme une histoire de famille.)

mardi 18 octobre 2011

Jour faste

Nous avons raté le RER de 7h06, et le train de 7h12 était un "court", c'est-à-dire avec moitié moins de wagons que la normale. Après être restée un moment à tanguer dans les escaliers menant au premier étage, je suis allée m'établir dans le couloir du rez-de-chaussée afin de pouvoir lire sans tomber.
Et c'est alors que je l'ai vue, "ma" Princesse de Clèves:







Et le soir, dans un RER en retard, Gilberte lisait Un amour de Swann.







Maintenant, il me faut un lecteur de Camus.

jeudi 9 juin 2011

Proust : un miroir

Il faut, du reste, ajouter qu'on ne peut imaginer combien, d'une façon plus générale, M.de Charlus pouvait être insupportable, tatillon, et même, lui si fin, bête, dans toutes les occasions où entraient en jeu les défauts de son caractère. On peut dire, en effet, que ceux-ci sont comme une maladie intermittente de l'esprit. Qui n'a remarqué le fait sur des femmes, et même des hommes, doués d'intelligence remarquable, mais affligés de nervosité? Quand ils sont heureux, calmes, satisfaits de leur entourage, ils font admirer leurs dons précieux; c'est, à la lettre, la vérité qui parle par leur bouche. Une migraine, une petite pique d'amour-propre suffit à tout changer. La lumineuse intelligence, brusque, convulsive et rétrécie, ne reflète plus qu'un moi irrité, soupçonneux, coquet, faisant tout ce qu'il faut pour déplaire.

Proust, Sodome et Gomorrhe, p.1090, Pléiade Clarac

jeudi 27 janvier 2011

Senso

Senso, pour des raisons églogales évidentes. «La saison commence à La Fenice» doit venir de là.

Venise comme je l'ai vue en 1986 et comme elle n'existe plus, maintenant qu'elle est repeinte et pimpante.
Des intérieurs comme des décors d'opéra, des extérieurs dans la même tonalité que les fresques de la villa de campagne.


Je passe à la librairie Compagnie. L'émotion parmi les livres est plus grande qu'autrefois. Elle grandit. D'une certaine façon, lire me devient de plus en plus difficile, car chaque mot sur la page m'étonne. Ce n'est même plus «qu'est-ce qu'un nom?» mais «qu'est-ce qu'un mot?», comment se fait-il que ces signes aient un sens? (Et que je sois de plus en plus attachée aux versions bilingues n'est pas un réflexe de puriste, mais un besoin de rêver.)

J'étais venu chercher le Tristan Storme mais il n'est plus en rayon. Patrick a raison, il faut acheter quand on hésite. Je repars avec
- Parménide de Heidegger
- L'eschatologie occidentale de Jacob Taubes
- La logique sans peine de Lewis Carroll
- Loin de Byzance de Joseph Brodsky
- la querelle des universaux d'Alain de Libera

Un jour je lirai tout cela. Un jour je fermerai les portes et je lirai ma bibliothèque.


ajout le 29/01
J'écoute Sodome et Gomorrhe. Les remarques du narrateur à propos de la lettre de M. de Charlus à Aimé me semblent assez bien résumer Senso, avec la comtesse en M. de Charlus.

[...] il [Aimé] reçut une lettre fermée par un cachet aux armes de Guermantes et dont je citerai ici quelques passages comme exemple de folie unilatérale chez un homme intelligent s’adressant à un imbécile sensé. [...] Elle [la lettre] était, à cause de l’amour antisocial qu’était celui de M. de Charlus, un exemple plus frappant de la force insensible et puissante qu’ont ces courants de la passion et par lesquels l’amoureux, comme un nageur entraîné sans s’en apercevoir, bien vite perd de vue la terre. Sans doute l’amour d’un homme normal peut aussi, quand l’amoureux, par l’intervention successive de ses désirs, de ses regrets, de ses déceptions, de ses projets, construit tout un roman sur une femme qu’il ne connaît pas, permettre de mesurer un assez notable écartement de deux branches de compas. Tout de même un tel écartement était singulièrement élargi par le caractère d’une passion qui n’est pas généralement partagée et par la différence des conditions de M. de Charlus et d’Aimé.

lundi 3 janvier 2011

Autre chose apprise pendant les vacances

Je n'avais jamais remarqué que mon pub préféré, <a href="/dotclear/index.php?2006/10/15/152-boire-de-la-guinness-a-paris">le Bugsy</a>, se trouve rue Montalivet : c'est la rue du salon Verdurin (ce qui n'est finalement pas très étonnant si l'on considère que les parents de Marcel Proust habitèrent rue de Surène, au-dessus de l'actuel pressing (d'après l'ex-libraire de la rue d'Anjou), et que l'hôtel de Guermantes se tenait sur le boulevard Malesherbes (enfin je crois)).

lundi 6 septembre 2010

Nœuds

François Mauriac ressemble beaucoup à mon grand-père : même silhouette, même forme de visage, même moustache. Cela m'en rend la lecture difficile, associée à une odeur particulière de savon et de cuir.

La vie de bureau impose à mes heures de bureau une sorte d'hébétude.
Claude Mauriac, Le temps immobile, p.138 (22 janvier 1942)

Lorsque Paul fut appelé sous les drapeaux, il était déjà marié et avait un enfant (c'était en 1945 ou 1946. Il avait donc vingt-quatre ou vingt-cinq ans : est-ce que l'âge du service avait été décalé du fait de la guerre ? Cela paraîtrait logique. Mais pourquoi n'est-il pas parti en Allemagne en STO? Parce qu'il était étudiant? Il n'est plus là, il est trop tard, je n'ai pas posé assez de questions). Il travaillait alors à l'INAO. Je sais qu'il s'adressa à Claude Mauriac qu'il connaissait un peu (par son oncle ou sa belle-sœur?) afin de se faire exempter du service militaire — ce qui lui fut accordé.

Je me demande si Hubert n'était pas le fils de cet oncle, André. Il me semble me souvenir vaguement d'une sorte de revanche familiale, le fils poursuivant la carrière interrompue du père.
Si c'est cela, il me semble que cet oncle avait divorcé (à une époque et dans un milieu où cela ne « se faisait pas ») et que sa seconde femme avait connu le même sort qu'Odette Swann : elle n'avait été reçue par la famille et les amis de celui-ci qu'une fois devenue veuve. (Cette similitude de destin était le genre d'anecdotes auxquelles je m'accrochais pour convaincre Paul de l'intérêt de Proust, qui le fascinait et le révulsait).

Comme tout cela est flou et brouillé. Je pensais avoir toujours le temps de demander des précisions, de toujours pouvoir démêler les fils le moment venu en posant quelque questions. Trop tard, trop tard.

mardi 31 août 2010

Mardi

Rangement, jetage (jet?), lessive, poussière, frais de virement à l'international, cahiers grands carreaux, Agnès une heure au téléphone. Ou plus. Je ne sais plus. Sodome et Gomorrhe première partie une fois encore. Je ne peux pas m'occuper de cette maison sans un récit. Il faut commander la suite. Orlando furioso fait, La Garlande fait.

Temps qui m'échappe, encore.

mardi 24 août 2010

Devoir

— Mais pourquoi tu y vas? Tu n'as rien à leur dire, tu les détestes, ça ne sert à rien...
— Je ne sais pas. Parce que ce n'est pas de leur faute, ce n'est la faute de personne... Parce que nous sommes mortels, parce qu'un jour il ne restera que nous pour s'occuper d'eux...
— Mais en attendant, ce n'est pas la peine!
— Parce qu'il ne faut pas couper les liens... Parce que je culpabilise, je leur fais de la peine parce que je suis moi et que je ne peux pas être autre chose pour leur faire plaisir...

Souvent je pense à un autre passage de Proust, le jugement de la famille du narrateur sur Bloch, au début du Côté de chez Swan (c'est moi qui souligne):
Il [Bloch] serait malgré tout revenu à Combray. Il n'était pas pourtant l'ami que mes parents eussent souhaité pour moi; ils avaient fini par penser que les larmes que lui avait fait verser l'indisposition de ma grand-mère n'étaient pas feintes; mais ils savaient d'instinct ou par expérience que les élans de notre sensibilité ont peu d'empire sur la suite de nos actes et la conduite de notre vie, et que le respect des obligations morales, la fidélité aux amis, l'exécution dune œuvre, l'observance d'un régime, ont un fondement plus sûr dans des habitudes aveugles que dans ces transports momentanés, ardents et stériles. Ils auraient préféré pour moi à Bloch des compagnons qui ne me donneraient pas plus qu'il n'est convenu d'accorder à ses amis, selon les règles de la morale bourgeoise; qui ne m'enverraient pas inopinément une corbeille de fruits parce qu'ils auraient ce jour-là pensé à moi avec tendresse, mais qui, n'étant pas capables de faire pencher en ma faveur la juste balance des devoirs et des exigences de l'amitié sur un simple mouvement de leur imagination et de leur sensibilité, ne la fausseraient pas davantage à mon préjudice. Nos torts même font difficilement départir de ce qu'elles nous doivent ces natures dont ma grand-tante était le modèle, elle qui brouillée depuis des années avec une nièce à qui elle ne parlait jamais, ne modifia pas pour cela le testament où elle lui laissait toute sa fortune, parce que c'était sa plus proche parente et que cela «se devait».

Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Pléiade (Clérac) t.I, p.92-93
Cette dernière phrase est entièrement ma famille. (C'est ma traduction intime de common decency.)

mardi 17 août 2010

Philippe et les voitures

Le musée des Beaux-Arts possède deux portraits de Feydeau et de sa jeune femme, la fille du peintre Carolus-Duran (de mémoire). Ce Feydeau-là ressemble beaucoup à un ex-collègue de bureau, Philippe[1].
Je pense à Philippe en repassant, tandis que Don Draper interdit la pâte à modeler à sa fille, de peur de salir la voiture, ou que sa femme s'étonne devant les enfants: «Papa vous a laissés monter dans la voiture avec du chocolat?». Je pense à Philippe expliquant que le cuir, c'est très résistant (une peau de vache, malgré tout, quand ce n'est pas de buffle), et racontant qu'un voisin à Jersey lavait les coussins de la Rolls à grande eau. Ça me faisait rire.

Suite au rachat de notre entreprise en 2001, et au changement de société que cela avait signifié pour nous tous, et aux primes diverses que nous avions reçues, il s'était offert, sur les encouragements de sa femme, la voiture de ses rêves, une Mercedes. Et lorsqu'il traversait les petits villages de la Manche, sa région natale, il saluait parfois un paysan d'un appel de phare et d'un signe de la main:
— Je leur fournis un sujet de conversation pour les trois semaines suivantes, disait-il en riant. Et fronçant le sourcil, empruntant les expressions du coin: «Mais qu'i c'est-i qu'ça peut bien être?»
Et je riais encore, songeant à ma grand-mère. Je ne connaissais pas alors tante Léonie, sa façon d'envoyer Françoise chercher du sel chez l'épicier pour tâcher d'identifier un inconnu passé dans la rue.

Notes

[1] voir aussi Pierre V, roi du Portugal.

dimanche 15 août 2010

Pélerinage proustien

Comment expliquer Péguy quand la brume et la pluie noient la cathédrale jusqu'au dernier moment?

- Suivre une messe en latin n'est pas difficile, chanter en modulant interminablement chaque syllabe beaucoup plus.

- Je recommande chaleureusement la visite de la maison de Tante Léonie. Service à crème au chocolat et assiette à asperges inclus. Très belles photos, dont une du modèle de "Françoise" (cela m'émeut et me ravit).
Je ne connaissais pas le pré Catelan, planté par le mari de "Tante Léonie". Je ne tiens pas à remplacer mes images mentales de lecteur par des modèles géographiques "réels" (non, jamais ce parc ne remplacera l'idée que je m'étais construite de la première rencontre de Gilberte et du narrateur), mais cela m'a permis de dédoubler des images que j'avais superposées: pas de différence pour moi entre la demeure de Swann et celle des Guermantes au cours de la lecture, comme si Swann demeurait chez les Guermantes... Cela ne me choquait pas, Swann vit dans les limbes tant qu'il n'est pas installé avec Odette.
J'ai beaucoup aimé l'église d'Illiers. Pour une fois il est permis d'aimer le XIXe siècle (quelques fresques plus récentes, quelques statues) : qu'importe, du moment que Proust l'a vu. Le banc de la famille Proust est soigneusement capitonné de rouge.
Trois madeleines, les villageois n'ont pas transformé Illiers en Proustland, c'est le moins que l'on puisse dire (un peu interloqués par les travaux en cours d'une future station d'épuration dans la ville, face à des pavillons d'une dizaine d'années: est-ce vraiment possible?)

- Meslay-le-Grenet. La femme qui fait visiter (pas à nous) a un tic de langage qui m'exaspère mais que j'ai oublié maintenant que j'écris, ce qui me le fait regretter (ô paradoxes des blogs). Cette danse est très bien conservée dans sa fragilité, c'est-à-dire qu'elle est aussi bien effacée, bien pâle, bien mortelle... Un homme, un squelette, un homme, un squelette, et des commentaires en vieux français. Cette Mort est presque tentatrice, bien plus enjouée que les vivants qui paraissent répugner à la suivre.

- Château de Tansonville (il ne se visite pas, nous observons à travers la grille («— Mais qu'est-ce qu'on fait là? — Nous soignons notre fétichisme.»)), château de Villebon, premier nom qui apparaît dans les brouillons avant celui de Guermantes. Le château est magnifiquement conservé, en briques rouges, tours et pont-levis. Sully est mort ici (trente et un ans après Henri IV), il est enterré à Nogent-le-Rotrou, contre l'église Notre-Dame, mais pas dedans, puisqu'il était protestant. Nous trouvons sur les murs un Tristan Camus qui m'enchante. Il pleut des cordes, la voix frêle de notre guide couvre difficilement le tambour de la pluie sur les parapluies, les pavés, les gouttières.
Vieille tradition de service public qui tient les propriétaires successifs de ce château, au service des rois puis au service de la République.

- Froid. Lait chaud, café et macarons. Peut-on convaincre les enfants de l'intérêt de l'art et de la littérature en les faisant rencontrer des gens qui aiment l'art et la littérature en riant et racontant des (quelques) bêtises ? Peut-on leur montrer qu'il s'agit d'une vision du monde habitable, ni froide, ni méprisable?

samedi 1 mai 2010

La Pérouse

Je voyais Paul une fois par semaine mais je n'osais pas raconter nos rencontres ou ses souvenirs: j'avais peur qu'il ne découvre ce blog et qu'il me juge indiscrète. Ou qu'il le lise, m'obligeant dès lors à me censurer.
(Je lui prêtais sans doute bien plus d'habileté qu'il n'en eut jamais: il s'essaya à l'informatique deux ans trop tard, j'aurais dû insister pour qu'il s'y mette dès qu'il m'en parla. Je n'ai pas osé, plus exactement je ne me sentais pas le droit d'insister, et deux ans plus tard, c'était devenu trop déroutant pour lui, il s'énervait trop vite quand il ne comprenait pas. Il voulait comprendre son ordinateur comme il avait compris sa voiture («Ma première voiture, je l'ai démontée et remontée pour comprendre comment elle fonctionnait»), il ne pouvait accepter d'utiliser sans jamais accéder au coeur du système (quoique dans ma folie je lui eus ramené un ouvrage de vulgarisation sur les ordinateurs (micro-processeurs, carte-mère, etc): s'il voulait comprendre, je voulais l'aider).)
Aujourd'hui ce sont ses petits-enfants qui pourraient trouver ces lignes. J'ose imaginer qu'elles leur feraient plaisir, peut-être qu'ils y découvriraient des aspects inconnus de leur grand-père. Au pire il serait toujours possible de passer ces notes hors ligne.

Ainsi, ce billet avait été rédigé après la visite privée de l'exposition La Pérouse au musée de la Marine à laquelle j'avais été invitée par Paul. A l'époque sa femme allait très mal et il était déjà fatigué. Il n'y avait pas de quoi s'asseoir (conférences (assis) (avec la présence d'un descendant de La Pérouse, aujourd'hui installé aux Etats-Unis, et de chercheurs, animés de la conviction que La Pérouse, en savant qu'il était, avait forcément protégé ses notes, son travail, et qu'il avait dû les enterrer (et leur vie entière à imaginer, à tenter de déchiffrer un code dans les documents retrouvés, un code qui leur permettrait de retrouver la malle forcément cachée… Il me semblait écouter Tournesol dans Le secret de la Licorne)); visite (debout); l'inévitable cocktail (debout): Paul était épuisé mais voulait le cacher, il me fallait donc faire semblant de ne rien remarquer.)

Evidemment, depuis ce soir-là, le passage de Proust a acquis pour moi une nuance supplémentaire, illustrant ce point. (Proust parle donc de la deuxième expédition, celle de Dumont d'Urville qui trouva l'île (contrairement à d'Entrecasteaux) mais non les restes le La Pérouse).

mercredi 17 mars 2010

Déformation

Je lis : «Céline sur Proust...»

et je me dis:
— Mais ce n'est pas possible, Céline est une tante du narrateur, elle ne peut pas avoir d'avis sur Proust…

Puis :
— Ah tiens, la camériste de RC a lu Proust.

Et ce n'est qu'en troisième pensée que vient : «Mais non, il s'agit de Céline!»
Céline sur Proust: "S'il n'avait pas été juif, personne n'en parlerait plus! et enculé! et hanté d'enculerie! Il n'écrit pas en français mais en franco-yiddish tarabiscoté absolument hors de toute tradition française. Il faut revenir aux Mérovingiens pour trouver un galimatias aussi rebutant."

Gérard Pesson, Cran d'arrêt du beau temps, p.35-36

mardi 13 octobre 2009

Roxane

Roxanne en musique d'ambiance quand je descends du RER à la gare de Lyon.

J'ai connu une fille qui s'appelait Roxane, c'était au CE2, elle devait avoir huit ans. Plus tard quand j'ai découvert que ce que j'entendais "Rock scène" s'écrivait "Roxanne" j'ai pensé que son prénom devait provenir de là : mais je viens de vérifier, elle était née dix à onze ans avant la chanson (une légende s'écroule), il faut donc supposer des parents amoureux de Cyrano...

Je n'aimais pas beaucoup cette fille, elle était grande à cheveux lisses, un peu bécasse, j'imaginais qu'elle aurait joué une version châtaine de Ficelle dans Fantômette tout à fait acceptable.
Au CE2, et peut-être déjà au CE1, je remplissais un album d'images d'animaux sur le modèle des albums de joueurs de foot. Nous avions tous notre album, il contenait trois cent deux ou trois cent six images, nous passions nos récréations en négociations et trocs, nous fanstamions sur les cartes les plus rares, dont la dernière, une panthère noire.
Tout mon argent de poche y passait — un dirham par semaine.
Un jour, j'ai découpé et mis à la poubelle la dernière page qui permettait, en ultime recours, de commander à la maison-mère les images manquantes. Je ne voulais pas tricher. J'aurais toutes les images par achats et échanges — sans tricher.
En découvrant que je m'étais fermée cette porte, ma mère m'a grondée.

Je me souviens du jour où j'ai trouvé la dernière image qui me manquait — pas la plus rare, un guépard.
Rituel, chacun arrive avec son paquet de cartes, le tend à l'autre, chacun regarde le paquet de l'autre, sélectionne les cartes qu'il voudrait récupérer... puis nous passons à l'échange, quelles cartes pour quelles cartes, et celles que nous refusons, arbitrairement, sans raison ou pour des raisons perverses, d'échanger.
Poker-face en apercevant cette dernière carte qui me manquait, cœur battant, que personne ne remarque à quel point je la voulais, à quel point il me la fallait... Déjà je savais que montrer un trop grand désir était un moyen assez sûr de ne pas obtenir satisfaction (et quand je lis Proust, le narrateur désirant si fort être présenté à Mme Swann et le montrant, grave erreur, à M. de Norpois — c'est ce moment qui affleure aussitôt).

Et voilà, elle était à moi, j'avais fini mon album — et la dernière carte, bien sûr, m'était venue de Roxane.

lundi 7 avril 2008

Mélancolie

— Ah ! lui dit-il, il y a eu de bien belles vies qui ont fini de cette façon… Ainsi vous savez… ce navigateur dont Dumont d'Urville ramena les cendres, La Pérouse… (et Swann était déjà heureux comme s'il avait parlé d'Odette). C'est un beau caractère et qui m'intéresse beaucoup que celui de La Pérouse, ajouta-t-il d'un air mélancolique.
En 1791, le contre-amiral d'Entrecasteaux entreprend une expédition pour retrouver La Pérouse. Il passera à 40 miles de l'île où vivaient encore deux survivants de l'équipage de l'explorateur. Sans y aborder il la baptisera de loin La Recherche, du nom de son bateau.

Visite avec Paul Rivière de l'exposition sur La Pérouse

vendredi 8 février 2008

jeudi 7

Arrivée en retard au cours d'histoire de l'art. Il n'y avait personne dans la salle habituelle, montée jusqu'aux salles des terminales. Magnifique coucher de soleil sur les toits gris et inégaux. Pas trouvé le cours, peut-être était-il supprimé suite à la visite de la Cité de l'architecture la semaine dernière ?
Pas cherché, à pied jusqu'à la bibliothèque Buffon, (pas de vélo), la plante des pieds brûlées par le nylon.

Le Journal de Gide dans la Pléiade de 1951 commence par ces mots : «Avec Pierre.»
Les notations de mai 1921 à propos de Proust ressemblent à celles de Proust à propos de la maladie de tante Léonie: malade véritable ou malade se mettant en scène ? Malade véritable, décide Gide. Je pense à cette phrase de Proust que j'aime tant à propos de sa tante: elle avait fini par mourir, donnant à la fois raison à ceux qui disaient que son régime finirait par la tuer et à ceux qui disaient qu'on avait tort de se moquer, qu'elle était réellement gravement malade. Et la notation de Gide: "je cite comme Proust, de mémoire" (que moi-même je cite comme Proust, de mémoire).

Feuilleté Against Dryness repris en français dans L'attention romanesque (ce mot d'"attention" semble venir de Simone Weill: l'attention lui paraissait plus importante que la volonté.) Un peu surprise, ne ressemble pas à ce que j'attendais après avoir écouté Compagnon. Plaidoyer pour des personnages crédibles. (C'est drôle, je retrouve ici la remarque de Walser). Intéressante différence entre les "images" et les personnages. Seul Shakespeare aurait réussi à créer les deux à un même niveau. Iris Murdoch résolument contre le classissisme (qu'étrangement elle appelle romantisme) : contre le concept, l'épure, la stylisation, pour le foisonnement.

Emprunté Charles Taylor (L'Identité de soi). C'est gros. Dans un siège devant les guichets d'emprunt dormait un homme très laid sentant le chochard. L'odeur de crasse chaude me fait éternuer. Pensée reconnaissante envers les bibliothécaires qui le laissent dormir au chaud, et interrogation: comment font-elles pour supporter l'odeur ?

Rentrée à pied gare de Lyon. Trop chargée pour pouvoir lire en marchant.

Le soir, feuilleté les deux Thibaudet que je possède à la recherche de l'éléphant. Pas trouvé.

lundi 4 décembre 2006

Perdue

Dans la vie de la plupart des femmes, tout, même le plus grand chagrin, aboutit à une question d'essayage.

Le côté de Guermantes, Pléiade t.2 (1957) p.335
J'ai détesté Proust d'avoir écrit cela. J'en ai parlé à un ami, qui m'a répondu que la remarque s'appliquait également aux hommes. Piètre consolation.

Lorsque j'ai rencontré H. il y a vingt ans, nous réunissions à nous deux sept grands-parents. Nous avons enterré le sixième aujourd'hui, la grand-mère maternelle de H. Il ne reste que ma grand-mère maternelle.
Je suppose que nous sommes censés nous résigner. C'est l'inverse qui se produit, la colère, la frustration, est plus grande à chaque fois. Ce n'est pas tant la mort que la fin de ces vies qui me révolte, ces vies dures, honnêtes, courageuses, terminées dans la souffrance ou l'ennui ou la folie pendant quelques semaines ou quelques années, et la mort à l'hôpital loin chez soi. J'ai l'impression d'une promesse trahie — comme s'il nous avait jamais été promis la justice en ce monde.
Nous eûmes par la suite une conversation que je n'ai jamais oubliée. Nous passions la soirée chez elle, Lore et moi, avec Marie McCarthy et une amie à elle qui vivait à Rome, catholique croyante comme il apparut bientôt. Elle s'intéressait vivement à moi et me provoqua en me demandant à brûle-pourpoint: «Croyez-vous en dieu?» On ne m'avait jamais posé la question de manière aussi directe — et cela venant d'une presque étrangère! Je la considérai d'abord perplexe, je réfléchis puis dis — à ma propre surprise: «Oui!» Hannah [Arendt] sursauta — je me souviens de son regard presque épouvanté sur moi. «Vraiment?» Et je répliquai: «Oui. Finalement oui. Quel qu'en soit le sens, la réponse "oui" se rapproche plus de la vérité que le "non".» Peu de temps après je me trouvais seul avec Hannah. La conversation revint sur dieu et elle déclara: «Je n'ai jamais douté d'un dieu personnel.» Sur quoi je dis: «Mais Hannah, je ne le savais pas du tout! Et je ne comprends pas pourquoi, l'autre soir, tu as eu l'air tellement stupéfaite.» Elle répondit: «J'étais très ébranlée d'entendre cela de ta bouche, car je ne l'aurais jamais pensé.» Ainsi nous nous étions surpris l'un l'autre par cet aveu.

Hans Jonas, Souvenirs, p.259
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